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MEMOIRES
DU
VICOMTE DE TURENNE
DEPUIS DUC DE BOUILLON.
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR
A NOGENT-LE-ROTROU.
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MÉMOIRES
DU
VICOMTE DE TURENNE
DEPUIS DUC DE BOUILLON
1565-1586
SUIVIS DE TRENTE-TROIS LETTRES DU ROI DE NAVARRE
(HENRI IV)
ET D'AUTRES DOCUMENTS INÉDITS
PDBLIÉS POUR LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRAXCE
Le Comte BAGUENAULT DE PUCHESSE
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N" 6
MDCCCCI
302
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• ».
I
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art, ^4. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail
lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que les
MÉMOIRES DU VICOMTE DE TORENNE, DEPUIS DUC DE BoUILLOlV,
préparés par M. le Comte Baguenault de Puchesse, lui ont
paru dignes d'être publiés par la Société de l'Histoire de
France.
Fait à Paris, le 20 janvier ^ 90^ .
Signé : P. DE KERMAINGANT.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de rHistoire de France,
A. DE BOISLISLE.
AVERTISSEMENT
Les Mémoires du vicomte de Turenne, connus sous le nom de
Mémoires de Bouillon, sont un des plus importants et véridiques
documents historiques sur la période des guerres de religion.
Pourtant, nous n'aurions jamais songé à les réimprimer s'il en
eût existé une édition vraiment critique et accompagnée de notes
indispensables à l'étude de souvenirs composés, comme on fai-
sait autrefois, sans dates précises et sans pièces à l'appui. De
plus, ayant retrouvé nombre de précieuses justifications contem-
poraines, nous voulons dire des lettres adressées à Turenne par
les grands personnages avec lesquels sa vie fut intimement mêlée,
et particulièrement toute une série de correspondances de son
compagnon de luttes de chaque jour, de son maître et son ami le
jeune roi de Navarre, notre futur Henri IV, ainsi que quelques
lettres du vicomte lui-même, il nous a semblé que l'occasion
était favorable de réunir dans un court volume tout un ensemble
de renseignements un peu épars, très propres à éclairer l'histoire
des guerres civiles du xvi^ siècle, particulièrement dans ce Midi
gascon, où manœuvra pendant dix ans si habilement celui qu'on
appelait « le Béarnais. »
Mais, avant de dire en quelques pages ce que fut le vicomte de
Turenne, nous devons indiquer exactement les diverses reproduc-
tions des Mémoires, tant imprimées que manuscrites, qui existent
en grand nombre et qui ont été la base de notre travail de revi-
sion d'un texte souvent très imparfaitement reproduit.
Imprimés.
Les Mémoires de Henry de la Tour d'Auvergne, souverain duc de
Bouillon, adressés à son fils le prince de Sedan. A Paris, en la
boutique de Langelier, 1666. In-12, 359 p.
Collection universelle des Mém,oires •particuliers relatifs à l'histoire '
de France. A Londres, 1788. In-8». T. XLII, 2« partie; t. XLVIII
et XLIX, l'e partie.
Il AVERTISSEMENT.
Panthéon littéraire de J.-A.-C. Buchon. 1 vol. grand in-8°, à
deux colonnes, 58 p.
Colleclion Petitot. T. XXXV, 1823. 1q-8o, 174 p.
Collection Michaud et Poujoulat. T. XI, 1838. In-8°, à deux
colonnes, 54 p.
Manuscrits de la Bibliothèque nationale.
Collection Dupiiy, n" 82. Petit in-8ô de 54 ff. de la main de
P. Dupuy, signé et daté par lui en 1627, quatre années seule-
ment après la mort du duc de Bouillon.
Fonds français, n" 4040. In-fol. Ane. 9032. Relié aux armes
de Béthune. 132 fol. Très bonne copie.
F. fr., n» 5767. Petit in-4o de 381 fol. xviii« siècle.
— 10293. In-fol. de 192 fol. Ane. suppl. fr. Copie du
xvii« siècle.
— \ 1454 . Copie sans intérêt, allant de la p. 65 à la p. 210.
— 15614. In-fol. de 137 fol. Ane. Saint-Germain, col-
lection Coislin.
— 15664. In-fol. de 498 fol., contenant une histoire du
duc de Bouillon, rédigée, d'après ses Mé-
moires, par l'abbé J. de La Barrière, abbé
de Saint-Seré, près Bordeaux.
— 17325. In-fol. de 45 fol. de la collection Coislin; s'ar-
rêtant en 1581.
— 18626. Copie du xvii^ siècle, fol. 47 à 243.
— 23233. In-fol., du fol. 163 à 261. Ane. Saint-Victor,
1098.
— 23238. Fol. 7 à 95, appartenant, en 1643, aux Minimes
de Paris, une des plus anciennes et plus
correctes copies.
— 23391. Fol. 219 à 322. Copie mauvaise et incomplète.
Il faut ajouter un ms. de 109 ff., intitulé : Mémoires de feu
M. le duc de Bouillon, provenant sans doute de l'abbaye de
Saint- Germain -des -Prés, qui faisait partie de la collection
Duitrowski, et est aujourd'hui à la Bibliothèque impériale de
Saint-Pétersbourg.
Signalons encore le ms. 4119 de la Bibliothèque de l'Arsenal
(Recueil Conrart, t. XIV), qui nous donne, p. 265, une copie du
xvne siècle des Mémoires de Bouillon.
AVERTISSEMENT. m
Enfin, il existe à la Bibliothèque du ministère de la Guerre un
manuscrit du xvii« siècle de 254 feuillets, coté A. H. h. 73, qui
renferme le « Discours de Monsieur le duc de Bouillon, contenant
l'histoire de sa vie, à Monsieur son fils. » La copie est bonne,
mais s'arrête, comme celle de P. Dupuy, à l'année 1580.
Quant aux lettres de Henri IV adressées au vicomte de Turenne,
elles sont au nombre de trente-trois et complètent heureusement
les Mémoires, se rapportant aux mêmes faits et aux mêmes per-
sonnages. C'est dans un volume dépareillé des mss. fr, (Nouv.
acquisitions, n° 4533) que nous les avons trouvées. Ce sont des
copies faites au siècle dernier, sans doute sur les archives
mêmes de Bouillon. Les originaux dispersés se rencontrent dans
quelques collections d'autographes, une entre autres, dont la
richesse est connue, celle de feu M. Alfred Morrison, de Londres.
Notre collègue, M. L. de Kermaingant, qui connaît si bien les
sources historiques de cette époque, ayant pu faire faire des
copies de toute la série de la collection relative à Turenne,
a eu l'extrême obligeance de nous les communiquer, ce qui a
permis de comparer le texte autographe avec la version assez
médiocre du ras. 4533. Au reste, le catalogue Morrison a été
imprimé (1883-1888) et contient le plus grand nombre de ces
lettres du roi de Navarre; mais ou sait qu'il a été strictement
printed for private circulation et qu'il est à peu près aussi rare
qu'un manuscrit. D'ailleurs, quelques-uns de ces billets ne se
trouvent que dans la copie de la Bibliothèque nationale. Nous
avons indiqué en note pour chaque lettre l'origine exacte, et nous
avons essayé de rétablir l'ordre chronologique, assez difficile à
fixer en l'absence des dates.
Cette suite, très vivante et très primesautière, comblera une
des nombreuses lacunes des Lettres missives, le recueil de MM. Ber-
ger de Xivrey et Guadet contenant à peine deux ou trois lettres
adressées au vicomte de Turenne par Henri IV.
Les autres pièces inédites proviennent soit des Archives natio-
nales, soit des archives de Genève, soit des manuscrits de la
Bibliothèque nationale. On en trouvera la nomenclature à la table.
LE VICOMTE DE TURENINE
Héritier d'une vieille et noble race, de bonne heure maître
de ses destinées, gâté souvent par la fortune, le vicomte de
Turenne semble avoir toujours rêvé ce qu'il ne pouvait obte-
nir et mal supporté le second rang. Il commença à intriguer
dès quinze ans, ne cessa presque point toute sa vie; et,
prince souverain, maréchal de France, d'une intelligence
peu commune, l'un des plus riches et plus puissants sei-
gneurs de son temps, il courut, sous quatre rois, des aven-
tures peu glorieuses et finit par mourir dans l'isolement,
presque dans l'exil, sans laisser autour de lui ni sympathies
ni regrets.
C'est de sa jeunesse particulièrement qu'il est utile de
rappeler les phases principales, puisqu'il est alors un per-
sonnage fort en vue, très mêlé aux luttes religieuses de la
fin du XVI® siècle, dont tous les historiens du temps pro-
noncent souvent le nom, et que les Mémoires qu'il a écrits
à l'âge de cinquante-quatre ans s'arrêtent avant l'avène-
ment de Henri IV, avant que, devenu, par la grâce de son
roi et de son ami, duc de Bouillon et prince de Sedan, il ne
soit pour la France un voisin peu commode, parfois presque
un ennemi.
Henry de la Tour d'Auvergne naquit en 1555, au châ-
teau de Joze près Clermont, et perdit presque aussitôt sa
mère, qui était la fiUe aînée du connétable de Montmorency.
VI LE VICOMTE DE TURENNE.
Son père, blessé mortellement à Saint-Quentin, le laissa
orphelin deux ans plus tard. Elevé à Chantilly ou à la cour
par son aïeul, il n'avait que douze ans quand il le vit sifc-
comber le surlendemain de la bataille de Saint-Denis, après
avoir fait, à ses côtés, l'épêe à la main, cette fameuse
retraite de Meaux qui exaspéra à tel point Charles IX
contre les huguenots que, sans ce souvenir toujours présent,
le jeune roi n'aurait jamais donné son consentement à la
Saint-Barthélémy.
Son éducation fut des plus soignées ; on le verra plus tard
adoucissant sa captivité aux Pays-Bas par la lecture des
auteurs grecs et latins. Elégant, beau diseur, ayant eu dès
son enfance une sorte de maison princière, allié à la noblesse
la plus brillante et la mieux pourvue, il accompagna son
oncle, le maréchal de Montmorency, dans une ambassade
en Angleterre et sut plaire à Elisabeth qui ne dédaignait pas
les plus imprévus et les plus tendres hommages ; en même
temps, il se mettait dans les bonnes grâces du dernier fils de
Catherine deMédicis, le duc d'Alençon, et tentait de parta-
ger sa fortune en prenant une part importante à la conspi-
ration de 1574, dans laquelle La Mole paya de sa vie son
dévouement inconsidéré aux jeunes princes rebelles. Par
une singulière contradiction, il embrasse alors la religion
nouvelle, par horreur, prétend-il, des persécutions; ce qui
ne l'empêche pas de participer, avec l'armée royale, au
siège de la Rochelle et de rester le fidèle ami de ce François
de Valois, dont ni le caractère ni les mœurs n'auraient dû
satisfaire sa rigidité huguenote. Il est vrai qu'il n'avait
aucun penchant pour Henri III et qu'il n'hésita pas à
suivre son autre oncle Damville, se mettant à la tête de
tous les mécontents du Languedoc, guerroyant dans le
Quercy et donnant la main au duc d'Alençon quand il
LE VICOMTE DE TURENNE. vu
s'échappa de la cour. Mal récompensé par le nouveau duc
d'Anjou de ses services, il passa au roi de Navarre, et lui
apporta à Périgueux, à Agen, dans le Limousin et dans la
Gascogne, un bon appoint de troupes, lors de la guerre qui
aboutit, en septembre 1577, à la paix de Bergerac.
Plus jeune de deux ans que le Béarnais, il n'en prend
pas moins une influence très grande sur celui qui l'avait
gratifié de sa plus intime confiance; et il semble afîecter,
à son égard, une supériorité quelque peu dédaigneuse, que
dénotent beaucoup de traits de ses Mémoires. Les contem-
porains ne s'y trompèrent point. Lors des délicates entre-
vues et des discussions animées qu'occasionna le voyage
de la reine mère dans le Midi pour les conférences de Nérac,
dans l'hiver de 1578-1579, c'est toujours le vicomte de
Turenne qui parle au nom du parti protestant, qui com-
mande aux gens de guerre, comme aux ministres de la Reli-
gion, qui affiche des exigences au-dessus de son âge; et
quand, plus tard, Catherine de Médicis négociera avec le
cardinal de Bourbon et le duc de Guise le fameux traité
de Nemours, elle écrira spirituellement à Henri III :
« Monsieur de Guise est comme le maistre d'escole et fait
tout ainsy du cardinal ce que faisoit en Guyenne, quand j'y
estois, le viconte de Turenne du roy de Navarre. »
La paix conclue, c'est Turenne qui est le commissaire
chargé d'arranger toutes les querelles ; son pouvoir grandit
chaque jour, ayant revendiqué en outre les fonctions de
lieutenant-général du gouvernement du Haut-Languedoc,
pour avoir seul l'honneur et la responsabilité qu'il parta-
geait auparavant en Guyenne avec le roi de Navarre. Mais
cette tâche pacifique ne suffisait ni à son ambition ni à son
activité. Son ancien compagnon d'intrigues, le duc d'An-
jou, ayant brigué la souveraineté des Pays-Bas et organisé,
VIII LE VICOMTE DE TURENNE.
contre la puissance de l'Espagne dans les Flandres, une
véritable expédition à laquelle toute la noblesse française
prenait part, le vicomte leva à ses frais une petite armée et
voulut courir l'aventure. Au premier pas, sa présomption
le fit échouer devant Cambrai, et il resta trois ans prison-
nier du prince de Parme.
Rendu à la liberté après la mort de François de Valois,
il revient au roi de Navarre et le pousse à reprendre la
guerre civile. Sa lutte en Guyenne contre le duc de
Mayenne est racontée par lui aved de nombreux détails ; et
il ne dissimule pas que, sans sa vigueur, la résistance n'au-
rait jamais été aussi efficacement organisée ; mais il inter-
. rompt ses souvenirs à la veille de Coutras, où il faisait
l'office de sergent de bataille et où il aurait perdu la partie
s'il n'avait pas pu compter sur l'habile et brillante inter-
vention du Béarnais.
Turenne avait trente-deux ans à peine. Sa vie était déjà
assez remplie pour pouvoir être donnée en exemple à son
fils le prince de Sedan; c'est le motif, nous dit-il, vingt ans
plus tard, en 1609, qui l'a fait écrire. Avait-il poussé plus
loin son récit? Le P. Lelong semblait le croire au siècle
dernier, quand il réclamait la publication de la seconde
partie des Mémoires. Mais tous les manuscrits s'arrêtent
au même point; et les papiers de Bouillon, qui sont arrivés
aux Archives nationales, ne donnent aucune indication, ni
aucune pièce pouvant faire supposer que le travail ait jamais
été achevé. Peut-être le vicomte, devenu duc de Bouillon,
aurait-il été fort embarrassé d'expliquer sa conduite sous
Henri IV.
Toujours est-il qu'il suffira de résumer en quelques mots
la fin de sa carrière. Le roi de Navarre, devenu roi de
France, voulut récompenser le concours que Turenne, en
LE VICOMTE DE TURENNE. IX
dépit de son caractère ombrageux, lui avait prêté, dans les
camps comme dans les négociations à l'étranger, par sa
vaillance et son esprit fécond en ressources. Il lui fit obte-
nir, en 1591, la plus riche héritière du temps, Charlotte de
La Mark ; il le créa maréchal en 1592. Sa femme étant morte
deux ans plus tard, en lui laissant tous ses biens, il épousa
bientôt une fille du Taciturne, Elisabeth de Nassau; et, dès
lors, de sa principauté de Sedan, il essaya de se mêler en
Europe à toutes les combinaisons politiques qui, en servant
les intérêts protestants, pouvaient accroître sa maison. Plus
diplomate qu'homme de guerre, il ne servait Henri IV
qu'autant que celui-ci pouvait être utile à ses parents et à
ses coreligionnaires de Hollande, et il ne tarda pas à se
brouiller entièrement avec lui. Au moment de la conspira-
tion de Biron, alla-t-il jusqu'à la trahison? C'est probable;
mais le roi aima mieux pardonner; et le duc de Bouillon,
au lieu de l'en remercier, avoua en quelque sorte sa faute,
en se retirant à Heidelberg, chez son beau-frère l'Electeur
palatin. Henri IV perdit patience et fit une énergique
démonstration militaire contre Sedan. Bouillon, abandonné
de ses alliés, fut obligé de traiter, consentant à recevoir
chez lui, pendant quatre ans, une garnison française. Tou-
jours généreux, le Béarnais se contenta d'une prise de pos-
session solennelle, et, au bout d'un mois, retira ses troupes.
L'affection qu'il portait à Louise de Coligny, belle-mère de
la duchesse de Bouillon, le disposa sans doute à l'indulgence ;
et puis, il n'était pas fâché d'éloigner du Périgord et des
provinces protestantes du JVlidi l'ancien vicomte de Turenne
qui y avait conservé beaucoup d'influence.
Bouillon se garda sagement de toute compromission jusqu'à
la mort de Henri IV, Sous la régence de Marie de Médicis,
il recommença ses intrigues, se déclara l'adversaire acharné
X LE VICOMTE DE TURENNE.
de Sully, qui était aussi bon huguenot pourtant que lui, et
osa bien s'allier à Concini et flatter l'ambition du favori de
la reine, combattant même ses coreligionnaires à l'assemblée
de Saumur. Puis, il se retourna, jaloux du duc de Rohan,
contre le pouvoir royal, et essaya de soulever le Parlement,
se joignant au parti des princes et méritant comme eux d'être
traité en rebelle. Après l'assassinat du maréchal d'Ancre,
il essaya sans succès de donner des conseils au jeune
Louis XIII ; mais, rendu prudent par l'âge, il se confina
bientôt à Sedan, se livrant avec faste à l'encouragement des
lettres et des arts dans sa petite principauté, protégée par sa
situation même entre la France, les Pays-Bas- et l'Alle-
magne. Tandis queLuynes assiégeait Montauban, il laissait
les protestants de sa vicomte aux prises avec la guerre,
écrivant au roi pour l'assurer de sa fidélité. Deux mois
après la signature de la paix, il mourait à Sedan, le 25 mars
1623, à près de quatre-vingts ans.
Des deux fils qu'il laissa, l'un prit tous ses défauts et mérita
d'être appelé comme son père « l'homme le plus remuant et
le plus inquiet de son temps ; » l'autre hérita de ses quali-
tés, en y joignant une science militaire incomparable, et
aurait suffi seul à illustrer le nom de Turenne.
MÉMOIRES
DE
HENRY DE LA TOUR D'AUVERGxNE,
VICOMTE DE TURENNE, ET DEPUIS DUC DE BOUILLON,
ADRESSÉS A SON FILS, LE PRINCE DE SEDAN*.
Mon fils,
J'ay creu n'avoir pas assés faict pour vous en vous
mettant au monde par la bénédiction de Dieu, mais
que mon amour vers vous et Fhonneste désir de per-
pétuer l'honneur et la vertu en nostre race, et plus
que tout cela la reconnoissance que je doibs rendre à
Dieu de nous avoir faicts de rien et m'avoir conservé
1. La px'emière édition, publiée en 1766, à Paris, « en la
boutique de Langelier, » était précédée d'un avertissement
qu'il est intéressant de reproduire :
Le libraire au lecteur.
« Ce livi'e, pour estre escrit il y a quelque temps, ne laisse
pas d'estre dans la pureté du langage autant que l'on l'y peut
souhaitter; il y a pourtant quelques mots qui ne manqueront
pas de choquer l'oreille à quelques délicats. Mais, pour le
tour de la phrase et la façon de l'énoncer, elle y est aussi belle
que celle dont on se sert aujourd'huy. C'est pour cela qu'il
auroit esté très facile, changeant quelques mots, de le mettre
1
2 MÉMOIRES
et gardé comme la prunelle de son œil; ces choses,
dis-je, me convient d'ajouter trois bienfaits à celui de
la naissance : en premier lieu, de vous faire soigneu-
sement instruire en la vraye religion et rendre capable
de cognoistre les fausses et erronées opinions, et cela
par la science des Sainctes Lettres, dans lesquelles
seulement Dieu nous a donnéla règle et le formulaire
comment il veut estre servy et honoré de nous, vous
exhortant à vous rendre désireux et diligent aux
leçons qui vous en seront faictes, comme celles qui
peuvent vous faire jouir des biens et honneurs que
dans la politesse de nostre temps, et je n'ay pas trouvé à pro-
pos de le faire, à moins que de m'exposer à corrompre l'exem-
plaire; et si je l'avois fait autant de fois que la nécessité sembloit
le requérir, l'original sur quoy ce livre est imprimé n'auroit
plus semblé qu'une coppie fort corrompiie. Il y a néant-
moins quelques mots de changez; mais ce sont ceux dont on
n'entend plus parler aujourd'huy, comme « entregent, cuider, »
etc., qui sont pourtant très significatifs et dont je n'ay pu en
trouver d'une si forte expression ; aussi n'y en a-t-il pas une
douzaine de changés.
« Je me persuade d'autant plus que ces Mémoires seront
bien receus des personnes de condition, que chacun sçait que
Monsieur le duc de Bouillon estoit un homme très capable
d'en faire ; et, en effet, je crois qu'on les estimera plus que
ceux que nous avons veu paroistre depuis quelque temps,
parce qu'il n'y a rien de trop long et qui puisse ennuyer, et
néantraoins il enseigne; et il n'est pas besoin de sçavoir une
histoire entière pour y pouvoir comprendre quelque chose,
comme sont ceux de la Régence de la Reyne Marie de Médicis.
« Il n'y a rien aussi de bas et de peu de conséquence (ce qui
devroit estre absolument horz de ces sortes de Mémoires). Il
ne parle point, comme fait un autre, qu'on luy a donné une
fois à disner, une autre fois la collation; et enfin, il n'entre-
tiendra point le lecteur d'une chienne ou d'un autre semblable
animal. »
DU VICOMTE DE TURENNE. 3
reçoivent ceux qui craignent Dieu ; ensuite de mettre
Testât de vos biens au meilleur et plus assuré terme
que la vicissitude des choses humaines le peut désirer ;
pour le dernier, c'est de vous rendre capable, si Dieu
vous continue en ce monde un bon aage, que vous
puissiez estre instruit aux vertus morales et poli-
tiques.
De cecy il y a quantité de hvres faits par toutes
sortes de personnes, où les instructions sont en très-
grand nombre, desquelles vous serez aydé en appre-
nant la langue latine, aux heures que ceux qui auront
charge de votre instruction vous donneront pour la
lecture de ces mesmes livres. Mais d'autant que sou-
vent les préceptes ne peuvent pas tant sur nous que
les exemples, mesmement de ceux qui nous sont
proches et familiers, j'ay voulu vous tracer icy le
cours de ma vie, qui a esté accompagnée de plusieurs
contrariétés, de bonheur et de malheur, d'actions
louables et d'autres blasmables.
Elle commença sous le règne de Henry II, et est
maintenant avancée à cinquante- quatre ans et six
mois, sous le règne de Henry IV.
Nostre maison tient de celle des anciens comtes
d'Auvergne^ ; mon père mourut en la bataille dicte de
1. Les renseignements généalogiques sur la maison de la
Tour d'Auvergne se trouvent partout. Nous ne donnerons que
les dates indispensables. François II, vicomte de Turenne,
était lieutenant-général de l'Ile-de-France; il fut ambassadeur
à Rome en 1528. Son fils, François III, épousa, en 1545, Eléo-
nore de Montmorency, fille aînée du connétable; il en eut deux
enfants, Madeleine de la Tour, dite Mademoiselle de Montgas-
con, née le 25 août 1556, mariée en 1572 à Honoré de Savoie,
4 MÉMOIRES [1562
Saint-Quentin, m'ayant laissé en l'aage de près de
trois ans avec fort peu de support et faveur^. Une
sœur que j'avois et moy fusmes menés, à l'aage d'un
peu plus de trois ans, à Chantilly, où estoit Anne de
Montmorency, connestable de France, et Magdelaine
de Savoye sa femme, nos grands père et mère : là,
ceux qui faisoient mes affaires convinrent d'une
légère pension annuelle pour nostre entretenement.
Sur les six ans de mon aage, on me donna un gouver-
neur nommé Ville-montée, un précepteur, un valet de
chambre et un page; ledict Ville-montée se trouva
d'humeur colère et bizarre, qui fut occasion qu'il
demeura peu de temps près de moy : mon précepteur
comte de Tende, veuve l'année même, et Henri de la Tour,
plus âgé d'une année seulement, qu'elle aimait particulière-
ment et auquel elle laissa, en 1580, tous ses biens.
1. Henri naquit au château de Joze, en Auvergne, le 28 sep-
tembre 1555. Il avait deux ans quand il perdit son père, veuf
depuis un an. C'est entre 1609 et 1610 qu'il s'occupa de la
rédaction de ses Mémoires ; il était alors âgé de cinquante-cinq
ans et ne mourut qu'en 1623, mais sans avoir jamais repris la
suite de ses souvenirs, qui s'arrêtent à 1586. Marié en 1591 par
Henri IV à Charlotte de la Marck, héritière du duc de Bouillon,
il la perdit en 1594 sans en avoir eu d'enfants; mais elle lui
laissa ses biens considérables et son titre; et le roi négocia
pour lui un second mariage avec Elisabeth de Nassau, fille du
prince d'Orange et de Charlotte de Bourbon. Il en eut deux
fils et six filles ; et c'est à l'aîné Frédéric-Maurice, prince de
Sedan, né en 1605, qu'il adressa ses Mémoires. Le second fut
l'illustre Turenne. — Le P. Anselme fait ainsi l'énumération
des titres de Henri de la Tour jusqu'à ce qu'il devînt duc de
Bouillon : « Vicomte de Turenne, de Castillon, de Lanquais,
comte de Montfort et de Méréglisse, seigneur de Montgascon,
d'OUiergues, de Limeuil, de Fay, de Sevissac, de Saint-Bon-
net, de Novatelles, le Croc et Ferrières. »
1565] DU VICOMTE DE TURENNE. 5
commença à m'enseigner la langue latine et les pre-
miers rudimens de la sphère et des cartes, à quoy je
profitois beaucoup en l'un et l'autre, et avec plaisir.
Madame la connestable, une des superstitieuses de
son temps, prit fantaisie que les sciences me feroient
estre de la religion en laquelle Dieu m'a appelle en
son temps, qui fut cause, à mon grand mal, de me
faire oster mon précepteur, et par là le moyen d'ap-
prendre les langues et la philosophie; qui m'a esté un
grand defîaut pour les charges que j'ay eues, ainsi que
le pourrez apprendre par la continuation de mon
discours.
Lors, la maison de Montmorency n'avoit plus de
faveur, et estoit suspecte à la Reyne mère du Roy,
pour la proximité qu'il y avoit entre ceux de Ghastillon
et elle : ma nourriture prise et reçue là dedans, et
leur estant si proche, m'enveloppa, quoyque jeune,
dans les occurrences familières de cette maison ; je
demeuray audict Chantilly jusqu'à dix ans, où, pour
bonheur, j'eus la bonne grâce de mon grand-père.
Mon esprit assez prompt, mais soigneux d'ouyr et
retenir les choses bien dictes, me fit, dès mon jeune
aage, admirer la vertu et sagesse de mondict sieur le
connestable, et avoir réservé tout le temps de ma vie
des propos et façons que je remarquois en luy, qui
m'ont esté d'une incroyable utilité.
A dix ans, je fus mené à la cour du règne du roy
Charles IX, où je reçus du Roy, de la Reyne sa mère,
et de Messieurs d'Anjou et d'Alençon, fort bon visage,
la cour ayant le Roy en minorité, la Reyne sa mère qui
se vouloit maintenir au gouvernement de Testât de
son fils, les factions de Mons"^ de Guyse qui se for-
6 MÉMOIRES [1566
moient; ceux de la Religion, se défians et recognoissans
la faute qu'ils avoient faite d'avoir quitté la cour dès
les premiers troubles, essayoient de s'y restablir. Le
roy Charles, d'un beau et excellent esprit, fut par sa
nourriture conduit à divers vices, comme à la cruauté
et aux juremens. D'autant que mon aage approchoit
plus de celuy de Mons"^ d'Alençon, je me mis à le
suivre plus que le Roy et Mons"" d'Anjou ; j'allois et
venois avec Mons"^ le connestable à la cour, où on
m'avoit donné un gouverneur nommé Rofignac^, qui
avoit esté nourry page de mon père, un très-honneste
et sage gentilhomme, qui avoit un grand soin demoy
et de mes mœurs, et lequel j'aymois, honorois et
craignois bien fort; j'eus un escuyer, nommé La
Boissière^, qui, en l'absence de Mons"" de Rofignac,
me servoit de gouverneur, deux pages, un fourrier,
un cuisinier, un sommelier, deux laquais et un argen-
tier; mon tuteur, qui estoit Mons"" deChavigny^, me
1. Le s"" de Rofignac ou Rafignac était d'une ancienne
famille du Limousin; on le qualifie de chancelier de l'ordre du
roi et de gentilhomme de la chambre du duc d'Anjou.
2. Peut-être Jean de Chambord et de la Boissière, seigneur
de Gisors, serviteur de six rois en qualité de maître d'hôtel,
et qui ne mourut qu'en 1614 à quatre-vingt-onze ans. Deux
de ses fils furent tués à la bataille d'Ivry.
3. François Le Roy, sieur de Chavigny, plus tard comte de
Clinchamp, capitaine des gardes, était un protégé de la mai-
son de Montmorency. Il devint ensuite ligueur, fut capitaine
des cent gentilshommes de la maison du roi, puis lieutenant-
généi'al du gouvernement d'Anjou, de Touraine et du Maine.
II avait épousé Antoinette de la Tour, tante du vicomte de
Turenne. En 1585, il voulut le dissuader de faire la guerre au
roi, lui promettant que Mayenne épargnerait ses domaines. Le
curateur de Turenne était Marcellin de Champetières.
1567] DU VICOMTE DE TURENNE. 7
donnoit 12,000 liv. par an pour toute ma dépense. Je
demeuray ainsi depuis la dixiesme année jusques à la
douziesme ou environ, prenant ma nourriture à la
manière de la cour, conduit et observé par mon gou-
verneur pour me faire voir les plus grands de la cour
et y observer les choses honnestes, me cachant les
vicieuses ; et où elles estoient remarquées de moy, il
ne manquoit pas de m'en dire les dangers, pour les
éviter.
Avec cette induction et mon esprit, qui estoit assez
relevé, j'observois non-seulement ce qui convenoit à
mon aage et aux occupations convenables, mais aux
plus sérieuses affaires : ce que je pouvois facilement
faire, n'y ayant aucune porte fermée, ny conseil où je
n'entrasse, comme un enfant qui avoit bien de la bien-
vueillance du Roy, de la Reyne et de Messieurs.
Lors se disposèrent les seconds troubles par la levée
de six mille Suisses que fit le Roy, sur le soupçon
qu'on disoit avoir que le duc d'Alve venant aux Pays-
Bas pour assujétir les dix-sept provinces en leur ostant
leurs privilèges, ayant des forces, n'entreprist contre
la France, ainsi qu'on tient pour maxime d'Estat que
les roys et républiques souveraines se doivent armer
toutefois et quantes que leurs voisins s'arment plus
que de coustume. Ceux de la Religion ne crurent pas
cela, mais que c'estoit un conseil pris à Rayonne lors
que la reyne d'Espagne, accompagnée du duc d'Alve,
y vint voir le Roy et la Reyne sa mère, de ruiner ceux
de la Religion en France et aux Pays-Bas ; ce qui leur
donna sujet de faire l'entreprise de Meaux, laquelle
estoit d'oster Messieurs de Guyse d'auprès du Roy, et
de changer quelques-uns du Conseil.
Les soupçons de part et d'autre croissans, le Roy
8 MÉMOIRES [Sept. 1567
envoya vers Mons*" l'admirai de Chastillon diverses
personnes pour entendre la cause des mescontentemens
de ceux de la Religion ; ledict admirai n'en advouoit
rien, et donnoit Testât où il estoit pour preuve, estant
à sa maison de Chastillon avec son train, soignant à
son mesnage et faisant travailler à ses vignes i. La cour
vint à Monceaux environ le 22 ou le 23 septembre, où
il me souvient qu'il fut tenu un conseil où la Reyne
mère proposa les occasions que ceux de la Religion
donnoient de prendre garde à eux et de pourvoir à
la seureté du Roy et du royaume, que les recherches
d'hommes et d'armes, qu'on sçavoit qu'ils faisoient
secrètement partout le royaume, monstroient assez que
ce n'estoit pas à ceux de la maison de Guyse à qui ils
en vouloient, mais au Roy et à l'Estat; que si ce
n'estoit qu'à ceux de Guyse à qui ils en vouloient, que
le Roy adviseroit de les contenter. Il est à remarquer
que tous ceux de ladicte maison s'estoient retirés de la
cour, afin d'oster l'occasion à ceux de la Religion de
se servir d'eux pour prétexte de leurs entreprises.
Mons' le chancelier de L'Hospital prit la parole, et dict
qu'il y avoit trop long-temps qu'on voyoit naistre ces
mescontentemens sans y avoir cherché les remèdes;
qu'il falloit pourvoir à la seureté du Roy, mais, s'il se
pouvoit, que ce fust sans les armes, d'autant qu'elles
donneroient sujet à ceux de la Religion d'en faire
autant^, et que, les uns et les autres proches et armés,
il seroit malaisé qu'on n'en vinst aux mains; que
1. Pasquier dit qu'on le trouva « habillé en mesnagier et
faisant ses vendanges. »
2. Cette attitude du chanceliei' a été sévèrement jugée par
M. Dupî-é-Lasalle dans son Michel de VHospital, 2^ partie,
1899, in-8°, p. 210.
Sept. 1567] DU VICOMTE DE TURENNE. 9
racheminement des Suisses estoit la cause de ces
méfiances ; qu'il jugeoit à propos qu'on envoyast vers
Mons"^ l'admirai luy offrir de ne faire avancer les
Suisses, et que le Roy vouloit pourvoir à son conseil
et administration de ses affaires, et y donner à luy et
aux autres de la Religion le lieu qu'ils y pourroient
tenir, et de mesme vers Mons' le prince de Gondé, se
promettant que, si de bonne foy on tenoit ce procédé,
que les malheurs qui menaçoient cet estât s'appaise-
roient, estimant et croyant que ceux de la Religion ne
désiroient autre chose que de servir le Roy. La Reyne
mère reprit la parole, et dit : « Monsieur le chancelier,
voulez-vous répondre qu'ils n'ont autre but que de
servir le Roy? — Ouy, madame, repliqua-t-il, si on
m'assure qu'on ne les veuille pas tromper. » Sur cela,
le conseil se leva, et fut résolu qu'on iroit à Meaux, et
qu'on y feroit avancer les Suisses.
La cour y arriva le 26 septembre : le lendemain y
arrivèrent les Suisses ; le Roy et toute la cour monta à
cheval, où j'estois, pour les aller voir : c'estoient les
premiers que j'avois veus. Les advis croissoient des
armes de ceux de la Rehgion, et qu'ils estoient à che-
val. Le soir du 28, on fit entrer trois compagnies de
Suisses en garde, et on fit loger au Neuf-Marché * tout
le reste. On sceut que Mons' le prince, l'admirai^, d'An-
delot et de Mouy^ estoient avec quelque nombre
1. Au marché neuf de Meaux.
2. Coligny, le cardinal de Châtillon et d'Andelot étaient ses
cousins-germains, comme fils de Louise de Montmorency, sœur
de son père.
3. Louis de Vaudray, seigneur de Mouy, puîné de la maison
de Saint-Phalle. Il était déterminé huguenot et fut assassiné à
Niort, en 1569, par Maurevert, celui-là même qui devait, à la
10 MÉMOIRES [Sept. 1567
d'hommes à cinq ou six lieues de Meaux. Soudain on
y envoya Mons"" le mareschal de Montmorency ^ vers eux
pour entendre la cause de leurs armes ; mais il y alloit
principalement pour faire le service qu'il fit, et que
nul autre que luy ne pouvoit faire, estant ce seigneur
très sage et aimant l'Estat, qui luy avoit fait tousjours
avoir des mal-veillans, estant lors soupçonné de s'en-
tendre avec Mons"" l'admirai, parce qu'il avoit tousjours
ses conseils portés à ne donner tant d'autorité à la mai-
son de Guyse, qu'il croyoit avoir le but de son accrois-
sement en la ruine de l'Estat.
Il trouva ces messieurs prests de monter à cheval
pour se trouver le 29, qui estoit le lendemain, avant
le jour, à l'ouverture des portes de Meaux, et là, avec
leurs armes, représenter au Roy les moyens d'asseurer
son Estât en réformant son Conseil, et n'y admettant
point ceux de la maison de Lorraine. Ledict sieur de
Montmorency les arreste, et leur demande temps de
conférer, estimant qu'il leur feroit des ouvertures pour
leur donner satisfaction. Aussitost il dépesche au Roy
et à Mons' le connestable, son père, l'advertissant de
Testât où estoient les affaires, qu'il se promettoit de les
retenir là jusques sur les huict heures, pour donner
loisir au Roy de s'en aller à Paris.
Cet advis receu, soudain on se résout de partir, et
commença-t-on dès le soir à charger le bagage. J'eus
ce jour-là douze ans ; j'avisois ces choses comme bien
nouvelles, et ne laissois pas de remarquer qu'elles se
faisoient avec grande précipitation, et ay trouvé depuis,
veille de la Saint -Barthélémy, blesser l'amiral dans le guet-
apens du Louvre.
1. Fils aîné du connétable.
Sept. 1567] DU VICOMTE DE TURENNE. H
selon les expériences que j'ay eues, cela étrange
d'avoir de la crainte, considéré que tout ce qui parut
le lendemain de forces avec Mons"^ le prince ne fut pas
de deux cents chevaux, harassés et assez mal armés, et
le Roy avec six mille Suisses, les quatre compagnies
du corps, les cent Suisses de sa garde, et plus de
trois cents gentilshommes : néantmoins il est à croire
que si lesdicts de la Religion n'eussent esté arrestés, et
qu'avant de sortir de Meaux ils se fussent trouvés sur
la porte, qu'on eust eu difficulté de la fermer. Ce qui
cause telles perplexités sont les meffiances qu'on a
ordinairement des factions intestines, qui empeschent
de suivre les meilleurs advis, pour la croyance qu'on
a qu'ils seront traversés par ceux mesmes avec qui on
les doit exécuter.
Les portes de Meaux sont fermées, sauf celle qui va
vers Paris, par où tous les bagages sortoient dès
minuit, avec l'ordre qu'on voit ordinairement à la
cour, et la peur faisoit bien voir divers embarras.
A quatre heures, dix enseignes suisses commencèrent
à marcher et se mettre en bataille sur le haut, et après
elles le Roy, la Reyne, Messieurs et la cour, et après,
les autres dix enseignes. Mons"^ le connestable estoit
devant les dix premières enseignes, qui commença à
les faire marcher, et fîsmes environ une lieue au plus
en cet ordre. Mons"" de Montmorency arrive sur les
huict heures, et dict qu'ils estoient à cheval, mais non
avec tout ce qu'ils avoient, ayans quelques troupes
qui ne s'estoient encore trouvées au rendez-vous qui
leur avoit esté donné. Mons"" le connestable fît venir
tous les Suisses, et mit le Roy et toute sa suite sur la
main droite, et luy, avec ce qu'il y avoit de gens de
12 MÉMOIRES [Sept. 1567
faïf, se tenoit derrière et sur la main gauche, d'où
ceux de la Religion pouvoient venir. Sur les onze
heures, ils commencèrent à paroistre, et feu Mons'^de
Brissac^, le tant valeureux gentilhomme, avec ce qui
estoit de plus gaillard, les recognut, et y fut donné
quelques coups, nous marchans toujours, et eux sur
nostre aisle gauche, et derrière firent oster ce qu'il
avoit de cavalerie devant les Suisses, et firent mine
de vouloir donner dans les bataillons.
Les Suisses , quoyque nouveau levés et de peu
d'expérience, firent fort bonne mine, jettans leurs far-
deaux, baisans la terre, et tournans la teste du batail-
lon les picques baissées : cela arresta les autres, et
commença-t-on à marcher droit à Glaye^ : ayant fait
une demie-lieue, ceux de la Religion se préparent de
venir aux mains, assaillans les Suisses en queue,
s'estans séparés en quatre escadrons pour pouvoir
donner par le flanc. Le Roy lors, avec ce qui estoit
auprès de luy, mit l'espée à la main, et se jette à la
teste du bataillon qu'il avoit retourné, où il avoit la
queue, pour se mesler avec le plus prochain escadron
des ennemis.
Je fis comme les autres sans estonnement, me
tenant le plus près du Roy que je pouvois, mon espée
à la main, pouvant asseurer que mon courage m'estoit
aussi certain pour me porter dans le péril que d'aucun
autre, estimant qu'outre qu'aux personnes bien nées
1. Presque tous les manuscrits portent : « gens d'effect; »
mais c'est bien « gens de fait » qu'il faut dire. Cette locution
du xv"^ siècle, souvent employée par Froissart, désignait des
tx'oupes d'élite.
2. Timoléon de Gossé-Brissac, fils du maréchal de ce nom.
3. Claye-Souilly (Seine-et-Marne), à 15 kil. de Meaux.
Sept. 1567] UU VICOMTE DE TURENNE. 13
et de bonne race les courages sont avec eux dès leur
enfance pour leur faire mépriser la vie lorsqu'ils sont
appelles par l'honneur de la mettre en péril, la per-
sonne de mon Roy, son danger, attiroit de moy le
désir de le servir, ainsi que la nature oblige le sujet à
aimer et vouloir servir son prince, et mesme lorsqu'il
est en péril, ce que j'eusse fait dès lors en donnant
ma vie pour garantir la sienne. Mons'' le connestable
courut et s'avança près du Roy, qui faisoit cette esca-
pade de son propre mouvement et sans conseil ; il luy
prit la bride, et l'arrestant, luy dit ces mots que
ouys : c< Sire, ce n'est pas ainsi que Vostre Majesté
bazarde sa personne ; elle nous est trop chère pour la
commettre à moindre troupe pour vous accompagner
que dix mille chevaux françois. » Tout ainsi que la
première fois ceux de la Religion s'arrestans, trouvans
la teste et non la queue du bataillon, et les Suisses
avec une bonne résolution, on continua à marcher
jusqu'à Mitry; là, Mons"^ le connestable fit ferme avec
les Suisses et fît avancer le Roy et toute la cour pour
se retirer à Paris ; et demeurèrent avec Mons"^ le con-
nestable tous ceux qui vouloient voir l'événement de
ce jour.
J'y demeuray, d'autant que mon gouverneur estoit
allé à Mitry ^ faire accommoder le passage et mettre
quelques pièces de vin sur le chemin pour rafraischir
les Suisses. Gomme il fut revenu, Mons' le connestable
me vit et me renvoya avec d'aigres et douces menaces,
me montrant que, d'un costé, je n'estois pas capable
d'un tel travail et danger, mais aussi qu'il estimoit
de me voir en cet aage désireux d'apprendre et ne
1. Mitry-Mory, cant. de Claye, à 22 kil. de Meaux.
14 MÉMOIRES [Oct. 1567
craindre le danger. Le sieur de Rofignac, mon gou-
verneur, demeura, et le sieur de La Boissière, mon
escuyer, s'en vint avec moy, qui rattrapa le Roy avant
qu'il fust à Paris, d'où Mons' d'Aumale*, avec toute
la noblesse, le chevalier du guet et autres qui purent
monter à cheval, estoient sortis pour venir à la ren-
contre du Roy, qui y arriva sur les sept heures du
soir avec une grande acclamation de tout le peuple,
qui estoit accouru de tous les endroits de la ville pour
voir leur Roy réchappé du grand danger où l'on l'esti-
moit.
Mons"^ le connestable coucha à Glaye avec les Suisses,
et le lendemain arriva au Bourget. Ceux de la ReUgion
se logèrent à Sainct-Denis, où depuis, jusques à l'on-
ziesme de novembre, que se donna la bataille de
Sainct-Denis, se passèrent diverses occurrences de
guerre où je n'avois aucune part, sinon que mon gou-
verneur m'invitoit d'écouter et retenir ce qui s'en
disoit, remarquer les louanges qu'on donnoit à ceux
qui faisoient quelque acte de courage, et au contraire
le blasme de ceux qui faisoient peu vaillamment :
« Afin, ce me disoit-il, qu'estant en aage vous puissiez
faire vostre profit de ce qu'aurez à cette heure appris, p
J'estois assez prompt à cela, et recevois un grand
profit des devoirs que me rendoit ce sage gentilhomme ;
mon esprit néantmoins ne manquoit en un défaut
naturel qu'il a eu, c'est de ne l'avoir pu arrester
qu'avec peine, pour se rendre du tout attentif à une
seule chose où il auroit à s'occuper ; le délaissement
1. Charles de Lorraine, duc d'Aumale, cousin germain des
Guise, dont la fille unique épousera, en 1618, Henri de Savoie,
duc de Nemours.
Nov. 1567] DU VICOMTE DE TURENNE. 15
de l'étude avoit bien aidé, d'autant que les leçons
m'eussent servy, ou de gré ou de crainte, à l'arrester
pour les retenir, et cela m'eust habitué à le pouvoir
arrester; mais n'ayant nulles heures destinées à cela,
me trouvant tout le long du jour parmy le monde,
voyant et oyant tousjours choses nouvelles, cela con-
venant à mon naturel, je dévorois la pluspart des
choses sans les digérer. Gela m'a, et en ce temps-là et
depuis, fait paroistre le profit que je pouvois faire des
choses que j'ay veues et ouyes, si j'eusse pu arrester
mon esprit pour les comprendre.
La bataille de Saint-Denis* se donna sur l'occasion
que voulut prendre Mons"" le connestable, qui ayant
sçeu que Mons"" d'Andelot estoit allé vers Estampes,
ayant passé la rivière de Seine, et qu'il avoit mené
avec luy plus du tiers de la cavalerie, de quoy
Mons"^ le prince se trouvant affoibly, on pourroit le
contraindre de venir au combat avec ce désavantage :
ce qui arriva. L'événement de la bataille fut tel, que
ceux de la Religion perdirent le camp le premier soir,
Mons"^ le connestable^ blessé, dont il mourut le deu-
1. La bataille de Saint-Denis est du 10 novembre 1567; elle
commença à trois heures, et presque aussitôt les huguenots
furent mis en déroute.
2. Le connétable mourut à Paris le 12 novembre. Rappe-
lons qu'il laissait de Madeleine de Savoie, sa femme, qui ne
mourut qu'en 1586, cinq fils et sept filles, qui furent : Fran-
çois de Montmorency, né en 1530, maréchal de France, gou-
verneur de Paris, mort en 1579 ; Henri, né en 1534, duc de
Banville, puis de Montmorency, amiral, maréchal, puis conné-
table ; Charles, né en 1536, seigneur de Méru, puis duc de Dan-
ville en 1610, colonel général des Suisses dès 1568, marié à la
fille du maréchal de Cossé; Gabriel, baron de Montberon, tué
à la bataille de Dreux en 1562; Guillaume, seigneur de Thoré
16 MÉMOIRES [1568
xième jour. Mons"^ d'Andelot, ayant ouy nouvelles du
combat, marcha toute la nuit, et vint joindre Mons"" le
prince, et se vinrent représenter sur le lieu du combat,
bruslèreni quelques moulins à la veue de Paris.
Mons'^ le connestable mort, sa compagnie de cent
hommes d'armes fut séparée en trois, de quoy le Roy,
à la prière de mes oncles, Messieurs de Montmorency,
m'en donna un tiers et quarante-cinq archers, et fis
ma première monstre dans le cloistre Saint-Honoré,
armé, et fis mon premier serment au Roy.
Ceux de la Religion deslogèrent, et s'en vinrent vers
la Lorraine pour joindre les forces qui leur venoient
d'Allemagne ; Monsieur eut lors le commandement de
l'armée par la mort de Mons"^ le connestable : il partit
de Paris avec l'armée du Roy, pour suivre l'armée
de ceux de la Religion.
Je demeuray à Paris près de Madame la connestable,
allant quelquesfois au Louvre; mais cette année se
passa en plusieurs cérémonies superstitieuses qui se
firent pour mondict sieur le connestable, où il me
falloit assister. Je n'avois, ainsi que j'ay dit, nulles
estudes que la lecture de quelques histoires que mon
gouverneur me faisoit lire ; mais ses honnestes admo-
nitions m'estoient de très-bonnes leçons. J'estois des
et de Dangu, capitaine de cinquante hommes d'armes, mort
en 1593, qui avait épousé Anne, fille du comte de Lalaing, d'une
maison bien connue de la Flandre; Eléonore, mariée à Fran-
çois, vicomte de Turenne, en 1546, morte en 1557; Jeanne,
mariée à Louis de la ïrémoïUe, duc de Thouars ; Catherine,
femme de Gilbert de Lévis, premier duc de Vantadour; Marie,
femme de Henri de Fois, comte de Caudale, mort en 1573,
et trois religieuses.
1568] DU VICOMTE DE TURENNE. 17
plus grands de mon aage, d'une belle stature, le visage
blanc et un peu pasle, d'une disposition médiocre, et
faisant les exercices du corps assez agréablement. Je
passay deux années commençant de monter à cheval,
tirer des armes et danser. Lors qu'il se faisoit quelque
partie à la cour de combattre à la barrière, j'en estois,
opposé aux princes, qui n'estoient plus avancés que
moy, le Roy me faisant cet honneur de me choisir
pour cela beaucoup plustost que plusieurs autres.
L'on avoit de ce temps-là une coustume, qu'il estoit
messéant aux jeunes gens de bonne maison s'ils
n'avoient une maistresse, laquelle ne se choisissoit par
eux et moins par leur affection, mais, ou elles estoient
données par quelques parens ou supérieurs, ou elles-
mesmes choisissoient ceux de qui elles vouloient estre
servies.
Peu après je fus à la cour ; Mons'" le mareschal
d'Amville, qui est à présent connestable de France,
me donna mademoiselle de Chasteau-Neuf* pour mais-
tresse, laquelle je servois fort soigneusement, autant
que ma liberté et mon aage me le pouvoient permettre.
J'estois soigneux de luy complaire et de la faire servir,
autant que mon gouverneur me le permettoit, de mes
pages et laquais. Elle se rendit très-soigneuse de moy,
me reprenant de tout ce qui luy sembloit que je fai-
sois de mal-séant, d'indiscret ou d'incivil, et cela avec
une gravité naturelle qui estoit née avec elle, que
nulle autre personne ne m'a tant aidé à m'introduire
1. Renée de Rieux, demoiselle de Châteauneuf, née en 1550,
maîtresse aussi de Henri III, qui la maria à Philippe Altoviti,
capitaine de galères, créé comte de Castellane, assassiné,
en 158G, par Henri d'Angoulême, grand prieur de France.
2
18 MÉMOIRES [1569
dans le monde et à me faire prendre l'air de la cour
que cette demoiselle, l'ayant servie jusques à la Saint-
Barthélemy, et toujours fort honorée. Je ne sçaurois
désapprouver cette coustume, d'autant qu'il ne s'y
voyoit, oyoit ny faisoit que choses honnestes, la jeu-
nesse plus désireuse lors qu'en cette saison de ne faire
rien de messéant. Cette coustume avoit telle force, que
ceux qui ne la suivoient estoient regardés comme mal
appris, et n'ayans l'esprit capable d'honneste conver-
sation ; depuis on n'a eu que l'effronterie, les médi-
sances et saletés pour ornement, qui fait que la vertu
est mésestimée et la modestie blasmée, et rend la
jeunesse moins capable de parvenir qu'elle ne l'a esté
de long-temps.
La paix se fit. Incontinent après, les troisièmes
troubles recommencèrent. Feu Mons' d'Alençon^
demeura à Paris, où je m'arrestay ; il me prit en une
singulière amitié et moy luy, l'aymant et affectionnant,
non comme frère de mon Roy, mais autant ou plus
que personne qui fust. D'autant que j'ay passé plusieurs
années près de luy, et en divers aages et en diverses
saisons, je vous veux dépeindre ce qui estoit de son
naturel lors; et, par la suitte de ce discours, vous
verrez comme il avoit changé, et je vous induiray à
remarquer combien les mauvais exemples et rappro-
chement des personnes vicieuses ont de pouvoir à cor-
rompre un bon naturel tel qu'il avoit.
1. François, duc d'Alençon, et plus tard duc d'Anjou, était né
à Fontainebleau le 18 mars 1554. H avait dix-huit mois de plus
que Turenne. On le baptisa sous le nom d'Hercule, que la reine
mère changea plus tard en celui de François, après la mort de
son fils aîné.
1569] DU VICOMTE DE TURENNE. 19
Ce prince estoit de six mois plus vieux que moy,
d'une stature moyenne, noir, le teint vif, les traits du
visage beaux et fort agréables; son esprit doux, haïs-
sant le mal et les mauvais, aymant la cause de la
Religion ; la conception fort bonne, d'une conversation
familière, ne luy paroissant aucune colère. L'amitié
qu'il me portoit commença à me faire ressentir les tra-
verses communes dans la cour, par l'envie que
Mons'' de Saint-Sulpice ' conçeut contre moy, d'autant
que l'amitié que Monsieur me portoit empeschoit qu'il
n'aymast tant deux fils qu'il avoit près de luy, et com-
mença à faire entendre à la Reine sa mère qu'il voyoit
que je servois à former de petites intelligences de
Monsieur avec Mons"" de Montmorency ; qui fit que la
Reine écrivit à son fils, lui défendant de souffrir cela,
et qu'on m'éloigneroit de lui si on entendoit plus telles
choses.
Monsieur soudain me montra la lettre, ainsi qu'il
me communiquoit toutes choses : nous résolusmes la
réponse, et qu'il en parleroit à Mons' de Saint-Sulpice,
se plaignant de ceux qui faisoient tels rapports à la
Reine pour le mettre en sa mauvaise grâce et pour
m'éloigner de luy; que je ne parlois jamais de telles
choses, priant ledict sieur de Saint-Sulpice d'asseurer
la Reine du contraire, et du désir qu'il avoit de luy
estre fort obéissant. Cela servit jusques à ce que Mon-
sieur eut la petite véroUe, en telle mahgnité qu'elle le
changea du tout, l'ayant rendu mescognoissable, le
i. JeauÉbrardou Evrard, baron de Saint-Sulpice, chevalier
de l'Ordre, capitaine de cinquante hommes d'armes, gouver-
neur du duc d'Alençon, qui avait été ambassadeur en Espagne
de 1562 à 1565.
20 MÉMOIRES [1569
visage luy estant demeuré tout creusé, le nez grossi
avec difformité, les yeux appelissés et rouges, de sorte
que d'agréable et beau qu'il estoit, il devint un des
plus laids hommes qui se voyoit ; et son esprit n'estoit
plus si relevé qu'il estoit .auparavant.
L'envie du sieur de Saint-Sulpice se servit de cette
occasion, disant que Monsieur avoit pris cela allant
en quelques compagnies de la ville où il y avoit de la
petite vérolle dans la maison. Durant tout son mal,
contagieux à moy qui ne l'avois point eue lors, cela
nonobstant ne m'éloigna de luy, faisant mes exercices
souvent avec luy, qui commençoit d'estre en considé-
ration à la Reine sa mère, qui ne s'estudioit qu'à pos-
séder ses enfans, et luy sembloit ne le pouvoir si bien
faire qu'en les tenant en jalousie avec leurs frères, et
en méfiance avec leurs serviteurs. Elle luy écrivoit
souvent, et en une lettre l'avertissoit de ne se fier du
tout à son gouverneur, ny autres qui avoient charge
de luy ; mais qu'à elle seule il mandast ses conceptions :
mauvaise procédure, en ce qu'elle de voit estimer qu'il
pratiqueroit aussi bien cette leçon vers elle que contre
les autres, et puis, qu'au lieu de donner à son gouver-
neur le moyen de cognoistre ses humeurs et actions,
pour aider et fortifier les bonnes et corriger les mau-
vaises, elle faisoit qu'il les payoit d'hypocrisie et dis-
simulation, vices dangereux et bien éloignés de la
prudence qui est propre pour converser parmi le
monde.
Durant ce temps-là se donnèrent les batailles de
Jarnac et Montcontour, et plusieurs grandes occasions.
Il y avoit près de Monsieur huict ou dix jeunes
hommes de bonne maison, entre lesquels estoit le
1569] DU VICOMTE DE TURENNE. 21
puisné de Grèvecœu^^ deux de Bressieux^ et le cadet
de Saint-Sulpice^, qui depuis fut tué au siège de la
Rochelle, lesquels m'aimoient. Un jour, devisant
ensemble, nous parlions des actions de Mons'" de Bris-
saC^ et de la grande réputation qu'il avoit, et combien
estoient heureux ceux qui estoient près de luy ; nous
vinsmes à plaindre nostre malheur de ne faire rien,
que nous estions assez d'aage (qui n'atteignoit
quinze ans au plus vieux), et prismes la résolution
d'aller le trouver : la proposition nous sembloit tel-
lement aisée, que nous croyons qu'elle estoit desjà
exécutée. Quand nous vinsmes au combat, ce fut alors
que les difficultés se présentèrent, les pères et gou-
verneurs qu'il falloit tromper et pour diverses heures;
vint au soin d'un chacun d'avoir des chevaux, que nos
gens n'alloient faire seller, ny les laquais les amener
que par le commandement des gouverneurs; d'argent
1. Les Bonnivet étaient seigneurs de Crèvecœur.
2. Le marquisat de Bressieux appartenait à la maison de
Menillon de Grolée ; il passa ensuite par les femmes à celle de
la Baume de la Suse.
3. Armand Ébrard de Saint-Sulpice, tué le 8 août 1573 à
l'un des assauts de la Rochelle, était le fils de Jean, l'ambassa-
deur; son frère aîné, Bertrand, fut tué à Coutras; un autre
était évêque de Cahors. — Voir V Histoire du Quercy de Cathala-
Coture, t. II, p. 53.
4. Le comte de Brissac, dont il est parlé plus haut, p. 12.
C'était un gentilhomme accompli, dont les rares qualités ont
été magnifiquement célébrées par Brantôme (t. VI, p. 124).
Très jeune encore, il avait fait ses premières armes sous les
ducs de Guise et de Nemours et était devenu, grâce à son père,
colonel général des bandes du Piémont. Il combattit à Saint-
Denis près du connétable, à Jarnac avec le duc d'Anjou, et
fut frappé mortellement au siège de Mucidan, en Guyenne, au
mois de mai 1569.
22 MÉMOIRES [1569
point; s'enquérans du chemin, comme gens qui
n'avoient éloigné Paris de cinquante lieues ; le danger
du chastiment venant à estre découvert; le méconten-
tement de Monsieur, que j'estimois plus que tout le
reste; nonobstant il fut résolu de suivre notre dessein,
promesse solennelle entre nous de n'en rien dire : cha-
cun avisa de quoy nous nous pourrions servir.
Nous trouvasmes de quoy pouvoir estre servis de
quatre chevaux : de deux des miens, par le moyen d'un
grand laquais que je gagnay, qui se nommoit Philippe,
et le cadet de Saint-Sulpice de deux de son frère
aisné; pour de l'argent, nous trouvasmes jusques à
soixante escus.
Le jour pris, à quatre ou cinq jours de là, le jeune
Bonnivet ne pust s'empescher qu'il ne le dist à son
gouverneur, !e sieur de La Charlottière, qui aussitost
en avertit Mons"" de Saint-Sulpice, et luy le sieur de
Rofignac : les interrogations vinrent à un chacun de
nous de celuy auquel il avoit à répondre ; je hésitay à
avouer jusqu'à ce que mon gouverneur me dit tant de
particularités, que je ne pouvois ignorer qu'il ne par-
last avec une certitude entière; mon laquais fut
appelle, son danger me fit moins craindre le mien
d'estre fouetté, qui me fit tout avouer audict sieur de
Rofignac, adjoustant qu'il n'y avoit qu'un désir d'ac-
quérir de l'honneur qui nous poussoit à cela, que mon
laquais m'avoit refusé plusieurs fois, mais que ma
grande sollicitation l'avoit enfin engagé à me pro-
mettre, que je suppliois mondict gouverneur de luy
pardonner; ce qu'il fit après une rude réprimande sur
la faute que je faisois de luy cacher mon désir, devant
estimer qu'il ne déconseilleroit toutes les choses qui
1569] DU VICOMTE DE TURENNE. 23
tourneroient à mon honneur ; que je faisois paroistre
une grande présomption et confiance de mon esprit,
en l'aage où j'estois, de faire telles entreprises; qu'il
m'avoit estimé d'une plus obéissante nature, et croyoit
que je l'aimois pour ne luy vouloir pas celer de
moindres affaires; qu'il se trouvoit empesché de ce
qu'il devoit faire, d'avertir mes parens, et par leur
avis procéder à mon chastiment, ou bien, dès l'heure
mesme, faire ce qui estoit de sa charge, ou de deman-
der son congé, estimant qu'il jugeoit n'estre capable
de corriger mes défauts ainsi qu'il se l'estoit promis;
que, néantmoins, il vouloit se donner quelque loisir
pour mieux discerner ce qu'il avoit à faire. Sur cela,
les larmes aux yeux, je le suppliay de me pardonner,
voulant suivre telle voie qu'il luy plairoit, fors celle de
me laisser; qu'à l'avenir telles fautes, ny beaucoup
moindres, ne seroient commises de moy. Il me laissa,
et creu qu'il estoit allé trouver Mons"^ de Saint-Sulpice
pour aviser comment il avoit à se gouverner. Il vit
que ledict sieur de Saint-Sulpice mettoit toute la faute
sur moy, son fils et tous les autres disans que c'estoit
moy qui leur a vois mis cela dans la fantaisie, et vou-
loit se servir de cela pour me rendre odieux à Mon-
sieur, et luy conta l'histoire, lui faisant cognoistre le
déplaisir que j'avois, et ce qui me faschoit le plus,
estoit la crainte qu'il m'en voulust mal; et furent tous
ses mauvais offices rendus inutiles par la sagesse de
mon gouverneur, qui se contenta des témoignages que
je lui rendis de mon déplaisir et du sentiment de ma
faute pour n'y vouloir plus retourner. Je ne fus fouetté,
ny bafoué par mes parens, auxquels néantmoins il ne
le cela.
24 MEMOIRES [1570
Icy est à remarquer combien la jeunesse est pleine
d'imprudence, et combien elle commet d'erreurs et
de fautes, lors (comme la pluspart font) qu'ils se
veulent croire seuls, et ne suivre les conseils de ceux
qui leur sont ordonnés pour avoir le soin de leurs per-
sonnes.
La paix se fît ^ : quelque temps après, le roy Charles
se maria avec la fille de l'empereur, et furent les
nopces célébrées à Maizières-, et de là on alla à Vil-
liers-Gotterets^ passer l'hyver, qui fut fort long, où
l'on combatit beaucoup avec les neiges, y en ayant eu
quantité, où je vis le Roy prendre deux cerfs dans la
forest, dans la neige, sans chiens, ayant mis des relais
de veneurs et de chevaux pour luy et pour nous qui
courions après luy; avec cela, en deux jours nous
prismes deux cerfs. 11 s'y fit deux ou trois bastions de
neige où l'on se frottoit avec courage ; on y fit aussi
un fort beau combat à la barrière, où dans la grande
salle, sur le haut dais, le Roy avoit fait retrancher
cela : luy avec huict estoit dedans; et, comme les
parties avoient fait le tour de la salle, elles ressortoient
ainsi qu'elles entroient : deux, trois, jusques à cinq
dans la salle en mesme temps ; ceux qui estoient dans
le camp sortoient, et en forme d'escarmouches se
venoient rencontrer dans le milieu de la salle, et là il
se rompoit des piques et s'y donnoit des coups d'épée.
1. La paix de Saint-Germain, et l'édit, qui est du 8 août 1570.
2. Mézières, en Champagne, où eurent lieu les fêtes du
mariage d'Elisahetli d'Autriche.
3. Villers-Cotterets, en Picardie, dans le beau château bâti
par François I" et Henri II, où la cour passa les mois de
décembre 1570 et janvier 1571.
1571] DU VICOMTE DE TURENNE. 25
Gela dura quelque espace de temps, jusqu'à ce qu'ainsi
qu'en une sortie de ville, les assiégeans plus forts rem-
barrent ceux de la ville, le Roy se renferma dans son
fort, où Ton combattit main à main ; et ainsi le combat
se finit, ayant esté fait par une nouvelle façon qui fut
fort belle.
On commença peu après le propos du mariage du
roy de Navarre, qui est le roy d'aujourd'huy, avec
madame Marguerite, sœur du Roy^. J'avois lors
quelque quinze ans, j'apprenois à faire ma cour au Roy,
à Monsieur, et à Mons'^ le duc, au dernier plus souvent
qu'aux deux autres. Mon gouverneur mourut, Mons"" de
La Boissière demeura près de moy; je commeiiçay à
ne craindre plus le fouet, et à respecter moins ledict
sieur de La Boissière, de façon que je me licentiois
souvent aux plaisirs plus qu'à mon devoir, laissant
mon naturel commun à tous jeunes gens ; mais le mien
y ayant quelque inclination de suivre, approuver et
imiter plutost les vices que les vertus. Le Roy juroit,
et luy ouys dire quelquefois que jurer estoit une
marque de courage à un jeune homme.
Gela donc me rendit fort grand jureur, en quittant
la modestie, qui est à estimer et chérir aux per-
sonnes jeunes et de qualité, et me rendit effronté,
recognoissant bien que cela plaisoit au Roy, faisant
gloire de me croire, et n'avoir plus à rendre compte
d'aucunes de mes actions à personne. Gela me faisoit
mésestimer aux sages, à mes parens craindre la con-
tinuation, et prévoyans beaucoup d'inconvéniens qui
me talonnoient, entre autres Mons'" de Montmorency,
1. Le mariage fut convenu à Blois entre Jeanne d'Albret et
Catherine de Médicis, au mois d'avril 1572.
26 MÉMOIRES [1572
que j'aimois, craignois et honorois, m'en faisoit
souvent des remonstrances : parmy ces mauvais com-
portemens paroissoit en moy du courage, et une
curiosité d'ouyr et retenir ce qui se disoit et faisoit de
bon hors la compagnie commune des courtisans, où
tous les vices estoient passés pour une bienséance.
Je faisois cognoistre qu'il me restoit du remords de
mes vices, et que je jugeois bien qu'ils n'estoient
approuvés de tous. Cela faisoit espérer à ceux qui
m'aymoient que l'aage changeroit cela, et que l'expé-
rience me feroit cognoistre les malheurs qui arrivent
à ceux qui suivent cette manière de vie.
La cour alla à Blois, où la reine de Navarre vint, et
Mons"" l'admirai de Ghastillon, où fut résolu le mariage
du roy de Navarre. J'eus là une petite prise avec un
gentilhomme de Touraine, puisné de la maison des
Arpentis', et fut dans la chambre du Roy ; nous eusmes
des propos aigres et non injurieux : je sortis dehors
et luy fut retenu; depuis, Monsieur nous accorda,
lequel avoit commandé à tous les siens de s'offrir à
moy, et luy me dit que s'il luy eust été permis, que
luy-mesme me fust venu trouver pour m'offrir de me
servir de second, si la querelle l'eust mérité; encore
que je sçavois bien que telles offres n'estoient pra-
tiquables, néantmoins tel langage, partant de la bouche
du frère de mon Roy, ne laissoit à m'obliger fort, de
façon que je me rendis plus soigneux de faire la cour
à Monsieur qu'auparavant, et en fut Mons"" le duc un
peu marry.
1. Les Arpentis, château situé aux environs d'Amboise,
qui appartenait alors au sieur du Bois et à sa femme Claude
Robertet, dont la fille était demoiselle d'honneur de la reine
1572] DU VICOMTE DE TURENNE. 27
Nous partismes de Blois, laissans la cour, qui s'en
alloit vers l'Anjou, pour venir à Paris avec Mons' de
Montmorency, qui, comme gouverneur de l'Isle de
France, avoit eu commandement de faire abattre des
croix qu'on avoit mises en deux maisons de ceux de
la Religion qui avoient esté rasées durant les troubles ^
Plusieurs de Paris s'y vouloient opposer : ce seigneur
valeureux, sage et aimé, appella nombre de noblesse,
et se fortifia du parlement; de sorte qu'il fît sans con-
tradiction ce qui luy avoit esté ordonné. Le Roy vint
à Paris, où le roy de Navarre arriva avec tous les
principaux de la Religion.
Après ses nopces^, Mons' de Montmorency fut
ordonné pour aller en Angleterre jurer l'alliance avec
la reine ^; je m'y en allay, où je receus toutes sortes
d'honneurs et bonne chère de cette grande et sage
princesse, qui avoit une grande cour dans cette belle
mère. Louis du Bois, sieur des Arpentis, occupait le poste
de gouverneur de Touraine.
1. Les frères Gastines, marchands rue Saint-Denis, avaient
été pendus, en 1569, pour avoir célébré la cène dans leur
maison. On avait, sur l'emplacement, érigé une croix, à l'en-
lèvement de laquelle le peuple s'opposant, il fallut procéder
par la force.
2. C'est du mariage du roi de Navarre avec Marguerite de
Valois que Turenne entend parler. Il fut célébré au Louvre le
lundi 18 août 1572.
3. Le duc de Montmorency, accompagné de Paul de Foix et
de son neveu le vicomte de Turenne, arriva à Londres le
13 juin 1572. — Voir, sur sa mission près d'Elisabeth, le Parti
des Politiques, par M. Francis de Crue. Paris, 1892, p. 66 et
suiv. Au reste, le « Sommaire-Discours » de toute cette négo-
ciation, rédigé sans doute par Paul de Foix, a été donné par
Le Laboureur dans les additions aux Mémoires de Castelnau,
t. I, p. 650.
28 MÉMOIRES [1572
et florissante ville de Londres. Cette grande princesse
conimençoit à me donner des arres des grandes obli-
gations que vous, mon fils, et moy avons de porter
honneur à sa mémoire, ainsi que vous l'entendrez par
la suite du discours de ma vie^
Retourné en France, j'accompagnay mondict sieur
de Montmorency à l'Isle-Adam, maison oîi il faisoit sa
demeure, madame la connestable, sa mère, vivant
encore. Mons"^ de Thoré, son frère, me vint trouver
de la part de Mons'' le duc, m'apportant une lettre de
créance qui estoit pour m'asseurer entièrement de son
amitié, qui n'estoit en rien amoindrie pour les refroi-
dissemens qu'il avoit recognus en moy depuis quelque
temps, qu'il sçavoit bien que Monsieur, son frère, me
témoignoit beaucoup d'affection pour me destourner
d'estre près de luy comme j'avois tousjours esté, mais
qu'il me convioit à l'aimer plus que personne. A cela
se joignent les persuasions de mon oncle de Thoré,
entre lesquelles il mettoit que Monsieur haïssoit la mai-
son de Montmorency et favorisoit celle de Guyse,
qu'il me traverseroit tousjours près de Monsieur, ou
il faudroit que je consentisse au mal qu'on vouloit à
leur maison; que je me souvinsse combien j'avois
tousjours aimé iMons"" le duc, et la nourriture que
j'avois prise près de luy. Cela fut fort considéré de
moy, qui néantmoins avois, ainsi que je devois, le sou-
venir fort frais de cet office que Monsieur m'avoit
rendu à Blois, lors que j'eus cette brouillerie avec le
1. Est-ce dès cette époque qu'il se lia avec le grand chance-
lier d'Angleterre lord Burghley, auquel nous le voyons écrire
en 1593 ? [Bulletin de la Société de V histoire du protestantisme
français, t. X, p. 116.)
Mai 1572] DU VICOMTE DE TURENNE. 29
jeune Arpentis; estant une chose des plus détestables
que l'ouhliance des bienfaits, et le vice d'ingratitude
celuy qui peut plus que nul autre rompre la conmmune
société.
Venu à Paris, j'estois caressé et aimé de ces deux
princes à qui m'auroit, et recevois d'eux toutes sortes
de faveurs, de bienfaits point, parce que je n'en
recherchois pas; et de cela ne faisois-je pas mieux,
n'estant jamais mal-séant de recevoir des bienfaits de
son maistre, pourveu qu'il vous les donne volontiers,
et que vous luy fassiez cognoistre que les services que
vous luy rendez ne sont pour l'espérance du profit,
mais seulement pour le devoir et l'honneur, qui doit
estre tousjours la principale fin de toutes vos actions.
Feu Mons'' le prince d'Orange avoit repris les armes
aux Pays-Bas; Mons'' le comte Louys^ son jeune frère,
qui avoit esté toute la dernière guerre avec le roy de
Navarre, estoit parti de France pour exécuter les
entreprises de Mons, Valenciennes et autres places
aux Pays-Bas, de quoy le Roy estoit d'inteUigence,
ayant permis à ceux de la ReHgion de l'assister, et,
cas advenant que leurs entreprises succédassent, qu'il
les favoriseroit ouvertement^. La ville de Mons fut
prise par ledict comte Louys : il y eut rumeur à la cour
que le Roy y envoyeroit des forces, et mesmes le roy
Charles me dit qu'il vouloit que j'y menasse une com-
1. Louis de Nassau et La Noue, à la tête d'un corps de pro-
testants français, entrèrent en Hainaut dans la première quin-
zaine de mai 1572.
2. La prise de Mons et de Valenciennes est des 23-24 mai
1572; mais le fils du duc d'Albe, don Frédéric de Tolède, avait
reconquis Valenciennes dès le 29 et il serrait de près Mons.
30 MÉMOIRES [Août 1572
pagnie de chevaux légers, ce que j'aimois bien mieux
allant à la guerre, que ma compagnie de gens d'armes
et demeurant en paix. Le sieur d'Ivoy^ de l'ancienne
maison de Genlis, menant un secours dans Mons, fut
défait par le duc d'Alve, qui avoit comme investi la
ville.
La journée de Saint-Barthélémy se résolut; on fît
diverses résolutions pour l'exécution de cet acte tant
horrible, ayant esté une fois délibéré que Mons'' de
Guyse tueroit Mons'^ l'admirai en une course de bague
que faisoit le Roy dans le jardin du Louvre, où tous
Messieurs menoient des parties. J'estois de celle de
Mons' le duc^, lequel on croyoit avoir intelligence avec
Mons'' l'admirai : à cette occasion on fit que nos habil-
lemens ne furent prests, et feu Mons"^ le duc et sa
partie ne courut point. La résolution contre Mons"" l'ad-
mirai fut changée avec prudence, d'autant qu'il estoit
fort périlleux pour la personne du Roy et de Messieurs
de le vouloir tuer en ce lieu où l'on couroit la bague,
y estans présens plus de quatre à cinq cens gentils-
hommes de la Religion, qui eussent pu beaucoup
entreprendre sur l'attentat de ce seigneur, qui estoit
tant aymé d'eux. Mons'^ de Guyse aposta un nommé
Maurevel, qui avoit tué Mons' de Mouy-Saint-Phale,
pour tirer d'une arquebuse Mons"" l'admirai, ainsi qu'il
passeroit devant un logis du cloistre de Saint-Germain-
1. C'est en voulant défendre Mons que Jean de Hangest,
seigneur de Genlis, et auparavant d'Ivoy, créa un petit corps
d'armée, fut surpris près de Saint-Guislain et tomba le 19 juil-
let au pouvoir des Espagnols.
2. « Mons'' le duc » désigne toujours le duc d'Alençon,
« Monsieur » était l'appellation réservée au duc d'Anjou, frère
aîné du roi.
Août 1572] DU VICOMTE DE TURENNE. 31
de-l'Auxerrois, par où ledict admirai avoit à passer en
retournant du Louvre en son logis. Il advint qu'on luy
bailla une lettre, qu'il ouvrit et vouloit la lire à l'en-
droit du lieu où estoit cet assassin qui luy tire le coup,
ne luy ayant porté que dans le bras, et n'en fut mort.
J'estois en mon logis, où je m'habillois de nos habil-
lemens pour courre la bague. Mons'^ le duc m'envoya
quérir, et me dict ce coup, usant de ces mots :
« Quelle trahison!... »
Le dimanche, 24 aoust, s'exécuta à Paris cette tant
détestable et horrible journée du massacre fait sur
ceux de la Religion, où Dieu me conduisit par la main,
en telle sorte que je ne fus massacré, ny massa-
creur : pour le premier ayant couru fortune sur la
délibération qu'on prit de tuer tous ceux de la mai-
son de Montmorency, ce qui se seroit exécuté sans
que Mons"^ de Montmorency n'estoit à Paris, mais en
sa maison de l'Isle-Adam. Ceux qui vouloient profiter
des biens de cette maison concluoient à ma mort, pour
estre sorti de sa fille aisnée, ainsi que Monsieur me
dit quelques jours après, y ayant, ce me disoit-il,
porté tout empeschement. Cet acte inhumain, qui fut
suivy par toutes les villes du royaume, me navra le
cœur, et me fit aimer et les personnes et la cause de
ceux de la Religion, encore que je n'eusse nulle co-
gnoissance de leur créance '.
Le siège de la Rochelle se prépare, où s' estoit
retiré quelque nombre de gentilshommes qui ne vou-
1. Il est curieux de constater que Turenne regarde la Saint-
Barthélémy comme un événement fortuit, et ne croit aucune-
ment à la préméditation, partageant sur ce point l'opinion de
Tavanes.
32 MÉMOIRES [1573
loient aller à la messe ; lesquels, avec les habitans, se
résolurent de ne fleschir point et respandre leur vie
terrienne pour conserver la céleste^.
L'armée du Roy se prépare ; Monsieur et Mons"^ le
duc^ partent en poste de Paris pour aller assembler
l'armée vers Poitiers. Je pars de Paris pour aller dire
adieu à Mons"^ de Montmorency qui estoit à Chantilly,
où, ne voulant demeurer que deux jours, je tombay
malade d'une fièvre lente, comme si j'eusse demeuré
étique : elle me dura bien trois semaines ; mon oncle
me vouloit destourner de ce voyage, tenant les armes
du Roy très injustes, et la défense de ceux de la
Rochelle juste. Je ne luy pus obéir, estant aagé de
seize à dix-sept ans, et n'ayant jamais veu la guerre,
n'ayant que la règle du monde pour la conduite de
mes actions. Quoy que je cognusse bien la meschan-
ceté de la Saint-Barthélémy, néantmoins ne me trou-
vant audict siège, où toute la France alloit, on eust
imputé cela à faute de cœur.
Cette première mauvaise impression qu'on eust
prise de moy eust esté très difficile à lever, estant
grandement à considérer à la jeunesse de faire tout ce
que vous pourrez, mon fils, pour donner de vous une
bonne impression à tous les commencemens de cha-
cune action que vous ferez, et aux abords de chaque
nouvelle compagnie.
Aussitost que je fus guéry, je partis avec un bon
équipage de grands chevaux et de dix ou douze gen-
1. Le long siège, si mal conduit par le duc d'Anjou, qui y
perdit 24,000 hommes.
2. C'étaient les débuts militaires du duc d'Alençon, qui avait
alors dix-huit ans.
1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 33
tilshommes, mes armes belles et bien faites, avec
toutes les pièces nécessaires pour un siège. Je m'en
allay prendre congé du Roy et de la Reine sa mère,
qui me firent cet honneur de m'asseurer de leurs
bonnes grâces. Je pars et vins à Ghampigny^, où j'y
trouvay une de mes tantes. Je fus contraint d'y séjour-
ner huit ou dix jours pour achever de me remettre,
temps que je perdois avec tristesse, oyant les canon-
nades qui se tiroient à La Rochelle, qui me faisoient
craindre qu'elle se prist, et que je n'aurois rien veu
de ce siège, craignant de laisser une mauvaise impres-
sion de moy et de n'avoir commencé à apprendre le
mestier des armes ny éprouvé mon courage, pour
estre asseuré que la crainte de la perte de l'honneur
précédoit tousjours celle de la vie.
Je me rendis audict siège à la fin de février. Lorsque
j'arrivay, il vint au-devant de moy environ deux
cens gentilshommes. Je pris l'heure d'entrer dans les
logis de l'armée, et d'approcher du quartier de Mon-
sieur, que l'on jugeoit estre à cheval pour aller aux
tranchées ; de sorte qu'ainsi accompagné, je fis la révé-
rence à Monsieur, à Mons"^ le duc, au roy de Navarre
et autres princes ; je saluay les personnes de qualité
qui estoient là, et accompagnay Monsieur à la tran-
chée, où j'ouys, pour la première fois, les canonnades
et coups d'arquebuse, desquels il y eut des hommes
blessés et tués : je n'en eus aucun estonnement. De là,
j'allay à mon quartier, qui estoit loin de celui de
1. Champigny (Indre-et-Loire), arr. de Chinon, cant. de
Richelieu. C'était une baronnie où se trouvait un ancien châ-
teau et une sainte-chapelle en style ogival du xv^ siècle, qui
rappelait beaucoup celle de Paris.
3
34 MÉMOIRES [1573
Monsieur d'une petite lieue. Tous les jours j'allois à la
cour et aux tranchées, où je prenois ma part des
occasions et des périls qui s'y présentoient, et avec
louange chacun faisoit sa cour aux uns plus qu'aux
autres ; je me rangeois ordinairement près de Mons'" le
duc, qui avoit du mescontentement de se trouver dans
cette armée sans aucune charge : aussi n'y en avoit-il
point pour lui ; son esprit ambitieux ne se contentoit
de cette raison, outre qu'il avoit en horreur la Saint-
Barthélémy, et regrettoit la mort de Mons^ l'admirai,
qui l'avoit pris en affection pour le servir. Cela fit
qu'il prit intelligence avec Mons"^ de La Noue\ qui
estoit ressorti de la Rochelle, ainsy qu'il l'avoit pro-
mis au Roy, qui l'avoit envoyé quérir sortant de la
ville de Mons, que le duc d'Alve avoit prise, pour le
convier de le servir et persuader ceux de la Rochelle
de se mettre en leur devoir et se rendre. Cette per-
suasion luy estoit faite avec menaces de le faire mou-
rir s'il ne contentoit le Roy; il promet de s'y em-
ployer, et, en cas qu'ils ne le voulussent croire, qu'il
ressortiroit de la ville.
Ce vertueux et vaillant gentilhomme entre tous
ceux de son siècle se rendit à la Rochelle; là, il fit
1. François de La Noue (1531-1591). Après le siège de Mons,
en 1572, il vint à la Rochelle, et, ayant vainement essayé de
négocier un accommodement, il se retira dans le camp du duc
d'Anjou. Il est intéressant de comparer les Mémoires du temps
avec les détails que Turenne donne ici sur la conduite de La
Noue, en présentant en quelque sorte sa défense. Beaucoup
d'historiens, catholiques et protestants, sont moins indulgents.
Un très bon résumé de cet épisode se trouve dans le François
de La Noue de M. Hauser. Paris, 1892, in-8°, chap. ii : « Le
siège de la Rochelle. »
1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 35
pour eux tout ce qu'il pouvoit, se trouvant à toutes
les occasions, et souvent les induisoit à s'accommoder
avec le Roy, en prenant leurs seuretés convenables
pour se garder d'estre trompés. Quand ils avisoient
aux moyens de ses seuretés, ils les jugeoient impos-
sibles, veu les manquemens de foy, aux cruautés
exercées contre ceux de la Religion. J'ay voulu vous
conter cette action, de laquelle il y a eu plusieurs
opinions pour ou contre : les uns disoient que Mons"^ de
La Noue étoit blasmable, en ce qu'il avoit porté les
armes dans la Rochelle, leur ayant fort servy à les
acquérir au commencement du siège qu'il demeura
avec eux ; d'autres, entre lesquels il y en avoit de la
Religion, qui disoient que ces persuasions à s'accom-
moder avec le Roy pouvoit faire un esbranlement au
courage de ceux de la ville ; et des uns et des autres
il y en avoit qui l'accusoient d'avoir mal servy et le
Roy et ceux de la Rochelle.
Voilà comme les actions des hommes sont sujettes
à de grands blasmes, d'autant qu'on a souvent ou ses
ennemis ou l'ignorance pour juges, ainsi que parois-
soient ceux qui ne considéroient que la promesse de
Mons"^ de La Noue avoit esté faite lui ayant le Cous-
teau à la gorge, qu'il satisfit à la condition de sortir
et qu'il ne s'estoit pas obligé de ne porter les armes
avec eux, non plus que de porter seulement ses per-
suasions de s'accommoder, ce qu'il fit. Et qui jugera
sainement, cognoistra en cette action beaucoup de
prudence, veu les extrémités où se rencontroit ce
grand homme du danger de sa vie, ou de faillir et à
sa Religion et à l'endroit de ceux qui avoient les armes
à la main pour la maintenir. C'est une chose fascheuse
36 MÉMOIRES [1573
à un homme de bien de promettre quelque chose
qu'on ne tienne, sans donner sujet d'interpréter si la
foy aura esté fidellement observée ou non.
A ce siège se présentèrent deux occasions princi-
pales : de l'assaut au bastion de l'Évangile, oîi je fus,
et courusmes un très grand péril en nous en retour-
nans, ayant à passer dans un trou qu'on avoit fait
pour entrer dedans le fossé sous la contrescarpe. A
l'entrée de ce trou ceux de la Rochelle y tiroient, et
blessèrent ou tuèrent force hommes, de sorte qu'il y
avoit une telle presse que nous pensasmes estouffer
dans les armes; l'autre fut l'assaut général, où je ne
fus point, Monsieur n'ayant voulu que la noblesse y
allast. Chacun, en cette armée mal disciplinée, por-
toit son courage aux occasions qu'on pouvoit faire
naistre, sans aviser si elles pourroient servir pour la
prise de la ville, la jalousie entre les frères i fort
grande et entre les princes et capitaines; cela fut
cause qu'estant Monsieur et Mons"" le duc allés prome-
ner vers la mer et voir si deux forts qu'on y avoit
ordonnés s'avançoient, en l'un desquels (chose que
vous devez remarquer) Maurevel, le meurtrier de
Mons"" de Mouy, et qui avoit tiré Mons"^ l'admirai^,
n'ayant, ny le colonel de l'infanterie, ny aucun mestre-
de-camp, voulu le recevoir dans le corps de l'armée,
ny souffrir qu'il entrast en garde avec eux, le tenant
1. De bonne heure, le duc d'Alençon manifesta une grande
aversion pour ses aînés, Charles IX et le duc d'Anjou; il n'était
bien qu'avec sa sœur Marguerite.
2. Voir plus haut la note de la p. 9. — Ce fameux « tueur
de rois » s'appelait François Louviers, et on l'avait surnommé
Maurevel, Maurevert ou Montravel.
1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 37
pour un homme diffamé d'avoir commis ces actes,
quoyque pour le service du Roy, indigne et traistre.
Allant là, Mons"" le duc m'appelle : « Mons"" de Tu-
renne, allons voir les pescheurs^, » qui estoient ceux
de la ville, qui, à toutes basses marées, jettoient une
bonne escorte pour favoriser grand nombre de
femmes et d'enfans qui alloient dans la vase chercher
des coquilles, de quoy ils se nourrissoient : nous
estans avancés, on commence à nous tirer quelques
mousquetades ; Mons"" le duc me dit : « Allez à ce fort
quérir quelques hommes, et attaquons une escar-
mouche; » ce que je fis. Celuy qui y commandoit me
donna son lieutenant avec trente hommes ; je m'avan-
çay avec eux, et Mons'" le duc me suivant. Monsieur,
qui s'en retournoit, vit cette escoupèterie, et voit que
Mons' son frère, qu'il trouva pied à terre tout bour-
beux, n'estoit avec luy, quelqu'un luy disant qu'on
l'avoit veu séparé, et moy avec luy.
Il s'en vint vers nous avec deux ou trois cens che-
vaux, qui fit que ceux de la ville commencèrent à
tirer à la troupe de l'artillerie et des mousquetades,
qui la fit arrester ; et fut commandé à quelqu'un, qui
estoit près de luy, de venir chercher Mons"^ son frère,
qu'il trouva, comme j'ay dit, pied à terre, tout bour-
beux. J'avois ce jour-là un habillement de satin gris
que le rejaillissement de la vase des balles qui tom-
boient dedans m'avoit tout gasté. Mons"" le duc,
arrivé près de son frère, fut repris, et moy peu loué
1. Cette anecdote des « pescheurs » de la Rochelle a été
racontée, avec quelques autres, par La Popelinière [Histoire de
France, liv. XXXV).
38 MÉMOIRES [1573
de l'avoir conduit en ce péril, et d'avoir pensé estre
cause que deux frères fussent tués. Je méritois bien
cette censure, sans que, comme j'ay dit, on n'esti-
moit en cette armée que ceux qui plus souvent se met-
toient en des périls, quoyque sans commandement et
sans fruit. Aussi la ville ne fut prise, et cette armée
vaincue par le grand nombre de personnes signalées
qui y mouroient tous les jours.
Je vous ay dit, au commencement de ce siège, les
mescontentemens de Mons' le duc, et ses intelligences
avec Mons'^ de La Noue, qui estoit dans l'armée du
Roy, lequel ne pensoit qu'à assister cette place, de
façon qu'il aidoit audict duc à se résoudre de prendre
les armes. Il y avoit dans l'armée quatre cens gen-
tilshommes de la Religion; le roy de Navarre et
Mons' le prince de Gondé y estoient, qui, offensés de
la Saint-Barthélémy, ne désiroient rien tant que de se
voir les armes à la main pour se venger ; de façon
que Mons"" le duc se dispose à la prise des armes et à
s'en aller, la fondant sur l'injustice de la Saint-Bar-
thélémy, pour se faire donner un partage, et satis-
faction à ceux de la Religion des rigueurs qu'on leur
tenoit. Mons"^ le duc doncques, le roy de Navarre,
Mons"" le prince et Mons"" de La Noue et moy, se trou-
vèrent ensemble, et se promirent les princes grande
amitié. Le roy de Navarre, ambitieux et soupçon-
neux, craignoit que Mons"" le duc ne déclarast tout
cecy au sieur de La Mole', qu'il aimoit, et que le roy
1. Joseph de Boniface, seigneur de la Molle, gentilhomme
provençal, né à Arles, en 1530, attaché au duc d'Alençon
avant la Saint-Barthélémy. L'Estoile l'appelle « le baladin de la
cour. » Ce fut lui, comme on sait, qui, au mois de février 1574,
1573J DU VICOMTE DE TURENNE. 39
de Navarre n'estimoit, de façon que j'estois l'instru-
ment de leur confiance. On regardoit ce que l'on pou-
voit faire : on avise de dresser des entreprises sur des
places, ce qu'on fit sur Angoulesme et Saint-Jean-
d'Angély, où Mons'^ le duc se jetteroit. A cecy se pré-
scntoit force empeschemens. L'incertitude qu'ont
toutes entreprises représentoit une ignominieuse
perte, la difficulté d'assembler les hommes pour
l'exécution, l'heure et le temps du partement de
Mons"^ le duc sans qu'on s'en apperceust; toutes ces
difficultés tiroient l'exécution de ce dessein en lon-
gueur. L'armée navale que le comte Montgommery^
faisoit en Angleterre fit voile pour le secours de la
Rochelle ; le Roy y avoit aussi une armée à l'ancre,
composée de navires et galères ; on avoit fait une
palissade au travers de l'emboucheure du havre, à la
portée du canon de la ville, où l'on avoit enfoncé des
vaisseaux, et entr'autres une caraque qui se trouva
là par hazard : ceux de la Religion l'ayant prise sur
les Espagnols durant les précédentes guerres, l'avoient
laissé dépérir sur les vases, n'ayant pu la mettre en
prépara toute une conspiration pour faire évader le jeune
prince du château de Saint-Germain, avec Navarre et Condé.
Charles IX le fit arrêter et juger par une commission du Parle-
ment. Turenne et les Montmorency étaient fort compromis dans
l'affaire.
1. Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, l'involontaire
meurtrier de Henri II, défend Rouen avec les protestants
contre l'armée royale, s'échappe à la Saint-Barthélémy, échoue
dans sa tentative de secourir la Rochelle, lutte en Normandie
contre le maréchal de Matignon, est pris à Saint-Lô et con-
damné à mort en 1574. — Voir la très complète notice de
M. Léon Marlet, intitulée : le Comte de Montgomery , 1890, in-S".
40 MÉMOIRES [1573
mer. Le comte de Montgommery arriva avec la grande
marée de l'équinoxe en mars^, ayant tout vent der-
rière luy, dans un bon et grand vaisseau que la reine
d'Angleterre lui avoit baillé, et environ vingt-cinq
autres navires de combat, sans celles des charges qui
portoient les vivres. Il y eut une fort grande irréso-
lution en l'armée de mer du Roy, qui ne se voyoit
capable ny de vaisseaux ny d'hommes pour résister,
l'ordre y ayant esté si mauvais qu'il n'y avoit pas le
tiers des hommes dans les vaisseaux qu'il y falloit
pour en venir aux mains, et avoit on esté si mal
averty, qu'on ne sceut rien de l'arrivée du comte que
lorsqu'on le vit^.
L'infanterie estoit fort diminuée, et par la mort et
par les blessures et maladies ; les soldats ne se pou-
voient garder ; et quoy qu'on fîst des recrues tous
les mois par tout le royaume, on ne pou voit les tenir
au camp. L'avarice des capitaines aidoit fort à cela,
qui vouloient avoir moins de soldats pour, à la
monstre, avoir davantage de passevolans pour gagner
les payes; en quoy ils faisoient une faute qui cousta
la perte de la vie et de l'honneur à plusieurs, d'au-
tant qu'on leur ordonnoit de la garde à raison des
1. La flotte de Montgomery arriva entre Chef-de-Baye et
l'île de Ré le 19 avril 1573; elle comprenait quarante navires
de mer et treize transports.
2. Cependant, aussitôt que la flotte ennemie fut en vue, le
maréchal de Cossé fît établir une batterie de six pièces, qui
ari'éta le mouvement des navires anglais, les força à rétrogra-
der et troua même, « de bande en bande, » le vaisseau la
Prime-Rose, qui portait Montgomery. Le lendemain, 20 avril,
le capitaine huguenot dirigeait ses forces sur Belle-lsle, oîi il
était plus heureux.
1573] DU VICOMTE DE TLUENNE. 41
hommes qu'ils mettoient en bataille à la monstre, et,
leur arrivant quelque attaque à faire ou à soustenir,
se trouvant moins d'hommes, ils s'y perdoient, et le
service du Roy demeuroit sans estre fait : cela appor-
toit de grandes difficultés à pourvoir les vaisseaux,
ne pouvant tirer des hommes d'où ils estoient en
garde, sans péril de laisser au pouvoir de ceux de
dedans d'emporter le quartier qu'ils attaqueroient.
Sur cette difficulté je parlay à quelques jeunes
hommes de qualité de nous aller jetter dans les vais-
seaux, ce qu'ils approuvèrent; soudain, je l'allay dire
à Monsieur, qui en fut fort aise; nous partismes envi-
ron cinquante ou soixante, outre les gardes du roy
de Navarre, qui me fit cest honneur de me les don-
ner, et nous nous embarquasmes dans le vaisseau du
vicomte d'Usaz^ qui commandoit aux vaisseaux ronds
qui estoient dans l'armée du Roy. Le comte de Mont-
gommery, au lieu de se servir du vent, de la marée
et de l'occasion qu'il avoit pour la défourniture des
vaisseaux, laisse passer la marée en délibérant ce
qu'il avoit à faire ; de sorte qu'au Heu de venir à nous
il va se mettre à l'ancre entre Chef-de-Rois^ et l'isle
de Ré, où il demeura quelques jours sans avoir porté
assistance aux assiégés que de seize ou dix-huict mil-
liers de poudre, qui leur furent portés par le moyen
d'une petite patache, qui, à la marée de la nuit, passa
1. Louis de Luc, vicomte d'Uza, lieutenant de l'amiral de
France, marquis de Villars, était aussi sous les murs de la
Rochelle le 19 février; il fut tué à l'âge de trente-deux ans, la
veille de la signature de la paix, le 19 juin 1573.
2. Chef-de-Baye, pointe de la baie de la Rochelle, en face
l'île de Ré.
42 MÉMOIRES [1573
aux travers de nos vaisseaux et la pallissade, et se
rendit à la Rochelle. Ces princes s'assemblèrent avec
Mons"" de La Noue, et avisèrent de se jetter dans les
vaisseaux du comte, nos entreprises s'estans perdues
et le moyen de les exécuter recognu impossible,
comme de pouvoir faire une armée dans la France,
que le Roy ne l'empeschast; mais que, se jettans avec
le comte, et nous en allans en Angleterre, sans doute
nous ferions lever le siège, relèverions le courage
avec l'espérance à ceux de la Religion, qui en divers
lieux du royaume estoient prests à prendre les armes,
qu'on pourroit revenir à la Rochelle, et, avec les
armes, obtenir ce qu'un chacun prétendoit, ou bien
que d'Angleterre mesme nous traiterions. Ces raisons
furent fort contredites par Mons"^ de La Noue, qui ne
jugeoit la Rochelle en danger de quelque temps,
durant lequel il se présenteroit des occasions meil-
leures et plus honorables ; que tous ces princes s'en
allant comme cela vers la reine d'Angleterre, on ne
sçavoit comment elle voudroit user de leurs per-
sonnes, veu qu'on n'auroit eu auparavant aucune
seureté d'elle, qui ne vouloit pas entrer en guerre
avec la France, mesmement voyant si peu d'appa-
rence qu'il y eut un party formé, n'estant pas à esti-
mer que s'il y en eut eu, que nous n'eussions pas pris
cette retraite ; qu'au premier jour nous luy serions à
charge pour nostre dépense, à laquelle il faudroit
qu'elle subvinst, autrement que le comte de Mont-
gommery n'avoit une absolue puissance sur ses vais-
seaux, desquels possible les capitaines anglois ne vou-
droient nous porter en Angleterre; qu'au lieu de
relever le courage à ceux de la Religion, nous le leur
1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 43
ferions perdre, estimant qu'il n'y avoit point de seu-
reté ny pouvoir à ces princes, puisqu'ils avoient pris
et exécuté un tel dessein. Outre cela, Mons" de La Noue
et le comte n'estoient pas bien ensemble, d'autant que
lorsque le sieur de La Noue entra dans la Rochelle,
ledict comte y écrivit des lettres pour les convier à le
soupçonner, et mesme de s'en défaire, ce que ledict de
La Noue avoit sceu : nous tinsmes ce conseil à che-
val, prests à l'exécuter s'il y eust esté résolu. Sur ces
sages considérations la partie fut rompue.
Durant toutes ces menées je courus un grandis-
sime péril, et pour moy et pour tous, par la légèreté,
indiscrétion et imprudence qui m'accompagnoit^.
Mons"^ le duc avoit écrit de sa main une forme de pro-
testation, par laquelle il déclaroit les raisons de sa
prise des armes, et me commanda de la porter et
faire voir à Mons'" de La Noue ; c'estoit la nuit. Je la pris
et m'en allay à mon quartier; nous n'avions pu ména-
ger tant de brouilkries que Monsieur ne fust en soup-
çon, et qu'il ne fîst prendre garde à toutes nos
actions, ce que nous recognoissions bien; pour cela,
voulois-je prendre quelque commodité pour communi-
quer cecy à Mons"" de La Noue. Arrivé à mon logis, je
mets mon papier dans une layette ; le matin venu, je
le prends et le mets dans ma manche entre la chair et
la chemise, et m'en allay au quartier de Monsieur, où,
après disné , y ayant assez peu de gens dans sa
chambre, il commença à se jouer avec nous, et prend
1. Toutes ces intrigues du duc d'Alençon sont fort embrouil-
lées; c'était le parti des politiques sur lequel s'appuyait La
Noue, et dans lequel s'essayait Turenne avant de se déclarer
formellement pour les huguenots.
44 MÉMOIRES [1573
mon bras où j'avois ce papier ; soudain, il le sentit,
et me dit que c'estoit un poulet qui estoit venu de la
cour, et, s'efforçant, me déboutonne ma manche et
tire ledict papier : mon danger me fit perdre tout res-
pect; je luy sautay aux mains et luy ostay, en luy
faisant croire que c'estoit une lettre de femme que
pour rien du monde je ne voudrois qu'il en eust veu
l'écriture.
Voilà comme la jeunesse est indiscrette, réduisant
ses actions aux cas fortuits, sans les faire dépendre de
la raison; ce qui cause qu'il y en a tant qui se perdent
avant que d'avoir atteint l'aage d'homme, et qui lais-
sent écouler le meilleur de leur aage sans avoir fait
aucun avancement en leur condition, ny s'estre pous-
sés à aucun degré d'honneur. Cette faute mettoit plu-
sieurs personnes en peine, et avec si peu de sagesse
que je fus près d'y tomber*.
Tous nos desseins allèrent en fumée sans aucune
exécution. Le siège se continua; l'élection de Mon-
sieur se fit pour être roy de Pologne ; les ambassa-
deurs polonois vinrent au camp pour luy faire sçavoir
son élection et le convier d'y aller. Le roy Charles,
jaloux de l'authorité de son frère, désiroit avec pas-
sion de le voir hors du royaume, ce qui fut cause
principalement qu'on se résolut de traiter avec la
Rochelle. La capitulation fut faite que la ville se ren-
droit, mais que le roy de Pologne n'entreroit dedans.
Cela s'exécute, et le camp se licentie^. Le roy de
1. La convention de paix, signée par le duc d'Anjou le
24 juin, fut acceptée le 26 par la ville de la Rochelle.
2. L'historien Mathieu raconte que la cour envoya le secré-
taire d'État Pinart à la Rochelle pour empêcher, à tout prix,
1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 45
Pologne et Monsieur* s'en retournèrent à Paris. Ce
désir de remuer demeura dans l'esprit de Mons"" le
duc; l'intelligence avec Mons"" de La Noue continua.
Icy ai-je à vous noter, d'autant que vous viendrez
en une saison où il y aura quantité d'enfans de France
(Dieu continuant la vie au Roy et à la reyne, qui en
feront encore, et gardant ceux qui sont desjà nés) que
vous vous serviez de mes préceptes, qui sont que
vous ayez à dépendre du Roy, de vous entretenir
bien avec tous, mais faisant partis à part, tenez- vous
tousjours avec vostre Roy, et que rien ne vous en
puisse jamais séparer, que le maintien de la liberté
de vostre conscience, pour laquelle je vous convie et
vous conjure de présenter à Dieu vos biens, vostre
vie et vostre personne ; et qu'il vous souvienne que
les rois nous sont donnés de Dieu, et quoyque mau-
vais quelquefois, néantmoins, nous les devons servir.
Encore que Mons' le duc eust parmy ses autres rai-
sons de prendre les armes pour la vengeance de la
Saint-Barthélémy, si n'estoit-il pas permis par la loy
de Dieu, ny politique, qu'il le fist, n'ayant en cela
nulle vocation ; et quand Dieu eust bény ses desseins,
c'eust esté pour punir ce qui avoit esté entrepris à la
Saint-Barthélémy, mais gardant à Monsieur ce qu'il
méritoit en se rendant autheur de tant de maux
qu'une guerre illégitime apporte; c'estoit sans justice
le duc d'Alençon de poursuivre ses projets et de sortir de
France.
1. « Monsieur, » à partir de l'élection du duc d'Anjou au
trône de Pologne, c'est toujours le duc d'Alençon. La Noue
s'était mis à son service; plus tard, en 1579, il fut surinten-
dant de la maison du roi de Navarre.
46 MÉMOIRES [1573
que nous entreprenions toutes ces nouveautés. Je
vous conjure de ne tomber en pareille faute. Ces
commencemens me tirèrent de la cour, et me mirent
en la mauvaise grâce du Roy, et m'ostèrent le moyen
de parvenir aux charges, ainsi que vous l'entendrez.
La jeunesse, qui a du courage, croit souvent qu'elle
ne le fait paroistre en ne faisant que les choses ordi-
naires, et se restraignant tousjours dans le corps de
Testât, où la puissance, l'ordre et le conseil demeure;
mais que, se jetant dans les partis, ils y sont plus
recherchés, leur courage y paroist mieux, d'autant
qu'ils sont souvent moindres en nombre, que les
charges leur sont plutost données, et qu'y estans
plus nécessaires et sans obligation, ils y peuvent
plustost et plus facilement s'y agrandir; ne considé-
rans pas que Dieu ne veut pas tels desseins, que Tes-
tât se maintient, et les partis s'en vont tousjours en
dépérissant; qu'il n'y a que confusion parmy eux,
des égalités ordinaires parmy ceux de diverses extrac-
tions, d'autant que chacun y est volontairement, et
s'en peut retirer quand il veut, disans recognoistre
faire mal en suivant ce à quoy ils n'estoient obligés.
Il ne se trouve rien de seur en tels partis; et s'il
arrive par hazard que quelqu'un fasse fortune, ce sont
gens de peu qui n'ont rien à perdre, et ceux de maison
qui ont du bien et de la qualité naturelle n'y peuvent
rien gagner, et toutes les actions courageuses et braves
sont blasmées par la postérité d'autant qu'elles sont
faites contre le bien général de leur patrie.
Vous entendrez combien de peines et fascheries nous
avons soustenues durant les guerres civiles, qui se fai-
soient légitimement pour la maintenue de la liberté
i573] DU VICOMTE DE TURENNE. 47
de nos consciences et jouissance des édits et loix sur
ce faites, qui estoient à toutes occasions enfreintes, et
la persécution preste à recommencer.
Estant à Paris, chacun se prépare pour aller en
Pologne. Les commandemens de Monsieur me firent
refuser le roy de Pologne d'y aller, lequel s'ennuyoit
fort de partir de France pour aller commander à une
nation si esloignée et si différente en mœurs et en
police. Le roy Charles se trouvant desjà mal, estant
jugé pulmonique par les médecins, Mons' de Guyse
et les principaux serviteurs du roy de Pologne les
convioyentà ne partir, etplustost se retirer de la cour;
que sçachant Testât de la vie du Roy, qui ne pouvoit
estre longue, que c'estoit se mettre au hazard de
perdre la France, où Monsieur ne manqueroit de faire
ses menées; qu'il avoit ceux de la Religion pour
ennemis, qui sçavoient qu'il avoit aidé à faire résoudre
l'exécution de la Saint-Barthélémy, la maison de Mont-
morency malcontente : cela retenoit son esprit en
suspens, et le fit séjourner près d'un mois à Paris après
que le Roy en estoit party, s'estant acheminé jusques
à Vitry^ pour accompagner son frère jusques en Lor-
raine. Là, il tomba malade; la Reine mère pressoit,
quoyqu'à regret, le parlement de son fils, se promet-
tant, comme elle fit, la mort du Roy survenant, qu'elle
conserveroit le royaume au roy de Pologne. Monsieur,
le roy de Navarre et Mons"^ le prince estoient à Vitry,
où ils se lièrent d'amitié plus estroitement que par le
passé ; et avec mauvais conseil on projetoit de remuer.
1. Vitry-le -François (Marne), ville alors toute neuve que
François V avait fait construire sur la rivière de la Marne.
48 MÉMOIRES [1573
Le roy de Navarre et Monsieur [le jDrince*] avoient
occasion de le désirer, pour l'irréparable offense receue
à la Saint-Barthélémy, et la contrainte en leur cons-
cience d'aller à la messe, ayans tousjours un vif res-
sentiment de la Religion en leur cœur, et jugeans
qu'ils demeuroient tousjours suspects au Roy et à
l'Estat pour n'avoir jamais part à aucune charge ; mais
les raisons de Monsieur estoient autres qui le doivent
rendre agréable au Roy, pour, par sa volonté, s'instal-
ler dans les affaires; il incHnoit néanmoins à la prise
des armes, estimant qu'elles luy feroient donner, en
les posant, la lieutenance générale.
Nous avions souvent des lettres de Mons*" de La
Noue qui redressoit autant qu'il pouvoit sa créance
parmy ceux de la Religion, et sondoit les volontés
pour recognoistre ceux qui par la peur de la Saint-Bar-
thélémy s'estoient du tout révoltés. Les deux rois
se séparèrent audict Vitry^; la Reine mère. Monsieur,
le roy de Navarre, Mons"" le prince et toute la cour
partent pour conduire le roy de Pologne hors de la
Lorraine. A Nancy me fut parlé du mariage de made-
moiselle de Vaudemont, qui depuis a esté reine de
France, et ce par le roy de Pologne^. Je n'y voulus
entendre, n'ayant lors nulle envie de me marier; et
1. C'est évidemment du prince de Condé, converti par force
à la Saint-Barthélémy, que veut parler Turenne.
2. Le départ du duc d'Anjou eut lieu le 15 novembre; il
laissait Charles IX malade à Vitry. Le roi, contrairement à ce
que dit Turenne, voulut même garder près de lui le jeune roi
de Navarre, tandis que toute la cour conduisait le nouveau
roi de Pologne jusqu'à la frontière de Lorraine.
3. Le duc d'Anjou, à cette époque, ne pensait qu'à la prin-
cesse de Condé.
1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 49
aussi mon oncle de Thoré m'avoit dit la vouloir recher-
cher; je ne voulus courre sur son marché, ayant tous-
jours eu cela d'avoir esté fort exact observateur de
mes promesses et des amitiés que j'ay contractées, à
quoy souvent plusieurs m'ont trompé. J'estimay que
l'ouverture de ce mariage se faisoit pour raison d'es-
tat, pour me séparer et d'avec mes oncles et d'avec
Monsieur, en m'aUiant avec la maison de Lorraine, à
ce que je n'aidasse à ce qui se pourroit brasser contre
le roy de Pologne, estant hors du royaume.
Il nous pensa arriver un grand inconvénient, qui
fut prévenu par une assez spirituelle prévoyance.
Monsieur avoit un premier valet de chambre nommé
Ferrand, qui l'a voit servy de violon'' estant jeune : ce
valet de chambre s'estoit laissé gagner par la Reyne
mère pour l'advertir de tout ce que Monsieur feroit.
Mons"^ de La Noue avoit escrit à Monsieur, luy rendant
compte de ce qu'il négocioit, et l'asseurant qu'un bon
nombre de noblesse et de villes luy tendroient les
bras pour le servir. Monsieur oublia cette lettre sous
le chevet de son lict; Ferrand, le voyant faire le matin,
prend cette lettre, et tout soudain la porte à la Reyne :
par hazard j'estois allé en sa chambre; une sienne
femme de chambre, qui aflfectionnoit Monsieur, me dit
en passant : « On a une lettre que vostre maistre a
perdue. » A l'instant je m'en vins retrouver Monsieur,
et luy demanday sa lettre : il vit qu'il ne l'avoit plus ;
ce fut à délibérer ce qui estoit de faire. Monsieur avoit
quelque envie de s'en aller; je m'avisay de luy don-
1. Selon le langage du temps, violon veut dire ici : maître à
danser.
4
50 MÉMOIRES [Nov. 1573
ner conseil de faire réponse à Mons' de La Noue, par
laquelle il luy témoignast trouver estrange qu'il le
convioit à s'obliger des personnes pour son particu-
lier, luy qui n'avoit autre but qu'à servir le Roy et
mériter ses bonnes grâces; que luy, ni ceux de sa
Religion ne dévoient entrer en nouvelles défiances,
qu'on leur vouloit tenir ce qu'on leur avoit promis, et
que pour cela il s'offroit de faire entendre au Roy ce
que c'estoit de leurs affaires. La lettre faicte, il fut
trouver la Reyne sa mère, et, feignant ne sçavoir que
la lettre fust perdue, luy dict avoir receu une lettre de
Mons*" de La Noue, qu'il luy portoit avec la réponse;
cherchant dans sa poche, il ne trouve la lettre, comme
il n'avoit garde, mais bien la réponse, asseure fort la
Reyne ladicte lettre ne contenir que ce qu'elle faisoit,
et à quoy il avoit répondu. La Reyne se contenta de
cela et fit démonstration d'y ajouster foy, d'autant
que le remède fut si promptement porté, qu'elle ne
pouvoit s'imaginer que c'eust esté un faict aposté.
Nous partismes de Nancy et allasmes à Blamont^
où le duc Christophe Palatin ^, accompagné du comte
1. Blamont (Meurthe-et-Moselle), ch.-l. de cant, de l'an*,
de Lunéville. La reine mère, qui voyait avec peine le départ
du duc d'xVnjou, accepta la proposition du comte de Nassau
et du fils de l'électeur palatin, offrant à son fils préféré, au
nom du prince d'Orange, de le mettre à la tête de l'armée
qu'ils réunissaient aux Pays-Bas. C'est Gaspard de Schomberg
qui fut le négociateur de cette affaire.
2. Christofle de Bavière, fils de l'électeur palatin Frédé-
ric III, ardent calviniste, frère du duc Jean-Casimir de Bavière.
— Sur cette entrevue de Blamont, en novembre 1573, on trou-
verait de nombreux détails dans le Parti des Politiques de
M. de Crue, p. 114 et suiv.
Dec. 1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 51
Ludovic de Nassau, vinrent trouver le roy de Pologne,
l'asseurer de son affection, et qu'il espéroit bientost
avoir une armée sur pied pour le servir. Gela fut
accepté, et prit-on intelligence avec luy, qui se devoit
entretenir par l'entremise de Mons"" de Thoré, auquel
il avoit eu communication avant la Saint-Barthélémy,
lors qu'il alla à l'entreprise de Mons; ayant fait ses
adieux à la Reyne, qui s'en revint par Bar-le-Duc, où
elle voulut chasser La Mole d'auprès de Monsieur,
disant que c'estoit luy qui avoit tousjours maintenu
son maistre à n'estre pas si bien avec le roy de
Pologne qu'il devoit estre. Monsieur empescha cela;
et n'en estoit pas aussi la vraye cause, mais la jalousie
que le roy de Pologne avoit prise de luy, qu'il n'aimast
madame la princesse de Gondé, femme de Mons*" le
prince \ de la maison de Nevers, laquelle il avoit
laissée avec une excessive passion, qui eust bien
apporté du mal, si la mort ne l'eust prévenue.
Nous trouvasmes le Roy à Reims, joyeux du par-
tement de son frère, qu'il n'avoit bien creu jusques à
nostre retour de Reims ^. Nous allasmes à Soissons,
où nous vint trouver Mons'' de Thoré; là arriva un
ministre nommé Saint-Martin^, envoyé de la part de
Mons"^ le comte à Monsieur ; mon oncle et moy par-
lasmes à luy : sa créance estoit que ledict comte estoit
à cheval, avec trois à quatre mil chevaux et six ou
1. Marie de Clèves, qui avait épousé, en 1572, Henri P"",
prince de Condé, et mourut le 30 octobre 1574. On sait avec
quelles démonstrations de douleur Henri HI la pleura.
2. Le roi de Pologne était parti de Blamont le 2 décembre.
3. Laurent du Bois, sieur de Saint-Martin-des-Pierres, mêlé
à toutes les intrigues de ce temps.
52 MÉMOIRES [Dec. 1573
sept mil hommes de pied, qu'il venoit pour exécuter
une entreprise sur Mastrich^, et qu'il attendroit des
avis de Monsieur pour tourner la teste vers luy où il
seroit mandé. Nous ne peusmes luy donner jour ny
lieu, mais que dans un mois nous luy ferions sçavoir
de nos nouvelles^. Nous donnons avis de cela à
Mons' de La Noue, afin qu'il avisast quel temps nous
pourrions prendre. Mons"^ le comte Ludovic fut défait,
le duc Christophe et luy tués, de façon que cette
armée ne nous put servir^; Mons*" de La Noue aussi
manda qu'il n'avoit aucune chose preste.
Nous allasmes à Chantilly; là, Monsieur conféra
avec Mons"" de Montmorency, qui luy donna de très-
bons conseils, si nous les eussions sceu suivre, à sça-
voir de se tenir à la cour, s'insinuer dans les bonnes
grâces du Roy autant qu'il pourroit, lequel on voyoit
bien ne pouvoir longuement vivre; qu'il établiroit sa
créance en s'authorisant dans les affaires; mais que,
sortant de la Cour, il feroit un party et se rendroit l'Es-
tat contre luy, qui tendroit les bras au roy de Pologne
plus volontiers; qu'il falloit de la patience; que pour
luy il estoit son serviteur, mais qu'il ne luy pouvoit
promettre de monter à cheval, estant officier de la
couronne ainsi qu'il estoit. Là se commença une brouil-
lerie; qui eut suitte, de Mons*^ de Guyse et d'un gentil-
1. L'armée destinée à attaquer Maëstricht s'était formée dans
la principauté de Sedan, sous le commandement du comte de
Nassau. ^
2. Le duc d'Alençon et le roi de Navarre voulaient s'échap-
per de la cour entre Soissons et Compiègne. Leur projet fut
révélé à la reine mère par Marguerite de Valois.
3. Le grand commandeur de Castille détruisit cette armée à
Moock, le 14 avril 1574.
Dec. 1573] DU VICOMTE DE TURENNE. 53
homme qui l'avoit autrefois servi ^ ; mais, estant parent
de Mons"^ de La Mole, que Monsieur aymoit, il l'avoit
retiré du service de Mons"" de Guyse pour le mettre
auprès de Monsieur.
Nous partismes de Chantilly^ et vinsmes à Saint-Ger-
main-en-Laye, où l'on fit séjour de trois mois. Là,
Monsieur et le roy de Navarre communiquoient souvent
ensemble, et avions souvent des nouvelles de Mons"" de
La Noue. Les choses s'acheminans à une prise d'armes,
ainsi que vous l'entendrez, Mons"^ de Montmorency vint
à Saint-Germain.
Un jour, sur les six heures du soir, c'estoit vers le
mois de février, Mons"" de Guyse descendant d'un
degré, qui venoit de la chambre de la Reyne mère,
accompagné d'un gentilhomme et d'un page, trouve
le jeune Vantabran^ : ayant eu peu de propos,
Mons"" de Guyse met l'espée à la main; l'autre veut
enfiler le degré ; il le ratrape en bas, luy donne divers
coups, l'ayant porté par terre; croyant l'avoir tué,
s'en court à la chambre du Roy, qui gardoit le lict,
d'où il s'approche avec une voix émeue. Il supplia le
1. C'est l'affaire Ventabren, dont il va être question quelques
lignes plus loin.
2. Le départ eut lieu de façon à venir célébrer la fête de
Noël à Saint-Germain.
3. Jacques de Vintimille, des comtes de Marseille, seigneur
de Vantabren, ancien page de la maison de Lorraine, était
passé au service du duc de Montmorency. On disait à la cour
qu'il était l'amant de la duchesse de Guise. Il y avait d'ailleurs
plus d'un sujet de querelle entre les deux maisons rivales.
L'affaire eut lieu le 16 février 1574, dans le château royal.
Charles IX en fut très irrité; mais la reine mère apaisa la
querelle.
54 MÉMOIRES [1574
Roy, en s'abaissant, de luy pardonner sa faute d'avoir
tué Vantabran dans le chasteau, qui luy avoit dict que
sa femme, Madame de Guy se, et Mons"^ de Montmo-
rency le vouloient faire tuer; soudain, Mons'" de Mont-
morency repartit en suppliant le Roy d'ordonner que
Vantabran pust estre ouy, s'il luy restoit encore un
peu de vie, se présentant, sous le bon plaisir du Roy,
à maintenir que luy ny madame de Guyse n'avoient
jamais eu de semblables propos, ny près ny loin
approchant de cela. Sur ces entrefaites, La Mole entra,
qui demanda justice au Roy, et tint des propos mal
rangés et assez audacieux, ajoustant que Dieu avoit
gardé la vie à son cousin pour par sa bouche sçavoir
la vérité. Vantabran est mené dans la garde-robe,
quelques-uns du conseil ordonnés pour l'ouyr; cela
s'assoupit, sans plus avant en avoir tiré la vérité. L'opi-
nion commune fut qu'on vouloit jeter le chat aux
jambes à Mons' de Montmorency, et si Vantabran eust
esté tué, que cela eust servy de prétexte à ce qu'on
eust pu entreprendre contre luy, s'estant remarqué
que cet assassin de Maurevel s'estoit veu à Saint-Ger-
main, ce qu'il n'avoit accoustumé; le Roy mesme
n'estant bien aise de le voir près de luy : récompense
ordinaire des traistres, d'estre en soupçon mesme à
ceux qui les employent.
Parmy toutes ces choses, il y avoit des amours
meslées, qui font ordinairement à la Cour la pluspart
des brouilleries ; et s'y passent peu ou point d'affaires
que les femmes n'y ayent part, et le plus souvent
sont cause d'infinis malheurs à ceux qui les ayment
et qu'elles ayment. C'est pourquoy, si vous me croyez
et voulez estre sage, vous vous retirerez de la passion,
1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 55
et tascherez de vivre en sorte qu'elles ne croyent que
vous les méprisiez ou fassiez mauvais offices, mais
qu'elles vous pourront conjurer à les aymer plus que
vous ne ferez, vous mettant toujours de tout vostre
pouvoir au-devant de toutes vos actions la gloire de
Dieu, de n'enfreindre ses commandemens de tout
votre possible.
Mons"" de La Noue résout la prise des armes au
10 mars^, avertit par tout, mesmement le sieur de
Guitry-Bertichères^, pour avertir ceux de delà la
rivière de Loire. Monsieur en est averty et les autres
princes, mais assez tard, n'y ayant pas plus de trois
semaines jusques au jour. Ces princes s'assemblèrent
et avisèrent le moyen de se retirer et où ; il fust avisé
de sçavoir de Mons'' de Bouillon s'il vouloit les rece-
voir à Sedan, et, à cet effet, le sieur de La Boissière
est dépesché vers luy, qui fît son voyage en huict
1. La prise d'armes des protestants avait été fixée à la nuit
du lundi au mardi-gras, 23-24 février, et l'évasion du duc
d'Alençon au 10 mars. Chaumont-Quitry devait se tenir à
Saint-Germain et y attendre les princes, ainsi que Turenne et
Thoré, qui sortiraient en costume de chasseurs, « le cor au
cou. » Les indécisions du frère du roi firent manquer l'affaire.
2. Jean de Ghaumont- Guitry ou Quitry, d'une famille
illustre du Vexin ; il avait, par sa valeur, enlevé aux Espa-
gnols la ville de Mons, et, plus heureux que Genlis, était
revenu des Pays-Bas. Il fut un des adeptes dévoués de la
religion nouvelle; mais Turenne ne semble pas l'avoir eu en
grande estime. En 1587, il fut envoyé par le roi de Navarre
en Angleterre et en Allemagne pour demander des secours aux
princes protestants, et devint maréchal-de-camp dans l'armée
des reîtres. Battu à Auneau, il se réfugia à Genève avec le due
de Bouillon, et poussa les Suisses à la lutte contre le duc de
Savoie.
56 MÉMOIRES [Févr. 1574
jours, asseura la volonté de Mons"^ de Bouillon, non-
seulement d'ouvrir les portes, mais qu'il viendroit
recevoir ces messieurs sur la rivière de Vesle, qui
passe à Reims, avec un bon nombre de noblesse, en
luy faisant sçavoir le jour. Nous voilà donc résolus de
nostre partement et du lieu de nostre retraitte. Le
roy de Navarre va prendre son logis au village pour
y coucher; Mons' de Thoré estoit avec nous, et
Mons"^ de Montmorency s'en estoit retourné à Chantilly.
Il arriva par une très-grande faute, de laquelle la véri-
fication n'en a esté bien faite pour sçavoir d'où elle
venoit, mais elle nous pensa couster la vie à tous, qui
fut que Mons' de Guitry, au lieu de prendre le 1 de
mars, s'avança de dix jours, m'ayant dict plusieurs
fois que celuy que Mons' de La Noue luy avoit envoyé
luy avoit donné l'autre jour qu'il avoit pris. Mon opi-
nion a esté que l'ambition luy avoit fait commettre
cette faute, estimant que, s'avançant devant Mons"" de
La Noue, qu'il attireroit les hommes à luy, et qu'il
pourroit plus facilement exécuter quelque entreprise,
et qu'aussi il ne témoigneroit ne dépendre du com-
mandement de Mons' de La Noue : raisons très-foibles
pour luy avoir fait commettre tant de gens en un
très-grand danger. Nous ne fusmes avertis que sur
les deux heures après midy qu'il avoit donné son
rendez-vous pour le lendemain de se venir saisir de
Mantes S où estoit la compagnie de ]Mons' de Montmo-
rency en garnison, commandée par le guidon du sieur
de Buy^, qui estoit de nostre intelligence. Nous, fort
1. Le rendez-vous à Mantes avait été fixé à la nuit du 20 fé-
vrier 1574. Il doit y avoir là quelque confusion de date.
2. Pierre, sieur de Buhi et de Saint-Cler, était frère de
Févr. 1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 57
esbahis, nous n'avions donné jour à Mons"^ de Bouillon',
et apprenions l'incertitude du sieur de Guitry des
forces qu'il pouvoit faire, l'entreprise de Mantes fort
incertaine, comme il a paru^; de partir incontinent
nous n'avions ny lieu ny forces certaines pour nous
retirer. Nous renvoyons vers Guitry, luy mandant
qu'aussitost qu'il seroit à Mantes qu'il nous avertist,
que nous cependant aurions le pied à l'estrier dans le
village, n'y ayant plus que Monsieur engagé dans le
chasteau.
Sur l'entrée de la nuit, voilà l'alarme à la Cour, si
chaude, que, n'en cognoissans bien la cause, les per-
turbations estoient grandes, les bagages chargés, les
cardinaux de Lorraine et de Guyse à cheval pour s'en-
fuir à Paris, et, à leurs exemples, plusieurs autres.
Les tambours des Suisses, du corps et des compagnies
françoises des gardes battoient aux champs. Les avis
du rendez-vous du sieur de Guitry pour l'assemblée
de ses forces se rapportoient de Normandie , de
Beausse et du Vexin, où il estoit, le partement du
M. du Plessis, et il commandait pour le roi dans Mantes. (Voir
Mémoires de M^^ de Mornay, édition de la Société de l'his-
toire de France, 1848, t. P'', p. 75.) Il finit sa vie comme gou-
verneur de l'Ile-de-France et maréchal-de-camp de Henri IV.
1. Henri-Robert de la Mark, duc de Bouillon, qui mourut le
2 décembre 1574; son fils aîné, Guillaume-Robert, lui succéda
et mourut lui-même sans enfants en 1588, laissant comme
unique héritière sa sœur Charlotte, qui épousera, en 1591, le
vicomte de Turenne.
2. L'affaire de Mantes échoua, en effet, à cause de la préci-
pitation de Guitry. Du Plessis-Mornay, avec son frère de Buhi,
fut obligé de se réfugier à Chantilly, puis à Jametz, sur les
terres du duc de Bouillon, où ils restèrent jusqu'à la mort de
Charles IX.
58 MÉMOIRES [Févr. 1574
Roy résolu à l'instant, les gardes redoublées au chas-
teau; mon oncle de Thoré et moy, qui estions au
village, au logis de Mons' le connestable, prest à par-
tir, si je l'eusse voulu croire : ce que je ne voulus;
mais d'aller au chasteau aviser si nous pourrions faire
sortir Monsieur. Estans dans le chasteau, où le roy de
Navarre avoit aussi esté mandé, je cherchay Monsieur,
et entray en la chambre de la Reyne, où le roy de
Navarre s'approcha de moy et me dict : « Nostre
homme dict tout. » Alors je m'approchay de mon oncle
de Thoré, et luy dis qu'il s'en allast, et qu'il vengeast
le mauvais traitement qu'on me pourroit faire, et me
crut, dont bien luy prit; s'il fust demeuré, il estoit
mort, d'autant que Monsieur l'avoit fort chargé par
sa confession qu'il fit à la Reyne mère, par la foiblesse
de sa constance et par l'induction de La Mole, qui,
marry de n'avoir esté de tous nos conseils, pour se
venger de nous, et de moy principalement, estimant
que ce mauvais office qu'il faisoit à son maistre, en
luy conseillant de perdre sa créance et réputation, et
ses meilleurs serviteurs, qu'il s'attiroit un grand gré
du Roy et de la Reyne : ce qui avint autrement, ainsi
que vous l'entendrez.
La Reyne, ayant sceu ce qu'elle vouloit de son fils,
sort de son cabinet et va à la chambre du Roy, où je
m'en allay par le grand degré, curieux, ainsi qu'il se
peut juger, de sçavoir ce que Monsieur avoit dict.
Ainsi que j'entray, je le vois parlant à Madame de
Sauve^ riant comme s'il n'y eusteu rien; il la quitte,
1. Charlotte de Beaune, femme de Simon Fize, baron de
Sauves, secrétaire d'Etat, dame d'Iionneur de Catherine de
Médicis, bien connue par ses galanteries.
Mars 1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 59
et me dict : « Je n'ay rien dict de vous, sinon qu'en
général vous m'aviez promis de faire tout ce que je
vous dirois; mais que votre oncle s'en aille. » Il com-
mençoit à estre jour, on vouloit envoyer vers Guitry,
mais je rompis ce coup; soudain je luy dis qu'il le
devoit avoir fait, d'autant que ces gens-là croiroient
qu'il les auroit tous trompés, et que je les rendrois
capables d'excuser ce qu'il avoit dict, et que leur pré-
cipitation nous avoit tous perdus. J'avois aussi une
autre raison, qui estoit que le Roy s'attendant de tirer
quelque service de moy durant cette entremise, qu'on
ne me feroit déplaisir, n'estant fort asseuré si Monsieur
n' avoit dict de moy que cela. Je le conviay de remettre
cela en avant de m'envoyer vers Guitry, ayant songé
que j'y pourrois servir. Le Roy se délibère que j'irois
de la part de Monsieur, Mons'' de Torsi de la sienne \
et un nommé Arbonville de la part du roy de Navarre,
qui n'avoit brouillé personne. Mons' de Guitry donne
à Mantes sur les huict heures ; le sieur de Buy avoit
si mal préparé son fait, qu'il n'y eust un seul gen-
darme de la compagnie qui fist mine de se joindre
audict Guitry, non pas mesme le sieur de Buy; de
façon qu'il fallut ressortir de la ville, n'ayant plus
aucune entreprise, ny nouvelles de nous, ny mesmes
des autres rendez-vous qu'il avoit donnés, pour sça-
voir quelle quantité d'hommes s'y estoient trouvés.
IF s'achemine vers Dreux et prend un logis à l'entrée
1. Jean Blosset, seigneur et baron de Torcy, chevalier du
Saint-Esprit à la première promotion de 1578, mort le 26 no-
vembre 1587. Sa fille, Françoise Blosset, était dame de Colom-
bières. C'est d'un de ses parents qu'il sera question un peu
plus loin.
2. Guitry avait bien pu entrer dans Mantes avec quarante
60 MÉMOIRES [Mars 1574
de la ville sur la rivière d'Eure ; audict Dreux s'estoit
rendu le sieur de Saint-Léger^ avec quelque nombre
de noblesse, qui, dans le lendemain, eussent esté plus
forts que ledict Guitry, et l'eussent combattu ou con-
traint à se séparer, n'ayant avec luy qu'environ soi-
xante gentilshommes et six vingts hommes de pied.
Nous partons de Saint-Germain : arrivés à Dreux,
nous ordonnasmes au sieur de Saint-Léger de ne rien
entreprendre; nous sçeumes où estoient logés ceux
de la Religion, et allasmes prendre nostre logis à
demie lieue d'eux, d'où nous leur envoyasmes un
trompette du Roy, que nous avions mené pour faire
sçavoir audict de Guitry nostre arrivée, le convier de
nous venir trouver, ou bien nous asseurer de pouvoir
aller là où ils estoient, ou en chemin, en tel lieu que
le trompette nous rapporteroit. Qui fut et bien aise et
bien en suspens, ce fut ledict de Guitry de me sçavoir
là, estimant que je l'éclaircirois de Testât des affaires;
et, en peine de conjecturer comment je venois en cette
légation, il nous renvoyé le trompette, en nous asseu-
rant un lieu, où il se rendit avec environ vingt gen-
tilshommes, et nous y acheminasmes. Le sieur de
Torsi prit la parole, et leur dict le déplaisir qu'avoit
le Roy de les sçavoir les armes à la main, estans dési-
reux d'oster toute la méfiance à ses sujets, à raison des
choses passées, par les bons et favorables traitemens
qu'il leur vouloit rendre; qu'ils eussent à se retirer
chacun chez soy et venir vers Sa Majesté, ainsi que
cavaliers; mais, n'y ayant pas trouvé le duc d'Alençon, il se
retira en Normandie.
1. René de Saint-Léger ou Ligier, sieur de Boisrond, gen-
tilhomme du duc d'Alençon.
Mars 1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 61
d'obéissants sujets doivent faire, qu'ils en recevroient
tout contentement. A cela, le sieur de Guitry dict n'estre
seul dans la France qui avoit les armes en la main ;
mais qu'elles y estoient prises par toutes les provinces,
que l'inobservation du traité de la Rochelle estoit
commune, qu'ils ne voyoient ny n'oyoient que le
renouvellement des persécutions, qu'ils aimoient
mieux mourir les armes en la main que par les sup-
plices rigoureux exercés contre ceux de la Religion.
Je pris la parole, et dis qu'avec la volonté du Roy,
Monsieur m'a voit voulu envoyer vers eux, pour leur
dire le desplaisir qu'il avoit d'estre en doute de la
bonne grâce du Roy, et d'avoir sçeu la prise de leurs
armes, qu'il ne vouloit favoriser ny assister, mais bien
les asseurer qu'ils se pouvoient entièrement fier à la
parole du Roy; Arbonville dict à peu près les mesmes
choses de la part du roy de Navarre. Alors le sieur
de Guitry prie Mons*^ de Torsi et moy de trouver bon
de parler avec luyà part : ce qui fut accordé. Alors je
luy dis l'inconvénient arrivé à cause de sa précipita-
tion, qui nous avoit osté le moyen de partir et de
faire jouer tous les ressorts de nos entreprises, si à
propos que nous eussions fait, que les princes n'es-
toient pas du tout prisonniers, mais tellement
observés qu'ils n'avoient aucune action libre. Je trou-
vay ce gentilhomme sans conseil, ny ouverture de
moyens pour se garantir d'une prochaine et honteuse
ruine; et ne voyant rien pour luy et tout contre luy,
ne se pouvant fier pour venir trouver le Roy, ny aussi
comment se maintenir en le refusant, il me fallut luy
ouvrir un moyen, qui fut de nous dire qu'il estoit
prest d'aller trouver le Roy, en luy donnant les seu-
62 ^ MÉMOIRES • [Mars 1574
retés nécessaires d'aller et retourner, m'ayant esté
ordonné par le Roy sur tout, en prenant congé de luy,
de luy faire venir Guitry; que, cependant que nous
retournerions, il s'avanceroit vers la Normandie, d'où
il attendoit des exécutions sur des places par le sieur
de Golombières^ et autres. 11 approuve cela, de façon
qu'après nostre communication le sieur de Torsi se
trouva plus remis; et faisant cette ouverture de venir,
qui contenteroit le Roy, nous nous séparons avec cette
responce, et vinsmes trouver le Roy, qui estoit venu
loger au faubourg Saint-Honoré, au logis du mares-
chal de Rets^, auquel nous fismes entendre ce que
nous avions fait; de quoy Sa Majesté fut contente, et
nous commanda de nous tenir prests pour retourner
vers ledict Guitry et luy porter les sauf-conduits
nécessaires pour venir trouver le Roy et pour s'en
retourner.
Gependant il marcha, et le trouvasmes auprès de
l'Aigle en Normandie^, d'où nous luy fismes sçavoir
nostre retour, à ce qu'il vinst vers nous, ou que nous
allassions vers luy, ou en lieu entre deux pour nous
aboucher ; ce qui fut accepté, et là nous trouvasmes,
où nous luy fismes voir les sauf-conduits du Roy, qu'il
nous demanda pour les communiquer à ceux qui
estoient avec luy. Il s'estoit renforcé de quelque cent
1. François de Colombières, baron de la Haye-du-Puy, en
Basse-Normandie.
2. Albert de Gondy, maréchal de Retz, duc et pair en 1581,
dont l'hôtel était situé sur le marché aux pourceaux.
3. Laigle, vieille ville, à 35 kil. de Mortagne (Orne). C'était
un marquisat avec un château fort. Le vicomte de Dreux, à la
tête des protestants, s'en empara en 1563.
Mars 1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 63
chevaux et deux cens hommes de pied. Il revint vers
nous dès le jour mesme, disant que ses compagnons
ne le vouloient laisser partir, et avec beaucoup de
raisons. La méfiance estoit très-grande de l'invalidité
de toutes les promesses, qui les faisoit douter de la
seureté de sa personne; ils se voyoient sans chef,
n'ayant point encore d'avis certains de ce qu'avoit
exécuté le sieur de Golombières, et moins que le
comte de Montgommery eust mis pied à terre; ils
sça voient que Mons"^ de Matignon, qui depuis fut
mareschal de France, estoit à Gsen, où il assembloit
des forces, estant un des lieutenants du Roy en Nor-
mandie, qui les pouvoit combattre ; que se voyans sans
le sieur de Guitry, plusieurs se desbanderoient, con-
cluans à y laisser aller tout autre d'entre eux, mais
point le sieur de Guitry.
A cela nous leur opposons la promesse qu'il avoit
faicte, que, les sauf-conduits estans donnés sous son
nom, le Roy se tiendroit trompé d'eux; enfin, ils me
prièrent d'aller jusques en leur quartier, pour faire
sça voir à toute la troupe nos raisons et asseurances.
Il faut remarquer que Monsieur et les princes
m'avoiënt enchargé d'empescher leur séparation,
rebastissans de nouveau les moyens de sortir de la
Cour ; Mons"^ de Torsi trouva bon que je satisfisse à leur
désir en m'en allant au quartier. Je voyois bien la con-
tinuation des soupçons que je donnois d'avoir intel-
ligence avec eux, que je ne pouvois parler à plusieurs
en public que ce que je dirois ne fust sceu, que les
principales raisons que j'avois pour les faire consentir
au voyage du sieur Guitry estoient l'attente de la sortie
de Monsieur, la communication qu'il pourroit avoir
64 MÉMOIRES [Mars 1574
avec luy, la seureté qu'ils auroient cependant de ne
pouvoir estre combattus et de pouvoir se joindre
avec le sieur de Golombières; raisons, lesquelles sceues
du Roy estre venues de moy, me portoient en un fort
grand danger; néantmoins mon affection au service
de Monsieur, la croyance que j'avois de ne faire for-
tune à la Cour me firent préférer les commandemens
de Monsieur à ce qui estoit de mon devoir, en parlant
à trente ou quarante gentilshommes ordonnés de tous
les autres à cet effet, auxquels je fis concevoir mon
but, qui estoit que, sur le voyage de Mons" de Guitry,
on pust gagner le temps nécessaire pour leur faire
voir des choses qui porteroient de grands avantages
à leur party; que, nous séparans d'eux, beaucoup de
forces leur tomberoient sur les bras, qu'ils sçauroient
ceux qui auroient pris les armes, et que je ne voyois
nul hazard pour la personne dudict Guitry ; que nous
nous obligerions, en nostre propre nom, de faire trou-
ver bon au Roy de le reconduire et le ramener parmy
eux. Gela les fait résoudre à le consentir, principa-
lement sur la croyance qu'ils prirent en moy que
je ne voudrois estre autheur d'une perfidie. Ils envo-
yèrent vers Mons*^ de Torsi un des leurs avec moy, pour
l'asseurer que le sieur de Guitry viendroit le lende-
main nous trouver pour, en nostre compagnie, aller
trouver le Roy au bois de Vincennes, où il avoit pris
son logis, pour asseurer sa personne et celle des autres* .
Gomme il fut arrivé, le Roy nous commanda de faire
trouver le lendemain le sieur de Guitry en sa chambre,
où il n'y auroit que la Reyne sa mère, ce que nous
1. Toute cette affaire de Saint-Germain est racontée mer-
veilleusement par d'Aubigné, Hist. univ., t. IV, p. 222.
Mars 1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 65
fismes. Là, le Roy tascha à le pratiquer et sçavoir de
luy la vraye cause de leurs armes et ceux de son
intrigue, le louant ainsi qu'il le méritoit, et luy
donnant de quoy attendre de la récompense, s'il vou-
loit servir le Roy en ce qu'il désiroit. A cela il se
servit des raisons générales qu'ils avoient par les
actes passés entre ceux de la Religion; les nouvelles
rigueurs qu'on exerçoit, qu'ils auroient estimé devoir
cesser par l'absence du roy de Pologne, qu'ils avoient
cru y pousser le Roy, auquel ils désiroient toute pros-
périté, ne cherchans que le moyen et seureté de la
liberté de leur conscience; que le Roy leur donnant
cela, il ne falloit douter qu'ils ne posassent les armes.
Durant six ou sept jours que nous demeurasmes
au bois de Vincennes, le Roy sceut l'arrivée du comte
de Montgommery à Garantan^, la prise de Saint-Lo,
de Valoigne et autres petites places dans le bailliage
de Costentin, de façon qu'il jugea bien qu'il falloit
traiter ces affaires avec le général de ceux de la Reli-
gion, qui avoient aussi pris les armes dans la pluspart
des provinces de la Loire ; qui fit qu'on se résolut de
renvoyer ledict Guitry et nous avec luy. Monsieur et
le roy de Navarre bastissoient les moyens de leur par-
tement, jugeans assez le péril où ils estoient; et à cecy
La Mole estoit des premiers instrumens. La faute
qu'il avoit fait commettre à Monsieur, à Saint-Germain,
et l'estimant plus propre à la Gour que dans les armes,
me faisoit méfier de luy, de façon que Monsieur me
voulant communiquer son dessein et m'en faire parler
à La Mole, je le suppliay que je n'en sceusse rien,
1. Carentan, ch.-l. de cant., à 25 kil. de Saint-Lô.
66 MÉMOIRES [Mars 1574
mais qu'il pouvoit s'asseurer que je ne luy manquerois
point.
Nous repartons après avoir vu arriver Mons' de
Montmorency, que j'allay trouver entre Escouan* et
Paris pour le détourner de son dessein, estant le juge-
ment d'un chacun qu'il seroit arresté, comme il fut.
Mes persuasions ne furent rien à cette ame asseurée
contre ses dangers qu'il avoit préveus, et jugé
moindres que les blasmes ou les difficultés à les
excuser.
Nous arrivons à Cœn, où estoit le sieur de Mati-
gnon, qui avoit fait tuer deux jours auparavant le
sieur de Saint-Jenets, frère du comte de Montgom-
mery-, dans son chasteau, dont il portoit le nom,
par un nommé de Mans. Nous arrivasmes à Saint-Lo,
où nous trouvasmes le sieur de Golombières^ avec assez
bon nombre d'hommes, qui commençoit à travailler
et à ruiner les fauxbourgs. Il estoit neveu de
Mons"" de Torsi; il nous logea au fauxbourg, et nous
posa un bon corps de garde devant nostre logis, nous
disant que toute sorte de méfiance estoit permise à
ceux qu'on avoit si souvent et si meschamment
trompés, qu'ils avoient les armes à la main, espérans
que Dieu les béniroit, en sorte qu'ils auroient la ven-
geance de tous les massacreurs. Mons"^ de Torsi plus
1. Ecouen, près Pontoise : le beau château Renaissance bâti
par le connétable.
2. Le frère de Montgomery, François de Lorge, tout protes-
tant qu'il fût, était resté abbé de Saint- Jean de Falaise. Il fut
assassiné par Thomas des Planches. Il y a là une erreur de nom,
qui se trouve, du reste, dans l'édition de 1666, p. 124.
3. C'était le principal lieutenant de Montgomery; il fut tué
sur la brèche à Saint-Lô le 23 mai 1574.
Mars 1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 67
que moy trouva estrange ceste façon de garde et ces
propos libres, lesquels il voulut modérer; mais il
arriva tout le contraire, les derniers estans plus inju-
rieux que les premiers, et conclud son propos, disant :
voilà ma sépulture, nous monstrant une tour par où
il jugeoit que la ville seroit battue, ainsi qu'elle fut,
et y mourut, ayant ses deux enfans près de luy lors
de l'assaut, qui n'estoient aagés de plus de qua-
torze ans.
Nous passasmes à Carentan, où nous trouvasmes
le comte de Montgommery arrivé^, avec lequel nous
ne traistasmes rien, et n'eusmes qu'à nous en retour-
ner. Passans à Cœn, nous trouvasmes commencement
de forces, et le sieur de Matignon, soudain après nostre
passage, logea quelques forces près de Saint-Lo, pour
empescher les courses. Arrivés au bois de Vincennes,
après avoir rendu compte au Roy de Testât auquel
nous avions laissé le comte de Montgommery, qui
n'estoit guères bon, tant par la foiblesse des places
que pour le peu de forces et un commencement de
division que nous y recogneusmes entre luy et le sieur
de Guitry, qui estoit un brave capitaine, on commença
à dresser les armées de Normandie et de Poitou,
celle-cy sous Mons"^ de Montpensier et celle-là sous
1. Débarqué, le 11 mars 1574, près de Coutances, avec les
forces qu'il amenait d'Angleterre, Montgomery, en peu de
jours, avait remporté de foudroyants succès. Il avait pris le
château de Pont-Douve, Saint-Lô, et avait établi son quartier
général à Carentan. C'est là que Turenne et Guitry, députés
par Charles IX, étaient venus le trouver, le 22 mars, et avaient
vainement tenté de traiter avec lui. Sa situation était singuliè-
rement plus forte que ne le disent les présents Mémoires.
(^Voir Merlet, op. cit., p. 157.)
68 MÉMOIRES [1574
le sieur de Matignon ^ Lors furent créés trois régi-
mens d'infanterie, dont le commandement fut donné
à trois jeunes gentilshommes de bonne maison, qui
furent Bussi d'Amboise-, Lavardin^, qui est maintenant
mareschalde France, et .l'autre à Lucé*; Mons"" le comte
de Soissons a espousé sa nièce et son héritière. Je
séchois sur les pieds de voir ces Messieurs, qui n'es-
toient guères plus vieux que moy, lesquels avoient des
charges et en moyen d'acquérir de la réputation;
mais, estant lié à la fortune de Monsieur, je ne pouvois
sans faillir m'en séparer. Il différoit tousjours pour
partir; et, comme je vous ay dict, je n'avois voulu me
mesler avec La Mole, n'y rien sçavoir de ce qu'ils
faisoient. Le Roy, au département qu'il fit des com-
pagnies qui le serviroient en Poitou, y destina ma
compagnie, qui fut occasion que je préparay mon
équipage, et pris congé du Roy et de la Reyne le
lundy de la semaine avant Pasques, et vins à Paris,
où Monsieur arriva le mardy ; et là il me conjura tant,
qu'il me fit parler à La Mole, et me communiqua le
dessein qu'il avoit de partir le mercredy ou jeudy
ensuivant. Il repart et s'en retourne au bois de Vin-
cennes, et moy au bailliage du palais, où j'étois logé.
Le mercredy, de bon matin, on me manda du bois de
1. Matignon, chargé d'opérer en Basse-Normandie contre
Montgoraery, avait 5,000 gens de pied, 1,800 chevaux et vingt
pièces de canon.
2. Louis de Clermont, qui fut assassiné par Monsoreau en
août 1579.
3. Jean de Beaumanoir, marquis de Lavardin , plus tard
maréchal de France.
4. Jean de Coesmes, baron de Lucé, tué au siège de Lusignan
en 1574.
1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 69
Vincennes que le Roy prenoit quelque méfiance de
moy de ce que j'achetois des chevaux, des armes, de
la poudre et autres commodités pour la guerre, ce
qui me fit envoyer le sieur de La Boissière vers le Roy,
pour m'excuser sur le commandement que j'avois d'al-
ler trouver Mons'^ de Montpensier, qui me faisoit faire
provision des choses nécessaires pour la guerre. 11
revint assez tard, et me porta un nouveau comman-
dement d'aller trouver Mons'^ le mareschal d'Amville,
mon oncle, en Languedoc, qui faisoit aussi des troupes
pour faire la guerre à ceux de la Religion, et que
j'eusse à partir le lendemain. Je renvoyé La Boissière
dire au Roy que j'obéirois en tout et partout à ses
commandemens, et avertis Monsieur que je ne cou-
cherois qu'à Juvisy^ et que, s'il pouvoit sortir, je me
trouverois où il me manderoit pour tout le jeudy
audict Juvisy; où estant avec mon train, qui estoit de
huict ou dix gentilshommes, nombre de bons chevaux,
le matin du vendredy, j'eus avis que Monsieur, le roy
de Navarre, les mareschaux de Montmorency et de
Gossé estoient arrestés.
Je pars et m'en allay coucher à Milly-, où je sceus
par un que je ne sçay avoir jamais veu ny devant ny
après, lequel se rompit la jambe en me venant trou-
ver, et m'envoya son homme pour me dire qu'il avoit
esté donné des commandemens aux villes et aux gou-
verneurs par où je passerois de me prendre^. Je ne
1. Juvisy-sur-Orge (Seine-et-Oise).
2. Milly (Seine-et-Oise), arr. d'Étarapes.
3. Un arrêt du Parlement de Paris avait été rendu à la
requête du procureur général du roi « pour raison de la cons-
piration et conjuration faicte contre l'Estat, » ordonnant l'ar-
70 MEMOIRES [1574
fus pas sans peine, me voyant entre les rivières de
Seine et de Loire, peu cognoissant le pays, néantmoins
résolu d'éviter tous mes dangers avec courage. Je
pars et suis le grand chemin à moyennes journées
jusques à Gone-sur-Loire ^ où je ne logeay dans la
ville, mais au fauxbourg, où je laissay le plus pesant
de mon train et ce qui estoit inutile; et feignant d'aller
voir Sancerre, je pars sur les quatre heures avec
dix-huict chevaux, et passe la rivière de Loire, ordon-
nant à mon argentier d'aller le grand chemin, en
disant me devoir rencontrer. Je fis une grande traite,
et allay jusques sur les dix heures du lendemain
repaistre à cinq lieues par delà Bourges, où je ne
séjournay que peu, et allasmes coucher bien avant
dans le Bourbonnois, en un village qui estoit en la
maison de Bellenave^, où je trouvay un hoste qui
avoit esté à feu Mons"" de Bellenave, qui estoit d'ordi-
naire avec feu mon père, qui me recognut, et demanda
aux miens si je n'estois pas Mons"" le vicomte de
Turenne. Il arriva une chose digne de remarque : le
jour de la bataille de Saint-Quentin, où mon père fut
blessé et pris, de quoy il mourut, estant mon père
mené prisonnier, le sieur de Bellenave, pris aussi,
luy fut présenté; soudain il le nomme « Sagouin, »
nom qui luy avoit esté donné pour ce qu'il avoit la
bouche petite; il arriva si à propos qu'il s'estoit
restation et l'emprisonnement à la Conciergerie des sieurs « de
Thoré, vicomte de Turenne, de la Vergne, capitaine Beau-
charaps... — Faict au Parlement, le 21^ jour de may 1574. »
(Bibl. nat., ms. fr. 18452, fol. 4 v".)
1. Cosne, ch.-l. d'arr. (Nièvre).
2. Bellenaves (Allier), arr. de Gannal.
1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 71
nommé de ce nom et non de Bellenave, disant qu'il
n'estoit qu'un valet, de façon que ceux qui le tenoient
crurent cela, et le laissèrent aller sans payer auciftie
rançon, qu'il eust bien payée de deux mil escus. De
là, je m'en allay à Joze, lieu de ma naissance, où je
n'avois esté depuis que je fus mené à Chantilly, là où
je fus fort visité de la noblesse.
Le Roy despescha le sieur de Maignanne, enseigne
d'une des compagnies des gardes-du-corps, avec com-
mission au sieur de Saint-Héran^, gouverneur d'Au-
vergne, de lui tenir main forte pour me prendre.
Ledict sieur de Saint-Héran, qui avoit esté lieutenant
de la compagnie de cent hommes d'armes de Mons' le
connestable, et fort affectionné à feu mon père et à
toute nostre maison, respondict audict de Maignanne
qu'il estoit prest à faire ce que le Roy luy avoit com-
mandé, mais qu'il ne sçavoit de qui se servir dans la
province, où ma maison estoit aymée et honorée et
des villes et de la noblesse; qu'il falloit avoir des
forces d'ailleurs, que j'estois accompagné de cin-
quante ou soixante gentilshommes; qu'il prioit ledict
Maignanne de ne se monstrer, de crainte que dans
Glermont, où ils estoient, on ne lui fist déplaisir. Il
me donna avis de l'arrivée dudict Maignanne et du
commandement qu'il avoit, me conseillant et priant
de prendre garde à moy et de m'oster de là ; je me
résolus de m'en aller à Turenne.
Je pars de Joze fort bien accompagné, et vins à
1. Montmorin, sieur de Saint-Héran, dans sa jeunesse cor-
nette de la compagnie du connétable, fait prisonnier avec lui
à la bataille de Saint-Quentin.
72 MÉMOIRES [Juin 1574
Chasteaugué', où estoitMons'" de Fleurât; je séjournay
là trois jours, courant la bague, et passant le temps
avec plus de cent gentilshommes. Sçachant que Mai-
gnanne observoit mes actions et soUicitoit Mons"" de
Saint-Héran à l'exécut-ion de sa commission, j'avisay
d'envoyer Le Jeune, qui avoit le guidon de ma com-
pagnie, à Glermont, accompagné de huict gentils-
hommes; descendit au logis où estoit Maignanne,
lequel, les voyant entrer, monta en une chambre, où
il fut suivy par ledict Le Jeune, lequel le prenant par
le bras luy dict que Mons"" le vicomte de Turenne vou-
loit sçavoir qui il estoit; soudain, l'autre descend le
degré et va à l'escurie faire apprester ses chevaux,
et alla trouver le sieur de Saint-Héran pour prendre
congé de luy, recognoissant qu'il falloit d'autres forces
pour faire obéir le Roy. Il ne fut empesché de ce des-
sein, et n'eust asseurance qu'il ne sortist de l'Au-
vergne, ce qu'il fîst en un jour.
Je m'acheminay vers Turenne, et estois dans la
montagne du Cantal en un lieu nommé Vic^, préten-
dant de m'en aller le lendemain coucher à Roquebée,
maison qui estoit lors au sieur de Montai^, qui m'ap-
partenoit de quelque chose. Je fus averty qu'il avoit
retiré quelques hommes dans sa maison pour assassi-
ner la pluspart de ce qui estoit avec moy, et me
prendre prisonnier, trahison fort grande, d'autant que
je l'avois obligé diverses fois estant à la cour, et luy
1. Châteaugay (Puy-de-Dôme), cant. de Riom.
2. Vic-sur-Cère (Cantal), arr. d'Aurillac.
3. Le comte de Montai était allié de Turenne, qui lui avait
rendu plusieurs services à la cour. Il n'y avait donc pas lieu de
soupçonner sa mauvaise foi.
Juin 1574] DU VICOMTE DE ÏURENNE. 73
m'ayant convié d'aller chez lui, et tousjours asseuré
d'une très entière amitié. Cela vous doit faire
cognoistre combien d'infidélités se trouvent entre les
hommes qui, par ambition ou avarice, se départent
des choses honnestes pour suivre celles qui satisfont
à ces deux passions. J'avois avec moy son jeune frère,
qui estoit chevalier de Malte, lequel, sans sçavoir l'in-
fidélité de son frère, m'y servoit de guide pour la
souffrir; cela, avec ce que je sceus que Mons*" de Van-
tadour, qui avoit espousé une des sœurs de ma mère,
gouverneur du Limosin, s'en estoit allé à Turenne
pour s'en saisir^, me fît rebrousser chemin et m'en
aller à Bouzols^. Voilà les traverses et dangers où
j'estois, qui, pareils ou plus grands, suivent ceux qui
ont leur Roy pour contraire.
A Bouzols, je séjournay quelques jours, estant
accompagné de cinquante ou soixante gentilshommes ;
de là, je m'en vins à Turenne, ayant sceu en che-
min la mort du roy Charles, Monsieur, le roy de
Navarre et les deux mareschaux tousjours prison-
niers; je m'en vins, dis-je, à Turenne, où toute
la noblesse catholique me vint voir, et quelques-
uns de la Religion qui ne se trouvoient dans les
troupes qu'aux occasions, lesquelles estans passées,
ils se retiroient chez eux. Ceux de la Religion me
tenoient Beaulieu^, Argentat^ et la ville de Saint-Geré^,
1. Ventadour avait reçu de la Cour l'ordre de s'emparer de
la vicomte et en même temps de Turenne.
2. Bouzols (Haute-Loire), à 8 kil. du Puy.
3. BeauIieu-sur-Ménoire (Corrèze), arr. de Brives.
4. Argentat (Corrèze), arr. de Tulle. Cette petite ville dépen-
dait de la vicomte de Turenne.
5. Saint-Céré (Lot), arr. de Figeac.
74 MÉMOIRES [Août 1574
et le sieur de Montai le chasteau; ils ne me faisoient
la guerre, ny raoy à eux. Il arriva que ceux de Gazil-
lac^ où il y avoit quelques soldats qui estoient de
Turenne, firent quelque outrage à un de mes voisins,
de quoy ils ne voulurent faire réparation, ce qui occa-
sionna d'assembler mes amis, et les allay attaquer, et
les pris. Ceux de Beaulieu commencèrent à courre ma
terre; je leur fis la guerre et les contraignis à s'ac-
commoder avec moy, par l'authorité de Mons"" le
vicomte de Gourdon^, qui estoit leur général en
Limosin, Haute-Auvergne et Haut-Quercy. Cela dura
jusques au siège de Miremont^.
En ce temps-là, le Roy revenoit de Pologne, et
estoit à Turin, où, sous la parole de feu Mons"" de
Savoye^, Mons'^ le mareschal d'Am ville, qui estoit
dans ladicte ville, ayant fait la révérence au Roy,
et eu plusieurs discours qui ne l'avoient contenté,
Mons' de Savoye, averty qu'on le vouloit tromper,
et sur son retour le faire* perdre, luy fit apprester
sa galère et prendre le chemin de mers% et le
rendit sain et sauve dans son gouvernement; il
1. Cazillac, dans le Quercy (Lot), arr. et à 41 kil. de Gourdon.
2. Antoine, vicomte de Gourdon et de Gaiffier, seigneur de
Cenevières en Quercy.
3. Miremont (Puy-de-Dôme), arr. de Riom.
4. Emmanuel-Plîilibert, duc de Savoie, qui avait épousé la
fille de François \", Marguerite de France, et mourut en 1581.
5. Ce mot est écrit dans tous les manuscrits et dans les im-
primés tantôt Mek, tantôt Metz. C'est « mers » qu'il faut lire.
Marsollier, dans sa vie du duc de Bouillon, nous apprend que
Damville s'embarqua à Nice, pour retourner en Languedoc.
— Sur le séjour de Henri III à Turin, et l'accueil qu'il fit à Dam-
ville, on peut consulter la grande histoire de J.-A. de Thou,
t. VII de l'édition française, p. 131.
1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 75
avoit traité avec ceux de la Religion, et fort avancé
l'union entre eux et les catholiques romains avant
qu'aller à Turin, de quoy il m'a voit donné avis, m' ex-
hortant de m'y joindre et à prendre les armes à cet
effet; j'avois appelle bon nombre de noblesse, atten-
dant de sçavoir dudict sieur mareschal le jour que
nous nous déclarerions. Je sceus qu'il estoit allé trou-
ver le Roy; cela me mit en une fort grande peine,
estimant qu'il s'accommoderoit, et que j'aurois fait
une levée de boucliers à ma honte et à la ruine de
ceux qui prendroient les armes avec moy.
Il se présente une occasion pour couvrir la vraye
cause de l'assemblée de mes hommes, qui fut que le
sieur de Saint-Héran s'estoit obligé d'assiéger le chas-
teau de Miremont en Auvergne, à la sollicitation de
ceux du haut pais, mais poussé principalement par
Montai, qui vouloit un grand mal à la dame à qui
appartenoit la maison', estimant qu'il la feroit mourir
et ruineroit sa maison. Je fis que le sieur de Saint-
Héran me convia de l'assister en ce siège, ce que j'of-
fris de faire, et y menay trois cens gentilshommes et
quelque iilfanterie. Ces entreprises estoient faites avec
les promesses de ceux du pais pour les frais qu'il fal-
loit faire pour les levées et paye des hommes, des
vivres, munitions de guerre, esquipage d'artillerie :
toutes ces choses estoient fournies mal à propos et
moindres qu'il ne les falloit; de façon que nous ne
prismes la place, et s'y perdit nombre de gentils-
1. Madeleine de Senneterre, ou Saint-Nectaire, veuve de Guy
de Miremont, seigneur de Saint-Exupéry. C'était une femme
intrépide, dont Mezeray a célébré les exploits, et qui avait
battu, en 1574, les troupes du seigneur de Montai.
76 MÉMOIRES [Sept. 1574
hommes en voulant faire un logis sur une espèce de
contrescarpe, de façon que j'y eus plus de vint gentils-
hommes tués, entre lesquels fut le sieur Oudart, que
j'ay dict cy-devant avoir esté envoyé à Clermont faire
desloger Maignanne. Nous levasmes le siège; ceux de
la Religion avec lesquels j'estois entrèrent, ainsi qu'ils
dévoient, en une grande mesfiance de moy. Je m'en
revins à Turenne, où tost après j'eus des lettres de
Monsieur, qui me prioit de prendre les armes avec
Mons' le mareschal d'Am ville, qui aussi m'avertit de
son retour en Languedoc, et m'envoya les articles de
l'union afin que je les signasse. Cela me fit résoudre
à prendre les armes; de quoy je donnay avis à
Mons' de La Noue, qui m'envoya tout ce qui estoit
sorty des villes de Fontenay-le-Gomte et Lusignan\
avec les sieurs de Montguyon et de Ghouppes, qui
pou voient estre environ mil arquebusiers à cheval, et
cent ou six-vingts hommes de cheval ; j'avois près de
trois cens gentilshommes catholiques, qui prirent les
armes avec moy.
Il est à remarquer qu'estant revenu du siège de
Miremont, le Uoy arriva à Lyon en mesure temps ^;
1. Lusignan (Vienne), à 24 kil. de Poitiers.
2. On trouve dans les Archi\>es historiques de la Saintonge et
de l'Aunis, t. IV, p. 301 (1877), la lettre que le vicomte écri-
vit au roi un peu plus tard. Il l'informait que, suivant son ordre,
il avait rappelé sa compagnie pour se rendre à Brive sous le com-
mandement de M. de Montpensier. Puis il ajoutait : « Encore,
Sire, que le sieur de la Barge m'aye dict que aulcuns vous avoient
rapporté que j'avoys prins les armes contre vostre service,
chose à quoy je n'ay jamais pensé; et ne m'a jamais, ledict
La Barge, vouUu nommer qui est. Mais, s'il vous plaist me
tant honorer me dire tels accusateurs, avecques vostre per-
1574] DU VICOMTE DE TURENNE. 77
j'envoyai vers luy pour luy rendre les devoirs que
comme son sujet je luy devois, luy tesmoignant estre
marry des mauvaises impressions que le feu Roy son
frère avoit prises de moy, ne désirant que d'estre
maintenu en ses bonnes grâces, et luy rendre les ser-
vices que je luy devois. On fît fort peu de cas de ma
recherche, et me fît-on cognoistre que je n'avois à
espérer aucun avancement; ainsi en fit-on au général
de ceux de la Religion, qui tous firent sentir qu'ils ne
désiroient autre chose que la seureté et liberté de leur
conscience, biens et personnes.
Le Roy, qui avoit esté conseillé de l'empereur, pas-
sant à Vienne, du sénat de Venise et de Mons'" de
Savoye, de donner la paix à ses sujets, s'en venoit
avec cette intention ; mais la Reine sa mère, le mares-
chal de Bellegarde et quelques autres la luy firent
changera son grand malheur et de tout son royaume,
sur lequel il pouvoit régner heureux, où il a eu tous-
jours, jusques à la mort, des partis qui rendoient son
authorité contestée, son peuple ruiné, la justice et les
loix sans obéissance. Il s'en vint à Avignon, où il com-
mença à préparer des forces , et attaqua Livron ^ ;
pour moy, je fus appelle par ceux de Montauban, qui
estoient fort pressés. Le sieur de Joyeuse, comman-
dant en Languedoc % et le sieur de Cornusson à Tho-
mission et l'ayde de Dieu, j'espéreroys me justifîei' si clère-
ment, que la justice de ma bonne cause rendroit Vostre Majesté
et moy chascun contant et satisfait. » La lettre est datée de
Turenne, du 12 février 1575.
1. Livron, près du confluent de la Drôme et du Rhône,
que Henri III assiégea sans succès avec une forte armée.
2. Guillaume, vicomte de Joyeuse, lieutenant-général pour
le roi au gouvernement de Languedoc, maréchal de France.
78 MÉMOIRES [1575
lose', le sieur de Glermont de Lodève^ en Quercy et le
sieur de La Vallette, père de Mons*" d'Espernon, en
Gascogne, luy avoient pris tous les forts aux environs,
où ils avoient mis des garnisons pour les empescher
de ne cueillir ny bleds ny vins : les villes du Mas-de-
Verdun 3, Buset* et Làuserte^, tenues par ceux de la
Religion dans les trois provinces où commandoient
ces trois messieurs dessus nommés, estoient en telle
extrémité qu'elles n'avoient des vivres que du jour à
la journée ; les garnisons si petites, qu'elles ne pou-
voient suffire aux gardes ordinaires, moins pou-
voient-elles lever leurs contributions, sur lesquelles
elles prenoient leur entretenement ; ils me prient d'y
aller, m'ayant, en une assemblée qu'ils avoient tenue,
destiné pour commander en Guyenne sous Mons"^ le
maréchal d'Amville.
Le premier rendez-vous fut près de Turenne^, en
un lieu appelle les Bruyères-de-Nazaret ; de là, nous
allasmes à Bergerac, où commandoit le sieur Lan-
goiran, puisné de la maison de Montferrant, laquelle
est maintenant esteinte, lequel me receut bien; mais
néantmoins, trouvant ennuyeux pour luy de me reco-
gnoistre, je passay la rivière de Dordongne, celle du
1. François de la Vallette, seigneur de Cornusson, sénéchal
de Toulouse, gentilhomme de la chambre du roi.
2. Clermont-de-I'Hérault, arr. de Lodève, à 15 kil. de cette
ville, ancienne baronnie. Gui de Castelnau en était seigneur.
3. Le Mas-Grenier (ïai'n-et-Garonne), arr. de Castelsarrasin.
4. Buzet, dans le Bazadois (Lot-et-Gai'onne), à 1(3 kil. de
Nérac.
5. Lauzerte (Tarn-et-Garonne), arr. de Moissac.
6. Rappelons que Turenne (Corrèze), arr. de Drive, est à
15 kil. de cette ville.
Avril 1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 79
Drot^ et à Clerat^ celle du Lot. Tous les lieutenans du
Roy faisoient ce qu'ils pouvoient pour se faire forts
et me combattre, qui estoit mon plus grand désir,
ayant près de six cens chevaux et deux mil hommes
de pied, bons et bien commandés. Ils me laissent faire
mon chemin sans empeschement ; je prends mon logis
à deux heues de Montauban, au village de Piqueros^,
où il y a un bon chasteau qui appartient à ceux de
Montpezart^, d'où ceux de Montauban recevoient beau-
coup de dommage; j'estimois qu'ils me donneroient
de quoy l'assiéger, mais ils estoient despourveus de
tout; leur artillerie consistoit en deux canons, l'un
pesant près de sept milliers, le calibre si grand qu'il
falloit des moules exprès pour y fondre des balles,
l'autre estoit un sautereau qui ne pesoit guère plus de
quatre milliers, qui n'avoit que sept pieds de longueur,
de façon que le premier ne se pouvoit mener qu'avec
un grand nombre de bœufs, l'autre ne pouvoit demeu-
rer sur son afifust, mesmement en le tirant, à cause
de sa légèreté, ny demeurer, ainsi qu'il le faut, dans
les ambrazures, à cause qu'il estoit fort court, et pour
l'un et pour l'autre, on ne pouvoit faire de plate-forme
suffisante à son recul. Il y avoit une ou deux bas-
tardes ; mais le chasteau fut jugé n'estre forçable avec
cela. Je délogeay, et avec ces pièces je pris quatre ou
1. Petite rivière, non navigable, qui prend sa source dans le
Périgord et se jette dans la Garonne au-dessus de la Réole.
2. Clairac (Lot-et-Garonne), arr. de Nérac.
3. Piqueros (Tarn-et-Garonne), à 11 kil. de Montauban.
4. Ce château avait été fortifié par Jacques de Lettes, sei-
gneur des Prez, évêque de Montauban, fils du maréchal de
Montpezat. (Voir Histoire du Querci, par Cathala-Coture.)
80 MÉMOIRES [Mai 4575
cinq forts, et après je m'en allay à Montauban, où je
fus receu avec un grand applaudissement du peuple,
ainsi que c'est la coustume d'aymer ceux qui les
délivrent d'oppressions ; néantmoins, la confiance n'y
estoit pas entière, à cause que j'avois plusieurs
catholiques, et moy-mesme qui l'estois, faisant dire la
messe dans ma chambre, de quoy plusieurs s'offen-
soient : ceux de la Religion, de voir cela introduit à
Montauban^, estimans que l'ayant chassée qu'elle n'y
rentreroit point; les catholiques, de ce qu'ils avoient
si peu d'exercice et en cachette, quoy que par les
articles de l'union il estoit accordé aux troupes, à la
campagne et dans les garnisons. Il y avoit Mons'' de
Terride^ qui m'obéissoit un peu à regret; de façon
qu'il me falloit mesnager entre toutes ces difficultés
et essayer qu'elles ne m'empeschassent à bien faire
la guerre et acquérir la réputation et créance ; par
curiosité quelquesfois, j'allay au presche, où divers
catholiques me suivoient.
Je ne séjournay pas à Montauban trois jours que je
ne misse dehors l'artillerie, la moisson pressant, pour
les eslargir de toutes les petites garnisons ; où je fus
accompagné d'heur, d'autant que nous n'avions pas
pour tirer cent cinquante coups de canon ; néantmoins,
je pris à cette sortie huict ou dix forts assez bons, et
où il se trouvoit bon nombre d'hommes dedans, mais
ils estoient assaillis vertement, de sorte qu'aussitost
que quelque trou estoit fait, ou quelques guérites
abatues, on y donnoit; de sorte que nous prismes
1. Le vicomte de Turenne dut entrer à Montauban le l*"" mai
1575.
2. Antoine de Lomagne, vicomte de Terride.
1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 81
réputation, qui sert grandement à la guerre; et au
contraire les capitaines la perdirent en nous laissant
exécuter ce que nous entreprenions. Nous nous ser-
vions de la diligence, qui est une partie fort requise à
l'homme de guerre pour exploiter beaucoup de
grandes choses et pour se garder de plusieurs dan-
gers. Je prenois le temps de mes sorties avec consi-
dération de sçavoir si les lieutenans du Roy, qui ne
s'accordoient guères bien, estoient ensemble, de choi-
sir les lieux que je voulois attaquer, qu'ils fussent en
assiette favorable pour prendre un bon logis, les
ennemis les voulans secourir, de les investir, ayans
quelques avis que leurs garnisons fussent foibles : il
arrivoit que la garnison avoit esté battue, et, me ser-
vant de l'occasion, je les investissois. Je faisois ce que
je pouvois, avec l'avis des capitaines qui estoient avec
moy, de vaincre nos nécessités par art et par la dili-
gence. J'avois grand'peine à maintenir mes hommes,
qui, volontaires et sans payement, ne se pouvoient
garder avec rigueur.
Je pris nombre de ces petites garnisons en six
semaines de temps ; mais le plus pesant de la besongne
estoit de conserver les trois places susdictes, qui
avoient faute de tout, et moy nuls magazins pour les
envitailler. Il me falloit lever, tantost cent sacs de
bled, de maison en maison, sur les plus volontaires
de Montauban ; tantost je jettois partie de cela dans
la ville, qui estoit au dernier morceau, par quelques
soldats qui se déroboient la nuit des gardes et des
forts des ennemis et entroient dans la place; tantost.
mais rarement, je les faisois conduire par une légère
escorte, estant cela fort hazardeux que nos hommes
6
82 MÉMOIRES [1575
ne soient battus, d'autant qu'ils y alloient, sçachans
que s'ils estoient rencontrés, ils le seroient par plus
fort qu'eux, ce qui les rendoit (comme en semblables
occasions il avient) peureux et capables d'estre battus
par beaucoup moindre nombre d'hommes qu'ils n'es-
toient. Bien souvent j'y allois. Les sieurs de Cornusson
et de Joyeuse s'assemblèrent sur l'advis qu'ils eurent
que j'avois assemblé toutes mes troupes, et m'en
estois allé à Villemur^ pour mener un envitaillement
à Buset^ et prendre deux tours qui estoient à cinq
cents pas dudict Villemur.
Lesdicts sieurs se logèrent en un village qui s'appelle
Bessins^, et quelques autres lieux au delà de la rivière
du Tare^. Le lendemain, je pars avec deux cens arque-
busiers à cheval et six vingt chevaux, ayant ordonné
le sieur de Moulins, cadet de la maison de Komes^,
avec autre quarante chevaux et soixante arquebusiers
à cheval, de se mettre à ma teste, et à son dos les che-
vaux et charrettes qui portoient les munitions pour
Buset. Gomme je fus à une lieue de Villemur, laissant
les quartiers de l'armée presque derrière, croyant que
rien ne pouvoit aller à cette escorte qu'il ne vinst
plustost à moy, je fis alte, et ledict de Moulins suivit
son chemin. Après que j'eus fait ferme environ une
heure, je fis retourner mon infanterie; et tost après
je coramençay à m'en retourner. L'espérance perdue
1. Villemur-sur-Tam (Haute-Garonne), à 32 kil. de Toulouse.
— D'Aubigné place un peu plus tard l'affaire de Villemur.
2. Buzet-sur-Tarn, à 25 kil. de Toulouse.
3. Bessens (Tarn-et-Garonne), cant. de Grisolles.
4. Tarn. Turenne écrit, comme on prononce : Tare.
5. Ou plutôt de Coesme.
1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 83
de voir les ennemis, on commence à laisser les bras-
sars, qnelques-uns à s'avancer pour éviter le chaud,
et de marcher en mauvais ordre; tout soudain j'en-
tends crier à ma queue « Armes ! » Je tourne avec ce
qui se trouva près de moy, qui estoit environ soi-
xante chevaux; La Grange et le sieur de But furent
les premiers que je vis pleins de sang, ayans chacun
trois coups d'épée, me dire : « Monsieur de Moulins
et les munitions sont perdues, si vous ne les secou-
rez. »
Je n'avois qu'un courtaut les pieds assez pesans ; je
n'eus pas fait cent pas au trot que les ennemis,
meslés avec les nostres, qui nous les menoient sans
leur sceu et sans la volonté des nostres; eux nous
voyans ils font ferme, je fit sonner la charge, eux
tournans : au mesme temps les deux resnes de mon
cheval se rompent. Mons" de Choupes^, qui depuis fut
lieutenant de ma compagnie, commence à donner sur
la mâchoire de mon cheval, que je laissois aller pour
l'envie que j'avois de me mesler avec cette troupe,
qui estoit de cinquante chevaux choisis, commandés
par le sieur Saint-Martin-Golombières, lieutenant du
sieur de Joyeuse, qui luy avoit baillé son fils^, estant
la première fois qu'il s'estoit trouvé les armes à la
main : c'estoit celui-là qui depuis fut tant favorisé du
feu Roy; ma troupe, voyant mon cheval tourner et
s'arrester par les coups du sieur de Choupes, s'ar-
1. Pierre de Chouppes, gentilhomme poitevin, l'un des plus
braves capitaines du temps. Il était à ce moment lieutenant des
troupes de La Noue.
2. Anne, fils du vicomte de Joyeuse, seigneur d'Arqués, plus
tard duc de Joyeuse, grand favori de Henri III.
84 MÉMOIRES [1575
reste, et n'y eut que le sieur de Koiré, monté sur un
cheval d'Espagne, ne prenant garde que nous nous
arrestions ayant les ennemis à trente pas de nous,
sort du chemin, et saute le fossé qui fermoit le che-
min à nostre main droite, et s'avance pour gagner la
teste des ennemis, estimant que c'estoit moy; estant
plus avancé qu'eux, il ressaute le fossé et commence
à leur demander ou estoit Mons' de Turenne : eux, à
ce mot, commençans à lui donner sans s'arrester, il
vint tomber sur la croupe du dernier cheval des
ennemis que nous pressions, ayans raccommodé ma
bride, avec sept ou huict coups d'espée à son cheval
et deux ou trois sur luy, mais un enlr'autres qui luy
coupoit autant du corps en sa rondeur, au deffaut de
sa cuirasse, comme il y en avoit à couper; les boyaux
tous dehors luy furent remis, et il fut mené à Ville-
mur, et guéry depuis du plus grand coup qui se
soit veu.
Les ennemis, trouvans la rivière guayable et un
logis de leur infanterie sur le bord, qui nous fît faire
ferme, ayans pour nos peines eu cinq ou six des leurs
tués ou pris, retournent au logis. Je préparay mon
fait toute la nuit pour battre le lendemain ces tours,
pouvans loger nostre artillerie sur le bord de l'eau de
nostre côté et battre lesdictes tours, qui estoient sur
l'autre bord, du costé où estoient les ennemis logés à
une lieue et demie. Je fis mes approches la nuit, et
logeay mon artillerie, qui estoit trois canons et deux
bastardes ; la rivière du Tare estoit guayable entre la
ville et les tours; j'avois trois pontons pour passer
mon infanterie, qui estoit d'environ quinze cens
hommes; j'en passay environ mille sous la conduite
Mai 1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 85
d'un gentilhomme nommé La Grange, de Poitou, qui
fut fort négligent à travailler pour rehausser quelques
fossés, qu'il pouvoit rendre inaccessibles à la cavalerie,
et faciles à garder contre l'infanterie, estimant de pou-
voir maintenir mon siège, encore que les ennemis me
vinssent sur les bras avant que d'avoir forcé ces
tours. Dès la pointe du jour, j'envoye deux troupes
'de cavalerie pour me tenir averty du mouvement que
feroient les ennemis; je disposay mon ordre à mon
artillerie, et logeay ce qui estoit du mesme costé le
long du bord de l'eau, et fis faire une bonne barricade
sur le quay'^. De bon matin, je passay de delà, où je
vis la négligence du sieur de La Garenne, qui n'avoit
pas donné un coup de pesle ; en mesme temps le sieur
de Verlac revint, qui avoit mené une des troupes pour
prendre langue, et me monstre la poussière des enne-
mis, qui marchoient à nous; soudain, avec l'avis de
Mons"^ de Frontrailles^ et autres, je fais retirer
La Garenne d'une teste avancée, qu'il eust peu garder
s'il eust fait ce qu'il devoit (remarquez les inconvé-
niens de la paresse) , et le fis loger à la teste des pre-
miers fossés qui limitoient le bord de la rivière, et
retiray tous les hommes du costé de la tour qui regar-
doit la ville.
Dès le matin le canon tira; les bleds estoient hauts,
1. D'Aubigné raconte l'entreprise de La Garenne un peu dif-
féremment. [Histoire universelle, t. IV, p. 340.) Puis le vicomte
de Turenne assiégea Réalville le 23 mai, qu'il prit au bout de
quatre jours, y laissant le capitaine Valade comme gouverneur.
Grâce à la vaillance de Chouppes, il enleva aussi Mauzac, près
de Montauban.
2. Michel d'Astarac, baron de Fontrailles.
86 MEMOIRES [1575
qui donnèrent moyen aux ennemis d'avancer leur
infanterie, de façon que je ne fus repassé l'eau qu'ils
commencent à attaquer nostre infanterie ; s'ils avoient
esté mal soigneux à travailler, ils furent aussi peu
courageux à se deffendre. Après une petite salve d'ar-
quebusades, ils se mettent à fuir droit à la rivière,
les ennemis à les presser, de façon que plusieurs ne
se servirent des ponts ny du guay, mais se noyoient.*
Cet effroy prit de nostre costé, y ayant beaucoup de
péril sur nostre bord, la rivière estant petite et un
chemin ras qui la bordoit ; de façon que je vis l'heure
que les'ennemis, poussans leur bonne fortune, eussent
passé en hazard d'entrer dans la ville. A ce péril il
fallut oublier le mien : avec vingt ou vingt-cinq gen-
tilshommes, je me tins sur le quay, ralliant et asseu-
rant ce que je pouvois. Mons' de Ghoupes, des plus
braves gentilshommes que j'ay veu, relayé de nostre
arquebuserie, fait recommencer tirer nostre canon,
qui cessa le temps de deux volées : les ennemis s'ar-
restent, estimant avoir assez fait bruslans les tours,
et se retirent, et moy aussi après avoir mis des vivres
dans Buset, où tost après les ennemis brassèrent une
entreprise par le moyen d'un sergent qui fut pris et
mené à Thoulouse, où ils le vouloient faire pendre s'il
ne leur promettoit de leur donner moyen d'entre-
prendre sur Buset. A quoy ce sergent consentit, et
promit au sieur Duranti', lors advocat du Roy, de lui
faire sçavoir le moyen qu'il y verroit. Sur cette espé-
rance, ils le laissèrent aller; revenu au Buset, il aver-
1. Jean-Etienne Duranti, célèbre magistrat toulousain, pre-
mier président en 1587, massacré dans une émeute en 1589.
1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 87
tit le capitaine Pasquet, qui commandoit dans la ville,
de la promesse qu'il avoit faite pour sauver sa vie.
Pasquet m'en avertit; je luy mande de faire que ce
sergent entretinst les ennemis, et qu'il luy adjoignist
quelque soldat bien asseuré et fidèle, qu'il diroit avoir
desjà pratiqué, mais, s'il luy estoit possible, qu'il luy
en falloit gagner jusques à trois pour se rendre
maistre d'un corps de garde; les ennemis entrent en
espérance de cette exécution, et demeurans en
méfiance de celuy qui la bastissoit, après plusieurs
pourparlers, ce sergent les asseure avoir gagné trois
soldats et luy; qu'eux quatre pouvoient se saisir d'un
corps de garde, qui estoit dans une tour, et leur don-
ner moyen de planter deux échelles.
Gela plut aux ennemis; mais, doutans, ils requirent
du sergent de faire voir cela de jour à deux hommes
qu'ils lui envoyeroient; le sergent le trouve bon, et
convinrent que les deux soldats des ennemis vien-
droient habillés en paysans, feignans de porter du lieu
d'où estoit le sergent quelques vivres pour lui : ainsi
arresté ainsi exécuté. Le gouverneur estoit averty de
tout ceci; le jour de l'exécution fut pris, et devoit
ledict sergent, le soir dont la nuit l'exécution se devoit
faire, faire voir à deux soldats des ennemis Testât de
la ville, et un des deux demeurer dedans, et l'autre
sortir quand on fermeroit la porte avec le sergent,
qui feindroit d'aller faire quelque partie, et sur une
heure ledict sergent avec le soldat dévoient aller trou-
ver le sieur de Cornusson, qui devoit estre dans une
église rompue, n'y ayant que les quatre murailles avec
trois cens hommes, pour de là venir planter les
eschelles au lieu où les trois hommes des nostres et
88 MÉMOIRES [Juin 1575
celuy des ennemis, qui estoit demeuré avec eux,
estoient en garde, et où le sergent et celuy qui estoit
avec lui les avoient veus ordonnés. Les ennemis
recherchoient ces seuretés d'avoir un homme dedans
la ville et un dehors qui leur fussent asseurés ; davan-
tage, ils vouloient avoir celuy qui faisoit l'entreprise
en leur puissance; néantmoins, sans ce qu'il avint, ils
estoient tous perdus. Nous avions fait faire sous cette
église une mine et une traisnée avec des petits canaux
de bois bien joints, qui, mis sous terre, venoient
répondre sur le chemin par où le sergent devoit pas-
ser en se venant rendre à eux, et y devoit mettre le
feu. Le jour pris, il arrive que le capitaine Pasquet,
allant à la guerre, fut pris et mené à Thoulouse, où il
fut condamné; pensant sauver sa vie, il leur déclare
nostre dessein, qui ne le sauva; mais il nous fit perdre
cette occasion : qui vous doit avertir d'estre toujours
douteux aux entreprises où il y aura des intelligences,
estant fort difficile d'y trouver de quoy s'asseurer
entièrement qu'en ne se commettant à ceux de qui
vous vous pensez servir pour tromper les autres ^
Je continuay à faire la guerre dans le pays de
Quercy jusques à ce que je tombay malade, sur la fin
de l'esté, d'une fièvre continue qui me dura bien seize
jours; je fus en grand danger, que je recognoissois
bien, et estois attiré à penser sérieusement à mon ame
et à l'autre vie, en quoy je ne trouvois que douter,
n'ayant le mérite de la mort de Jésus-Christ pour fon-
1. Voir, pour toutes ces petites opérations et les événements
locaux qui s'y rapportent, Y Histoire du Querci, par Cathala-
Coture, avec des pièces justificatives assez complètes, 3 vol.
in-8«>, 1785.
1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 89
dément de mon salut ; mes peschés et mes transgres-
sions paroissoient devant moy, mes œuvres sans
mérite, quoy qu'on m'eust dit qu'il y en avoit qui
aidoient à sauver; de sorte que ma condition estoit
fort misérable, et la perturbation de mon ame qui
augmentoit celle du corps; Dieu eut pitié de moy,
en faisant servir cette maladie pour me le faire
cognoistre.
La fièvre commença à me laisser, et tost après je
fus bien gyéry, ainsi que mon nature! y a toujours
esté porté, d'avoir esté bien tost abbatu et bien tost
remis. Durant ma maladie, mes gens de guerre se
trouvans sans estre employés, et les villes eslargies,
se laissèrent desfournir de leur entretenement, de
façon que les troupes de Poitou s'en allèrent, partie
des gentilshommes catholiques se retirèrent aussi en
Auvergne, d'où ils estoient pour la pluspart, qui est
à remarquer qu'audict Auvergne, au bas pays, ceux
de la Religion n'y tenoient rien. Les ordonnances du
Roy portoient confiscation de tous les biens de ceux
de la Religion, et de ceux qui avoient les armes en la
main pour eux; et néantmoins, ce pays-là m'estoit si
affectionné, et a tousjours tant aymé nostre maison,
qu'ils ne touchoient aux biens d'aucun, et laissoient
la liberté d'y aller et demeurer sans empeschement;
aussi n'ay-je jamais voulu qu'on y fist courses ny
autres prises. Me trouvant foible pour tenir la cam-
pagne, et se trouvant beaucoup de désobéissance aux
commandemens et ordonnances que je faisois dans
l'étendue du gouvernement, quoy que je ne les fisse
que par l'avis d'un conseil qui m'avoit esté donné par
toutes les provinces de personnes choisies, lesquelles
90 MÉMOIRES [1575
signoient les résultats avec moy et le greffier de ce
conseil les ordonnances et mandemens en matière
de finances; néantmoins, il s'en exécutoit fort peu : les
gouverneurs, les capitaines et les consuls des villes
tiroient à eux tout ce qu'ils pouvoient ; de sorte que
tous les deniers qui proVenoient de trois natures prin-
cipales de contributions, des biens ecclésiastiques et
des catholiques, et du dixiesme des rançons, tout cela
se dépensoit en chaque lieu, sans qu'on en portast
que fort peu au trésorier général; je fus^donc con-
seillé de faire un tour par le gouvernement pour m'y
faire recognoistre, avec ce, que ceux de Glérac ^ se
trouvans pressés, me prièrent d'aller à eux pour les
eslargir. Je fis un tour jusques à Turenne, voir ma
sœur, qui y séjourna jusques à la paix ; je m'en revins
à Montauban, d'où je partis avec près de deux cens
chevaux et deux cens hommes de pied ; je m'en vins
à Lauserte-, où je conduisois deux moyennes pièces
que j'avois fait fondre des mitrailles qu'on avoit
trouvées dans les forts que j'avois pris, lesquels j'es-
tois fort soigneux de faire serrer.
Le sieur de Vesins -^ sénéchal de Quercy, ayant avis
de mon partement, assembla près de quatre cens
chevaux et plus de douze cens arquebusiers, délibéré
de me combattre faisant mon chemin. J'eus avertis-
1. Clairac (Lot-et-Garonne), à 24 kil. de Marmande.
2. Lauzerte (Tarn-et-Garonne), arr. de Moissac.
3. Jean de Levezou de Vézins, seigneur du Rodier-Charry,
capitaine de cent hommes d'armes sous le marquis de Villars,
sénéchal du Quercy depuis 1576, l'un des plus intrépides soldats
du temps, surnommé « le brave Vesins, » tué en 1580, lors
de la prise de Cahors par les protestants sous le commande-
ment du roi de Navarre.
1575J DU VICOMTE DE TURENNE. 91
sèment par mes espions que ledict de Vesins venoit à
moy; mes coureurs, auxquels j'avois commandé de
jetter devant eux cinq ou six chevaux, me donnoient
avis qu'il paroissoit à l'aisle d'un bois esloigné de mon
chemin d'un bon quart de lieue; je commençay à
prendre mon ordre, qui fut de faire cinq petits batail-
lons de mon infanterie, de cent cinquante hommes
chacun, faisant le front large afin de faire moins de
rangs, d'autant que c'estoit tout arquebuserie ; et fis
quatre escadrons, trois de quarante chevaux chacun,
et le mien de plus de soixante ; je mis les deux pièces
à la teste. Pendant que je faisois cela, un prestre qui
me servoit d'aumosnier met un mouchoir au bout
d'une grande perche et rallie tous les valets et leur
fait faire une haye estant en bon ordre ; nous nous
prismes tous à rire, n'estimans pas que cela eust deu
servir comme il fit. Nous commençasmes à marcher
en bon ordre; Mons"^ de Renyés^, qui menoit mes cou-
reurs, dit que ce qu'ils avoient veu estoit des ennemis qui
paroissoient estre bien forts, mais qu'ils avoient changé
de place et s'estoient retirez. Nous continuons nostre
chemin sans allarme, s'estans lesdicts ennemis sépa-
rez, nous jugeans trop forts, et cela par cette dernière
troupe, dont Mons' l'Aumosnier estoit le capitaine.
Après avoir pourveu Lauserte, j'y commis Mons"" de
Beaupré avec une bonne garnison ; je m'en allay à Glé-
rac, trouvant estrange comment cette place s'estoit
conservée au siège que deux ans auparavant elle avoit
soustenu de toutes les forces de la Guyenne, où com-
1. Ce gentilhomme, nommé aussi Régnier, avait été sauvé
de la mort par Vézins à la Saint-Barthéleray; il commandait,
pour les protestants, la petite place de Villemur.
92 MÉMOIRES [1575
mandoient Messieurs de Montluc, de La Valette et de
Losse^ ; n'y ayant de fossé qu'à cloche-pied, on pouvoit
descendre et monter, point de rempart ny moyen d'y
en faire, des murailles de briques, si mauvaises
qu'avec moins de quatre cens coups de canon on en
rasa plus de six-vingt pas, un grand fauxbourg où les
assiégeans s'estoient logés d'abord, et leur artillerie,
sans avoir besoin de faire aucunes approches ny
tranchées ; ils avoient quelques forts qui les empes-
choient, je les pris; de là je partis pour aller à Cas-
teljaloux- (Nérac ne faisant la guerre) ; le jeune Duras,
nommé Rosan^, commandoit audict Gasteljaloux ; sça-
chant que j'y allois, il en part; mes mareschaux de
logis y estans allés, on leur refuse la porte, disans ne
la pouvoir ouvrir à personne sans commandement
du gouverneur. Cette response faite, je vais prendre
mon logis à la maison du sieur de Malverade, et man-
day à ceux de Gasteljaloux d'avertir ledict Rosan de
mon séjour audict Malverade, pour sçavoir s'il ne vou-
loit pas me recognoistre et recevoir dans ledict Gas-
teljaloux, l'asseurant que je n'y changerois rien,
comme aussi n'en avois-je aucune intention. Après
deux jours de séjour, j'eus un refus; je vins à Gau-
mont* et de là à Bergerac^, puis à Turenne, où lost
après j'eus des nouvelles de Monsieur, qui continuoit
à chercher l'occasion de sortir de la Gour. Mons"^ de
1. Jean de Losses, seigneur de Beaulieu en Périgord.
2. Gasteljaloux, dans le Bazadois (Lot-et-Garonne).
3. Jean de Durfort, sieur de Rozan, ou Rauzan, vicomte de
Duras, capitaine catholique.
4. Caumont, cant. du Mas-d'Agenais (Lot-et-Garonne), à
8 kil. de Marmande.
5. Bergerac, ch.-l. d'arr. de la Dordogne.
Août 1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 93
La Noue et moy nous tenions en bonne intelligence,
ayans le mesme avis de l'intention de Monsieur; nous
avisasmes de nous mettre ensemble, et nous don-
nasmes rendez-vous près de Riberac, afin d'estre un
bon corps pour aller joindre Monsieur^.
Le rendez-vous donné, nous n'y manquasmes et
fismes plus de six cents bons chevaux et trois mille
arquebusiers; nous nous tinsmes ensemble quelques
jours pour avoir nouvelles de la sortie de Monsieur.
Nous sceusmes qu'il avoit esté découvert, le sieur de
Bussy d'Amboise fugitif; afin de donner quelque cou-
leur à nostre conjonction, nous vinsmes attaquer une
petite place où il y avoit quatre ou cinq maisons de
gentilshommes et la ville fermée, où il y avoit assez
bon nombre d'hommes ; nonobstant nous emportasmes
la ville d'emblée et deux chasteaux, et deux autres
se rendirent. Le sieur Langoiran- se mescontenta,
désirant piller ces maisons et rançonner les gentils-
hommes, à quoy je ne voulus consentir; il tint
quelques propos qui sembloient m'offenser ; je les lui
fis expliquer, de façon qu'il a tousjours demeuré
jusques à sa mort qu'il ne m'aymoit guères ; aussi ne
cherchois-je pas son amitié, pour un des plus cruels
et irréligieux hommes de son temps. Ayans pris ces
places, nous nous séparasmes, Mons"" de La Noue et
moy, et m'en retournay à Turenne, d'où je repartis
bientost pour m'en aller à Montauban.
La nourriture que j'avois prise en la Religion
romaine, ces exercices et cérémonies publiques, la
1. Le duc d'Alençon ne parvint à s'échapper de la cour que
le 18 septembre 1575.
2. Montferrand, baron de Langoiran.
94 irÉMOIRES [Sept. 1575
haine qu'on portoit à ceux de la Religion, l'éloi-
gnement à tous honneurs et dignités de la Cour se
présentèrent devant moy, qui taschois à satisfaire
mon ame en luy faisant trouver du repos, en se pro-
mettant de pouvoir faire son salut sans quitter la
messe et sans faire ouverte profession de la Religion.
Ainsi que j'estois sur ces contestations. Monsieur sort
de la cour, et soudain dépesche le sieur de Chastelus '
pour m'en avertir, me priant et conjurant de l'aller
trouver, me promettant une continuation et augmen-
tation de son amitié, en m'exhortant de ne me point
faire de la Religion, en me déclarant qu'il ne me pour-
roit aymer ny se servir de moy ainsi qu'il le désiroit.
Sa sortie me fut une grande joye et espérance de
croistre ma condition; mais ces protestations sur le
fait de la Religion m'estoient un grand combat; je
redepeschay le sieur de Chastelus avec les témoignages
de ma joye de le savoir hors de péril et les armes en
la main; que je serois bien tost à luy avec un bon
nombre de serviteurs; que, pour ma Religion, cela
ne dépendoit de moy, mais de Dieu ; que je n'avois
dessein de contenter personne au monde tant que luy.
J'eus en moins de quinze jours trois ou quatre
dépesches de luy, me conjurant de ne faire protesta-
lion que je l'eusse veu : ce que je taschois de faire.
Je séjournay à Montauban fort peu de temps, ayant
desjà fait diverses dépesches partout pour convier un
chacun à faire le voyage pour aller trouver Monsieur,
qui attendoit l'armée que Mons"" le prince de Condé
et mes oncles de Méru et de Thoré avoient négociée
1. Philippe de Chastelus, vicomte d'Avalon.
Oct. 1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 95
près Mons'' l'électeur Frédéric, grand-père de celuy
qui est maintenant aussi appelé Frédéric, laquelle
estoit de sept à huict mille chevaux allemans, quatre
mille Suisses et cinq cens lansquenets; le duc Jean-
Casimir S son fils, envoyé pour la commander, ne
pouvant estre si tost prest, mon oncle de Thoré vou-
lut s'avancer d'un mois avec douze cens chevaux
reistres, quelques arbusiers à cheval et près de trois
cens chevaux François ; il fut combattu et défait près
de Dormans^, sur la rivière de Marne, par feu Mons"^ de
Guyse^, où il eut le grand coup d'escoupette au
visage ; Mons'^ de Thoré se sauva et alla trouver Mon-
sieur avec peu de gens et moins de réputation, auprès
duquel il trouva le sieur de Bussy d'Amboise^, qui
l'empescha de prendre le crédit et authorité qu'il s'es-
toit promis.
Je donne mon rendez-vous à Bergerac, partant de
Turenne pour m'y en venir plustost de quelques jours
que je n'eusse fait, ayant esté appelé par ceux de la
1. Jean-Casimir, quatrième fils de Frédéric III, duc de
Bavière. Il avait été élevé en France, à la cour de Henri II. Il
amena plusieurs fois des troupes allemandes en France au
secours des huguenots et mourut, en 1592, à cinquante-
six ans.
2. La bataille de Dormans est du 10 octobre 1575. L'armée
allemande, commandée par Thoré, était entrée en France sans
attendre Casimir de Bavière.
3. Henri de Guise, à la suite de cette victoire, reçut le sur-
nom de Balafré.
4. C'était « le brave Bussy, » dont a tant parlé Brantôme; il
était grand favori de Monsieur. Nous avons dit qu'il s'appelait
Louis de Clermont. Il sera parlé plus loin de son frère Georges,
baron de Bussy.
96 MÉMOIRES [1575
ville, qui avoient chassé le sieur de Langoiran^ pour
les rigueurs et cruautés qu'il y exerçoit, lequel avoit
pris Périgueux quelques mois auparavant : offensé
desdicts de Bergerac, il les tourmentoit; je m'y en
allay, où je fis cesser la voye de fait, et remettre les
faits des uns et des autres devant Monsieur. De tous
costés, nos troupes s'amassoient de catholiques romains
et de la Rehgion; il vint des pluyes si grandes
qu'elles me retardèrent, près de trois semaines, à par-
tir plus tard que je n'eusse fait, durant lesquelles je
pourveus aux places et à l'ordre des finances, afin
que durant mon absence rien ne se changeast, soit
par les ennemis, soit par les brouilleries qui sont
ordinaires entre personnes volontaires.
Je pars de Bergerac avec deux cens gentilshommes,
n'y ayant cornette que la mienne, sous laquelle tout
cela marchoit, ayant chacun fait faire une casaque de
velours noir et une petite manche en broderie d'incar-
nat blanc et noir. Le retardement que je fis fut cause
que je ne pus joindre Monsieur jusqu'à Moulins; ceux de
Limosin, la Marche, Auvergne et Bourbonnois m'atten-
doient, lesquels je joignis près de Croc% où je mis mes
troupes, qui estoient de quatre cens gentilshommes
et trois mille hommes de pied, desquels je donnay le
commandement au vicomte de Lavedan et fis arborer
une enseigne blanche. J'avois en ce nombre de gen-
tilshommes trois de la maison de Saint-Geniez, le
1. Langoiran, piqué de ce qu'on lui enlevait le gouverne-
ment de Périgueux, quitta le parti protestant en 1577.
2. Crocq, très ancienne petite ville d'Auvergne (Creuse), à
18 kil. d'Aubusson, fief de la vicomte de Turenne.
1575] DU VICOMTE DE TURENNE. 97
vicomte de Gourdon\ de Gabraires-, baron de Bey-
nac^, de Salignac*, le cadet de la maison de Limeuil, le
sieur de Bonneval^, de Beaupré^, de Montguyon, qui
tous marchoient, ainsi que j'ai dit, sous ma cornette;
et est à remarquer que tout cela se fit par la bienveil-
lance qu'on me portoit, la bonne opinion qu'ils avoient
de mon mérite, et que je ferois fortune près de Mon-
sieur; ce que je jugeois bien au contraire, à cause
que m'étois fait de la Religion. Ayant sceu que j'avois
créé un colonel et arboré une enseigne blanche, il
envoya me prier de ne le faire point, d'autant qu'il
avoit donné la charge de toute son infanterie fran-
çoise au sieur de Bussy, qui ne pourroit souffrir de
voir un autre colonel et deux drapeaux blancs; que
ce seroit apporter une grande division. Je luy remons-
tray qu'il y avoit un ordre parmy le party où nous
estions; que les charges générales ne s'y donnoient
que par les avis des assemblées politiques des églises ;
que les troupes que je menois partoient d'un des
premiers gouvernemens de France, qui auroit du
1. Gourdon était capitaine de cinquante hommes d'armes et
commandait à Cahors pour le roi de Navarre.
2. Jean de Gontaut, seigneur de Cabrères, chevalier de
l'ordre.
3. Jean de Gontaut, baron de Salignac, sans doute le même
que nous retrouverons plus loin.
4. François de Bonneval, seigneur de Blanchefort, plus tard
gentilhomme de la chambre du roi de Navarre.
5. Bernard de Montaut, baron de Bénac, gentilhomme péri-
gourdin, sénéchal de Bigorre, parent de Turenne, qui eut,
en 1609, une aventure dont parle Marguerite de Valois. (Voir
Mémoires et Lettres, publiés par M. Guessard pour la Société
de l'histoire de France, in-8°, 1842, p. 444 et 445.)
6. Chi'étien de Choiseul, baron de Beaupré, mort en 1593.
7
98 MÉMOIRES [Mars 1576
mescontentement de Monsieur et de moy s'il rompoit
nos réglemens sans leur consentement; que je per-
drois la meilleure part de cette infanterie par la honte
qu'on feroitau sieur de Lavedan\ qui y avoit du cré-
dit, en luy ostant le commandement; que j'avois tous-
jours aymé et honoré Mons'^ de Bussy comme mon
frère, l'ayant assisté en diverses querelles qu'il avoit
eues; que je croyois que, par ces raisons générales,
il se départiroit de demander choses qui fussent au
préjudice de Monsieur, qui avoit besoin de prendre
créance parmy ceux de la Religion, en leur faisant
cognoistre qu'il ne vouloit pas préférer les catholiques
à eux : ce qu'ils croiroient d'autant plus que ce seroit
aux troupes que je luy meine auxquelles on auroit
fait cela; un chacun estimant et croyant qu'il me fai-
soit cet honneur de m'aymer, conclueroient que ce
seroit à cause de la Religion.
Je marchay droit à Moulins et trouvé le duc Casi-
mir logé à Bonegon-, où je le saluay ; il fut bien aise
de me voir, et se conjouit de la grâce que Dieu m'avoit
faite de m'appeler à sa cognoissance ; il avoit de la
méfiance de Monsieur, qui commençoit desjà de trai-
ter avec le Roy et la Reyne pour se réconcilier, et
voyoit-on que la Cour estoit bien plus plaisante à ce
prince que les armes, et dans un party où son autho-
1. Anne, chef d'une branche bâtarde de Bourbon, vicomte de
Lavedan, qui mourut en 1594.
2. Les Mémoires de la Hu guérie rapportent bien la venue du
vicomte de Turenne à Moulins et sa rencontre avec le duc Casi-
mir; mais ils n'indiquent point le lieu où logeait le prince
allemand; et nous n'avons pu découvrir ce « Bonegon, » qui
est pourtant indiqué par toutes les leçons.
Mars 1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 99
rite n'estoit absolue, de façon que ledict duc Casimir
s'asseura en moy, qui avois ce bon corps de forces
qui en dépendoit^. Monsieur s'estoit logé à Moulins
avec le gré du Roy. Ainsi que j'en fus à six lieues
près, je laisse le corps des troupes, et prends ce que
j 'avois de plus leste, et m'en vins faire la révérence
à Monsieur avec trois cens gentilshommes^, j'en fus
receu avec grand honneur, estant venu jusques au
milieu de la salle au devant de moy; après avoir esté
quelque peu avec luy, je m'en allay voir Mons'^ de
Montmorency, que le Roy avoit fait sortir avec un
arrest d'innocence ; il fut fort aise de me voir, se sou-
venant des dangers qu'il avoit courus depuis que je
l'avois voulu détourner d'aller au bois de Vincennes,
et me dit que Monsieur prenoit un mauvais conseil
en nourrissant de grandes méfiances à ceux de la
Religion, et qu'il luy tardoit fort qu'il ne fut réconci-
lié avec le Roy.
Je demeuray près de dix jours, durant lesquels
ma maison et table fournit à tout ce qui estoit avec
moy, sans ceux de la suite de Monsieur, qui venoient
manger avec moy. L'armée cependant passe la rivière
de Loire et s'achemine en la Beausse, en partie contre
le gré de Monsieur, qui ne vouloit s'approcher si
1. On lit dans la relation de l'ambassadeur vénitien Jérôme
Lippomano, qui était en France en 1576 et 1577 : « Le vicomte
de Turenne, cousin de Montmorency, a la réputation d'un
vaillant chevalier, très entreprenant; il a des partisans à sa
suite autant qu'il veut. » (Tomaseo, Relations des ambassa-
deurs vénitiens, t. II, p. 645.)
2. Les Mémoires de la Huguerie (t. I, p. 391) disent que
« le sieur vicomte de Tureyne arriva avec deux mille harque-
buziers et trois cens chevaux. » C'était au mois de mars 1576.
iOO MÉMOIRES [1576
près de Paris, de crainte d'offenser le Roy, et aussi
que l'on ne recognust sa foiblesse, à ce que ceux de
la Religion ne se rendissent plus difficiles lors qu'on
viendroit à traiter; nonobstant, Mons"^ le prince, avec
les François qui s'estoient joints à eux, et le duc Casi-
mir, ne laissent de s'avancer, et supplient Monsieur
de les aller joindre, ce qu'il retardoit de jour à autre,
de sorte qu'on avoit avis que son traité s'en alloit fait.
Ils luy font une dépesche par laquelle ils luy mandent
les avis qu'ils avoient, et qu'ils estoient résolus que,
s'il ne se rendoit dans l'armée dans certains jours
qu'ils luy limitoient, qu'ils aviseroient ce qu'ils auroient
à faire sans plus s'attendre à luy.
Cette nouvelle le fascha, n'ayant encore rien de
résolu avec le Roy, qui sçavoit bien que s'il le voyoit
seul et séparé de ceux de la Religion, qu'il ne feroit
guères sa condition avantageuse, ny mesme guères
seure, y ayant entre ces frères une grande haine et
méfiance. Monsieur attendoit des nouvelles de la Reyne
sa mère, à laquelle il s'estoit obligé qu'on n'attente-
roit rien, et qu'il ne partiroit de certains jours de
Moulins; il ne sçavoit comment satisfaire à cela et
retenir les autres. M'exposant un jour partie de ses
peines, en me taisant sa promesse à la Reyne; se plai-
gnant de ce qu'on le gehennoit ; qu'il ne voyoit rien
à entreprendre quand il seroit dans l'armée, estant
bien asseuré que le Roy n'ayant point de forces
capables de les opposer aux siennes, qu'on ne faisoit
que ruiner la France par les dégasts que faisoit
l'armée, dont il s'attiroit une grande haine sur luy,
qui pourroit quelque jour luy estre fort dommageable ;
que la maison de Guyse se prévaudroit de tout cela,
1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 101
qui taschoit à le supplanter ; qu'il désiroit fort gagner
encore quelques jours, dans lesquels il verroit plus
clair aux affaires du Roy, ne devant ceux de la Reli-
gion entrer en doute qu'il les voulust abandonner. Je
luy dis qu'il me sembloit estre de sa sagesse à dissi-
muler les choses qu'il avoit dit le gehenner; que, puis
qu'il avoit pris les armes en suite des mauvais traite-
mens qu'il avoit receus, que fort difficilement le Roy
volontairement le voudroit-il mieux traiter ; qu'il fal-
loit asseurer sa condition en asseurant celle de ceux
de la Religion; que de penser de le faire séparément,
qu'il estoit aisé à juger que ceux de la Religion le
feroient mieux sans luy que luy sans eux, qui avoient
un party formé, une armée estrangère à leur faveur;
que luy n'avoit rien de tout cela, que quand on luy
auroit promis quelque chose, qu'entre la promesse et
l'exécution qu'il y falloit assez de temps pour ne rien
exécuter de ce qu'ils luy auroient promis, leur ayant
donné cet avantage de le voir séparé ; que je croyois
que si on l'entretenoit dans des espérances que je ne
cognoissois pas, que ce deust estre l'avantage du Roi
de traiter séparément, d'autant qu'il pouvoit de beau-
coup servir à modérer les conditions auxquelles ceux
de la Rehgion estoient entrés vers les Allemans, et
qu'il luy estoit plus expédient de se jetter dans
l'armée. Il me monstra ne désapprouver mes raisons;
mais qu'il ne pouvoit partir de quinze jours, lesquels
il vouloit par tous moyens gagner. Là-dessus, je
m'offre à luy faire ce service que d'aller trouver
Mons"" le prince et Mons"" le duc Casimir, afin de les
contenter et leur faire trouver bon ce délaya. Je con-
1. Ce ne fut pas chose facile que de décider Jean-Casimir à
102 MÉMOIRES [1576
sidérois que si Monsieur venoit à traiter, qu'il n'estoit
plus expédient d'estre avec luy, mais dans le corps de
ceux de la Religion, où j'ay tousjours voulu faire ma
condition ; qu'il m'estoit plus honorable de me trou-
ver dans l'armée avec ces belles troupes, à moy qui
commençois à monstrer de la barbe, désirant d'acqué-
rir réputation et créance, jugeant bien que je n'avois
pas à attendre beaucoup de Monsieur. Je pars avec
quinze ou vingt gentilshommes avec lettres et instruc-
tions, et charge d'asseurer ce délay, et renvoyé tout
ce qui estoit avec moy joindre mes troupes, pour les
faire avancer vers Pluviers \ où se devoit rendre
l'armée.
Je trouve le duc Casimir à Saint- Vrin^, petite ville
qu'il avoit forcée; après l'avoir salué de la part de
Monsieur et présenté la lettre qu'il luy escrivoit, qui
n'estoit que créance, je luy dis succintement quelque
chose de ce dont j'estois chargé, le suppliant trouver
bon que j'allasse rendre mes lettres à Mons' le prince
et le réconcilier, je dis convier de se rendre où le duc
aviseroit pour luy faire entendre ma créance. Il trouva
cela bon et convia Mons"^ le prince de venir disner le
lendemain avec luy. J'allay donc rendre mes lettres
la paix. Son lieutenant, Beutterich, le prince de Condé et
Turenne s'y employèrent, tandis que le duc d'Alençon, d'ac-
cord au fond avec la reine mère, faisait le malade et refusait
de se montrer. [Histoire universelle de d'Aubigné, t. V, p. 18;
Mémoires de la Huguerie, t. I, p. 398 et suiv., et aussi l'acril
contemporain intitulé : Recueil des choses jour par jour ave-
nues en l'armée du prince de Condé, i^Jl , in-12.)
i. C'est par ce nom qu'on désigna pendant deux ou trois
siècles la ville de Pithiviers, ch.-l. d'arr. du Loiret.
2. Saint-Vrain (Marnej, à 18 kil. de Vitry-le-François.
Avril 1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 103
et ma créance à Mons"^ le prince', que j'estendis plus
que je n'avois fait au duc, d'autant que j'estimois que
les considérations dudict prince seroient autres que
celles du duc pour le bien de la France et celuy par-
ticulièrement des églises, quoy que ledict duc et par
soy, mais aussi principalement par les commande-
mens et instructions que Mons" son père luy avoit
données, de ne regarder à nulle chose tant qu'à la
gloire de Dieu et à l'établissement de son service;
néantmoins, s'agissant des affaires entre les François,
j'estimois plus à propos d'en instruire mondict sieur
le prince, auquel je dis que Monsieur m'avoit com-
mandé ; j'y ajoustay les avis de ceux qui estoient près
de luy de la Religion, qui estoient qu'ils dévoient
empescher que le duc Casimir ne traitast pour luy,
sur la méfiance qu'il avoit de Monsieur, lequel ils
dévoient tascher d'attirer en l'armée, où ils dévoient
essayer d'entreprendre quelque chose sur les troupes
du Roy, afin de faire cognoistre que tout ce qu'ils
traiteroient avec Monsieur sans le général ne seroit
que peine perdue, ne pouvant rien effectuer à leur
préjudice. Et là fut résolu que le lendemain on iroit
trouver le duc Casimir, et conduiroit-on la résolution
qui s'y prendroit à ces avis.
Le lendemain, la chose passa ainsi qu'elle avoit
esté projetée près Mons'^ le prince, et fut despesché
le sieur Du Verger, de la maison du Saillant, de
Limousin, qui estoit avec moy, pour luy porter les
prières qu'on luy feroit de s'en venir et l'asseurance
1. Le prince de Condé venait de traverser, avec des merce-
naires, la Lorraine, le Bassigny, la Bourgogne, le Bourbon-
nais, sans combattre, mais en désolant et épuisant le pays.
104 MÉMOIRES [Avril 1576
qu'on luy donnoit de recevoir toute obéissance en
l'armée. On eut avis que le sieur de Schomberg, avec
quatre cornettes de reistres et quelques arquebusiers
à cheval s'estoient avancés dans la Beausse. Mons"" le
prince, par l'advis de.Mons"^ de La Noue, dessigna de les
surprendre en leur logis. A cet effet, Mons"" le prince
prit deux mille chevaux reistres et trois à quatre
cents chevaux françois; je n'avois nul esquipage ny
armes. Voyant cette occasion, je suppliay Monsieur
par ledict Du Verger de n'avoir désagréable que je
m'y trouvasse; nous empruntasmes armes et chevaux.
Au rendez-vous, qui avoit esté donné à onze heures
du soir, il y eut des troupes qui se firent attendre plus
de quatre heures, lequel retardement fut une des prin-
cipales causes de faillir nostre dessein.
Les troupes arrivées, on ordonne de l'ordre de
marcher. Mons'^ le prince me commanda de me mettre
à la teste et me donna six-vingt chevaux et cent
arquebusiers à cheval; il mit Mons"" de La Noue avec
deux cornettes de reistres, qui faisoient six cens che-
vaux, et quelques François; et luy se mit après le
reste. Nous marchasmes droit à Briarre^ en Beausse,
où il y a un petite rivière qui fait un guay assez long
qu'il nous falloit passer à la file, qui causa encore de
la longueur. Ainsi que j'eus passé le guay, je ne fis
que faire peu de chemin que j'entendis les trompettes
des ennemis à l'estendart; j'en donne avis à Mons"" le
prince et luy mande que je m'avançois pour le tenir
mieux averty, que s'il luy plaisoit de me fournir
davantage afin que, si c'estoit le gros du seigneur de
1. Briarres-sur-Essonnes (Loiret), à 16 kil. de Pithiviers.
Avril 1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 105
Schomberg', je peusse ramuser et l'empescher de se
retirer. Mons'" de La Noue s'en vint me trouver seul et
me dire qu'il falloit attendre que Mons"" le prince eust
passé ; en faisant ce qu'il me disoit, je ne laissois pas de
contester que l'occasion se perdroit en donnant aux
ennemis le loisir de faire leur retraite, qu'ils ne des-
logeoient que sur l'avis qu'ils avoient de nous que
l'heure qu'il estoit nous devoit rendre certains, n'es-
tant que la pointe du jour; je persiste qu'au moins
devoit-on ordonner quelques troupes pour voir ce
que c'estoit et nous tenir avertis des mouvemens et
chemins desdicts ennemis. Rien de cela ne pleut
audict sieur de La Noue, ayant cru qu'il y avoit un
peu de jalousie de ce que c'estoit à moy, qui avois la
teste, à exécuter ces desseins. Ce gentilhomme, plein
de courage, a esté remarqué souvent d'avoir eu des
jalousies.
Mons"" le prince passé, le jour estant grand, on se
met en ordre et en délibération de marcher en gros,
sans qu'on s'avançast que fort peu devant Mons'^ le
prince. Comme nous eusmes fait près de demie lieue,
nous arrivasmes d'où ils estoient deslogés; il n'y eut
moyen de les rejoindre. Je suppliay Mons"" le prince
de trouver bon que je m'avançasse pour voir s'il n'y
auroit point quelques autres troupes; ce qu'il fit. Je
• me sépare, et se mirent avec moy environ deux
cents chevaux; Mons' le prince alla loger; comme
j'eus fait deux lieues, j'eus avis par des païsans qu'il
1. Gaspard de Schomberg, capitaine allemand, rallié au
parti royal, colonel général des « bandes noires » après la
bataille de Montcontour, venait de se signaler à Dormans.
106 MÉMOIRES [Avril 1576
y avoit une compagnie du jeune Tenance^ de chevaux
légers et quelques arquebusiers à cheval qui ne fai-
soient que desloger et s'en alloient vers Estampes,
où le Roy avoit jeté le capitaine Sainte-Colombe avec
deux mille hommes -de pied. Je me mets sur leur
piste; enfin, nous les abordasmes sans aucun combat;
il fut desfait, nous repeusmes en quelques métairies,
et, sur le soir, allasmes trouver Mons"^ le prince et
luy dire nostre course, et, sur l'avis que nous luy don-
nasmes que des forces estoient entrées à Estampes, il
résolut de les aller voir; le lendemain, nous mar-
chasmes en mesme ordre que le jour précédent. Le
sieur de La Vergue, qui venoit joindre l'armée avec
quinze ou dix-huit chevaux, sans commandement,
s'avance et donne dans le fauxbourg d'Estampes, sans
sçavoir ce qui estoit dedans, et trouva de l'infanterie
logée, qui le rechassa bien viste, ayans des arquebu-
sades. Je m'avance et ne voulus loger ny descendre
dans le fauxbourg, plein de maisons et d'arbres dans
un valon; je m'avance sur le haut et vois ledict de
La Vergue s'en venir à toutes brides, accompagné
d'arquebusiers ; je le recueille et fismes arrester ce qui
le suivoit. Mons' le prince, voyant ne pouvoir rien
faire, alla loger, et, le lendemain, eut des nouvelles
de Monsieur, qui s'en venoit joindre l'armée ; et moy,
du lieu où estoient mes troupes, que je m'en allay
joindre afin d'entrer avec elles dans le corps de
l'armée.
Monsieur vint prendre son logis à l'abbaye de Fer-
1. Christophe de Tenance, baron de Champignolles, plus
tard chevalier de l'ordre du roi.
Avril 1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 107
rières* et moy au chasteau du Boulé ^ ; je vins trouver
Monsieur, et sceus qu'il auroit agréable de voir mes
troupes le lendemain, où j'avois mon colonel et mon
drapeau blanc^. Le sieur de Bussy supportoit cela
avec grande peine de faire partie qui fust assez forte
pour moy; il ne pouvoit endurer cela, son courage et
son ambition ne le pouvoient supporter. Le lendemain
venu, je vais me mettre en bataille à mille pas de Fer-
rières, où j'allay avec une bonne troupe trouver Mon-
sieur, qui monta à cheval, et Bussy non; mes troupes
furent trouvées très belles comme elles estoient;
ayant receu le bon soir de Monsieur, nous acheminans
vers nos quartiers, qui estoient à Saint-Mathurin et à
la Ghappelle-la-Reine^, j'eus avis que Bussy vouloit
monter à cheval et tascher de faire quelque surprise à
nostre infanterie en logeant. Je fis alte et rebroussai
1. La célèbre abbaye de Bénédictins, aujourd'hui Ferrières-
Gâtinais (Loiret), à 13 kil. de Montargis.
2. Le Boulay, comra. de Souppes, cant. de Château-Landon.
3. On lit, dans les Mémoires de M™® de Mornay : « Il y
avoit lors un différend entre Mons"" de Turenne et Mons"" de
Bussy et l'ai^mée, qui y apportoit, pour la qualité des conten-
dans, grande division; le s'' de Bussy estoit colonel général
des troupes de Monseigneur, auquel appartenoit de porter
l'enseigne blanche; Mons'' de Turenne avoit amené de belles
troupes d'infanterie de Guienne, que les églyses lui avoient
mises en main, avec une enseigne blanche que le s"" de Bussy
prétendoit autre ne pouvoir porter que luy; Mons"" de Turenne,
au contraire, que l'enseigne qu'il avoit receue, comme toutes
autres, étoit sacrée, laquelle il estoit tenu rendre telle qu'il
l'avoit reçeue, et Monseigneur inclinoit vers le s' de Bussy.
La paix survint, laquelle faitte, les trouppes de Mons"" de
Turenne se retrouvent mal contentes. » (T. I, p. 106 et 107.)
4. La Chapelle-la-Reine, petite ville du Gâtinais, à 14 kil.
de Fontainebleau (Seine-et-Marne).
108 MÉMOIRES [Mai 1576
chemin quelque espace; n'ayant trouvé ni veu per-
sonne, je m'en allay loger. Alors, on commença le
pourparler de la paix ouvertement; la Reyne deman-
dant un lieu pour voir Monsieur, l'armée commença à
s'approcher de la vallée d'Aillan. Après quelques
allées et venues, on convint du lieu de Ghastenay^
pour se trouver, la Reyne et Monsieur, qui est une
maison seule, dans une belle campagne, pour estre
hors de moyen de faire une surprise.
La Reyne mère, le jour pris, se rendit la première
à Chastenay, ainsi qu'on a accoustumé, que, deux
grands venans à se voir, celuy auquel on défère l'hon-
neur est le premier au lieu désigné. Ce jour se passa
en complimens et à entretenir les dames; le lende-
main, on commença à traitter. Le traitté, en trois ou
quatre jours, fut fort avancé, le Roy et la Reyne ne
voulans que retirer Monsieur, congédier les reistres
et, tost après, rompre le traitté qui donnoit générale
liberté pour l'exercice de la Religion et autres condi-
tions fort avantageuses; à Monsieur un grand appa-
nage, auquel je me présentay pour avoir en gouver-
nement l'Anjou et le Rerry. Il me fît une fort froide
réponse, qui me fit bien juger que je n'avois rien à
attendre à cause de ma Religion ; ayant fait quatre ou
1. Chastenay (Yonne), arr. et à 24 kil. d'Auxerre. — C'est
le 26 avril 1576 que la reine mère partit de Paris pour aller
trouver Monsieur et arrêter définitivement les conditions de
la paix. Son quartier général fut Sens; mais c'est au camp
d'Estigny que les accords furent signés, le 6 mai, par Catherine
de Médicis, le duc d'Alençon, le prince de Condé et le duc
Casimir. La première entrevue seulement avait eu lieu dans
la petite ville de Chastenay. (Voir Lettres de Catherine de Médi-
cis, t. V, p. 192.)
Mai 1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 109
cinq logis sans aller en son quartier, tenant tousjours
quelqu'un près de luy pour cognoistre si la résolution
seroit du tout arrestée à ne me donner contentement,
luy faisant sçavoir que, quand il me commettroit
quelque chose entre mains, qu'il n'en seroit jamais
desservy, et que, le voulant retirer, qu'il le pourroit,
ayant eu tousjours ceste maxime, que de ce qu'un
autre s'est fié de vous, que, pour raisons publiques
ny particulières, on ne les en doit Truster, mais les
remettre où elles estoient devant que vous estre com-
mises. Tout cela ne fit rien, me faisant sonder si je
voulois changer de Religion. Moins éclairci de la vraye
cause de ma défaveur, laquelle les obligeoit et asseu-
roit de moy, je fus conseillé de prendre un adieu par
un manifeste mescontentement^
En ce temps-là, les divisions des frères du Roy, de
Navarre, de ceux de Guyse, de ceux de la Religion
faisoient suivre une liberté de se mescontenter faci-
lement, ayant facilité un chacun de recouvrer un
maistre lorsqu'on en perdoit un; et, aussitost qu'on
voyoit quelqu'un mal content, il ne manquoit d'estre
recherché d'autre part.
Cela, mais principalement de donner à ceux de la
Religion preuve de ma constance par le refus de tous
honneurs au préjudice de ma Religion, me fit aller
trouver Monsieur en son quartier avec trois ou quatre
cents gentilshommes ou capitaines. Après qu'il fut
1. Sans doute, Turenne parle du feu roi Antoine de Bourbon,
qui, en dehors de son fils unique Henri de Navarre, avait deux
frères : le prince de Condé, qui combattait à la tête des pro-
testants, et le cardinal de Bourbon, bon catholique, le futur roi
de la Ligue.
HO MÉMOIRES [Mai 1576
levé de table, je luy fis une grande révérence, le sup-
pliant d'avoir agréable que je luy fisse souvenir du
temps qu'il y avoit que je l'avois servy, comme,
durant ce temps, je n'avois respecté ce que je devois
à mon Roy, à ma vi.e, ny à mon bien que je ne m'en
fusse départy pour le servir; ce qui m'avoit éloigné
des bonnes grâces du Roy, mis plusieurs fois ma vie
en péril, mon bien en diminution, pour n'avoir jamais
receu aucun bienfait de luy^ ; qu'à ceste heure que je
l'avois servy et que tant de seigneurs et gentils-
hommes qu'il voyoit là, m'ayant accompagné, que
nous fussions les seuls qui auroient eu plus de part
en sa mauvaise fortune et point du tout en sa bonne ;
que malaisément cela se considéreroit sans y remar-
quer plus d'ingratitude que de manquement de mérite
en nous, qui servirions d'exemple à plusieurs et de
preuve à ceux de la ReHgion qu'ils n'avoient rien à
espérer de luy, estant aisé à juger que la profession
que j'en avois faite estoit le seul obstacle de la distri-
bution de ses honneurs en ma personne, que je sça-
vois estre recognue de tout autre mérite et qualité
envers luy que quelqu'un de ceux que je voyois près
de luy, à qui il destinoit des récompenses plus qu'il
n'en méritoit (voulant dessigner Mons"^ de Saint-Sul-
pice) ; que j'aymois mieux me plaindre de mon
1. Cette assertion est difficilement conciliable avec une pièce
que nous trouvons dans Y Histoire généalogique de la maison
d'Auvergne, par Christofle Justel (Paris, 1645, in-8°. Preuves,
p. 261) : « Nomination, par François d'Alençon, du vicomte
de Turenne comme gouverneur du pays et duché de Touraine, »
datée de Joigny, le 14 mai 157G. Cependant, il ne semble pas
que Turenne ait jamais pris possession de ces fonctions.
Mai 1576] DU VICOMTE DE TURENNE. Hl
malheur en sa mécognoissance que si je luy avois
fait la moindre faute; que je venois prendre congé de
luy pour me retirer en Guyenne avec tous ceux qu'il
vo voient là, qui témoignoient combien ils jugeoient
mon mescontentement juste et leurs espérances mal
fondées au service qu'ils luy avoient voué. A cela, tout
ce qui estoit avec moy monstra un consentement et
plusieurs qui estoient avec Monsieur, qui me dict
estre fort marry de mon départ; que je prenois ce
mescontentement volontairement, qu'il m'avoit tous-
jours aymé et m'aymeroit; que ceux qu'il vouloit
gratifier s'estimoient dignes de ses bonnes grâces. Sur
quoy je repars, luy disant que si, hors de sa pré-
sence, ils me faisoient congnoistre qu'ils eussent pensé
en rien s'égaler à moy, que je le ferois mourir. Je
m'avance et luy fais une révérence et commence à
sortir. Mons"^ de Bonneval fut des premiers à me
suivre et luy dit : « Voicy ce que vous perdez en per-
dant Mons'" de Turenne. »
Tout ce qui estoit venu avec moy me suit. Saint-
Sulpice descend le degré et me demande si j'avois
entendu parler de luy ; je luy dis qu'ouy, et, sans le
respect de Monsieur, que je l'outragerois, de sorte
qu'il se souviendroit toute sa vie de m'avoir demandé
l'explication de quelque chose, et qu'il remontast le
degré; ce qu'il fît, oyant quelques-uns qui me
disoient : « Monsieur, il le faut tuer. » Il remonta
fort viste. Je montay à cheval et me séparay dès ce
jour-là de l'armée.
Le lendemain, le duc Casimir et Mons"^ le prince
envoyèrent vers moy me prier de vouloir patienter
quelques jours, dans lesquels on verroit la condition
H2 MÉMOIRES [Juin 1576
du traité. Je leur manday que je le ferois, n'ayant
autre dessein que servir au public de la Religion, esti-
mant que le mescontentement que j'avois de Mon-
sieur serviroit à faire cognoistre combien il pouvoit
peu sur ceux de la Religion, et que les avantages
qu'on luy feroit ne serviroient à contenter le corps
de ceux de la Religion. J'avois dès mon enfance servy
Monsieur avec fidélité et amour; et, sans se souvenir
de cela, ses affaires, ne luy permettant de se servir de
ceux de la Religion, luy firent oublier à me bien
faire. Exemple qui vous doit convier à ne prendre
autre chemin pour vostre grandeur que le plus
juste, et, en celuy-là, y faire tant de bonnes et ver-
tueuses actions que vous y trouviez vostre place dans
les honneurs; et, où la profession de la Religion s'y
opposeroit, ainsi que lors elle le fit à moy, prenez
cela avec plaisir, d'autant que chacun vous louera, et
votre esprit vous donnera repos, sçachant que vos
mérites surpasseront vostre recognoissance !
Il y avoit environ deux mois que le roy de
Navarre estoit sorty de la cour et estoit à Saumur',
qui aussi fit profession de la Religion, en abjurant la
romaine, qu'il avoit prise par force à la Saint-Barthé-
lémy. La paix se conclut; je m'en revins droit à
Turenne, d'où je me sépare d'avec la plus grande
part de mes forces ; tous ceux qui avoient fait le
voyage m'ayans voulu accompagner jusques chez
moy. Ma sœur s'en alla bientost en Auvergne, à Joze.
Le roy de Navarre, la paix faite, s'en vint en Xain-
1. Henri de Bourbon était arrivé à Saumur, dont Clermont
d'Amboise était gouverneur, le 25 février 1576.
1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 113
tonge et Périgueux, où je l'allay trouver avec un bon
nombre de noblesse, plus grand qu'il n'en avoit, où
j'en receus tout l'honneur et carresse que je pouvois
désirer, et de Madame sa sœur, qui luy avoit esté
renvoyée du Roy après le despart dudict roy son
frère ^ Mons"^ le Prince arriva à Périgueux, ayant des-
logé d'auprès de Monsieur le jour qu'il vouloit faire
son entrée à Bourges, sur l'opinion qu'il eut qu'on lui
vouloit faire un mauvais tour, et estime qu'il ne prit
cette allarme sans sujet. Le roy de Navarre part de
Périgueux, s'en va à Agen, qui luy avoit esté donné
pour sa demeure par le traité, et moy à Turenne,
avec promesse de le retourner trouver dans fort peu
de jours.
Ainsi que j'ay dict, le Roy avoit donné tout ce qu'on
avoit demandé pour retirer son frère avec de l'argent
d'avec les estrangers et rompre l'union des catho-
liques romains avec ceux de la Religion; il commence
de traiter avec Monsieur, qui s'en alla en Anjou, de
son retour à la Cour, et des moyens de le séparer
d'avec ceux de la Religion, qui, aux infractions et exé-
cution des choses promises par l'édict, s'adressoient
à luy comme garant du traité. Le roy de Navarre, de
la Religion, prenoit créance dans le party et dimi-
nuoit celle de Monsieur autant qu'il pouvoit. Le
mareschal d'Amville^ entre en quelque mauvais ménage
1. Turenne semble prendre vis-à-vis du roi de Navarre un
ton quelque peu protecteur; et, de fait, Henri de Bourbon, à
cette époque, montrait une certaine timidité, laissant le
vicomte prendre l'attitude de chef du parti protestant dans
tout le midi de la France.
2. Hemù de Montmorency-Dam ville oscilla sans cesse entre
114 MÉMOIRES [1576
avec lesdicts de la Religion pour l'observation et
interprétation de certains articles de l'union, que cha-
cun tiroit à son avantage, et aussi qu'il commença à
ouyr les propositions du Roy et à se rendre suspect à
ceux de la Religion,. qui avoient Mons"" de Ghastillon\
fils de l'admirai, jeune, bouillant et ambitieux, qui
taschoit à lui diminuer sa croyance.
Mons"^ de Thoré, la paix faite, se retira près de son
frère, sans avoir eu aucune gratification de Monsieur.
Je me joints avec le roy de Navarre, qui commence
à traitter dans le party des moyens que nous avions
de parer l'orage qui s'apprestoit en nous affoiblissant
des catholiques romains, et recognoissant que le Roy
vouloit renouveller la guerre pour rompre cet édict,
afin de faire ces choses avec plus de lustre et garan-
tir Monsieur, autant qu'il se pouvoit, d'estre blasmé.
Le Roy fait une espèce de convocation d'Estats à
Rlois^. Le mareschal d'Amville tenoit tousjours cor-
respondance avec le roy de Navarre, qui le convia de
s'aboucher, afin de mieux résoudre ce que l'on devoit
faire et aussi pour vuider la prétention qu'avoit ledict
mareschal que la comté de Foix estoit de son gou-
vernement; ce que le roy de Navarre nia, mais dict
que, comme son patrimoine est pays presque souve-
rain, qu'il ne devoit avoir autre gouverneur que luy;
les protestants et la Cour, se faisant dans son gouvernement de
Languedoc une quasi-royauté indépendante.
1. François de Coligny, comte de Châtillon, fils de l'amiral
et de sa première femme, Charlotte de Laval, né en 1557,
mort en 1591. Il s'était mis, dès 1575, à la tête des forces pro-
testantes dans le Haut-Languedoc.
2. Ce sont les Etats-généraux de 1576 que Turenne traite
Oct. i576J DU VICOMTE DE TURENNE. 115
il fut donc arresté qu'on se trouveroit à Auvila^, petite
ville d'Armagnac. En cette assemblée, où il y eut peu
de personnes appelées au conseil, fut résolu qu'on
envoyeroit aux Estats de Saumur- des députés du
corps de ceux de la Religion, du roy de Navarre et
du mareschal ; que les catholiques unis parleroient par
la bouche dudict mareschal, désirant le roy de
Navarre et ceux de la Religion qu'ils parlassent en
commun : ce que ledict mareschal ne voulut, disant
que, par la paix, il estoit porté de se despartir de
l'union, et que, faisant un corps, que ce seroit mons-
trer que nous contreviendrons au traité et donner
l'avantage au Roy qu'il cherchoit de nous rendre
auteurs de l'interruption du traité. Après plusieurs
allégations, enfin il en fallut passer par-là ; ce qui nous
donna une grande lumière en l'intention du mares-
chal, le fait de Foix demeuré indécis, de façon que
nous nous séparasraes. Le roy de Navarre s'en alla à
Agen. Mons"" de La Noue estoit lors son domestique^,
qui, sage et vertueux, n'estoit honoré ny cru ainsi qu'il
l'estimoit, y ayant près du roy les sieurs de Lavardin'*
avec ce sans-façon. Ils s'ouvrirent vers la mi-novembre et
décidèrent la rupture avec le prince de Condé en février 1577.
i. Auvilar, petite ville de la Gascogne, dans la Lomagne et
non dans l'Armagnac (Tarn-et-Garonne), cant. de Moissac.
2. L'assemblée des huguenots à Saumur protesta contre les
Etats-généraux, mais décida en même temps qu'on enverrait
des députés au roi pour faire valoir les griefs du parti.
3. « Domestique » est là dans le sens latin de « serviteur fai-
sant partie de la famille. » Il semble d'ailleurs que Turenne
avait bien quelque jalousie de La Noue, voulant toujoui^s
jouer le premier rôle auprès du roi de Navarre.
4. Jean de Beaumanoir, marquis de Lavardin, plus tard
116 MÉMOIRES [1576
et Roquelaurei, catholiques, qui faisoient bande à
part d'avec ceux de la Religion, qui consentoient et
aidoient de tout leur pouvoir aux plaisirs de ce prince,
qui ont eu et ont encore grand pouvoir sur luy; à
quoy ledict sieur de' La Noue s'opposoit, qui le ren-
doit moins agréable, ainsi qu'il avient ordinairement
à la jeunesse de préférer ceux qui les flattent et
aident à leurs passions, qu'ils ne font ceux qui, aymans
leur bien, leur disent ce qui est bon de faire et s'op-
posent à ce qu'ils ne doivent pas faire, chérissans les
flatteurs et éloignans ceux qui les ayment : coustume
qui ne se perd guère dans la Cour et parmy les enfans
de France. Avisez de n'en faire de mesme et d'hono-
rer ceux qui vous conseilleront de conduire vos
actions par la raison et sousmettre vos passions sous
l'honnesteté, pour vous garder de commettre des
fautes infinies, qui font que nous passons le meilleur
de nostre aage, et depuis dix-huict ans jusques à
vingt-cinq, sans jugement, jettans toute nostre con-
duite à l'aventure et sans avoir de but !
Je n'avois nulle obligation particulière au roy de
Navarre; je ne laissois néantmoins d'y estre envié. Je
maréchal de France. Catholique convaincu, il abandonna la
cause du roi de Navarre après son excommunication, et com-
battit même dans les rangs ligueurs encore contre lui. Il se ral-
lia un des premiers à Henri IV.
J.. Antoine, seigneur de Roquelaure, en Armagnac, baron
de Laverdaux, qui, très catholique, resta toute sa vie un des
amis fidèles de Henri IV, était né en 1543 j il fut désigné par
Jeanne d'Albret comme maître de la garde-robe du jeune roi
de Navarre; plus tard, il devint chevalier de l'ordre, gouver-
neur du comté de Foix, lieutenant général en Guyenne, et, en
1615, maréchal de France. Il mourut à Lectoure en 1625.
1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 117
me rendois fort assidu aux affaires, prenois soin
d'avoir des avis de partout, de recueillir dans ma mai-
son des gens de bien et d'esprit qui fussent en quelque
croyance parmy les églises ; où je trouvois des servi-
teurs de feu Mons"" l'admirai, je les retirois; j'avois un
ministre ordinaire et une église formée entre mes
domestiques; je prenois plaisir, quand j'estois hors
d'auprès du roy de Navarre, soit en allant par le pays
ou dans ma maison, de mettre tousjours quelque
question en avant de théologie, de philosophie, de
politique, de la guerre, de la façon de bien parler ou
bien escrire, de la civilité, ayant souvent eu quelques
personnes qui avoient du sçavoir : cela me gardoit des
mauvaises occupations que prennent les esprits
oiseux et me donnoit une superficie de cognoissance
de la pluspart des discours qu'on tient en la fréquen-
tation du vulgaire pour en dire bien à propos quelque
chose. Je prenois grand plaisir à monter à cheval, à
courre la bague, ce que je faisois des mieux, tirer des
armes, danser peu, bien suivy, n'ayant jamais moins
de quinze, vingt et vingt-cinq gentilshommes défrayés
de tout et ne s'habillans guères que des habits que je
leurs donnois, quantité de pages, en ayant eu jusqu'à
vingt-quatre; je n'avois estât de personne, et néant-
moins je ne faisois guère de debtes, de quoy je me
suis esmerveillé, d'autant qu'à cette heure je jouis au
double de biens, de beaux estats du Roy, et ne sçau-
rois faire une telle dépense.
Madame S sœur du roy de Navarre, commença à
1. Catherine de Bourbon, plus tard duchesse de Bar, née en
1558, morte en 1604. Sa correspondance avec Turenne est
118 MÉMOIRES [1576
me faire bon visage; c'estoit une chrestienne prin-
cesse, qui avoit lors madame de Tignonville^ pour
gouvernante, qui estoit une femme austère, méfiante,
qui avoit un continuel égard sur sa maistresse et ne
souffroit ni endurcit rien de mal ; le roy de Navarre
aymoit sa jeune fille, qui s'appelloit Navarre^, et
maintenant a espousé le sieur de Panjas : elle souffroit
ces amours avec impatience ; mais elle ne pouvoit les
empescher absolument, bien y portoit-elle toutes
sortes d'empeschemens. Madame et moy parlions sou-
vent ensemble, de façon qu'elle commença de prendre
de la confiance en moy, qui l'honorois fort, ayant
cette princesse de fort belles qualités, estant jeune et
agréable, chantant des mieux, jouant fort joliment du
luth, faisant quelques rimes, de sorte que, luy ren-
dant l'honneur que je luy devois, elle me disoit fami-
lièrement ses conceptions et moy les miennes. Je ne
luy parlois jamais que dans sa chambre et devant
tout le monde, de sorte que, ny ayant là personne qui
me précédast, il sembloit qu'elle suivist plustost la
coustume d'entretenir les plus grands, que par un
choix elle m'entretinst. Cela a duré longtemps, bien
l'espace de quatre ou cinq ans, et finit ainsi que vous
singulière; nous en donnerons un échantillon à Y Appendice.
Peut-être pendant leur séjour commun à la cour de Nérac y
eut-il entre eux quelque projet d'union, que le roi de ISavarre
encouragea. (Voir Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV, par
la comtesse d'Armaillé, 1865, in-12, chap. ii.)
1. M""^ de ïignonville, Marguerite de Selves, était femme
de Lancelot de Monceau, ancien maître d'hôtel de Jeanne
d'Albret.
2. Jeanne de Monceau de ïignonville, dame d'honneur de
Catherine de Bourbon, mariée le 7 février 1581.
1576] DU VICOMTE DE TURENNE. 119
l'entendrez 1. Le roy son frère ne désagréoit pas cela,
n'y voyant rien de mal séant, et jugeant que ce m'es-
toit un moyen de me retenir davantage à luy que la
conversation honneste et vertueuse de sa sœur
avec moy.
Les premiers Estats de Blois se tinrent, où fut déli-
béré la rupture de l'édict et de faire deux armées, dont
Monsieur en auroit une, et Mons"^ du Maine l'autre;
que Monsieur assailliroit les villes de la Charité et
d'Issoire. Les armes se prennent : le roy de Navarre
et ceux de la Religion se mettent sur la défensive, qui
fut assez foible. Les villes de la Charité et d'Issoire se
prennent. Je sçeus que le sieur de Vesins alloit
joindre l'admirai de Villars^ à Bordeaux, qui com-
mandoit en Guyenne pour le Roy, avec quatre com-
pagnies d'harquebusiers à cheval; il partit de Cahors.
J'assemblay les garnisons et manday les régimens de
Sainct-Maigrin^, de Millau, cadet de la maison de
Salagnac, et me mis après ledict de Vesins. Il passa à
Bordeaux avec ce qu'il y avoit de gentilshommes et
laissa dans le lieu de Tergon^, qui est dans le comté de
Benauge^, les susdictes compagnies, qui se barrica-
1. Turenne ne reparle nulle part, malgré sa promesse, de
Catherine de Bourbon, qui ne se maria pourtant qu'en 1599.
2. Honorât de Savoie, marquis de Villars, comte de Tende
et de Sommerive, maréchal et amiral de France, gouverneur de
Guyenne, mort à Paris en 1578.
3. La maison d'Estuer de Caussade de Saint-Mégrin était
d'ancienne noblesse de Gascogne. Le capitaine dont il est ici
parlé était sans doute le père de Paul de Saint-Mégrin, le
mignon de Henri III, assassiné au sortir du Louvre le 21 juil-
let 1578, à l'instigation des Guises.
4. Targon (Gironde), arr. de la Réole.
5. L'ancien comté de Benauges était situé dans le Bordelais
120 MÉMOIRES [1577
dèrent dans l'église, qui estoit bonne. Je les investis
là-dedans et commence à sapper la muraille, qui se
trouva fort bonne. Voyant que cela tiroit à quelques
jours de temps, je campay à l'environ, n'estant qu'à
quatre lieues de Bordeaux, contre nostre coustume,
qui ne logions ailleurs que dans les villages, à l'occa-
sion que, n'estant les hommes obligés par la solde et
n'ayans ny vivres ny équipages pour les porter qui
suivist nos troupes, il falloit loger dans des villages
pour y trouver commodités; néantmoins, nous nous
campasmes, choisissant une place de bataille en cas
d'allarme, et continuasmes notre siège sans artillerie.
Nous eusmes quelques petites allarmes; dans quatre
jours, ceux de dedans se rendirent, pressés par notre
sappe, qui nous avoit fait ouverture dans le bas du
temple; et les assiégés, se trouvans aussi pressés de
vivres et d'eau, nous les dévalisasmes et mismes
quelques-uns à rançon et laissasmes aller le reste.
Ainsi qu'ils sortoient et que nos régimens battoient
aux champs pour déloger, le sieur de Vesins parut
avec trois cens chevaux à l'aisle d'un bois; les deux
régimens de Saint-Maigrin et de Millau commencent à
disputer la main droite ; les capitaines se piquent, de
façon qu'il y eut quelques coups d'épées donnés, dont
un capitaine de Saint-Maigrin, du lieu de Tonnins,
nommé Garrère, fut blessé*; des drapeaux sont pris
(Cadillac, an*, de Libourne;; il appartint longtemps à la mai-
son de Foix. Les ruines du château subsistent encore.
1. C'est sans doute à cette occasion que le vicomte de
Turenne, à la tête des protestants, vint assaillir, le 24 mars
1577, le château de Lanquais (cant. de Lalinde, Dordogne),
qui devait plus tard '1591' lui appartenir par héritage, à la
mort de Galliot de la Tour, fils de Marguerite de la Cropte,
1577] DU VICOMTE DE TURENNE. 121
par les enseignes, et les testes, tournées l'une contre
l'autre, s'en alloient aux mains, n'estant à cent cin-
quante pas loin les uns des autres.
J'estois avec ma cavalerie, qui considérois le sieur
de Vesins, qui faisoit mine de venir à nous, qu'on me
vint dire le désordre en nostre infanterie. Je laisse la
cavalerie en ordonnance au sieur de Fairas, ce qu'il
avoit à faire les ennemys venans à luy, et m'en cours
à mon infanterie, que je trouve allans les uns aux
autres avec plus d'animosité qu'ils n'en eussent eu
contre les ennemis ; je me mets entre deux et arreste
ceux qui aidoient davantage à cette mutinerie, entre
lesquels je remarque ce capitaine Garrère, dont j'ai
parlé cy-devant, qui avoit esté blessé; je luy porte
mon épée dans l'estomac, l'asseurant que je le tuerois
s'il faisoit un pas, et je dis au sieur de Lestelle'', qui
commandoit au régiment de Saint-Maigrin, d'arrester;
ce qu'il fît. Soudain, je cours à la teste du régiment
de Millau, où il y avoit divers capitaines que j'y avois
mis : à ma parole, il s'arreste ; ce mouvement arresté,
j'ouïs les uns et les autres, auxquels j'ordonne de se
trouver à Rosan^, où j'allay prendre mon logement,
et que là on vuideroit la question.
Ainsi, j'appaisay cette mutinerie par ma diligence
et pour m'estre addressé à ceux qui aidoient à ce
dame de Lanquais et de Limeuil. — Voir, dans le Bull, de la
Soc. arch. du Périgord (nov.-déc. 1896, t. XXIII, p. 475), un
article de M. le comte de Saint-Saud, intitulé : « La garnison
de Limeuil et de Lanquais à la fin du xvi* siècle. » En 1598,
ces garnisons étaient encore entretenues par le duc de Bouillon.
1. Louis de Brunet, seigneur de Lestelle, baron de Pujols.
2. Rauzan, dans le Bazadais (Gironde), à20kil. de Libourne.
122 MÉMOIRES [Août 1577
mal, qui est une maxime ordinaire en tel cas qu'il y
a tousjours peu d'auteurs, lesquels arrestans, tout le
commun qui les suit demeurent sans conseil ny réso-
lution, et en fait-on aisément ce que l'on veut; mais il
n'y faut aller à demy, en ne faisant qu'irriter lesdicts
auteurs et ne les arrestans pas.
Cela fait, je m'en retourne à Périgueux, qu'on
menaçoit du siège, lequel avoit faute de vivres, estant
entouré de forts qui luy empeschoient la récolte ; je
la fis assez abondamment. Le roy de Navarre estoit
à Montauban, qui eut avis par moy du siège de
Brouage^ Mons' le Prince estoit à la Rochelle, qui
avisoit à la pourvoir et de faire un armement de
quelques vaisseaux, estant ledict Brouage sur la mer,
où il y a un bon havre, et sollicitoit ledict roy de
Navarre d'appeller les forces du Languedoc et celles
de Guyenne pour la secourir. Outre l'intérest public,
ledict prince y avoit son particulier, ayant retiré cette
place des mains du sieur de Mirembeau^ avec assez
peu de justice. Le roy de Navarre s'en vint à Berge-
rac et là assemble jusques à quatre cents chevaux et
deux mille hommes de pied pour s'en aller à Ponts ^,
où Mons' le Prince, avec les forces du Poitou et Xain-
tonge, se devoit rendre.
Estans à Montguyon'^, nous sçeusmes que Brouage
estoit rendu, et cela plustost qu'on ne l'attendoit, par
1. Brouage (Charente-Inférieure), vis-à-vis de l'île d'Oléron.
2. François de Pons, baron de Mirambeau, seigneur souve-
rain de Brouage.
3. Pons (Charente-Inférieure), à 22 kil. de Saintes, dont
Jean de Plassac, frère de Mirambeau, était gouverneur.
4. Montguyon (Charente-Inférieure), à 35 kil. de Jonzac,
Août 1577] DU VICOMTE DE TURENNE. 123
la mort du sieur de Soré, qui commandoit dedans, un
des plus valeureux de son temps; ayant fait une sortie
et renversé ce qui estoit dans la tranchée, s'estant
rendu maistre de quelques pièces, ne se contentant
de ce succès, poussant sa victoire au courant de l'ar-
mée du Roy, chacun à l'allarme, ledict de Soré^ fut
tué, et sa mort avança la reddition de Brouage entre
les mains de Mons"^ du Mayne, qui commandoit l'ar-
mée. Ces nouvelles ouyes, le roy de Navarre reprend
son chemin, en donnant avis à Mons"" le Prince, qui
estoit à Ponts, par Mons'' de La Noue. Le duc du Mayne
se vint loger près de Ponts, où il fut attaqué, et fit-on
une escarmouche où le sieur de Genissac- fut tué.
De Montguyon pris le logis de Goutras, sur le faux-
bourg qui est vers Libourne, pour mes troupes, où je fis
faire de bonnes et bien flanquées barricades; c'estoit
aux grands jours, le roy de Navarre estoit au logis
de Mons'^ de Lavardin et moy aussi; nous entendions
battre l'allarme et des voix qui disoient que l'ennemi
donnoit dans le quartier de Mons'^ de Turenne. Il y a
un petit chasteau nommé Laubardemont^, qui n'est
qu'à mille pas du fauxbourg que les ennemis tenoient;
ledict chasteau est du costé de la rivière vers Quitre^ ;
mais ils avoient de bons batteaux, et la rivière
estroite, pouvant passer nombre d'hommes ; et tost
je m'en cours à mes gardes, que je trouvay en tout
1. Valzergues, seigneur de Soré, qui s'était jeté dans la ville
pour la défendre, fut tué dans une sortie malheureuse, et
Brouage se rendit à Mayenne vers le milieu d'août 1577.
2. Il est parlé, dans les Mémoires de Marguerite de Valois,
de ce Génissac, qui avait toute la confiance du roi de Navarre.
3. Le château de Laubardemont est à 1 kil. de Coutras.
4. Guitres-sur-l'Isle (Gironde), arr. de Libourne.
iU MÉMOIRES [1577
devoir et point d'ennemis; je passay, monté sm" un
petit bidet, et pris huit ou dix arquebusiers avec moy,
voulant voir si à cedict Laubardemont il y avoit
quelque chose de nouveau. De nostre costé de l'eau,
il y avoit des saules, où il y avoit vingt-cinq arquebu-
siers sur le ventre, qui ne se pouvoient voir, ny le
batteau qui les avoit passés; regardant le chasteau,
m'estant arresté environ à vingt pas de ces arquebu-
siers sur le ventre, qui ne vouloient tirer, estimans
que je m'approcherois et me prendroient ; me voyant
arresté, ils paroissent trois ou quatre et me disent
que je m'approchassent pour voir quelque chose
qu'ils me vouloient monstrer. Les tenans pour estre
des nostres, estans content de ce que je voulois voir,
je tournay mon cheval pour m'en retourner. A l'ins-
tant, ils nous font leur salve sans blesser personne,
quoy que ce fut de moins de trente pas; je cours un
grand péril et sans occasion, à quoy la jeunesse est
souvent sujette d'encourir de grands dangers par sa
précipitation et inconsidération, tels périls se trouvans
plustost en ces guerres civiles qu'aux guerres où il y
a de bons corps d'armée de part et d'autre.
Chacun se prépare. Incontinent commencèrent les
pourparlers de la paix ; Mons"" de Montpensier, l'évesque
de Vienne, le mareschal de Biron et Mons"^ de Villeroy
vinrent à Bergerac. Après les premières ouvertures,
il fallut renvoyer vers le Roy, qui estoit à Poitiers ; je
pris cette occasion pour faire un petit tour à Turenne,
laissant le roy de Navarre à Bergerac, duquel je fus
incontinent redemandé, me faisant cet honneur de
n'avancer ny ne résoudre rien aux affaires publiques
sans mon avis.
1577] DU VICOMTE DE TURENNE. 125
Je pars de Turenne et m'en vins coucher chez
Mons'^ de Beynac : Bousolles, Alagnac, La Vilatte et
Annal, que j'avois nourris pages, Bouschant d'Au-
vergne, tous sans armes que nos espées, tous ayans
de fort mauvais chevaux; Bouschant avoit un petit
cheval d'Auvergne assez bon; le mien estoit un che-
val qui alloit un grand pas, ne sçachant tourner et
encore moins courir; nous allions ainsi, par les fautes
que font ceux qui se fient plus que de raison en
leur courage et se servans moins de la prudence
qu'ils ne doivent, estimans aussi que nous ne rencon-
trerions rien. Ayans passé par un bourg appelé la Sal-
vetat^ douze hommes armés de cuirasses et quinze
arquebusiers à cheval, estans partis de Lunéville pour
chercher quelques contributions, passent par cedict
bourg et prennent langue de moy et de mon équi-
page ; ils se mettent sur ma piste, les premiers qu'ils
rencontrent furent quelques valets, auxquels ils don-
nèrent quelques coups d'espées. Gela me donne l'al-
larme; regardant derrière, je vis venir cela, estans
cinq hommes de front; un de mes pages, nommé
Solongnac, portoit mon espée, qu'il me donna; sou-
dain, je retourne, sans aviser qui me suivoit, et vais
choisissant celuy des ennemis qui estoit le plus à leur
main droite, afin de n'en rencontrer qu'un, qui fut
nommé La Force, auquel je portay une estocade dans
le visage. Soudain, ces cinq me mettent au milieu
d'eux; sans m'estonner, pressant et poussant mon
cheval, je me fis faire place. Alors, les sieurs de
La Vilatte et d'Annal vinrent à moy ; partie des enne-
mis se mirent après ceux qui ne m'avoient suivy;
1. La Salvetat (Aveyron), à 50 kil. de Rodez.
126 MÉMOIRES [1577
Mons"^ de Beynac ne ie put, la gourmette de son che-
val s'estant rompue. Un page allemand, nommé Mile,
que Mons"^ le duc Casimir m'avoit donné, venant à
moy, fut fort blessé, de quoy depuis il mourut. Nous
trois demeurasmes meslés avec ces gens, avec les-
quels nous prenions avantage pour en blesser quel-
qu'un et le tirer du combat. Le défaut de nos che-
vaux faisoit que, n'ayans de verdeur, nous donnions
force coups moindres que n'eussions fait. La Vilate
vint à estre blessé le premier et puis Annal, qui^
nonobstant, demeurions opiniastres à ne nous en
aller. Enfin, un qui se nommoit Le Perrier et moy
allasmes l'un à l'autre : il me porte un coup d'espée
dans la gorge et moy un à la teste. Mon espée s'es-
tant rompue et le bout demeuré dans l'os, estans ainsi
blessés tous trois, et les meilleurs hommes des enne-
mis l'estans aussi, nous fusmes aises les uns et les
autres de nous séparer; ce que nous fismes. J'apper-
çeus Bouschant, qui avoit veu l'esbat sans fuyr, ny
aussi sans se mesler, que j'appelay^ Ainsi, nous
allasmes à Muchères% petit lieu dans la Boissile, où
arrivé, mon coup me pressant fort, outre que c'estoit
la première blessure que j'avois eue, je m'enquis
plustost d'un ministre que d'un chirurgien. Ne trou-
vant ny l'un ny l'autre, je me fis apprester un res-
trinctif, et voyant ceux qui estoient près de moy affli-
gés, me tenant mort, je leur fis voir combien l'escole
de la vraye Religion m'avoit appris à cognoistre ce
1. Turenne guerroyait alors pour le compte du roi de
Navarre, et le détachement qui l'attaqua était composé de sol-
dats royaux.
2. Il semble très difficile d'identifier cette localité, que tous
les textes écrivent cependant de la même manière.
1577] DU VICOMTE DE TURENNE. 127
que c'estoit que de mourir; quoy qu'en l'aage de
vingt-trois ans, je jouissois du bénéfice de la mort de
Jésus-Christ, voyant le monde comme un mauvais
passage que j'achevois de passer; mon esprit tran-
quille, je consolois ceux qui estoient près de moy,
bien diversement à celuy qu'il ressentoit lors que je
fus si malade à Montauban.
Mon ame lors flottant par la présence de mes
péchés et mal asseurée en la rémission par la croix,
puissance et souffrance de Jésus-Christ, je puis attester
avec vérité n'avoir [eu] qu'un seul regret, qui estoit de
laisser mes biens, où force églises sont recueillies, à
ma sœur, qui estoit de la Rehgion romaine. Dieu en
disposa autrement. Soudain, le roy de Navarre,
qui avoit esté averty, m'envoye ses médecins et chi-
rurgiens, qui, après m'avoir pansé, furent d'avis de
me mener à Badefort^ suivant la prière qu'en faisoit
Mons"^ de Saint-Helmes, à qui estoit la maison ; là, ils
me jugèrent en grand danger, estimans que quantité
de sang m'estoit tombé sur le diafragme, qui me cau-
soit une extresme douleur au costé, et que, se faisant
un sac qui ne pouvoit s'évacuer, me continueroit la
fièvre, qui m'emporteroit. Cela leur pensa me faire
une ouverture au costé. Voyans cette opération très dou-
teuse, ils usèrent de saignées aux bras et aux pieds, de
Hgatures et ventouses, si bien qu'après quelques jours
ma playe se consoHda, ayant tousjours une fièvre lente,
amaigrissant, et ma douleur de costé me continuant.
La paix^ se fit : le roy de Navarre me meine ainsi
1. Badefol (Dordogne), arr. de Bergerac, près Lalinde.
2. C'est l'édit de 1577, connu sous le nom de paix de Poi-
tiers, signée le 17 septembre.
128 MÉMOIRES [Sept. 1577
mal à Agen ; là on commença à establir et exécuter
l'édict, le Roy disant vouloir maintenir cette paix, qu'il
avoit faite, et non la précédente, où il a voit esté forcé.
Continuant à estre mal, je m'en vins à Turenne.
Après avoir eu l'avis des médecins et chirurgiens,
Mons"" Joubert me dict à part que si je le voulois croire,
que je prendrois de l'eau qu'on appelle d'arquebu-
sade, où il entre des escrevisses; ce que je fis par
quinze jours, avec tant de profit, que je crachay tout
le sang pourry qui m'estoit demeuré dans le corps,
et depuis je ne m'en suis pas senty.
Cette paix fut souvent interrompue par des surprises
de places, qui se faisoient d'une part et d'autre, et
plus encore de ceux de la Religion, pressés, non tant
par le roy de Navarre que par quelques autres particu-
liers, principalement de ceux de Languedoc, qui estoient
entrés en une grande méfiance du mareschal d'Am ville,
leur gouverneur, estimans que, si par ces moyens ils ne
maintenoient quelques armes, qu'ils ne se pourroient
conserver ; quoyque cela se fist sans commandement
dudict roy, si ne vouloit-il les désavouer, pour n'obli-
ger ceux qui leur tenoient la main, ou de séparer le
party ou de se réconcilier avec le Roy. Le roy de
Navarre n'avoit voulu consentir que la reine Margue-
rite le vinst trouver, à cause du mauvais mesnage
qu'ils avoient eu estans à la Cour, les divers soupçons
qu'elle luy avoit donnés de ses comportemens ; quoy
que le Roy son frère ne l'aymast, si luy sembloit-il
estre honteux pour luy de voir sa sœur comme répu-
diée par le roy de Navarre, lequel estoit blasmé des
uns de ne se porter assez vertement à la réparation
des contraventions à l'édict, des autres d'attirer sur le
1578] DU VICOMTE DE TURENNE. 129
party une grande haine, à cause des mescontentemens
du Roy contre sa personne, à l'occasion de la reyne
sa sœur.
Ledict roy de Navarre m'envoya prier, estant à
Turenne, de l'aller trouver; ce que je fis soudain. Il
m'exposa ses peines, les blasmes susdicts de son pro-
cédé, me demandant avis de ce qu'il avoit à faire.
Mon opinion fut qu'on devoit convoquer une assem-
blée générale de ceux de la Religion, pour, avec un
avis commun, se résoudre sur ces difficultés et se
décharger par après des blasmes qu'on luy donnoit
sur le général. Le Roy, la Reyne mère et Monsieur,
par diverses voyes, négocioient pour la venue de la
reine Marguerite. Ainsi que l'assemblée fut résolue et
les députés venus à Montauban, le Roy y envoya le
sieur de Bellièvre qui, depuis, a esté chancelier de
France, pour déclarer sa bonne volonté à maintenir
son édict, sa patience à supporter tant d'entreprises
contre ledict édict par ceux de la Religion, le désir
qu'il avoit de revoir la reine sa sœur près du roy
de Navarre. Il fut résolu que, de part et d'autre, on
envoyeroit des députés par les provinces pour répa-
rer les contraventions faites à l'édict de ce costé et
d'autre, et remporta ledict sieur de Bellièvre de plus
douces paroles du roy de Navarre pour le regard de
la reine Marguerite qu'il n'avoit auparavant, son
esprit estant fort offensé, jusque-là qu'il doutoit de la
seureté de sa personne, elle se rapprochant. La plus-
part de ceux qui estoient près de luy n'adhéroient à
sa venue, et aussi peu le corps des éghses, estimans
qu'elle porteroit beaucoup de corruption et que le roy
de Navarre mesme se laisseroit aller aux plaisirs, en
9
130 MÉMOIRES [Août 1578
donnant moins de temps et d'affection aux affaires.
Les députations allentirent un peu les aigreurs, qui
estoient prestes à éclater en une guerre ouverte, et
cependant firent peu ou rien du tout, ce à quoy les
uns et les autres avoient contrevenu.
La Reyne mère ^ se laisse entendre de vouloir venir
et amener sa fîlle^; elle part, quoy qu'elle n'eust pas
la parole du roy de Navarre de la recevoir, s'achemi-
1. Un projet de mariage, que tout naturellement l'auteur des
Mémoires a passé sous silence, eut lieu au milieu de 1578
entre le vicomte de Turenne et sa jeune cousine, Charlotte-
Catherine de la Trémoïlle. C'est la reine mère qui semble
avoir été l'instigatrice de cette union, si on en juge par une
lettre du 7 juillet à la duchesse douairière, dans laquelle, non
seulement elle lui écrit qu'elle seroit bien aise de ce mariage ;
mais elle ajoute : « Je vous prie qu'il se puisse effectuer aussi-
tost que faire se pourra. » Or, la jeune fille n'avait que onze ans
(née en 1567, morte en 1629, à soixante-deux ans). Catherine
de Médicis avait aussi trop préjugé le consentement de la
grand'mère commune, la connétable de Montmorency. Car
celle-ci mandait d'Ecouen, à sa fille, à la fin de juin : « Je ne
vous cellerai que la reine mère, passant par Chantilly, me
parla du mariage de votre fille avec mon fils, le vicomte de
ïurenne, et parce que je sais la crainte que vous en avez, je
vous ai bien voulu avertir de ce qui se présente, afBn que, en
attendant que vous serez par deçà, vous y passiez, car il y a
apparence. » (Archives de Thouars.) La reine mère séjourna
quelques jours à Chantilly au commencement de juin 1578.
(Voir Lettres de Catherine de Médicis, t. VI, p. 28 et suiv.)
Charlotte de la Trémoïlle fut demandée vers la même époque
par le prince de Conti, frère cadet du prince de Condé,
qu'elle devait épouser, le 16 mars 1586, d'une façon si
romanesque.
2. La reine mère s'était mise en route avec sa fille au com-
mencement d'août 1578; et elles arrivaient à Bordeaux le
17 septembre.
Oct. 1578J DU VICOMTE DE TURENNE. 131
nant, priant et menaçant que, menant sa fille, si elle
estoit refusée, que la honte qu'on feroit au Roy et à
elle seroit telle que, prenant le seul roy de Navarre à
partie et donnant la jouissance de l'édict à ceux de la
Religion, qu'ils ne voudroient favoriser ledict roy de
Navarre à une si mauvaise cause, ny qu'aucun prince
estranger se voulust formaliser pour ledict roy, qui,
averty de cecy, entendant force murmures des pro-
vinces, qu'ils n'avoient eu les armes en la main que
pour la Religion, que, cette occasion cessant, ils
estoient sujets du Roy, qu'il leur seroit fort dur
d'abandonner le roy de Navarre, mais qu'ils y
seroient contraints, si la cause générale se rendoit
particulière.
Gela fît changer d'avis, à sçavoir de dire à la
Reyne mère qu'elle vinst, et que, sa fille se compor-
tant selon son devoir, que tout le passé seroit mis en
oubly. Le lieu de sa réception est arresté à la Réole'',
ville de seureté; le sieur Favas^ y commandoit. La
Reyne avoit le mareschal de Riron^ près d'elle, qui
avoit fort mal recognu l'obligation qu'il avoit au roy
de Navarre d'avoir fait chasser le marquis de Villars
de la Heutenance de Guyenne pour l'y mettre. Ledict
1. L'entrevue de la Réole eut lieu le 3 octobre 1578, à peu
près comme le raconte Turenne, qui y fut présent. Tous les
détails se trouvent dans la lettre écrite le jour même par la
reine mère à Henri III. (Voir Lettres de Catherine de Médicis,
t. VI, p. 47 et suiv.)
2. Jean de Favas, baron d'Auros, capitaine protestant, dont
les aventures sont connues.
3. Armand de Gontaut, baron de Biron, qui, comme lieute-
nant général en Guyenne, eut tant de démêlés avec les protes-
tants, le roi de Navarre et Marguerite de Valois.
132 MÉMOIRES [Oct. 1578
Biron cherchoit tous les moyens qu'il pouvoit pour
brouiller. \ cette première réception, les choses se
passèrent assez doucement, et néantmoins la reyne
Marguerite demeura avec la Reyne sa mère, qui s'en
de voit venir au port de Sainte-Marie, et le roy de
Navarre, accompagné de cinq ou six cens gentils-
hommes, s'en retourna à Nérac. Aussitost que la
Reyne fut arrivée audict port, elle le fit sçavoir audict
roy de Navarre, le conviant d'appeller les députés
des provinces, pour conférer et restablir les choses
esbranlées aux édicts^. Le roy de Navarre l'alla trou-
ver audict port, qui n'est distant que de deux lieues
de Nérac; et là, il refusa d'accepter ce lieu-là pour
s'assembler, si ce n'estoit que la Reyne le dispensast
d'y estre.
Je vous ay dict qu'après que j'eus pris les armes,
qu'on m'avoit fermé les portes à Gasteljaloux, où com-
mandoit le sieur de Rosan, puisné de la maison de
Duras; je m'estois résolu de me faire réparer ce
mépris. Duras l'aisné, passant un jour par Leytoure^,
parlant à Mons"" de Lavardin, lui avoit tenu quelques
propos de moy sur ce sujet, plus libres qu'il ne me
sembloit pour les endurer; ledict Duras estant avec
la Reyne mère, je me résolus de le faire appeller. Je
pars de Nérac et envoyé le sieur de Frontenac^ au
1. Les discussions furent longues pour savoir où devaient se
tenir les conférences, qui ne commencèrent à Nérac que dans
les premiers jours de février 1579. Catherine de Médicis et
Marguerite de Valois avaient séjoui'né au Port-Sainte-Marie
(Lot-et-Garonne), à 20 kil. d'Agen, à la fin de décembre et tout
le mois de janvier.
2. Lectoure, ch.-l. d'an*, du Gers.
3. Antoine de Frontenac, de la maison de Buade, écuyer du
Oct. 1578] DU VICOMTE DE TURENNE. 133
port, lequel n'y trouva plus ledict Duras. Gela failly,
j'attendis l'occasion que vous sçaurez. Enfin, après
plusieurs allées et venues, le lieu du port est refusé,
mais celuy de Nérac choisi ; et d'autant qu'il falloit du
temps pour faire venir les députés, la Reyne mère
donna jusqu'à Thoulouse pour voir ces villes-là, où je
fus envoyé vers elle, sur les avis qu'avoit le roy de
Navarre qu'on faisoit des entreprises sur des places
tenues par ceux de la Religion, qui s'excusoient d'en-
voyer leurs députés des provinces pour se trouver à
Nérac au temps assigné. Arrivant à Thoulouse, je
trouvai beaucoup de peuple amassé le long des rues
par où je devois passer pour aller au logis qu'on
m'a voit préparé. Ce peuple mutin, ennemy de ceux
de la Religion, me monstroit avoir désagréable ma
venue, et qu'il ne voyoit pas volontiers que j'allasse
trouver la Reyne mère^.
Après estre arrivé, je fis avertir ladicte Reyne, pour
prendre l'heure qu'il luy plairoit me donner; elle me
remit au lendemain à deux heures, là où je l'allay
trouver; et, luy ayant rendu mes lettres qui portoient
créance, je luy fis entendre qu'en Dauphiné et Langue-
doc on avoit descouvert diverses entreprises qui se
faisoient sur les places de ceux de la Religion ; que le
roi de Navarre, chargé souvent de porter ses dépêches, plus
tard gouverneur de Marans.
1. L'entrevue de Turenne et de la reine mère à Toulouse eut
lieu le 23 octobre 1578 et les jours suivants. On peut comparer
le récit qu'en fait ici le vicomte et ce qu'en dit son historien, le
chanoine Marsollier [Histoire de Henri de la Tour d'Auvergne,
duc de Bouillon), avec la version envoyée le jour même par
Catherine de Médicis au roi. [Lettres, t. VI, p. 83 et suiv.)
Naturellement, de part et d'autre, on s'accuse de mauvaise foi.
134 MÉMOIRES [Oct. 1578
mareschal de Biron en menoit une sur Périgueux ; que
le pouvoir qui luy avoit esté donné estoit restreint
dans les conditions auxquelles le roy de Navarre ny
ceux de la Religion ne se soumettroient point ; que, s'il
ne luy plaisoit faire cesser les entreprises, et se faire
authoriser suffisamment, que ce seroit en vain de
s'assembler, prévoyant le roy de Navarre qu'on estoit
plus près d'une rupture que d'un accord ; de quoy il
ne vouloit ni ceux de son party estre blasmés, estant
ce qui luy en faisoit donner avis, pour luy donner sujet
de prévenir cela, qui donneroit occasion aux mignons
(ainsi appelloit-on les ducs de Joyeuse et d'Espernon),
qui taschoient à lui rendre de mauvais offices près du
Roy, de le faire, de ce qu'au lieu d'avoir accomodé
le roy de Navarre et la reine sa fille et empesché la
guerre, qu'en sa présence les affaires se fussent aigries
et portées à une rupture entière.
Elle me dict qu'elle ne pouvoit empescher les catho-
liques, qu'on pilloit et travailloit en diverses façons,
d'en faire de mesme, qu'elle estoit mère du Roy,
qu'elle sçavoit eStre de si bon naturel, qu'on ne luy
pourroit rendre de mauvais offices près de luy; que,
pour couper chemin à tout cela, il falloit que le roy
de Navarre reprist sa fille, et que le jour de l'as-
semblée fust pris sans aucun délay; que cela osteroit
Toccasion à tous remueurs de ménage, d'une religion
et d'autre, de ne rien entreprendre, estimant qu'aussi
bien, s'ils n'estoient chastiés, il faudroit réparer ce
qu'ils auroient fait, me conviant d'y tenir la main,
estant obligé, outre ce que je devois au Roy, d'affec-
tionner ce qui la regardoit, ayant cet honneur d'estre
descendu de la maison de Boulogne et d'Auvergne
Oct. 1578] DU VICOMTE DE TURENNE. 135
comme elle ; que c'estoit une grandeur et bonne for-
tune de m'approcher du Roy, lequel elle sçavoit qu'il
m'aymoit et estimoit. Je ne luy dounay loisir de para-
chever ces propos, que je cognoissois vouloir venir à
me donner des espérances d'accroissement d'honneur,
en me départant de la fidélité que je devois et vou-
lois rendre à ma religion et au roy de Navarre qui
m'avoit employé; je la remerciay-très humblement,
luy témoignant que j'estois de ceux qui ne donnoient
jamais de l'accroissement à leur particulier, en dimi-
nuant ce qui estoit de leur devoir et faisant actions
contraires à ce qu'ils témoignoient extérieurement se
sentir obligés; que les remueurs s'accommodassent;
que le roy de Navarre fust content ; et lors je cher-
cherois toutes occasions pour témoigner au Roy et à
elle que j'estois capable et fort disposé pour les bien
servir.
Alors elle me dict qu'elle vouloit venir à Ausche, que
si le roy de Navarre s'en vouloit approcher, qu'ils
prendroient un lieu pour se voir, que cependant elle
escriroit pour arrester le cours de ces remuemens,
ainsi qu'elle prioit le roy de Navarre d'en faire de
mesme, et désira que de Thoulouse mesme j'en escri-
visse aux éghses de Languedoc : ce que je fis avec
grande discrétion, ne voulant que mes lettres servis-
sent à asseurer ceux de la Religion et donner plus de
moyen par là d'entreprendre sur eux, et d'estre
asseuré ou de malice ou d'ignorance, estant aisé à
voir que la volonté de la Reyne n'estoit entièrement
sincère, ni aussy si bien obéie, qu'il ne parust qu'on
avoit besoin de se garder. Elle me renvoya avec cette
asseurance de se vouloir assembler, et qu'à Ausche
136 MÉMOIRES [Nov. 1578
on résoudroit le lieu et le jour ; qu'elle prioit qu'on
hatast les députés, afin qu'elle pust s'en retourner
retrouver le Roy.
Je donnois avis d'heure à autre au roy de Navarre
de tout ce qui se passoit ; sur mes avis, il s'avance à
Leytoure, où je le fus trouver, et lui rendis compte
de toute ma négociation ; après quoy il se résolut de
s'approcher d'Ausche, lors qu'il sçauroit que la Reyne
mère y seroit. Sçachant son arrivée, il s'en alla en la
maison de Mons"" de Roquelaure, qui n'est pas loin
d'Ausche, d'où, ayant sceu l'arrivée de la Reyne, il
prit résolution de s'y en aller, et assez légèrement, veu
les défiances qu'il avoit^.
Ausche est une petite ville presque peuplée de
prestres. Le mareschal de Biron estoit venu là trou-
ver la Reyne; nous arrivasmes à Ausche sur le midy,
où nous ne trouvasmes la Reyne, estant allée à une
tente de palombes ~, le mareschal de Biron et autres
personnes de qualité estans avec elle. Nous trouvasmes
la reine Marguerite et les filles. Le roy de Navarre et
ladicte reine se saluèrent et se témoignèrent plus de
préparation à un accommodement qu'ils n'avoient fait
les autres fois qu'ils s'estoient veus : les violons vin-
rent; nous commençasmes tous à danser.
La danse continuant, le jeune Armagnac arrive^,
1. Le séjour de la reine mère à Auch eut lieu du 20 novembre
au 10 décembre 1568.
2. La chasse aux palombes se faisait avec des filets tendus
au débouché d'une vallée, dans lesquels on poussait les
oiseaux, qu'on regardait prendre assis dans une « tente. »
3. Ce jeune Armagnac était sans doute le premier valet de
chambre de Henri de Navarre, sauvé par Marguerite du mas-
sacre de la Saint-Barthéleray.
Nov. 1578] DU VICOMTE DE TURENNE. 137
estant party de Nérac, dépesché vers le roy de
Navarre pour l'avertir que, la nuit précédente, la
Réole^ qui estoit une des villes de seureté, avoit esté
surprise par le chasteau. Il fît son message à l'oreille
du roy, qui soudain m'appela; le premier mouvement
fut si nous estions assez forts pour nous saisir de la
ville; il fut jugé que non. Soudain, je dis qu'il nous
falloit sortir, et qu'avec justice nous pouvions nous
saisir du mareschal de Biron et autres principaux qui
estoient avec la Reyne, pour r'avoir la Réole. Nous
prenons congé de la compagnie, qui trouva nostre
départ plus prompt qu'elle ne se l'estoit promis, n'en
sçachant l'occasion ; ils monstroient de l'estonnement :
tout cela hastoit nostre départ, interprétans tous les
propos et gestes de ceux d'Ausche à une suitte déli-
bérée contre nous, ainsi qu'il avient ordinairement
que, quand on a quelque chose à entreprendre où il
y a du hazard, tout ce qui se meut semble se mou-
voir à l'opposition de ce que nous projetions.
Estans hors de la ville, mon ouverture fut proposée
et non suivie, s'y trouvant du péril, pour estre ledict
mareschal bien monté, et ayant assez d'hommes de
main pour rendre le combat douteux ; que c'estoit
faire affront à la Reyne, y ayant apparence qu'elle n'en
sçavoit rien; que cela estant, elle feroit restituer la
Réole, que nous pouvions nous saisir de Fleurance-,
1. La Réole, que le capitaine Favas avait occupée avec les
protestants, fut livrée aux catholiques par le gouverneur
d'Ussac, que les huguenots accusèrent de trahison.
2. Fleurance est une jolie petite ville sur la rive gauche du
Gers, à 11 kil. de Lectoure. La surprise de cette place par le
roi de Navarre et ïurenne eut lieu dans la nuit du 22 au
23 novembre; tous les historiens l'ont racontée.
138 MÉMOIRES [Nov. 1578
qui estoit sur nostre chemin, et de Leytoure; et qu'à
cet effet il falloit faire avancer les mareschaux des
logis et les accompagner d'une partie des gardes, afin
qu'ils nous peussent garder une porte, et que le roy
iroit au devant de la Reyne, pour luy témoigner son
offense et son respect, chose qui ordinairement
engendre plustost du mespris, en ce qu'on croit que
c'est plustost par faute de moyen de faire autrement
que par volonté, et ne se void guères qu'en pareil cas
on se souvienne de telles courtoisies.
Au rencontre de la Reyne, le roy de Navarre l'abor-
dant, elle fit fort l'estonnée, et avec raison, ne sça-
chant ce que nous ferions; elle donne quantité de
paroles pour asseurer une réparation. Le mareschal
de Biron, autheur de cette exécution, qui n'estoit aymé
du roy de Navarre, et qui ne s'asseuroit de moy,
qu'il croyoit sçavoir qu'il avoit poussé la Reyne mère
à m'imputer toutes les procédures du roy de Navarre
qui ne luy agréoient, se jette hors du chemin séparé
des carroses, accosta quelques-uns des nostres, se
justifiant et promettant de faire tout devoir pour luy
faire rendre cette place. Nous nous séparasmes ainsi,
et ne peusmes arriver à Fleurance qu'il ne fust trois
heures de nuit.
Sur l'arrivée des mareschaux des logis, quelques-
uns de la ville se jettèrent dans une porte où il y a
deux tours et commencèrent à faire quelques barri-
cades. Gomme nous eusmes mis pied à terre, le capi-
taine des gardes du roy de Navarre, nommé Saint-
Martin, alla pour faire une ronde, venant au droit de
cette porte saisie; on luy demanda qui vive, età mesme
instant bonnes arquebusades ; il demeure là et avertit
Mars 1579] DU VICOMTE DE TURENNE. 139
le roy, qui me commanda d'aller voir ce que c'estoit.
Je fus parler à ces habitans, pour sçavoir l'occasion
de leur retraite à cette porte, veu que tout estoit en
repos, que nous venions de laisser la Reyne, laquelle
nous devions retourner trouver dans peu de jours ; ils
nous firent paroistre de sçavoir autres nouvelles, nous
disans ne vouloir partir d'où ils estoient sans comman-
dement. Je mandai au roy leur réponse, et commen-
çay à les attaquer, leur faisant quitter leurs barricades ;
retirés dans les tours, ils se voyent en danger du feu
et de la sappe ; ils se rendirent et sceusmes qu'aussi-
tost que nous eusmes laissé la Reyne, il leur avoit esté
mandé de nous fermer la porte ; mais, les mareschaux
des logis estans dedans, ils n'avoient osé entreprendre
de les faire sortir. Nous mismes garnison, et nous
en allasmes à Nérac, où toute la négociation fut en
allées et venues pour avoir réparation de la Réole ;
à la fin, il fut résolu qu'elle seroit remise à ceux de
la Religion; mais que le sieur d'Ussac en auroit le gou-
vernement, et le sieur de Favas n'y rentreroit. Gela
convenu, on résolut d'appeller les députés, et envoye-
t-on par tout. Les provinces s'y disposent et s'assem-
blent pour députés envoyer à Nérac. La Réole est
remise entre les mains de d'Ussac, qui, gagné, quitta
au bout de quelques mois la Religion, et tint cette
place, la guerre suivante, contre ceux de la Religion,
au préjudice de son ame et de son honneur, contre-
venant à ce qu'il avoit promis.
La conférence se tint, où furent accordés les articles
nommés la Conférence de Nérac : la Reyne part et
s'en va à Agen^, où le sieur de Duras la vint trou-
1. C'est le 7 mars que la reine mère arriva à Agen. Le 10,
140 MÉMOIRES [Mars 1579
ver; ce que sçachant, je pars de Nérac avant la pointe
du jour, et me rendis vis-à-vis d'Agen, du mesme
costé de Nérac, d'où j'envoyay un gentilhomme au
sieur de Duras, luy dire le lieu oîi je l'attendois avec
une épée et un poignard, pour tirer raison de luy des
paroles qu'il avoit dictes de moy ' . Le message fut bien
fait; mais, peu après, ledict Duras fut arresté; je ne
le sceus point qu'il ne fut plus de dix heures, n'ayant
cessé de pleuvoir toute la matinée. Averty que je fus,
je montay à cheval et m'en allay à Nérac, où le roy
de Navarre estoit prest de monter à cheval pour
apprendre de mes nouvelles. Il estoit question de faire
exécuter, de sa part, des catholiques romains et de
ceux de la Religion, les articles accordés. Le roy de
Navarre voulut que je prisse cette commission en
toute la Guyenne. Ayant receu ses commandemens,
j'allay à Agen trouver la Reyne ; je prenois cette charge
mal volontiers, cognoissant que ce ne seroit que des
contestations odieuses, estant presque impossible, en
tel cas, de satisfaire les uns et les autres, et le plus
souvent les laissans tous mal-contents; d'ailleurs, il ne
se présentoit nulle occasion où estre employé ; ce
elle chargeait le vicomte de Turenne d'aller conjointement
avec le maréchal de Biron faire exécuter l'édit de paix en
Quercy, Rouergue, Périgord et Limousin. (Voir Lettres de
Catherine de Médicis, p. 297.)
1. Ce duel fameux, que tous les écrits du temps ont relaté,
eut lieu le 17 mars 1579; Jacques de Durfort assistait son
frère Rosan, et le baron de Salignac était le second du
vicomte de Turenne. Il donna lieu à de nombreuses récrimi-
nations et à une longue enquête. Le 23 juin, le roi, par un
acte spécial, fit défense aux deux adversaires de continuer
leur querelle. (Voir Lettres de Catherine de Médicis, t. VL
Pièces justificatives, n° XLIV.)
Mars 1579] DU VICOMTE DE TURENNE. 14i
qu'un jeune homme qui veut parvenir doit rechercher
de ne demeurer oisif.
Estant à Agen, la Reyne nous accorda, le sieur de
Duras et moy, qui m'estois satisfait par cet appel, n'y
ayant nuls propos injurieux. Ainsi qu'on travailloit
pour l'ordre de l'exécution des articles, s'y estans
passés quelques jours, estant retiré en mon logis, le
sieur de Duras y vint. Je le receus avec honneur; nous
approchasmes d'une fenestre, nous reculans de la
troupe de force gentilshommes qui estoient dans ma
chambre. Il me dict que son frère de Rosan estoit venu,
et que si je voulois parler à luy, qu'il le feroit trouver
où je voudrois. Je luy dis qu'encore que j'eusse des
défences et que j'estois là pour les affaires publiques,
que son avertissement m'obligeoit à jouir de son offre,
et que, le lendemain de grand matin, je me trouverois
au bout du gravier (ainsi appelle-t-on la place qui est
entre la ville et la rivière de Garonne, du costé qui
va à La Foz), monté sur un courtaut, avec une épée
et un poignard, et que là, son frère et moy nous nous
contenterions. Il me dict qu'il vouloit estre de la par-
tie; je refusay cela : il me le contesta; je m'accorde
d'y mener un amy, adjoustant que personne n'avoit
ouy nos propos, et que de ma part rien ne m'empes-
cheroit. Nous nous donnons le bon soir; je le condui-
sis jusques dans la rue. Soudain, après estre retourné
en ma chambre, je donnay le bon soir à tout le
monde, et envoyay quérir le baron de Salagniac^
1. Jean de Gontaud-Biron, baron de Salignac et de Saint-
Blancard, chambellan du roi de Navarre, gouverneur du
comté de Périgord, mort en 1610. Il était né en 1553 à Sali-
gnac, au diocèse de Cahors, et commença par faire l'office de
i42 MÉMOIRES [Mars 1579
auquel je dis ce qui s'estoit passé entre Duras et moy,
et que je le priois de m'assister en cela; ce qu'il
accepta volontiers. Nous avisasmes nos épées et poi-
gnards, et en prismes chacun une, longue de trois
pieds, épées que nous portions ainsi ordinairement,
et aussi deux poignards, n'estant lors cette vilaine et
honteuse coustume, introduite depuis, de porter aux
duels des épées de cinq ou six pieds, des poignards
avec des coquilles, comme des demy rondaches. Gela
fait, nous nous séparons.
Le matin, avant jour, il me vint trouver; ayant
accommodé la pointe de nos épées, nous résolusmes
d'user de toutes les courtoisies que les occasions nous
offriroient envers ceux à qui nous devions avoir affaire.
Je pris un pourpoint découpé, en quoy je fallois, pour
se pouvoir aisément embarrasser dans les découpures
les gardes du poignard ou de l'épée. Le jour venu,
nous prenons chacun un courtaut, des espérons sur
nos bas de soie, nous faisant suivre par un petit
laquais; nous sortons par la porte du Pin, et nous
nous rendons au lieu désigné, où nous demeurasmes
près de deux heures ; à la fin, nous voyons venir les
deux frères, montés sur deux chevaux d'Espagne,
contre ce qu'ils avoient arresté. Ils s'approchent de
nous et veulent mettre pied à terre; je leur dis :
« Allons plus loin, voilà des gens qui courrent après
courrier diplomatique entre Henri de Béarn et la reine mère,
puis il servit brillamment sous Du Plessis, Rosny, Turenne,
combattit à Coutras, fut nommé en 1596 lieutenant-général en
Limousin et enfin ambassadeur à Constantinople. Il avait
épousé Marguerite Hurault, petite -fille de l'Hospital. (Voir
les Gontaud-Biron et les réformés de Salignac, par Joseph
Beaune. Périgueux, 1896, in-8''.)
Mars 1579] DU VICOMTE DE TURENNE. 143
nous qui nous sépareroient. » Nous galoppons envi-
ron deux cents pas, bouillans de venir aux mains, et
craignans que de la ville on ne courust et fussions
empeschés. Je m'arreste et mis pied à terre, et, le
baron près de moy, faisons oster nos espérons et
priasmes Dieu; eux mirent aussi pied à terre. Duras
s'avance pour nous visiter; nous estions tous détachés,
la chair nous paraissant par les ouvertures de nos
chemises; eux ne l'estoient, mais seulement débouton-
nés de quelques boutons. Ainsi que Duras me visitoit,
je luy mis la main sur le pourpoint, luy disant qu'il
n'estoit maillé, le tenant trop galant homme; je dis
de mesme à son frère, qui estoit à dix ou douze pas
de moy ; je vis qu'il avoit des espérons ; je luy dis qu'il
les ostast, le pouvans faire tomber, ce qu'il fit ; Duras
me dict ce que j'avois à demander à son frère ; je res-
ponds que nous n'estions là pour nous en éclaircir
que par les armes, lesquelles nous mismes au poing,
et allasmes les uns aux autres. Je luy donnois des
estocades, que je croyois le percer; il me blesse un
peu à la main gauche ; il tombe : je le fais relever ; je
veux aller aux prises en me jettant sur luy ; je ren-
contre le bout de son épée du bras gauche et m'en
blesse; l'ayant mené plus de soixante pas, j'ouïs le
baron de Salagniac qui disoit à l'aisné : « Prenez une
autre épée. » Il survint neuf ou dix hommes de Duras,
qui commencent à me charger par devant et par der-
rière, de sorte qu'ils me donnèrent vingt-huict coups,
de quoy il y en avoit vingt-deux qui me tiroient du
sang, et les autres dans mon habillement; je ne
tombe ny mes armes; pensans m' avoir donné assez
de coups, ils me laissent.
144 MÉMOIRES [Mars 1579
Il arrive quelques gens de la ville, mesme le gou-
verneur, le sieur de Lusignan*, qui me rameine;
estant pansé, mes coups se recognoissent sans dan-
ger. Le roy de Navarre vint le lendemain sur le gra-
vier pour me quérir, où la Reyne l'alla trouver. 11
témoigna un très-vif ressentiment de la supercherie
qu'on m'avoit faite. Je m'en allay à Nérac, où je fus
tost guéry.
Il ne se peut rien faire aux actions de nostre vie
de plus injuste envers Dieu, ny qui doive tant offen-
ser les souverains, que tels combats, auxquels nous
nous faisons meurtriers de nos ennemis ou de nous,
et bien souvent de tous deux ; nous disposons de nos
vies, qui ne nous sont libres, dépendantes des com-
mandemens de nos souverains pour les employer à
la défense de nostre patrie et en ses querelles; la
seule fantaisie fait l'offense, et soumettant nostre hon-
neur à pouvoir estre blessé par la seule imagination de
moy ou d'autruy, et, pour le réparer, nous allons offen-
ser Dieu griefvement, nostre prince, mettre nostre
honneur au hazard; n'estans les armes décisives pour
celuy qui a la meilleure cause, les événemens arrivans
souvent au contraire, nous bazardons nostre vie et nostre
bien. C'est pourquoy, mon fils, si l'édict^qui est mainte-
nant observé sur ce sujet vient à n'estre observé lors
que vous serez en aage de porter les armes, je vous
commande, prie et conseille que vous évitiez toutes
occasions de querelles, avisiez de n'offenser personne;
1. Henri de Lusignan ou Lezignan, capitaine huguenot, ami
du roi de Navarre, qui eut plus tard le gouvernement de la
ville et du château de Puimirol.
2. L'édit de Henri IV contre les duels.
Mai 1579] DU VICOMTE DE TURENNE. 145
rendez-vous discret entre les gens de vostre aage et
avec tous autres de ne leur dire rien qui les puisse
fascher; gardez-vous de vous mocquer, la mocquerie
suscitant souvent des querelles; empeschez-vous des
jeux de mains, qui sont ordinairement occasion de
faire des offenses entre les meilleurs amis ; si on vous
offense, avisez de ne la recevoir légèrement ; mais, l'es-
tant, prodiguez tout pour conserver vostre honneur
et vostre réputation, à laquelle ayant laissé faire
bresche, toutes les autres vertus sont inutiles aux
hommes de vostre qualité ; et est celui-là incapable de
s'agrandir jamais en sa condition, mesmement entre
les François, où la vaillance est si commune que, celuy
qui ne l'est, paroist comme un homme indigne d'au-
cune louange ny mérite; mais, si vous estes sage et
discret, vous vivrez avec une honneste et bienséante
société qui vous empeschera de querelles, et n'aurez
à porter vostre vie au péril, et vous donnerez de la
réputation au service de Dieu et de vostre Roy. En
mesprisant les dangers, vous témoignerez vostre cou-
rage ; et, si en telles actions vous y trouvez ou des
blessures ou la perte de la vie, vous aurez trouvé cela
où il faut le chercher, et aurez, soit en vos douleurs,
soit en mourant, cette satisfaction, que vostre honneur
en sera accreu, et la mémoire en sera bonne à ceux
qui vous survivront.
J'ay fait cette disgression, d'autant que ce sont les
plus importantes actions qui se pourront présenter
au cours de la vie.
La Reyne mère s'ennuyoit; elle avoit fait son traitté,
qui luy sembloit estre suffisant pour contenter tout le
monde de l'issue de son voyage, et qu'elle avoit remis
10
146 MÉMOIRES [Mai 1579
sa fille avec leroy de Navarre; néantmoins, elle jugeoit
que ces choses ne seroient de durée ; elle part, et s'en
va à Toulouse, et de là prit son chemin par Gastelnau-
dary vers le Bas-Languedoc, où le roy de Navarre
l'alla trouver, et se dirent adieu avec témoignage
d'affection ^ . Nous nous en retournons à Nérac ; on pour-
suit l'exécution des édicts et conférence de Nérac,
en quoy plusieurs choses furent omises de part et
d'autre, mesmement en Languedoc, où quelques
petites places que tenoient ceux de la Religion dévoient
estre délaissées, ne le furent point; aussi du costé des
catholiques il y eut diverses omissions à l'exécution
de la conférence, estant certain que les uns et les
autres, qui avoient leurs esprits portés à la faction,
estoient bien aises par les désobéissances se garder
tousjours quelques armes en la main ; cela nourrit et
continua les méfiances de part et d'autre. Mons"^ le
mareschal d'Amville monstroit se vouloir séparer du
roy de Navarre; ceux de la Religion en Languedoc
se préparoient ; Mons' de Chastillon, fils de Mons"^ l'ad-
mirai, mort à la Saint-Barthélémy, pour leur comman-
der sous le roy de Navarre. Les soupçons croissans,
on tint une assemblée générale de ceux de la Religion
à Montauban^, où l'on fit union plus estroite de tout
le corps; et, pour estre plus certain des commande-
mens et résolutions, lors qu'il l'audroit que tout le
général suivist une mesme délibération, on rompit
1. La séparation eut lieu à Castelnaudary le 7 mai 1579. La
reine mère en a raconté les incidents avec une véritable émo-
tion. (Voir Lettres, t. VI, p. 357 et suiv.)
2. C'est l'assemblée de janvier 1580, où fut décidée la prise
d'armes.
Nov. 1579] DU VICOMTE DE TURENNE. 147
quelques escus, desquels toutes les moitiés demeu-
rèrent entre les mains du roy de Navarre, et les autres
furent données à Mons"" le Prince, et à chacun de nous
les principaux du party, et à chaque province, pour
les garder entre les mains de gens eslus, et ensuite
ordonner ce qu'ils auroient à faire, lors qu'on les aver-
tiroit de quelque résolution générale.
Nous séjournasmes à Montauban quelque temps;
chacun s'employoit à se préparer à un nouveau
remuement et à recognoistre des places. Mons"" le
Prince avise à se restablir dans le gouvernement de
Picardie, estimant qu'il le luy falloit faire par surprise
de place, mais que, l'ayant fait, il falloit qu'un remue-
ment grand divertist le Roy de l'attaquer, ou pour le
moins si fortement que, s'il n'estoit point diverty
d'ailleurs, il bastit une entreprise sur la Fère, nous
aussi aucunement pressés par divers attentats au pré-
judice des édicts, mais ayans aussi envie d'avoir les
armes à la main.
Mons*" le Prince résout son partement de Saint-
Jean ^ avec cinq ou six hommes, leurs barbes et che-
veux teints et des emplastres sur le visage, pour se
faire mécognoistre, alla en poste, passe près de Paris
et se rend à la Fère^, de laquelle il se saisit. Nous
prismes aussi jour pour la prise des armes, qui tom-
1. Condé partit déguisé de Saint- Jean- d'Angély avec
quelques partisans; il en trouva d'autres qui l'attendaient à
Mouy et à Brieux (Oise). (Cf. d'Aubigné, Hist. univ., t. VI,
p. 48.)
2. La surprise de la Fère est du 29 novembre 1579. Ce ne
fut que trois ou quatre mois plus tard que les protestants du
Languedoc coururent aux armes. Le récit de Turenne tient
assez peu de compte des dates précises.
148 MÉMOIRES [Nov. 1579
boit quelques vingt jours ou un mois après celuy de
la saisie de la Fère. Mons"" le Prince, estant à la Fère,
envoyé vers le Roy l'avertir de son arrivée, s'excu-
sant de ce qu'il avait entrepris cela sans son comman-
dement, sur la crainte qu'il avoit que Sa Majesté eust
plustost déféré aux persuasions de Mons"" de Guyse
qu'à ses prières ; mais qu'il n'estoit là pour remuer,
mais pour faire tout ce qui luy seroit commandé ; con-
seil pris avec nous de ce procédé amuser le Roy, qui,
au lieu de s'aigrir, commence à traiter avec ledict
Prince pour régler l'authorité qu'il pourroit avoir, et
exercer son gouvernement; ce que croyant, ledict
Prince estima que la prise des armes ne feroit qu'em-
pescher son establissement, envoyé vers le roy de
Navarre pour le divertir de la prise des armes ^ Le
jour donné, un chacun pouvant avoir fait un mouve-
ment qui seroit mal aisé de réparer, Mons"" le Prince,
n'ayant qu'une partie des raisons de la prise des
armes dépendante de luy, nous luy redepeschons,
l'avertissant que les choses estoient si avancées,
qu'elles ne s'estoient pu retarder. Nous nous en reve-
nons à Montauban, d'où le roy de Navarre part pour
aller à Agen, et me donna le commandement du Haut-
Languedoc^.
1. C'est à cette époque qu'on place les amours de Turenne
avec Marguerite de Valois, dénoncées au roi de Navarre par
Henri III. Tout cela pourrait être de la légende, aussi bien
que l'anecdote grivoise racontée par Tallemant des Réaux.
2. Vers le même temps, Turenne résolut de pi'endre le gou-
vernement du Haut-Languedoc, où il serait seul et pourrait
facilement surveiller les agissements de Daraville, devenu duc
de Montmorency par la mort de son frère aîné, et qui semblait
se rapprocher de la cour.
1580] DU VICOMTE DE TURENNE. 149
Je pris congé du roy de Navarre, y ayant eu plu-
sieurs qui trouvèrent estrange comment je prenois
le Haut-Languedoc, et laissois la lieutenance de
Guyenne, où j'avois si long-temps commandé, et où
j'avois pris une grande créance. Je désiray de prendre
une charge où je fusse seul, afin que le bien ou le
mal que j'y ferois me fust imputé, estant l'ordinaire
que la louange des grandes actions est souvent
emportée par le chef, et ceux qui sont dessous en
recouvrent souvent fort peu. J'avois, outre cela, un
sujet qui me convioit à m'éloigner dudict roy, pour
m'éloigner des passions qui tirent nos âmes et nos
corps après ce qui ne leur porte que honte et dom-
mage; à quoy Dieu nous assiste, lors que nous nous
gardons assez puissans pour nous servir et prendre
les occasions qui nous éloignent du mal. Avant que je
partisse, les catholiques avoient pris la ville de Sorèze^
par surprise, qui avoit mis un chacun en al larme; de
sorte que je courois beaucoup de danger avant que
d'estre à Puylaurens-, où je me rendis; et là, me
vinrent trouver tous les députés des villes de Laura-
guais, avec les principaux gentilshommes, me témoi-
gnans une grande joye de mon arrivée, et de ce qu'ils
auroient à m'obéir. De là, j'allay à Castres^; les armes
1. Sorrèze (Tarn), cant. de Dourgne, à 26 kil. de Castres. La
ville, prise par les catholiques le 3 mars 1580, fut reconquise
par les protestants le 14 septembre suivant.
2. Puylaurens (Tarn), arr. de Lavaur. — Le vicomte de
Turenne, à la tête de ses troupes, y séjourna très fréquem-
ment du mois d'avril au mois d'août 1580.
3. Castres (Tarn) était à cette époque une sorte de petite
capitale, ayant évêché, sénéchaussée, justice l'oyale. Les pro-
testants y étaient peu nombreux et avaient obtenu qu'on y éta-
150 MÉMOIRES [1580
se prenoient. Avant que rien entreprendre, j'estimay
qu'il falloit establir un ordre aux finances, aux armes
et à la police, qui me fit faire une convocation de
toutes les villes dépendantes de mon gouvernement,
de la noblesse et des ministres à Castres, où estans
assemblés, je leur fis entendre la cause de la prise
des armes, qui leur pouvoit estre mieux connue qu'à
nuls autres, d'autant que cette province avoit pressé
mon envoy pour leur commander, suivant ce qu'ils
avoient désiré ; que je désirois en leur commandant y
avancer les affaires publiques, les garder des dom-
mages de leurs ennemis, et y acquérir de l'honneur;
que pour le faire il falloit establir un ordre par lequel
les gens de guerre peussent, estans entretenus, vivre
avec discipline et obéissance qu'il falloit pour la garde
des places, et pour ceux qui serviroient à la campagne,
tant pour pouvoir entreprendre que pour s'opposer
aux ennemis, qu'ils sçavoient pouvoir estre beaucoup
plus forts que nous, ayans et plus de moyens et plus
d'hommes. Je me retire de l'assemblée, afin de les
laisser libres et recueillir leurs voix; peu de temps
après, ils envoyent vers moy en mon logis deux de
chaque corps, pour me remercier de ce que j'avois
quitté de plus grandes charges pour leur venir com-
blît pour eux une « chambre de l'édict. » Turenne s'y posait en
chef de parti, entendant faire respecter son autorité. Il arriva
à Castres le 17 avril, et l'assemblée dont il parle se tint le
22 avril 1580, au lendemain d'une entrée solennelle où il fut
acclamé comme « général en ce pays. » — Tous les détails
relatifs au séjour du vicomte et à ses exploits dans celte région
se trouvent mentionnés au Journal de Faurin sur les guerres
de Castres, publié à Montpellier, en 1878, par M. de la Pijar-
dière, archiviste de l'Hérault. Gr. in-S**, 268 p.
1580] DU VICOMTE DE TURENNE. 151
mander, qu'ils vouloient suivre mes conseils et dépar-
tir les moyens qu'ils avoient selon ce que je jugerois
le plus nécessaire, et me prioient me trouver le len-
demain au lieu de l'assemblée, pour y présider et y
résoudre toutes les affaires.
Le lendemain, ils me font voir de quoy ils pou voient
faire estât pour l'entretenement de toutes les dépenses,
leurs deniers dépendans de trois natures, sçavoir :
des impositions en forme de taille, qui se jetteroient
sur chaque consulat, desquelles il y en avoit une partie
de certaines, qui estoient celles des consulats de la
Religion, les autres douteuses, pour estre toutes ou
partie du consulat de Rome ; l'autre nature de deniers
estoit les biens ecclésiastiques; et la troisiesme les
biens des catholiques romains qui faisoient la guerre.
Le revenu estimé, on avisa combien chaque diocèse
avoit de places qui tinssent pour nous, et les garnisons
qui leur falloit, tant pour les garder de surprise que
pour empescher que les garnisons des ennemis n'em-
peschassent leurs vivres, commerce et autres libertés.
Cette dépense tirée à part, on avisa ce qui restoit
pour entretenir près de moy quelques forces, qui
furent seulement de huict cens hommes de pied, cent
chevaux et cinquante arquebusiers de ma garde, avec
cela quelques forts pour se servir de trois canons qui
estoient dans la province. Pour les autres parties ino-
pinées, elles restèrent à prendre sur des moyens ino-
pinés et incertains. Gela résolu, chacun se sépare.
J'avois autour de la ville de Castres huict ou dix
garnisons des ennemis comme la Brugère^ où com-
1. La Brugière, à 9 kiL de Castres, ch.-l. cant. du Tarn.
152 MÉMOIRES [1580
mandoit le sieur de La Croisette * , lieutenant de
Mons"" d'Amville ; l'autre Villemur^, Soucelle-Saint-Mar-
tin^, et quelques autres : la plus éloignée à deux lieues.
Je pris grand soin de bien commencer, afin de donner
une bonne opinion de moy aux nostres et de la crainte
aux ennemis, estant une chose de grand profit à la
guerre de donner une bonne impression de son cou-
rage et de sa conduite. La garnison de toutes celles
qui nous estoient contraires, là où il y avoit le plus
d'hommes meilleurs et le mieux commandés, c'estoit
la Brugère. Après avoir bien fait cognoistre les ave-
nues et observé leur ordre pour sortir aux allarmes,
j'appris qu'il y avoit un chemin creux assez proche
de la ville, dans lequel on se pouvoit embusquer sans
que la sentinelle du clocher de la ville peust voir
l'avenue de ce chemin creux, et qu'aux allarmes ils
estoient prompts à sortir et en désordre, ce à quoy
ils avoient esté cognus par plusieurs petites courses
de peu de gens que j'avois fait faire le jour précédent
à leurs portes. Je pars de Castres avec deux cents
hommes de pied, quatre-vingts chevaux et mes
gardes pour m'aller embusquer dans ce chemin, et
donnay au sieur Boisselin^, mon lieutenant, vingt
chevaux pour aller à la' porte de la ville, et ainsi
qu'ils verroient qu'ils sortiroient qu'il se retirast, de
1. Jean de Nodal, s"" de La Croisette, gentilhomme catholique.
2. Villemur-sur-Tarn, où commandait le seigneur de Reniés.
3. Texte difficile à corriger. Peut-être faudrait-il lire :
« Villemur sous [le capitaine] Saint-Martin ? »
4. Jean de Boisselin, ou peut-être Jean de Boisselet, sgr de
la Cour d'Arcy et de Mailly-la-Ville, capitaine d'une compa-
gnie d'arquebusiers à cheval.
1580] DU VICOMTE DE TURENNE. 153
sorte qu'il ne fist pas paroistre aux ennemis qu'il eust
autre attente de salut qu'à Castres et qu'il prist le che-
min de sa retraite par un endroit que je luy dis,
lequel je pouvois voir du lieu où j'estois embusqué.
Nous nous acheminons; tout se conduit selon
l'ordre donné; nous sommes en nostre embuscade;
Boisselin donne près la porte; les ennemis sortent, la
cavalerie pousse les nostres, qui estoient bien soixante
chevaux ; environ deux cents hommes de pied les sui-
voient : ils outrepassent nostre embuscade; l'infan-
terie, les suivant par un autre chemin, la recognut :
ce que voyant, je désembusque et coupe la cavalerie
entre la ville et en tuasmes ou prismes la pluspart;
nous pressasmes l'infanterie, desquels il ne nous en
demeura que peu, le pais estant plein de fossés, qui
nous empescha de nous pouvoir bien mesler, ainsi
que l'eussions fait autrement.
Ce premier coup me prévalut tout le long de cette
guerre vers les nostres et vers les ennemis ; il se passa
quelques mois sans qu'il se fîst rien de notable. Le
mareschal de Joyeuse, qui commandoit en Langue-
doc, et le sieur de Cornusson, séneschal de Thou-
louse, assemblèrent toutes leurs forces vers Garcas-
sonne pour venir renvitailler Sorèze, que nous tenions
comme investie par les forts que nous avions autour ;
ils t-'aisnèrent trois canons pour forcer lesdicts forts.
Sorèze est une petite ville assise au pied de la mon-
tagne, qu'ils appellent au pais Nègre. Ayant avis de
leur assemblée et de leur dessein, je mande toutes les
garnisons et donne leur rendez-vous à Ravel ^, ville
1. Ravel, ch.-l. decant., arr. de Villefranche-de-Lauraguais.
154 MEMOIRES [Juin 1580
que nous tenions à une lieue de Sorèze, où je me
trouvay le jour que les ennemis descendirent la mon-
tagne pour venir à Sorèze, ayans demy lieue de plaine
à passer avant que d'estre à Sorèze. Je montay à che-
val avec environ deux cents chevaux, tant pour
recognoistre l'armée ennemie que pour asseurer ceux
qui estoient dans nos forts que, s'ils estoient atta-
qués, je les secourerois. Après avoir veu entrer et
loger l'armée contraire le long des fossés de leur ville
et veu ceux qui estoient dans les forts en bonne
occasion, je mé retire à Ravel. Le capitaine Franc, qui
venoit de Puylaurens au rendez -vous, entendant
dire que j'estois à cheval et que les ennemis arrivoient
à Sorèze, estima que je pourrois avoir affaire de luy;
au lieu de venir à Ravel, il alla droit à Balbausse^ un
des forts que je tenois, qui estoit un moyen corps de
logis de pierre de taille, avec des guérites aux quatre
coins et deux petits ravelins au milieu de chaque face
du corps de logis; il joint à la susdicte maison un bois
renfermé de fossés, ainsi que le sont presque tous les
champs en ce païs-là. Les ennemis, voyans et enten-
dans par les tambours cette infanterie, remontent à
cheval, prennent leur infanterie et viennent attaquer
la nostre, qui, au lieu de se renfermer, se résolut de
garder le bois. Les ennemis, avec six ou sept cents
chevaux et trois mille hommes de pied, attaquent
les nostres; la cavalerie ne le pouvant à cause du
fossé, tout le combat se démesla par l'infanterie.
1. Ne serait-ce point le fort de la Balbaugie, ou Valbaugie,
près Sorrèze, dont Turenne venait de s'emparer? (Voir Jour-
nal de Faurin sur les guerres de Castres, p. 106.)
Juin 1580] DU VICOMTE DE TURENNE. 155
Gela dura depuis les quatre heures jusqu'à la nuit^.
J'estois à Ravel, sans le moyen de secourir les
nostres, n'ayant pas plus de deux cents chevaux et
sept ou huit cents hommes de pied, le pais fort con-
traire, pour la quantité de fossés, ceux qui sont les
premiers placés ayans grand avantage sur ceux qui
attaqueroient. J'assiste les nostres de poudres portées
par quelques gens de cheval, qui, avec hazard et sça-
chant bien les avenues de ce lieu, passoient : la nuit
les sépara; les nostres se retirèrent proche de la mai-
son, laissant quelques hommes dans le bois pour tenir
les ennemis en croyance qu'ils le gardoient; lesdicts
ennemis font leurs feux, posent leurs gardes, démons-
trant de les vouloir attaquer le lendemain, recognois-
sans la faute qu'ils avoient faite de n'y avoir mené
leur artillerie. La nuit venue, je mis en délibération ce
que nous devions faire pour le salut des nostres, leur
perte nous estant de conséquence, telle qu'il s'ensui-
vroit celle de la pluspart du pais. Nous prismes réso-
lution de partir dudict Ravel tous à pied, avec les
armes de main que nous peusmes trouver, n'ayant en
cette heure-là nostre infanterie que peu ou point de
picques. Nous fismes trois petits corps de nos hommes
armés; le mien estoit de cent hommes, et chacun des
autres de cinquante ou soixante; ayans logés à nos
flancs quelques arquebusiers, le gros de nostre infan-
terie marchoit entre nos petits gros d'hommes armés,
qui avions pris deux chemins peu éloignés l'un de
l'autre, qui se venoient rencontrer assez proche du
lieu oîi nous pensions trouver les ennemis. Nous
1. La petite expédition fut assez meurtrière, puisque « deux
cents papistes » 3' trouvèrent la mort ; elle eut lieu le 16 juin 1580.
156 MÉMOIRES [1580
n'avions peu avertir les nostres de nostre achemine-
ment pour leur secours.
En cet ordre, nous arrivons et trouvasmes les
ennemis retirés, sans que les nostres en eussent eu
avis; aussi, nous les prismes avec nous, et, laissans
dans la maison quelque cinquante hommes, je me
retiray à Ravel, las du chemin qu'avions fait tous
armés, bien aises d'avoir retiré les nostres. Les enne-
mis, le lendemain matin, se mettent en bataille, font
marcher moins de mille pas de la contrescarpe de
Sorèze leurs trois canons et commencent à battre la
pallissade et le logis de la Borie-Blanque^ Ceux que
j'avois laissé dedans relèvent un peu de terre entre
le fossé et la maison, où ils se tenoient pour empes-
cher l'assaut, à quoy ils voyoient l'ennemy préparé
aussitost que la pallissade seroit rompue et que les
ruines pourroient avoir un peu remply le fossé.
Entendant la batterie de Ravel, je sors avec mes
troupes et commence à marcher droit aux ennemis,
lesquels, me voyans venir, retirent quelques compa-
gnies de cavalerie qu'ils avoient avancé sur mon che-
min; ils donnent l'assaut, duquel ils furent repoussés;
je continue à marcher, ayant fait ma teste de deux
troupes d'infanterie d'environ six cens hommes de
pied; les ennemis retirent leur artillerie et viennent
prendre leur place sur leur contrescarpe; j'essaye,
par quelques escarmouches, de les convier de s'avan-
cer, mais ils ne le voulurent faire; ce que voyant, et
la nuict s'approchent, ayant visité si nostre Borie se
pouvoit réparer et mettre en estât, qu'estans retour-
1. Petit fort, qui tenait son nom d'un capitaine du pays.
1580] DU VICOMTE DE TURENNE. 157
nés à Ravel, les ennemis la retourneroient assaillir
avant que nous peussions la secourir : ce qu'ayant esté
jugé impossible, avec l'avis des capitaines, je la fis
brusler; les ennemis, délogeans le jour d'après,
reprennent la montagne, se retirent, se séparans cha-
cun en leur garnison.
Ceux de Thoulouse, qui ont esté fort cruels à ceux
de la Religion, estimans que leur armée nous osteroit
de la campagne, font brusler diverses maisons appar-
tenantes à ceux de la Religion, qui me fit envoyer
vers eux leur signifier que, s'ils ne faisoient cesser
telles rigueurs et se maintenir dans l'usage de ce que
la guerre permet, que j'en ferois de mesme. M'ayant
fait réponse, qui ne me contenta, je résolus de faire
cesser la cruauté par la cruauté, quoique plusieurs qui
avoient leurs biens au pouvoir des ennemis n'approu-
vassent ma résolution. Je ne laissay de partir le len-
demain avec trois canons, m'estant venu joindre le
sieur Daudou^, de la maison de Leran, qui comman-
doit à Foix, et marche vers Thoulouse, envoyé
quelques troupes, qui brusièrent quelques métairies^
appartenantes à quelques principaux de Thoulouse et
pris huict ou dix forts assez importans avec mon
canon, entre lesquels fut la maison de Beauville,
appartenante à ceux de Malras^, où il arriva une
1. Jean-Claude de Lévis, baron d'Audou et Balesta, gouver-
neur du comté de Foix, capitaine huguenot, qui, de sa rési-
dence de la Bastide d'Audou, près Toulouse, répandait la ter-
reur dans les régions voisines.
2. Comme les châteaux de Fayet, Ferrières et Beauville, qui
furent brûlés le 28 juin.
3. Le ms. de P. Dupuy, l'un des meilleurs qui aient été con-
158 MÉMOIRES [1580
chose estrange, néantmoins très vraye. Ayant tiré
quelques canons au machicolis, nos soldats, les plus
hardis que j'aye jamais veu, vinrent au pied de trois
tours qui faisoient un triangle eu égard à elles, ayans
une galerie à chacune pour leur estre communicables
les unes aux autres ; les nostres en prennent les deux :
à la plus grosse ils mettent le feu à la porte ; la porte
bruslée, ils remplissent le bas estage de matière brus-
lante en telle quantité que, quoique les estages fussent
bien hauts et voustés, les voustes s'échauffent telle-
ment, qu'estant les soldats et le peuple qui s'estoit
mis là-dedans retiré au plus haut, la chaleur les con-
traignoit de telle sorte que ny eux, ny nous, n'ayans
moyen de les délivrer de ce piteux estât, ils se préci-
pitoient du haut en bas avec grande pitié.
Un enfant de douze ans^, à ce qu'il m'a dict depuis,
s'estant réservé au second estage, la fumée et le feu
le pressant, se montre à la fenestre, où il luy fut tiré
beaucoup d'arquebusades, desquelles deux luy don-
nèrent dans la barrette bleue; deux gentilshommes
qui estoient à moy firent cesser de luy tirer : cet
enfant monte sur la fenestre, tourne son visage vers
serves, s'arrête à ces mots : « ... ceux de Malras. » Il est à obser-
ver que cette copie est datée de 1G27, tandis que l'édition de
l'avocat du Parlement, Pierre le Franc, est achevée d'imprimer
le 30 juillet 1066, le privilège royal étant daté du mois précé-
dent. — Pierre de Malras, baron d'Yolet, capitaine de Mur-de-
Barrès, fut un des gentilshommes protestants du Languedoc les
plus dévoués à Henri de INavarre : il était l'ami de Turenne.
Il avait un frère, François de Malras, marié à Gasparde de
Taillac.
1. L'anecdote est racontée à peu près dans les mêmes
termes par le Journal de Faurin, p. 107.
Sept. 1580] DU VICOMTE DE TURENNE. 159
la tour, qui estoit ronde, et, sans aucun soin, com-
mence à s'appuyer des mains et des pieds contre la
tour (foible appuy sans l'admirable assistance de
Dieu), descend de là jusques au bas, où il y avoit plus
de trente pieds, sans tomber; il est reçeu par les
miens, qui me l'ameinent; enquis comme il avoit fait,
ne le sçavoit bien, sinon qu'il avoit toujours prié Dieu.
Je le voulus retenir pour le nourrir, il ne voulut; au
contraire, il désira d'aller chez sa mère, qui estoit en
un village proche, appartenant au comte de GramaiP :
je l'y fis conduire et luy donnay quelque argent; il
estoit borgne, et croy qu'il est encore en vie.
Gela pris, je me retiray à Castres et remis mes
troupes en garnison; bientost après, on commença à
parler de la paix^. Le roy de Navarre m'envoye
quérir, me faisant cet honneur de ne résoudre
aucunes affaires d'importance sans m'en communi-
quer^. Monsieur, frère du Roy, vient luy-mesme en
Guyenne, avec le pouvoir du Roy pour la traiter,
assisté de quelques conseillers d'Estat. J'avisay^ à
1. Hubert le Vergeur, comte de Cramailles.
2. C'est le traité de Fleix, négocié par le duc d'Anjou et
signé un peu plus tard, le 26 novembre 1580. Les pourparlers
avaient lieu au château de Fleix, appartenant à Gaston de
Foix, marquis de Trans.
3. Turenne ne fait aucune allusion dans ses Mémoires ni au
voyage de Strozzi en Guyenne, pendant que lui et sa sœur
résidaient à la petite cour de Nérac, ni au désir de ce même
Philippe Strozzi d'épouser sa sœur, veuve du comte de Tende,
ni à la conduite singulière du roi, qui déjà poursuivait de sa
haine Marguerite de Valois. (Voir Mathieu, Hist. du règne de
Henri III, 1. VII.)
4. On lit dans le Journal de Faurin : « En ce mois de sep-
tembre, presque sur la fin, Mons"" le viscomte de Turenne
160 ■ MÉMOIRES [Oct. 1580
laisser la province asseurée et en bon odeur du ser-
vice que j'y avois rendu. Ils eslurent quelques dépu-
tés, ainsi qu'il fut fait par toutes les autres provinces
qui recognoissoient le roy de Navarre pour leur pro-
tecteur, pour assister audict traitté, qui fut fait à
Goutras, où, par Mons*^ le prince d'Orange, de la part
de toutes les provinces des Pays-Bas, furent envoyés
des députés pour offrir leurs provinces à Monsieur ^
La paix conclue, iMons'' le prince de Gondé, père de
celuy qui vit, se trouva mal content du traitté, esti-
mant qu'on ne s'estoit assez souvenu de luy, qui ne
faisoit que d'arriver d'Allemagne, ayant trouvé en la
province des esprits qui flattoient son mescontente-
ment, en sorte qu'ils ne vouloient y laisser publier la
est party de la ville de Castres et s'en est allé vers la France
avec toute sa suite. »
1. Le célèbre patriote Marnix de Sainte-Aldegonde avait
suivi le duc d'Anjou pour rendre compte aux Etats-généraux
des Pays-Bas de ses dispositions de chaque jour. En même
temps, il leur racontait froidement ce qui se passait sous ses
yeux. Il écrivait de Fleix, le 30 octobre 1580, que Turenne
était arrivé à Bergerac, mais qu'il était retenu par la fièvre,
ce qui pourrait retarder les négociations de la paix en France.
Puis, le 21 novembre, il disait que le vicomte discutait les
conditions avec le duc d'Anjou, le roi de Navarre, les députés
protestants du Languedoc et de la Guyenne et MM. de Bellièvre
et de Villeroi, envoyés parla cour. Enfin, le 17 décembre 1580,
il mandait de Coutras au prince d'Orange : « Hier, vers le
soir, est arrivé icy le roy de Navarre avecq Monsieur le
vicomte de Turrayne et ont approuvé la paix, ayant quicté la
Réolle, et, au lieu d'icelle, accepté Figeacq et Montsegure, de
sorte qu'il ne reste plus nulle double au faict de ladicte paix. »
[Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou et les
Pays-Bas, publiés par Muller et Diegerick, t. III, p. 569
et 603.)
Févr. 1581] DU VICOMTE DE TURENNE. 161
paix, mais seulement une suspension d'armes, accor-
dée à Mons*^ le mareschal de Montmorency, gouverneur
pour le Roy en ladicte province; Monsieur et ledict
roy de Navarre me convièrent d'y aller, pour persua-
der ledict prince de s'accommoder, luy faisant entendre
les raisons sur lesquelles le traitté s'estoit fait, et,
qu'où il voudroit se roidir, je fisse recevoir le traitté à
la province^. J'accepte cette commission, quoy que
j'y recognusse beaucoup de difficultés, l'humeur du
prince arresté et ferme aux choses où il s'estoit
déclaré. Le traitté avoit donné plus d'avantage à
d'autres qu'à luy, et à quelque autre province plus qu'à
celle du Languedoc, et sçavois, comme j'ay tousjours
esté sujet à estre envié, qu'on m' avoit préparé cette
commission, qu'ils estimoient ruineuse.
Le mal que je voyois si cette division eust pris trait,
l'affection singulière que j'ay toujours eue à voir les
églises unies et un bon repos à Testât me firent entre-
prendre cette négociation. Je pars d'auprès du roy
de Navarre deux ou trois jours après que Monsieur et
luy se furent séparés; je m'acheminay en Languedoc
vers Mons"" le Prince, que je trouvay à Nismes^,
1. Sur la mission de Turenne près du prince de Condé, qu'il
alla trouver à Montpellier, puis à Nîmes, voir VHist. univ. de
d'Aubigné, t. VI, p. 146, et les Mémoires de la Huguerie,
t. II, p. 90.
2. Turenne arriva à Nîmes le 12 février 1581. Le 15, il écri-
vit aux IJglises réformées à l'occasion d'une assemblée que le
prince de Condé avait convoquée pour le 21 avril. Puis, il
demanda aux consuls de la ville d'écrire au capitaine Merle,
pour l'engager à remettre Mende au sieur d'Apchier, que le
roi avait désigné comme gouverneur de la ville. Le 6 juin, les
magistrats et le Consistoire de Nîmes attestaient la sage con-
11
162 MÉMOIRES [Févr. 1581
duquel je fus fort bien receu, encore qu'on luy avoit
dict que, s'il ne consentoit à la publication des articles
de la paix, que je m'efforcerois de les faire publier.
Cette jalousie faisoit rechercher les volontés de ceux
qui s'y voudroient opposer et tenoit la province en
grande division. Je fis voir audict Prince que j'avois
toute mon adresse vers luy, que je n'avois, en aucune
ville où j'eusse passé, rien exposé de ma commission,
qui avoit pour fin à luy faire cognoistre les raisons
qui a voient pressé le traitté, sans l'y pouvoir attendre;
qu'il avoit esté malicieusement informé que le roy de
Navarre ny autres eussent eu des avantages secrets à
son préjudice ; que les siens égaloient ceux dudict
roy, Saint-Jean estant d'aussi grande conséquence
qu'Agen; combien il estoit impossible de rompre le
traitté et de quelle conséquence et ruine seroit la
division. Ledict Prince avoit deux secrétaires, nom-
més La Huguerie* et Sarrazin, le premier très-mes-
duite de Turenne. (Voir Ménard, Hist. de Nîmes, t. V, p. 166,
réimpression de 1875.) — On croyait que de JNîmes Turenne se
rendrait dans les provinces voisines. En effet, le 27 février
1581, l'un des chefs des Réformés du Dauphiné, Allemand
d'Allières, écrivait de Die à M. de Hautefort, premier président
du parlement du Dauphiné, en lui confirmant son grand désir
de voir conclure une prompte paix : « Il seroyt bien expédiant
que quelques-uns des plus amateurs de paix, tant de vostre
party que du nostre, peussent parler ensemble, pour faciliter
et disposer les choses à une bonne exécution, par l'arrivée de
Monsieur le vicomte de Turaine en ceste province, commis
par Monseigneur le roy de Navarre pour laditte exécution... »
(Bibl. nat., Ms. fr. 15564, fol. 50.)
1. La Huguerie est trop connu pour lui consacrer une note;
il suffit de renvoyer à ses Mémoires, publiés par la Société de
l'Histoire de France, en trois volumes (1877-1880). Quant à
Mai 1581] DU VICOMTE DE TURENNE. 163
chant, qui avoit des pensées à la ruine de l'Estat,
ainsi qu'il l'a témoigné au reste de sa vie. Geux-cy
donnoient des espérances à ce Prince que, n'accep-
tant la paix, il se rendroit chef du party, et le pous-
sèrent à de très mauvais conseils; son esprit, bon et
porté à aymer l'Estat, fît qu'il prit résolution de s'en
aller à Montauban, où estoit le roy de Navarre; que
je demeurerois en Languedoc pour y faire publier la
paix, lorsque j'aurois avis de Montauban après qu'il
y seroit arrivé. Il part : soudain, ceux de la province
des trois diocèses de Nismes, Montpellier^ et Uzès
s'assemblent et envoyent de Montauban ^ déclarer
qu'ils désiroient qu'on publiast la paix; ces deux
secrétaires estoient demeurés nonobstant leurs pra-
tiques. Soudain, que j'eus une lettre du roy de
Navarre, je fis publier la paix, allay trouver Mons"^ de
Montmorency, avec lequel je convins de ce qu'il fal-
loit faire pour l'exécution dudict traitté.
J'appris soudain que Mons' le Prince avoit témoi-
gné un grand mescontentement contre moy; il avoit
estimé que cela se fit sans un particulier consente-
ment de luy, La Huguerie luy ayant tousjours asseuré
Théophile Sarrazin, seigneur de Salneuve, c'était aussi un
agent du duc Casimir de Bavière; conseiller à la cour des
comptes de Montpellier, il avait de bonne heure embrassé le
protestantisme.
1. D. Vaissète, dans VHist. générale de Languedoc (nouv.
édit., t. XI, p. 695), dit que le vicomte de Turenne, étant à
Montpellier, persuada aux habitants de faire leur soumission,
d'accepter l'édit, et leur procura une abolition générale à par-
tir du !«■■ mai 1581.
2. Le roi de Navarre avait convoqué à Montauban une assem-
blée de protestants, où vint le prince de Condé.
164 MÉMOIRES [Mai 1581
qu'il l'empescheroit^ Le roy de Navarre me donne
avis de cela, et remettoit en moy d'aller à Montauban
ou non. Soudain, je me résous d'y aller^; de Mont-
pellier, j'y fus en trois jours, bien asseuré de n'avoir
donné nul mescontentement raisonnable audict Prince
et que ce que j'avois fait estoit aussi avantageux pour
son service comme luy estoient dommageables les
conseils de ses secrétaires^. Après quelques difficultés
qu'il fit de me voir, en la présence du roy de Navarre,
je luy déduisis mon procédé, auquel, n'ayant rien
trouvé à redire, il me recognut pour son serviteur.
Le voyage de Monsieur^ se préparoit; je pris congé
du roy de Navarre et m'en allay en mes terres d'Au-
vergne et me préparay d'aller trouver Monsieur, lors
que je le sçaurois sur la frontière de Picardie, où l'as-
semblée de ses forces se faisoit pour le secours de
Gambray, que le duc de Parme tenoit assiégé.
En ce temps, chacun pensoit estre bien payé en
dépensant son argent pour faire des troupes, avec les-
quelles on peut acquérir de l'honneur; j'y allay
volontaire et menay avec moy cinquante gentils-
1. Ce mécontentement provenait de l'acceptation par Tu-
renne du titre de lieutenant-général du roi de Navarre, que
Condé prétendait lui revenir de droit.
2. ïurenne était à Montauban vers le milieu de mai 1581; il
y fut rencontré par Bellièvre, qui se loua beaucoup de son
attitude. — Lettres de Catherine de Médicis, t. VII, p. 471.
3. A cette assemblée politique des protestants à Montauban
assistaient le roi de INavarrc, le prince de Condé, récemment
revenu d'Allemagne, Pierre Beutterich, représentant de l'élec-
teur Palatin.
4. Turenne s'était remis avec le duc d'Anjou pendant les
conférences de Fleix.
Avril 1581] DU VICOMTE DE TURENNE. 165
hommes de très-bonne qualité, qui ne se dédai-
gnoient pas de porter mes casaques orangées de
velours, avec force passemens d'argent et les armes
dorées par bandes. Je fis acheminer nos équipages et
partis de Joze, avec partie de ceux qui venoient avec
moy ; je me mis sur la rivière d'Alier; et, ayant atteint
les postes, j'allay trouver Monsieur, n'ayant voulu le
Roy que je passasse à Paris, ne voulant voir ceux
qui alloient voir son frère, afin d'oster sujet de
plainte au roy d'Espagne. Sa Majesté avoit donné
commandement au sieur de Puy-Gaillard^ avec huict
cens chevaux et quatre mille hommes de pied, de
costoyer l'armée de Monsieur, afin, disoit-on, d'em-
pescher qu'il n'entreprist rien contre son service;
mais, ce nonobstant, il avoit charge que si ces deux
armées s'affrontoient, de paroistre et faire le holà en
nostre faveur : conseil prudent de la Reyne mère, qui
ne se lassoit emporter par la jalousie du Roy, pour le
flatter sur les moyens de s'en délivrer; mais satisfai-
soit à cette raison d'Estat que la perte de Monsieur,
accompagné de plus de trois mille gentilshommes
françois, par un lieutenant du roy d'Espagne, impor-
toit trop au Roy et à son Estât.
L'armée jointe, nous prismes le logement du Gate-
let^. Je suppliay Monsieur me permettre de convier
quelques volontaires, jusques à cinquante, et ce que
j'avois, pour m'en aller jeter dans Gambray, afin de
1. Jean de Léaumont, seigneur de Puy gaillard, gentilhomme
gascon, gouverneur d'Angers jusqu'en 1575, célèbre par ses
violences contre les protestants, mort en 1584.
2. Le Catelet (Nord), près Douai. On y arriva vers le 15 août
1581.
166 MÉMOIRES [Avril 1581
luy donner avis des ennemis, et, qu'au cas qu'ils
levassent le siège, estans fortifiés de ce qu'il me pour-
roit envoyer et ce que nous serions dedans, que nous
peussions embarrasser leur retraite, en sorte qu'il eust
loisir d'y venir avec toute l'armée. Il y fit de la diffi-
culté, luy semblant cette expédition périlleuse, qu'avec
si peu de gens j'allasse me jetter dans une ville qui
estoit bloquée il y avoit quatre mois, durant lesquels
ils avoient fait tout ce qu'ils jugeoient convenir pour
empescher qu'il n'y entrast vivres ny hommes. Il me
faisoit cet honneur de m'aymeret jugeoit que ma
perte exciteroit de la méfiance entre ceux de la Reli-
gion et qu'il n'y eust quelque intelligence à la ruine de
ceux qui en estoient; la première raison estoit celle
qui me convioit d'y aller, afin que le péril me servist
de degré à la réputation. J'obtins mon congé; j'eus
peine à restraindre le nombre, plusieurs, outre ceux
que j'avois demandé, y voulans venir. Je pars demi-
heure devant la nuict, avec des guides, et m'acheminay ,
ayant fait trois troupes.
Gomme nous fusmes à une lieue de Cambray, le
sieur de Ghouppes^ à qui j'avois ordonné ma troupe
de retraite, me mande qu'il avoit les ennemis sur les
1. Pierre de Chouppes, seigneur dudit lieu (Vienne, arr. de
Loudun), dont nous avons parlé plus haut, était né en 1531 et
avait débuté en qualité de page de Diane de Poitiers ; il fit
ensuite la campagne de Piémont, comme gendarme de la com-
pagnie de la Roche-du-Maine, assista au siège de Metz, et
devint gentilhomme ordinaire de la chambre du roi de Navarre ;
puis, il était en 1591 capitaine et gouverneur de la ville de
Loudun. Veuf de Jeanne Favereau, il épousa, en 1588, Jeanne
de Ségur-Pardaillan.
Avril 1581] DU VICOMTE DE TURENNE. 167
bras ; je fais alte et fis commander le semblable à mes
coureurs : soudain, ledict de Ghouppes, avec ce qu'il
avoit, vint à moy, me disant que ceux qu'il avoit
avec luy estoient venus me joindre. G'estoit au mois
d'aoust, la nuict très-claire, la lune estant dans son
plein; je tasche de remettre en l'ordre que nous
estions. Les ennemis, qui n'estoient que deux com-
pagnies d'ordonnance, viennent à nous. Cette noblesse
courageuse et volontaire, peu, pour une bonne partie,
qui se fussent trouvés en telles occasions, commence
de se séparer et tirer vers la ville; je vais aux enne-
mis avec environ vingt chevaux, où je fus porté par
terre d'un coup de lance au bras gauche, au-dessus
du coude, ce qui estoit à l'espreuve du pistolet;
néantmoins, le brassart fut bien offensé, de sorte que
le surfais de ma selle rompit : elle se tourna et je tom-
bay, où le sieur de La Vilatte, qui m'avoit si bien
assisté lors que je fus blessé auprès de Bergerac ^ mit
pied à terre, pensant que je fusse mort. Ainsi que
nous parlions ensemble, luy ayant osté son casque,
trois ennemis vinrent à la lueur de mes armes, qui
estoient dorées, saluent ledict sieur de La Vilatte de
trois coups d'espée sur la teste : il se laisse tomber sur
moy, qui n'estois relevé, et se recommande à Dieu;
ils luy disent de se rendre : je le convie à se lever et
parler à eux ; il se rend et les convie de me sauver la
vie, sans me nommer; je me lève : ils commencent à
nous faire trotter dans les herbes fort hautes et à
vouloir oster mon casque, que je conteste si bien
que je le garday. Ils commencent à disputer entre
1. Voir plus haut, p. 125.
168 MÉMOIRES [Avril 1581
eux qui auroit plus de part à nos rançons, dont l'un,
estimant le droit de son compagnon meilleur que le
sien, concluoit à nous tuer, et l'autre à nous sauver,
auprès duquel je m'approche, le convie d'avouer
tout ; je luy donne mon gantelet droit, pour l'asseurer
que, lorsque je serois enquis, je m'avouerois son pri-
sonnier^ : cela nous préserva^. Les armes, les herbes
grandes, le chemin de plus de demy-lieue et ce que
l'appréhension pou voit occasionner me donna une
telle soif, que je n'en pouvois plus; eux, estimans que
je faisois cela pour voir si nous serions secourus, me
faisoient marcher du bout d'en bas de la lance sur le
haussecou; je tasche plusieurs fois à vouloir pisser,
mais ils ne me laissoient arrester, avec ce que mes
tassettes m'en ostoient le moyen; à la fin, je trouve
de l'eau très-fangeuse : avec un peu, je rafraischis ma
gorge. Je fus mené à un fort, à une petite lieue de
Gambray, où ils menèrent tous ceux qui avoient esté
pris, entre lesquels étoient Mons"" de La Voûte ^, mon
cousin germain, blessé de trois coups d'espée sur la
teste, les sieurs de Chouppes, mon lieutenant,
1. ïurenne fut fait prisonnier sous les murs de Cambrai en
avril 1581, et il resta entre les mains des Espagnols jusqu'aux
premiers jours de juin 1584. — Voir sa correspondance aux
Arch. nat., R^ 53; et d'Aubigné, Hist. nniv., édit. de M. le
baron de Ruble, t. VI, p. 329.
2. On avait saisi sur le vicomte de Turenne deux lettres de
Paris, écrites les 12 et 13 août 1581, qui donnaient des nou-
velles de la reine mère et de Bellièvre. — \oiv Documenis con-
cernant les relations du duc d'Anjou avec les Pays-Bas, publiés
par MM. Muller et Diegerick, t. IV, p. 155 et 157.
3. Gilbert de Lévis, comte de la Voule, fils du duc de Van-
tadour.
Avril 1581] DU VICOMTE DE TURENNE. 160
La Feuillade', de Neufvie^, Peunian, et jusques au
nombre de seize ou dix-sept.
Là, nous contasmes les diverses actions en nostre
prise, jusques au point du jour, que ceux qui nous
avoient pris eurent convenu de quitter la tour et
mesme de mener l'infanterie avec leurs prisonniers
au duc de Parme, qui estoit général pour le roi d'Es-
pagne aux Pays-Bas. Il fut question d'en faire aller une
partie à pied et à tous de nous faire porter nos
armes; plusieurs des nostres y consentoient ; je m'y
opposay, en sorte que nous eusmes des chevaux, et
les preneurs s'accommodèrent de nos armes, sauf les
miennes, que le duc de Parme voulut voir, et les
retint, estant belles et fort bien faites, pour ia folle et
malséante coustume dont on s'habilloit si long, qu'il
m'est difficile maintenant de croire que l'on ait eu
cela en usage, et moins aux armes qu'aux habits.
Nous trouvasmes le duc de Parme prest à monter à
cheval, ayant retiré son armée, qui estoit séparée,
pour tout ensemble se retirer vers Arleu^, mettant la
rivière entre Monsieur et luy, ne voulant combattre à
nostre bord. Après m'avoir salué et receu courtoise-
ment, il me dict ces propres mots : « Monsieur le
1. François d'Aubusson, seigneur de la Feuillade, etc., che-
valier de l'ordre du roi, conseiller et chambellan du duc
d'Anjou en 1580, qui avait épousé, en 1554, Louise Pot, fille
de Jean de Pot, seigneur de Rodes, et de Georgette Balsac.
2. Il y avait deux frères du nom de A'eufvy; le protestant
était Bertrand de Malet de Fayolles.
3. Sans doute Arleux (Nord), à 11 kil. de Douai, château
fort sur un bras de la Sensée. Tous les textes manuscrits et
imprimés poment « Arlon ; » ce qui est une faute évidente.
170 MÉMOIRES [Avril 1581
vicomte, la fortune qu'avez courue n'arrive qu'aux
personnes de courage, et ceux de vostre aage cherchent
l'honneur par les périls; » que nous ne recevrions
tous qu'un bon traitement. Je le remerciay, et lui dis
que nous ne pouvions attendre autre chose d'un prince
si généreux. On nous meine disner en une grange, où
tous les principaux seigneurs de l'armée nous
menèrent et disnasmes ensemble. Durant le disner,
ce ne fut qu'entretiens, offres de courtoisies; on
ordonne deux compagnies de lances pour nostre
garde, qui nous menèrent à Bouchin^ où commandoit
un gentilhomme que j'avois vu en France, nommé
Noeelles^, près de Mons"" de Montmorency, où il s'es-
toit retiré fugitif pour avoir servi Mons"^ le prince
d'Orange au commencement des troubles des Pays-
Bas. Cela me faisoit espérer que nous pourrions avoir
quelque faveur; mais il ne se souvint plus du passé.
L'armée de Monsieur, ayant eu avis de ma prise,
qui marchoit, s'arresta ce jour-là; et, ne s'estant avan-
cée à Cambray, le duc de Parme ne vit personne
jusques à Arleu, où les deux armées, ainsi que je
l'ouys dire, se virent, le ruisseau entre deux; il y eut
quelques escarmouches de peu ou point d'effet. Le
duc de Parme envoyé Mons' de Rans^, père du comte
1. Bouchain (Nord), place forte sur l'Escaut, à 18 kil. de
Valenciennes.
2. Ponce deNoyelles, seigneur de Bours, qui avait déjà com-
battu pour l'indépendance des Pays-Bas.
3. Le mot « Rans » doit être mal écrit. — Maximilien de Lon-
gueval, premier comte de Bucquoy, chef des finances aux Pays-
Bas et conseiller de guerre de Philippe II, était baron de Vaulx
et seigneur de Fresne-les-Condé par sa femme. Il mourut sous
1581] DU VICOMTE DE TURENNE. 171
de Bucqiloi, qui est aujourd'huy, pour s'informer de
ma maison, de ma fortune, de ma religion et sentir si
je désirois estre son prisonnier. Je satisfis à ses ques-
tions, en sorte que je luy laissois à croire que mon
aage me portoit à la recherche de la guerre plus que
nulle autre passion ; mais je fis contre moy de luy
avoir fait cognoistre que, si j'estois son prisonnier, je
craindrois l'estre du roy d'Espagne, et ma détention
seroit plus longue que si j'estois au marquis de
Robech\ général de la cavalerie, qui avoit affaire
d'argent, estant grand dépensier; qu'il soUiciteroit
ma délivrance pour l'émolument qu'il en tireroit,
qu'on ne le voudroit fascher, estant homme de
caprice, qui, à la révolte générale, avoit esté des pre-
miers à prendre les armes pour chasser les Espa-
gnols. Ces raisons se trouvèrent fausses, d'autant
qu'on craignit que, si une fois ledict marquis avoit
receu ma rançon, qu'elle luy donneroit du moyen
pour relever ses affaires et se passer plus aisément
des bienfaits du roy d'Espagne et se soucier moins de
servir avec ce que la Ligue commença. Monsieur fut
chassé des Pays-Bas, malade, dont il mourut, non sans
soupçon de poison^.
les murs de Tournai le 27 novembre 1581, laissant un fils,
Charles-Bonaventure, comte de Bucquoy, né, en 1571, à Arras,
général et diplomate connu, élevé par le duc de Parme.
1. C'est évidemment le marquis de Roubaix, Robert de
Melun, vicomte de Gand, marquis de Richebourg, marié à la
fille de Charles, comte de Lalaing, qui avait le commandement
de toute la cavalerie espagnole aux Pays-Bas.
2. Le duc d'Anjou était réconcilié avec Henri III depuis le
commencement de l'année ; il se préparait à retourner aux
Pays-Bas, quand il mourut le 10 juin 1584.
172 MÉMOIRES [1581
Gela donc fit durer ma prison deux ans dix mois et
payer, au bout de là, cinquante-trois mile escus, dont
j'en dois encore, ayant cet argent esté pris à Paris à
rente sous les asseurances de Mons'" de Montmo-
rency.
De Bouchin, nous fusmes menés à Valenciennes;
ces villes n'avoient encore receu garnison. Le duc de
Parme estoit bien aise qu'ils vissent quelque fruit de
ses armes. Nous arrivasmes à Valenciennes un jour de
feste, conduits par trois compagnies de cavalerie;
nostre escorte estant descouverte du beffroy, la cloche
d'alarme commença à battre; le peuple s'amasse et
vint au-devant de nous au fauxbourg, tenans les
portes de la ville fermées, pour la jalousie qu'on leur
donnast garnison. Cette crainte tourne en fureur
contre nous et le peuple commence à nous assaillir
d'injures jusques à la porte de la ville, où estans
entrés, au lieu de nous mener droit au logis qu'on
nous avoit destiné, nous fismes toutes les rues princi-
pales; durant ce chemin, le peuple se renouvelloit et
aussi se fortifîoient leurs cris, leurs injures et com-
mencement de coups de pierre. Injurié de cette sorte,
je m'adresse à ceux qui commandoient à nostre
escorte, qui témoignoient estre marris de cela, en s'y
opposant d'effet, ou qu'au moins, si ce peuple bar-
bare, contre le droit de la guerre, avoit à assouvir sa
rage sur nous, qu'ils nous donnassent des armes
pour, les tenans en la main, mourir avec elles. Enfin,
nous arrivasmes en nostre logis, avouant que cette
injure m'est toujours demeurée sur le cœur, en
sorte que je prie Dieu m'oster le moyen de m'en
venger.
1581J DU VICOMTE DE TURENNE. 173
De là, on me meine à Hesdin\ où j'eus permission
de choisir un des prisonniers, qui fut le jeune Neuf-
vie; mon cousin demeura à Arras et les autres en
divers lieux, qui sortirent bientost. Durant ma prison,
le Rov fit dire à mes amis qu'ils me fissent sçavoir
qu'il me tireroit de prison, pourveu que je luy pro-
misse de ne prendre jamais les armes pour ceux de
la Religion. Monsieur, averty de cela, me mandoit de
promettre, et que la première chose qu'il traiteroit
avec le Roy seroit de luy demander ma parole. Esti-
mant qu'une promesse doit estre faite de bonne foy,
avec délibération de la tenir, qu'ainsi que j'aurois pro-
mis au Roy que je luy tiendrois, ce que Sa Majesté me
demandoit me paroissant contraire à ce que j'estimois
estre de mon devoir vers les églises persécutées, je
respondis que j'aymois mieux attendre dans ma pri-
son une sortie libre et honnorable, que d'en sortir lais-
sant en doute si le moyen duquel je me serois servy
auroit esté raisonnable-.
1. Hesdin (Pas-de-Calais, arr. de Montreuil-sur-Mer). Cette
place n'est française que depuis 1639.
2. Il existe aux Archives nationales (R- 54) tout un dossier
sur la « Rançon de Mgr Henry de la Tour, vicomte de Turenne,
depuis duc de Bouillon. » On y trouve quatre lettres datées du
7 avril 1584, adressées au duc de Parme et au marquis de
Roubaixpour les prier de hâter la mise en liberté du vicomte,
et ces lettres sont du roi Henri HI, de la reine Louise et de la
reine mère, Catherine de Médicis. Le 26 avril, le prince répond
à cette dernière en lui annonçant que la rançon est réduite
de « cinquante mille escuz soleil, à cent cinquante florins, » ce
qui diminuait les premières exigences de douze mille cinq
cents florins, à la condition très expresse que « le sieur de
Balançon, capitaine du Roy monseigneur, prisonnier dudict
viscomte, sortiroist aussy avecq son filz, en payant trois
174 MÉMOIRES [Juin 1584
Ainsi que j*ay dict, au bout de trois ans ou à peu
près, j'eus ma liberté, un jour ou deux avant la mort
de Monsieur. De Ghasteau-Thierry, j'allay à Chantilly
voir ma grand'mère, où je séjournay quelques jours
pour reprendre ma santé, que le long repos avoit
incommodée ; et puis j'allay à Paris, où j'eus toutes les
bonnes chères du Roy que je pouvois désirer^.
Mons"" de Joyeuse, vers qui estoit toute la faveur, et
Mons*" d'Espernon, jeunes gens, me traitoit et n'es-
pargnoit rien à me témoigner de l'amitié, nous estans
issus de germain. Après un peu de séjour, je m'en
allay passer par l'Auvergne, où je n'ay point retourné,
et m'en vins en Limousin ^ où je n'ay esté depuis, où
années de ses revenuz. » Le sieur de Limeuil, cousin de
Turenne, était chargé de mener à bien ces négociations. On
voit que le chiffre n'est pas tout à fait d'accord avec celui
indiqué par les Mémoires. — Dans le même carton se trouve
une liasse considérable de lettres et de billets autographes
écrits par Turenne, durant sa captivité d'Hesdin, à son valet de
chambre Guichart. Elles sont signées : « ... Vostre bon amy, ...
vostre maistre. » Turenne demande qu'on lui envoie des vête-
ments : « Mon manteau et mes pourpoints, car il commance à
faire froid icy. » Puis il voudrait des livres, et il les désigne :
«Thucidide, Quinte-Curce, Salluste, Plutarque, Appien, Polybe,
l'Iliade et l'Odyssée, les Métamorphoses d'Ovide, l'Enéide de
Virgile, » puis, parmi les modernes, « Commines et Scévole de
Sainte-Marthe, et une bible des plus petites. » Il n'oublie pas
les démarches qui peuvent mettre fin à ses maux; car il
ajoute : « Fectes souvenir Madame de Chastelleraut d'anvoier
vers Monsieur le prince de Parme, dans le seize ou dix-huict
de ce mois, pour voir quelle responce il aura eu d'Espagne. »
]^jme jg Châtellerault était, on le sait, Diane d'Angoulême, fille
légitimée de Henri II, veuve du maréchal François de Mont-
morency et par conséquent tante de Turenne.
1. Turenne ne dit rien dune assemblée générale des églises
1584] DU VICOMTE DE TURENNE. 175
le roy de Navarre me convia de l'aller trouver, ce
que je fis à Nérac, où estoit Mons' d'Espernon^ qui,
voyant Monsieur mort, le roy de Navarre la première
personne après le Roy, vouloit chercher le moyen de
s'en pouvoir appuyer, ayant Mons"" de Guyse pour
ennemy, avec qui Mons' de Joyeuse sembloit s'accom-
moder. Les mal entendus estoient très-grands entre
le roy et la reine, qui depuis fut démariée; ledict
d'Espernon fust, pour la contrariété de ces deux
naturels, pour n'y trouver seureté, ayant des fins fort
diverses. Cette intelligence ne prit aucune racine; tou-
tesfois, le Roy ne laissa d'en prendre jalousie, et sans
une cheute que ledict d'Espernon fit, en arrivant à la
Cour, de laquelle il perdit tous les sens, ayant esté
quelques jours qu'on le tenoit pour n'en réchapper,
de France, qui eut lieu au milieu de l'année 1584 à Montauban
et que les Mémoires de M™^ de Mornay signalent en ces termes :
« En cette assemblée, où se trouvent le roy de Navarre, mon-
seigneur le pi'incé, M. de Laval, M. de Turenne, M. de Chas-
tillon, plusieurs seigneurs et gentilzhommes et personnages
qualifiés de toutes les églyses du royaume, fut fait une remons-
trance au Roy, par laquelle il estoit très humblement supplié
de pourvoir aux inexécutions et contraventions de ses éditz
de pacification en ce qui estoit de la religion, de la justice et
des seuretez. » (T. I, p. 151.)
1. C'était Henri III qui avait envoyé d'Epernon au roi de
Navarre pour le persuader, dans son propre intérêt, de ren-
trer dans l'Eglise catholique. Henri de Bourbon voulut que les
conférences se tinssent en présence de son chancelier Du Fer-
rier, du ministre Marmet, de Roquelaure et de Turenne. Ce
dernier et Du Terrier furent opposés à la convention. Mais
Roquelaure, dans la discussion, avait répondu à Marmet :
« Mettez sur le tapis une paire de pseaumes et une couronne,
et demandez s'il faut songer à choisir. » C'est, dix ans plus
tôt, le mot célèbre de Henri IV.
176 MÉMOIRES [4584
cela émeut la pitié au Roy, rallentit son mescontente-
ment, et l'autre, relevé, trouva facilité à reprendre sa
place et dissiper les projets de sa ruine.
Le roy de Navarre me témoigna toute sorte d'ami-
tié et confiance, me disant ses perplexités et consul-
tant des remèdes. Nous voyons les pratiques de la
Ligue croistre et paroistre de jour à autre, auxquelles
évidemment la reine Marguerite participoit, et voyons
un sien valet de chambre aller et venir; je conseille
audict roy de le faire prendre, le mener à Pau, et
soudain luy faire confesser ce qu'il sauroit. La charge
en fut donné au capitaine Maselière, de Nérac, qui
l'alla attendre sur le chemin de Bordeaux, venant
trouver Mons"^ de Guyse : ainsi fut-il exécuté; mais,
arrivé à Pau, on obmit le principal, qui estoit de le
faire chanter, et, encore à Nérac, sçavoir les formes
qu'on y tiendroit, et tout cela pour gagner temps,
durant lequel le Roy et la Reyne mère furent avertis de
la prise, font une dépesche, se plaignans de ce qu'un
françois pris dans la France en auroit esté tiré en
une autre souveraineté, le redemandant avec menaces.
Le roy de Navarre est conseillé de le rendre, de ne se
devoir opiniastrer de conserver Maselière, si le Roy
continuoit à le demander; blasmant le conseil,
l'homme fut rendu ; de là, haine contre moy excitée
pour avoir donné un très-nécessaire et utile avis, si
on l'eut suivy en toute ses parties : chose qui fort sou-
vent rend les meilleurs conseils, sinon dommageables,
au moins infructueux, en n'en faisant qu'une partie.
Vous remarquerez qu'il faut estre fort retenu aux
conseils qu'on donne aux rois, parce qu'ils en mesurent
le gré et le blasme selon leur succès, qui est souvent
1585] DU VICOMTE DE TURENNE. 177
un faux témoin contre raison, et aux Cours, où l'on
ne craint de desservir son maistre, pourveu qu'à ceux
qu'on envie on leur fasse de la peine ^.
Au bout de quelques jours, cette princesse, crai-
gnant et persuadée de se retirer, ne pouvoit donner
couleur à cette retraite qui la deust contenter, et
moins choisir un lieu où elle fust bien. Elle part de
Nérac et va à Agen^, où le sieur de Lignerac^ l'atten-
doit avec cinq ou six de ses amis, la charge en croupe
sans coussinet, et, en cet équipage, la meine au Mur de
Barrez*. Ce partement accroit les méfiances, fait que
1. Il ne faudrait pas trop se laisser séduire par les ver-
tueuses tirades qui se rencontrent de temps en temps dans les
Mémoires. Au fond, le vicomte de ïurenne avait le caractère
le plus aigre et le moins désintéressé. Il jalousait toutes les
influences que les chefs protestants pouvaient exercer sur le
roi de Navarre. Cette année môme, 1585, il venait d'avoir une
querelle de préséance avec Du Plessis et Clervant. (Voir Mé-
moires et correspondances de Du Plessis-Mornay , t. III, p. 2.)
2. Le départ de Marguerite d'Agen eut lieu, à la suite d'une
émeute populaire, le 25 septembre 1585, non pas quelques
jours avant, mais six mois après la rencontre du roi de
Navarre et de ses partisans à Castres. Ce n'est pas au Mur-de-
Barrès (Àveyron) qu'elle se rendit, mais bien à Castelnau (Gers),
Bournazel (Aveyron), Entragues (Aveyron), et enfin à Cariât
(Cantal), où, après beaucoup de fatigues et de peines, elle
arriva dans la soirée du 30 septembre.
3. François-Robert de Lignerac, sgr de Saint-Chamant,
gentilhomme de la chambre du roi, bailli de la Haute-Auvergne.
4. Lorsque, le 19 mars, quittant Nérac, Marguerite était
venue s'établir à Agen, Lignerac lui avait offert ses services
avec un petit corps d'infanterie et de cavalerie, recruté dans le
Quercy. Le vicomte de Duras était son lieutenant; leur domi-
nation dans Agen dura donc six mois. Turenne a confondu le
départ de Nérac avec celui d'Agen.
12
178 MÉMOIRES [1585
le roy envoyé convier les églises d'estre sur leurs
gardes, convie Mons"^ de Montmorency de prendre
quelque lieu pour se voir, où on feroit trouver
Mons'' le Prince et autres plus autorisés dans leur
party; le Roy l'avcrtissoit des entreprises de Mons"^ de
Guyse, qui avoit failly de se saisir de Ghaalons, et le
prioit de l'assister, s'il en avoit besoin. Le roy de
Navarre se servoit des avis que luy donnoit le Roy,
encore qu'il jugeoit qu'ils s'accorderoient ; le lieu de
Castres^ fut choisi, où se trouvèrent près dudict roy
Mons"^ le Prince, Mons"^ de Montmorency et tous les
signalés des provinces, capitaines et seigneurs du
party.
Après s'estre veus quelques jours, et s'estre un peu
éclairci des sentimens des uns et des autres, on
assembla un Conseil, pour délibérer si on prendroit les
armes ou si on attendroit que le Roy, contraint par
Mons' de Guyse, nous déclarast la guerre. Les opi-
nions furent diverses, et ces deux opinions furent fort
contestées. Les premiers disoient qu'il ne falloit point
douter que le traité de Mons"^ de Guyse- ne i'ust fait et
1. Le roi de Navarre passa à Castres la seconde moitié du
mois de mars; mais le conseil de guerre, tenu à cette époque,
est raconté un peu différemment par d'Aubigné (t. VI, p. 207)
et par l'historien local : « Le 14 du mois de mars, jeudy, est
arrivé dans la ville de Castres le sieur Henry de Bourbon, roy
de Navarre, et son cousin, Henry de Bourbon, prince de
Condé, accompagnés de M. le viscomte de Turcnne et autres
grands seigneurs et gentilshommes, ayant couchés la nuit pas-
sée à Puylaurens. On lui a faict entrée honorable. » [Journal
de Faurin, éd. de Ch. Pradel, 1878, p. 124.)
2. C'est le traité de Nemours, signé par les ligueurs et les
représentants du roi, le 7 juillet 1585.
Juillet 1585] DU VICOMTE DE TURENNE. 179
à nostre désavantage, puisque le Roy nous le celloit,
contre les asseurances qu'il avoit données de nous
tenir avertis de tout ce qu'il feroit avec ceux de la
Ligue, qui, commençans, nous les préviendrions; que
nous exécuterions des entreprises sur plusieurs places,
que les plus expérimentés capitaines d'entre nous
proposoient, avec grande apparence de bon succès;
qu'estans à la campagne des premiers, que nous atti-
rerions les gens de guerre à nous; que leurs affaires
n'estoient encore bien prestes, tant pour n'avoir fait
levées, ny fait le fonds pour le payement de l'armée;
qu'on pourroit s'avancer vers la rivière de Loire et
les empescher de lever des troupes en deçà, sans les
mettre en danger d'estre battus. Ceux de l'autre opi-
nion disoient qu'ils croyoient, avec les premiers, que
l'orage tomberoit sur nous et que le Roy et la Ligue
estoient d'accord, mais que nous en serions accusés;
si nous prenions les armes, le Roy nous accuseroit de
l'y avoir nécessité, atîn de ne demeurer entre les deux
partis la proye de l'un et de l'autre ; les catholiques
pacifiques, craignans la Ligue et haissans la Religion,
nous donneroient le tort; ceux de la Religion, tièdes,
non informés, et ceux des provinces qui n'avoient
point de retraites, mais soumises à la rigueur des
édits, en accuseroient le procédé, y chercheroient leur
justification aux moyens autres que d'une commune
défiance qu'ils pourroient tenir; que les princes
estrangers se laisseroient aisément persuader à croire
cela; que dedans et dehors nous sentirions plus affoi-
blir nostre défense, pour avoir manqué à justifier la
prise de nos armes, qu'elle ne seroit fortifiée par les
avantages susdicts ; qu'il nous falloit avoir égard à atti-
180 MÉMOIRES [Juillet 1585
rer la bénédiction de Dieu sur nos armes, que nous
n'ayons prises que pour garantir son église de la
fureur de ses ennemis ; que les provinces où nos églises
sont fortes et les autres où elles n'ont point de seu-
retés, voyant nos procédés, les conjurations à nostre
ruine, nostre patience, se joindroient des personnes
de moyens et de prières, pour saintement et coura-
geusement s'opposer à la ruine du public et à celle de
l'Estat; mais qu'un chacun pouvoit se préparer, avi-
sant à arrester des hommes, nos places se garder de
surprises, et estre, au premier acte que le Roy feroit
de déclaration contre nous, à la campagne.
Cette dernière opinion l'emporta, de laquelle j'avois
faict l'ouverture, et Mons"^ de Montmorency de l'autre;
ainsi on se sépara, chacun allant à sa charge. Le roy
de Navarre vint à Montauban, où il n'eut demeuré que
peu de jours, qu'il ne fut asseuré de la perfection du
traité de Mons*" de Guyse avec le Roy, à condition de
nous faire la guerre. Desjà, on voyoit la noblesse en
Gascogne, qui y estoit en grand nombre, commencer
à faire de petits rendez-vous, pratiquer des hommes;
ce qui fit partir le roy de Navarre plus tost et passer la
Garonne au Mas-de-Verdun \ pour s'en venir à Ley-
toure^, et de là à Nérac. Nous vinsmes avec quelque
défiance, n'ayant que sa cour et bien petite ; un chacun
s'estant séparé, j'eslois demeuré près de luy, qui,
durant les chemins, me reprit à diverses fois pour
1. Verdun-sur-Garonne, arr. de Castelsarrasin (Tarn-el-
Garonne).
2. La petite ville de Lectoure, située dans l'Armagnac, à
moitié chemin entre Verdun et Nérac, fut souvent prise et
reprise par les deux partis pendant les guerres de religion.
Juillet 1585] DU VICOMTE DE TURENNE. 181
discourir de la grandeur des affaires qui luy alloient
tomber sur les bras ; de la foiblesse du Roy, qui voyoit
en la puissance de la Ligue la puissance qu'ils pour-
roient avoir de Rome et d'Espagne, tant d'argent que
d'hommes; qu'il estoit mal asseuré de Mons"" de Mont-
morency ; le Dauphiné fort divisé, et Mons"^ de Lesdi-
guières ne s'unissant jamais en toutes choses avec les
résolutions communes ; nos places mal garnies et aussi
peu fortifiées ; qu'on visoit à luy pour le rejetter de la
succession ,
Après avoir faict plusieurs lieues sur tels et sem-
blables discours, remarquans bien plusieurs choses
leur manquer, mais non à l'égard des autres, nous
concluons que la cause estoit fondée en la justice
divine et humaine; que Dieu la maintiendroit; qu'il
falloit quitter tout plaisir pour penser à nostre def-
feiise; que les estrangers s'y intéresseroient, devant
voir que nostre ruine ne feroit que préparer la leur ;
que Dieu le maintiendroit en son droit, si la nature
luy en ouvroit l'occasion. Sur cela, il me dict avec fer-
veur : « C'est de là que j'attends mon secours, et sous
cette enseigne je combatray nos ennemis; m'aban-
donnerez-vous pas, ainsi que vous l'avez déjà fait? »
Arrivé à Nérac, on y célébra le jeusne avec une
très-grande dévotion. Le roy de Navarre passa la
Garonne et vint à Nérac, où il commença à donner
des commissions et pouvoirs de faire la guerre. Il
m'envoye vers la Dordogne avec le sieur d'Aluie, Gou-
roneau, La Moue et autres, pour faire des régimens
et compagnies de cavalerie^. A quoy je travaillay si
1. On lit dans un mémoire du chanoine Leydet (Coll. Péri-
182 MÉMOIRES [Sept. 1585
diligemment, que dans moins de cinq semaines je fis
cinq à six mille hommes de pied, et cinq à six cens
chevaux, nous estans venu quelques troupes de la
Loire, que les édits rigoureux faits par le Roy, d'aller
à la messe ou sortir du royaume dans peu de jours
qui estoient donnés, nous faisoient venir, ne voulans
délaisser la vérité, et aimans mieux porter les armes
avec nous que de demeurer hors du royaume specta-
teurs. Je passe avec ces troupes, qui grossissoient de
jour à autre, la rivière de l'Isle. Le Roy a voit fait
avancer le sieur de Saint-Chamarans', mareschal de
camp, avec six mille Suisses, vers Gonfolans^, pour
commencer à former son corps d'armée, duquel feu
Mons' du Mayne devoit estre général; le roy de
Navarre s'en estoit retourné à Nérac, et mesme donné
jusques en Béarn.
Cependant qu'ils faisoient levées en Gascogne,
Mons"^ le Prince vers la Xaintonge et Poitou assembla
ses forces, et alla investir Brouage^. Passé que j'eus
la rivière de l'Isle, n'ayant nul commandement du
roy de Navarre, mes troupes, selon la coutume des
François, s'ennuyans de ne rien faire, je jugeois
qu'elles s'atfoibliroient plustost qu'autrement. J'en-
voye vers le roy de Navarre, l'avertissant du nombre
gord, t, V, fol. 229) : « Lors (juillet 1585), Monsieur de Turenne
estant à Bergerac, en qualité de lieutenant général pour le Roy
en Guyenne, bailla commission au sieur de Geoffroy de Vivant
de commander les villes et juridictions de Caumont, Sainle-
Bazeille et Damezan. » On trouve dans le même recueil plu-
sieurs lettres du vicomte de Turenne datées de cette époque.
1. Sans doute Marc de Peyronenc, sgr de Saint-Chamaranl.
2. Confolens, cli.-l. d'arr. de la Charente.
3. Condé assiégea Brouage vers la fin de septembre 1585.
'Sept. 1585] DU VICOMTE DE TURENNE. 183
des forces que j'avois, le lieu où j'estois, à dix-
huit ou vingt lieues de Gonfolans, où estoient les
Suisses, l'attaque de Mons"^ le Prince à Brouage, le con-
viant de venir avec ce qu'il avoit de delà, qui pou-
voient faire quatre mille hommes de pied et cinq cens
chevaux, pour faire un bon et grand corps d'armée,
afin d'empescher ceux de la Ligue, sous le nom du
Roy, de faire le leur. En mesme temps, j'envoye à
Mons"" le Prince, luy donnant les mesmes avis de mes
forces et le lieu où elles estoient, de plus la despesche
que j'avois faite au roy de Navarre, ajoustant que je
craignois qu'on ne suivroit mes avis et que les plaisirs
de la compagnie de la comtesse de Guiche' retien-
droient le roy de Navarre de delà plus long-temps
que le bien des affaires générales le requéroit ; que si
le roy de Navarre ne venoit ou ne me commandast
chose très-importante, que, s'il me mandoit, que je
l'irois trouver. Les plaisirs et les jalousies prévalent
ordinairement dans les grandes affaires plus que la
raison !
Le roy de Navarre ne vint ny ne me donna aucun
commandement, sinon de me maintenir aux lieux et
avec l'employ que je jugerois le meilleur. Mons"" le
Prince estoit sur la délibération de l'exécution d'une
entreprise sur le chasteau d'Angers, conduite par le
sieur de Clairmont d'Amboise^, par le moyen de
1. La belle Corisande, Diane d'Andoins, veuve depuis 1580
de Philibert de Guiche, comte de Gramont, vicomte d'Aure
d'Aster.
2. Georges de Clermont d'Amboise, baron de Bussy, frère
puîné de Louis, serviteur dévoué du roi de Navarre, qui le
chargeait souvent d'importantes ambassades. Lieutenant du
184 MÉMOIRES [Oct. 1585
quelques hommes qu'il avoit pratiqués, qui estoient
dans le chasteau. Voyant ceux qui estoient près de
luy mes offres, la jalousie de mon arrivée, qu'ils jugè-
rent leur devoir osier et de l'authorité et de la répu-
tation, portèrent ledict prince à me remercier, et que
je n'avançasse, duquel avancement il fust réussi de
très-grands avantages, soit que j'eusse peu rompre
cette incertaine et très-mal digérée exécution d'An-
gers, ainsi qu'elle parut telle, comme vous l'entendrez,
ou, y allant ledict prince, j'eusse facilement mené à fin
le siège commencé à Brouage. Il part donc de devant
Brouage, va passer la rivière de Loire avec sa cava-
lerie, laisse son infanterie dans quelques retranche-
mens, à quelques lieues de Brouage : passé qu'il eut
la rivière de Loire, il trouva l'entreprise découverte
sans moyen de repasser; ses troupes se rompent; luy
va en Bretagne, Mons"^ de La Trimouille* avec luy,
duquel il avoit espousé la sœur^ ; se met sur mer et
passe en Angleterre, où cette vertueuse Reine les
receut fort bien. Mons"^ de La VaP retourne à Saint-
prince de Condé, il éciioua avec lui le 22 octobre 1585 devanl
Angers, et leur retraite fut une vraie déroute. Ce fut, dit d'Au-
bigné (t. VI, p. 259), sur Clermont qu'on rejeta toute la res-
ponsabilité, « pour avoir mal conduit l'affaire » et aussi « pour
ce qu'il estoit là comme emprunté et au roi de Navarre. »
1. Claude de la Trémoïlle, né en 1566, fidèle serviteur de
Henri IV, mort en 1604.
2. Charlotte-Catherine de la Trémoïlle, seconde femme du
prince de Condé, qu'elle épousa le 16 mars 1586.
3. Guy de Coligny, comte de Laval, ou la Val, fils aîné de
d'Andelot, blessé mortellement à Taillebourg en 1586. Ses
trois frères, les sieurs de Tanlay, de Riant et de Sailli, étaient
morts avant lui.
Oct. 1585] DU VICOMTE DE TURENNE. I&5
Jean avec peu de gens; à Brouage, tout se retirai
Ainsi ces forces, ces desseins et la personne de ce
prince fort valeureux revinrent à néant. N'ayant donc
peu servir aux susdictes occasions, j'avisay, en ser-
vant le public, de servir à mon particulier, puis qu'il
en faisoit une bonne part, ce qu'autrement je n'eusse
fait; et ne vous conseille de le faire, de laisser périr le
public, quelque profit que vostre particulier en puisse
recevoir.
J'avois eu avis de Paris que Mons' du Mayne, poussé
par un de la maison de Ilaultefort^, serviteur de
Mons"^ de Guyse, pressoit le Roy de venir dans la
vicomte de Turenne, et, en y passant une partie de
l'hyver, prendre mes maisons ; mais que si je voulois
cela en asseurant le Roy, que la guerre ne se feroit
de ma maison. Soudain, je fis réponse à Madame d'An-
goulesme^. Messieurs de Ghavigny^ et La Guiche^, qui
1. Api'ès la retraite du pi'ince de Condé, Saint-Mesme pour-
suivit le siège de Brouage pendant vingt et un jours, mais fut
contraint de se retirer le 29 ou le 30 octobre 1585. C'était Jean
de Rochebeaucourt, sieur de Saint-Mesme, gouverneur de
Saint-Jean-d'Angély.
2. Edme de Hautefort, seigneur de Thenon, capitaine de cin-
quante hommes d'armes, gouverneur et sénéchal du Limousin,
qui se signala dans toutes les guerres contre les protestants et
mourut en 1589 au siège de Pontoise.
3. Diane de France, maréchale de Montmorency, qui avait
en apanage le duché d'Angoulême; la même qui est désignée
plus haut sous le nom de duchesse de Châtellerault.
4. Voir sur Chavigny la note 3 de la p. 6.
5. Philibert de la Guiche, serviteur dévoué de Henri III et
de Henri IV, grand maître de l'artillerie depuis 1578, gouver-
neur de Lyon, en 1588, après François de Mandelot, mort
en 1607.
186 MÉMOIRES [1585
estoient ceux qui avoient manié cela, que je les remer-
ciois, que puisque je mettois ma personne et ma vie
au hasard pour me conserver la liberté de ma cons-
cience, et le moyen de délivrer le Roy de l'oppression
où il estoit, que j'y voulois aussi mettre mon bien.
J'en donne avis au roy de Navarre, luy ajoustant les
avantages que ses affaires avoient, le duc du Mayne,
allant à la vicomte, où je ne croyois qu'il pust prendre
Turenne ny Saint-Ceré^; que par ce moyen il nous
donnoit loisir de voir et oster la crainte de son armée
à nos villes, que nous fortifierons et munirons cepen-
dant; qu'ainsi donc mes dommages servoient; pour-
quoy, sans luy en demander avis, j'avois fait telle
réponse qui est dicte cy-dessus. Il m'en remercia et
m'en sçut bon gré. Je tourne teste avec mes troupes,
que je ne peus garder de qucl(|ue diminution, et m'en
vins en Limousin prendre TuUe^, n'ayant point de
canon, afin de loger dedans, comme je fis, partie des
forces qu'il me falloit pour jetter dans Turenne;
Mons" du Mayne approchant, j'y mis le maistre de
camp La Morie et quelque huict cens hommes de pied ;
je reprens mon chemin vers la Dordogne et Bergerac,
où le roy de Navarre m'avoit mandé se devoir trouver.
1. Saint-Céré, petite ville de Quercy, cli.-l. de cant. de
l'arr. de Figeac (Lot).
2. Le 6 novembre 1585. (Voir de Thou, t. IX de l'éd. fran-
çaise, p. 399.) Pierre de Chouppes secondait Turenne dans
cette attaque contre Tulle et se retira avec lui, laissant dans la
ville le capitaine huguenot La Maurie « fort haï des bour-
geois. » C'était un gentilhomme périgourdin, qui avait en 1580
combattu le prince de Parme aux Pays-Bas. — Voir la Prise de
Tulle, par René Page (1891, in-8°), et Brantôme (t. V, p. 365)
qui appelle le s"" de La Maurie « l'Epouvante de la Frise. »
1585] DU VICOMTE DE TURENNE. 187
Mons"^ du Mayne part de Paris, ayant pourvcu à
l'entretenement de l'armée où il commandoit de deux
millions de livres, d'une vente du temporel des biens
ecclésiastiques (de quoy Scipion de Sardiny^ près du
vicomte que vous cognoissez, avoit fait le party), s'en-
vint en Xaintonge, menaça Saint-Jean et s'achemina
à Ville-bois ~, où il devoit avoir son armée ensemble,
et y faire, comme il fit, sa monstre générale. Le roy
de Navarre, ayant près de luy son conseil et les plus
suffisans capitaines, vouloit demeurer à la teste de la
Dordogne, où il y avoit ces trois places, Bergerac,
Sainte-Foy^ et Chastillon*, beaucoup moins accomodées
qu'elles ne le sont à cette heure. Personne ii'estoit de
cet avis; le courage néantmoins trop grand de ce
prince le portoit à vouloir suivre son avis. Ce que
voyant, je le suppliay de faire délibérer en conseil
cela, et de vouloir donner son consentement à ce que
par la pluralité des voix y seroit résolu : ce qu'il pro-
mit de faire, avec beaucoup de difficulté, estimant
qu'il iroit de sa réputation si, !\Ions'' du Mayne estant
si près, on le voyoit reculer; mais que néantmoins,
et puisqu'il l'avoit promis, il suivroit ce qu'on résou-
droit.
1. Sardini, gentilhomme lucquois, financier très connu, qui
avait épousé Isabelle de Limeuil, l'ancienne maîtresse de
Condé. Il devint baron de Chaumont-sur-Loire.
2. Villebois-La-Valette, à 23 kil. d'Angoulême.
3. Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), à 39 kil. de Libourne.
4. Caslillon- sur- Dordogne (Gironde), un des fiefs de la
duchesse de Mayenne (Henriette de Savoie), qui, en 1586, s'était
déclaré pour les protestants; mais Mayenne reprit la ville le
1" nov., malgré une belle défense du gouverneur qui y com-
mandait au nom du roi de Navarre, Alain, baron de Savignac.
188 ItfEMOIRES [1585
Le conseil assemblé, les avis de tous furent que
ledict roy devoit s'en aller à Montauban, et me laisser
à la garde des places sur la Dordogne, et autres au
deçà de la Garonne; ce qu'il fit, avec commandement
de faire ce que la nécessité des affaires requerroit*,
pour, en deffendant ces places, ruiner cette armée,
composée de quinze cens chevaux françois, douze
cens reistres, de neuf mille hommes de pied françois
et six mille Suisses, avec un bon équipage d'artillerie.
Le mareschal de Matignon, lieutenant au gouverne-
ment de Guyenne, avoit outre cela cinq à six mille
hommes de pied et mille chevaux. Le roy de Navarre
party, j'appellay à Bergerac tous les gouverneurs des
places, à sçavoir : de Sainte-Foy, Chastillon, Montsé-
gur-, Saincte-Baseille^, Clérac, Monflanquin^ et Ber-
gerac, pour apprendre Testât de leurs places pour
les fortifications, garnisons, munitions de vivres et
de guerre, ensemble les volontés et déhbérations des
habilans, tant des villes que de la campagne, où il y
en a grand nombre de la Religion. Lesdicts gouver-
neurs venus, il me sembla qu'ils me donnoient assez
exacte cognoissance de Testât de leur gouverne-
1. En effet, le 10 octobre 1585, le roi de Navarre écrivait de
Mont-de-Marsan à ses amis pour leur dire qu'il avait chargé le
vicomte de Turenne d' « assembler ses serviteurs » et qu'il les
priait de se rendre « au lieu et au temps » qu'il leur indique-
rait. [Lettres inissu'es, l. II, p. 135.)
2. Monségur (Lot-et-Garonne), cant. de Monflanquin
(Gironde), dans le Bazadais, à 13 kil. de la Réole.
3. Sainte-Bazeille (Lot-et-Garonne), à 6 kil. de Marmande.
4. Monflanquin (Lot-et-Garonne), à 18 kil. de Villeneuve-
sur-Lot.
1585] DU VICOMTE DE TURENNE. 189
ment; je pris résolution de les aller toutes voir : ce
que je pouvois faire en peu de jours, afin qu'avec
eux nous jugeassions de celles qui se pou voient
garder, ensemble de l'ordre et moyens qu'avions fait
tenir.
Je les vis donc l'une après l'autre, et fusmes d'avis
que nous les devions toutes tenir, sauf Sainte-Baseille ;
nous ne trouvasmes dans toutes que vingt ou vingt-
deux milliers de poudre, peu de salpestre, presque
rien de toute autre chose, dans les magazins non
plus ; mais les villes, combatantes pour la liberté de
leurs consciences, et les habitans, presque tous de la
Religion, faisoient des efforts volontaires à travailler
et se munir de leur pouvoir, suivant ce que j'avois
avisé et ordonné à chaque place d'y faire. J'avisay
d'où chaque place, qui avoit la jalousie d'estre assiégée,
auroit à prendre des hommes; les rivières, où elles
estoient pour la pluspart, nous donnoient cet avantage
qu'elles n'y pouvoient estre en mesme temps. Ainsi
je donne avis au roy de Navarre de nostre estât, et
les avis que nous avions pris sous son bon plaisir; ce
qu'il approuva, fors qu'il voulut qu'on deffendist
Sainte-Baseille, de quoy après il en fut marry. Je fis
un corps de deux mille cinq cens hommes de pied
pour demeurer à la campagne, afin d'en jetter dans
les places assiégées ou à assiéger, et avois deux cens
gentilshommes avec nioy.
L'armée du duc du Mayne et celle du mareschal de
Matignon^ ne se joignirent; ledict duc s'achemine vers
1. Mayenne et Matignon étaient convenus de se réunir à
Sainte-Bazeille le 25 février 1586.
190 MÉMOIRES [Févr. 1586
ma vicomte ; en son chemin nous tenions Montignac-
le-Gomte% sur la rivière de Vézère; il fut mis en
grande considération si nous le devions garder, le
voyant hors de moyen de luy donner aucune assis-
tance et la place très-mauvaise. Les considérations
estoient que c'estoit perdre de la réputation et les
hommes qu'on mettoit dans le chasteau, qui seul se
pouvoit garder, la ville ne pouvant attendre aucun
effort; au contraire, qu'au lieu de perdre de la répu-
tation, c'estoit en gagner, qu'on tireroit des consé-
quences du moins au plus, que si iMontignac avoit osé
se laisser battre et deffendre, ce que dévoient faire
les grandes villes. Ainsi je résolus d'y mettre quelque
soixante hommes et de bons, le sieur de La Porte de
Lissac^ pour les commander. Mons"^ du Mayne, n'esti-
mant pas que cela se défendist, vint avec nonchalance
l'attaquer; ainsi il luy fallut former un siège, faire des
approches, asseoir la batterie et le battre pour y faire
bresche, où il fut donné sans l'emporter. Gela dura
neuf jours, de sorte que nos affaires receurent un fort
grand avantage que cette grande armée, que peu de
nos gens de guerre en avoient veu de semblable, ayt
eu de la peine et mis du temps à emporter cette
bicoque. La place fut rendue avec une honorable capi-
tulation, perte de six ou sept hommes^.
1. Montignac (Dordogne), à 21 kil. de Sarlal. La ville fut
prise par Mayenne le 4 février.
2. Le sieur de la Porte était un capitaine au service du roi
de Navarre, dont le nom est plusieurs fois cité dans les Lettres
missives.
3. Mayenne avait alors vingt-cinq ans. Le récit de sa cam-
pagne a été publié, l'année même, sous ce titre : Discours
Févr. 1586] DU VICOMTE DE TURENNE. 19i
Le mareschal alla assiéger Gastels^ maison appar-
tenante au sieur de Favas, où il demeura devant plus
d'un mois'. Le duc du Mayne, avec son armée, après
ledict siège de Montignac, alla loger dans ma vicomte,
dans la ville de MarteP, au dèlogement de Montignac;
il fit recognoistre ma maison de Montfort*, où s'allè-
rent jetter dedans vingt-cinq ou trente gentilshommes,
qui partirent de Bergerac, où j'estois, et quelque
trente soldats de mes gardes. Auprès de ladicte mai-
son il y a, à quelque deux cents pas, une montagne,
que ceux qui furent envoyés pour recognoistre voulu-
du progrès de Vannée du Roy en Guyenne, commandée par
Charles de Lorraine, duc du Mayne, pair et chambellan de
France. Paris, 1586, in-8° de 102 feuillets. C'est la contre-par-
tie des Mémoires de Turenne.
1. Castets-en-Dorthe (Gironde), cant. de Langon. Le maré-
chal de Matignon échoua devant cette vieille forteresse le
20 février 1586; mais elle fut prise le 9 avril suivant. Le châ-
teau appartenait au seigneur protestant Jean-Geneste de
Favas, vicomte de Castets. (Voir les Mémoires de Sully et aussi
le t. I, p. 213, des Mémoires de la Société des bibliophiles de
Guyenne, et Mézeray, 1685, in-fol., t. III, p. 605.)
2. Le 21 février, le roi de Navarre écrivait, de Monpouillan,
à M. de Saint-Geniez : « Je veulx bien vous avertir comme
j'ay esté avec mes troupes jusque près de Langon, à une lieue,
et fus hier dîner à Castelz. «
3. Martel, ancienne petite ville du Quercy (Lot), à 36 kil. de
Gourdon, place principale de la vicomte de Turenne. C'est le
13 février 1586 que Mayenne y fit son entrée avec ses troupes;
et il s'établit au palais de la Raimondie, vieille résidence des
vicomtes. (Arch. départ, du Lot, citées par M. l'abbé Marche
dans la Vicomte de Turenne et ses principales filles. Tulle,
1888, in-8°, p. 457.)
4. Le château de Montfort est situé près de Souillac. La résis-
tance de la petite garnison découragea le duc de Mayenne, qui
passa outre.
192 MÉMOIRES [1586
rent gagner, où il fut l'ait une escarmouche, et telle-
ment defFendue, qu'elle demeura aux nostres; ainsi
ils ' s'en retournèrent faire leur rapport à Mons"^ du
Mayne de ce qu'ils avoient veu, lequel fit jugement
que le courage de ces hommes, quoyque la place fust
bien foible, luy feroit perdre plus de temps à la
prendre et hazarderoit plus son armée qu'il n'y auroit
de profit à la prendre, et ainsi ne s'y amusa point. Il
logea toute son armée dans la vicomte, dans laquelle
il prit toutes les petites places, Montvalant^ Gaignac^,
Beaulieu^, Rosème, Meissac*, Turenne et Saint-Geré,
dans lesquelles j'avois mis bonne garnison; dans
Turenne, j'avois jette, comme j'ay desjà dit, le régi-
ment de La Morie, que j'avois auparavant entretenu
dans Tulle ^, laquelle j'avois fait quitter à l'abord de
l'armée de Mons*^ du Mayne, comme ne se pouvant
deffendre. Mons"^ de Bouzoles'', avec trente ou quarante
gentilshommes, s'y estoient jettes durant le séjour de
Mons"^ du Mayne. A MarteP, il se fit plusieurs escar-
mouches sur le haut de Turenne, au Marchedial, à
1. Montvalent (Lot), cant. de Martel.
2. Gagnac (Lot), pris par le s"" de Hauteforl, gouverneur du
Bas-Limousin, en février 1586.
3. Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze).
4. Meyssac (Corrèze), arr. de Brives.
5. Voir de ïliou, Hist. univ., t. IX, p. 403.
6. Turenne doit désigner ici Antoine de Bégoles, un des
capitaines du roi de Navarre, qui avait épousé l'année précé-
dente Jeanne de Bourbon-Lavédan. [Lettres missives, t. II,
p. 142, et t. VIII, p. 131.)
7. De Thou raconte l'affaire dans laquelle le capitaine de la
Maurie fut tué par ce Birague, bàlard du chancelier, sur-
nommé le capitaine Sacreraore, le 12 février 1586.
15861 DU VICOMTE DE TURENNE. 193
l'une desquelles le sieur de La Morie ayant logé une
embuscade, s'estant avancé pour attirer le sieur de
Sacremore, qui commandoit à deux cens chevaux des
ennemis, ledict de La Morie l'amenant à ladicte
embuscade, d'où fut faite une décliarge d'arquebusade
sur les ennemis, ledict La Morie allant le mesme che-
min par où les ennemis le suivoient, une arquebusade
tirée par un des nostres luy donna dans la teste et le
tua : estant une maxime que lors qu'en pareil cas on
va pour attirer les ennemis, il faut que ceux qui les
attirent cherchent un autre chemin pour la retraitte
que celuy qui va droit à l'embuscade.
Durant ce temps-là, le roy de Navarre, estant à
Montauban', s'exerçoit à prendre de petites places à
l'entour de la ville et à faire la guerre guerroyable
avec les villes voisines, avec le petit corps de troupes
qu'il avoit, qui pouvoient estre environ deux mille
hommes de pied et trois ou quatre cens chevaux. Il
luy prit fantaisie de venir voh" les villes de Gascogne,
et passa la Garonne au Mas, s'en vint à Nérac, d'où il
partit pour aller en Béarn, plus pour y voir la com-
tesse de Guiche que pour occasion que luy en don-
noient les affaires publiques. Mons"" du May ne en estant
averty, estima qu'avec la diligence il pouvoit aller
passer la rivière de Garonne, pour par ce moyen l'as-
siéger dans quelques-unes des places que ledict roy
tenoit au delà de la rivière de Dordogne auprès de
Souillac, auquel lieu n'ayant point de bateaux suffisans
1. A la tête d'un petit corps d'armée, Henri de Bourbon
était à Montauban le 20 janvier 1586, au Mas-de-Verdun le 29,
à Nérac du G au 13 février, à Caumonl le 21.
13
194 MÉMOIRES [Avril 1586
pour passer son artillerie, et n'en pouvant faire appro-
cher qu'il ne luy fallust perdre quelque jours, il la fit
passer par le fond de l'eau avec des cables forts et
puissans, ayant bien fait recognoistre que le fond
estoit dur et sans vase; s'avança avec douze cens
chevaux et quelques deux mille hommes de pied
pour l'effet susdict; ce qu'il ne put faire que ledict
roy n'en fust averty, et ne fust venu à Caumont, d'où
il passa la rivière pour aller en Gascogne ^ Moy, cepen-
dant, je partis au mesme temps de Bergerac^ que
ledict duc partit de Martel, sur l'advis que j'eus que
ledict duc alloit en Quercy, et m'en allay avec trois
mil hommes de pied et quatre cens chevaux passer
par la Gascogne, me jetter à Montauban, pour estre
à la teste dudict duc s'il eust prins le chemin de
Quercy. Ayant sceu le changement de son dessein,
après estre arrivé à Montauban, je repartis soudain
avec ces mesmes forces, repassay la rivière de Garonne
et vins me jetter dans Nérac ; estant l'armée dudict
duc logée à Éguilion\ Port-Sainte-Marie, Tonnins et
autres lieux aux environs; ils menacent les places de
Nérac, Casteljaloux, Glérac, Monlségur et Sainte-
Baseille'*. Le mareschal de Matignon, en ce mesme
1. Tous ces événements sont racontés en détail par deThou,
t. IX, p. 578 et suiv.; mais les dates exactes manquent souvent.
2. Le vicomte ne craint pas d'accuser son antagonisme avec
le roi de Navarre, aflectant d avoir seul compris les opérations
militaires.
3. Aiguillon (Lot-et-Garonne), à .'}0 kil. d'Agen.
4. Mayenne assiégea Sainle-Bazeille le 10 avril 1586, qu'il
prit assez facilement; puis, faisant sa jonction avec Matignon,
il attaqua le 24 avril Monségiir, qui capitula le 10 mai suivant.
Mai 1586] DU VICOMTE DE TURENNE. 195
temps, eut achevé son siège de Castels; ledict duc,
ayant envie de joindre ces deux armées, avisa d'assié-
ger Sainte-Baseille, où le roy avoit fait jetter huict à
neuf cens hommes, lequel siège ne dura qu'onze ou
douze jours, estant la place, comme il a esté dict
cy-dessus, jugée très-mauvaise; cependant nous forti-
fions toutes les places, et moy particulièrement Nérac,
où je fis commencer et fort avancer la pluspart des
fortifications qui y sont encore, jugeant que ledict duc
nous devoit attaquer, encore qu'il y eust de bons
hommes, où, s'il en fust venu à bout, il eust trouvé,
puis après, peu de chose qui luy eust résisté, son
armée estant puissante, les deux estant jointes, et n'y
ayant rien qui luy disputast la campagne.
Néantmoins, au lieu de venir à nous, il alla assié-
ger Monségur, qui est une ville en Agénois, d'une
belle assiette sur une montagne, en laquelle comman-
doit le sieur de Melon, dans laquelle on jetta moins
d'hommes et de munitions qu'il n'en fut de besoin.
Le roy de Navarre estoit encore à Bergerac, où il
avoit peu d'hommes; moy, voyant ces choses, j'allay
passer la rivière, et m'en vins à Glérac, et n'osay
dégarnir Nérac ^ que je ne visse l'armée des ennemis
bien éloignée, qui fut occasion que je n'y en pus pas
jetter. Mons*^ du May ne feignit une maladie durant
ledict siège, pour avoir sujet de s'en aller faire panser
à Bordeaux, et laissa le sieur de Matignon pour para-
André de Meslon, sgr de Sailhan, conseiller du roi de Navarre,
maître des requêtes de son hôtel, en était gouverneur.
1. Le roi de Navarre, après avoir passé par Nérac le
14 mars, vint s'établir à Sainte -Foy- la -Grande le 19 mars
1586.
196 MÉMOIRES DU VICOMTE DE TURENNE. [Mai 1586
chever le siège; ledict duc, cependant, se ménageoit
de la créance dans Bordeaux pour s'en asseurer, y
ayant tousjours une notable mésintelligence entre les
serviteurs du Roy et ceux de la Ligue*. Le siège finy,
l'armée de Mons'^ du Mayne s'estant répandue dans les
provinces pour se rafraîchir un peu, je m'en vins sur
la Dordogne, où je voyois qu'ils jettoient leurs des-
seins, la ville de Bordeaux continuant à solliciter son
élargissement, qu'on avoit desjà commencé par la
prise de Gastels, Sainte-Baseille et Montségur, n'ayant
plus proche d'elle que la ville de Castillon-.
1. Mayenne était à cette époque (mai 1586) fort malade à
Bordeaux. Mais la version de J.-A. de Thou, p. 281, ne diffère
pas beaucoup de celle de Turenne ; il est vrai que lui aussi
était plus « serviteur du Roi que de la Ligue. »
2. Castillon, malgré une héroïque résistance et le secours
que le vicomte jeta plusieurs fois dans la place, fut obligé de
capituler au bout de deux mois. La ville fui reprise au milieu
d'avril 1587 par les troupes de Turenne et de Sacremore;
les protestants y trouvèrent six gros canons et une grande
quantité de balles et de poudre. [Journal de Faurin, p. 251.)
— On sait que le second fils du duc de Bouillon, le grand
Turenne, voulut que son cœur fût déposé dans l'église de Cas-
tillon, qu'il avait bâtie.
APPENDICE
LETTRES DU ROI DE NAVARRE
(HENRI IV)
AU VICOMTE DE TURENNE.
I.
A MONSIEUR DE TURENNE.
[Sans lieu, ni date'.]
Capitaine Turenne, vous ne faudrés, vu la présente,
me venir trouver, pour ce que j'ai envie de parler à
vous.
A Dieu. Je vous prie aussi que Mons"^ de Saint-Geniès^
vienne.
Votre meilleur cousin et plus parfait ami,
Henry.
II.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Sans lieu, ni dale^.]
Mon capitaine, si vous n'eussiés eu peur que l'on
1. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 42.
2. Jean de Gontaut, sgr de Saint-Geniès, capitaine protes-
tant, qualifié par le roi de Navarre de « mon lieutenant géné-
ral en mes royaulme et pays souverain. «
3. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 49.
198 APPENDICE.
VOUS eut faict recevoir quelque honte en courant
mieux que vous, vous eussiés bien trouvé moyen
qu*un de vos amis se fut trouvé masqué sur la car-
rière et eut vu sa maitresse. Mais, Dieu mercy, quand
vous êtes à votre aise, vous ne vous souvenés de
personne. Vous ne m'avés rien mandé de nouvelles
particulières; n'en faites ainsi aujourd'huy. Mèré-
glise* suit votre exemple, si bien qu'il faudroit
autant que je fusse à cent lieues de la Cour et sans y
avoir aucun ami, que d'être comme je suis.
Je baise les mains de votre maitresse, de pensée;
je vous prie les lui baiser de fait, de ma part ; et je
vous ferai quelqu'autre service.
Le tout votre,
Henry.
Recommandés-moy à Laverdin.
m.
A MON COUSIN, MONSIEUR LE YICONTE DE THURENNE.
[Chàleau-Ilenaull, mai 1576^.]
Mon cousin, j'cstois jà bien avant en chemyn, suy-
vant le commandement de Monsieur^, pour l'aler trou-
ver et assister à la conclusion de la paix, quand le
sieur de La l\ocque^ m'a rencontré et faict entendre
1. Simon, sgr de Mère-Ej^lise, chambellan du duc d'Alençon.
2. Collection Alfred Morrisson, n" G. — Autograph Icltcrs and
hislorical documents. Catalogue publié parM. W. ïhibaudeau.
Londres, 1885, gr. in-4", l. Il, p. 260.
3. Le roi de Navarre venait de s'échapper de la Cour pour
aller rejoindre son ami et compagnon de captivité le duc
d'Alençon.
4. Le s'' de la Roque, gentilhomme de la chambre du roi de
Navarre.
APPENDICE. 199
qu'elle esloit résolue^, dont je loue Dieu et en reçoy
ung singulier plaisir, moyennant qu'il luy plaise mectre
fin aux misères et calamitez de ce pauvre royaume;
mais, conmie il m'avoit esté promis que ladite con-
clusion ne se feroit sans moy, aussi ne puy-je estre
satisfaict, voyant tant de genlilzhommes, qui m'ont
suivy pour le service de mondit sieur, s'en retourner
mal contans pour avoyr esté oublyés, et que pas ung
d'eulx ne se rescent d'aucun bienfaict, grade, ny hon-
neur des charges qu'il a départies. Le sieur de Mom-
martin^, que j'envoye vers luy, vous en fera plus
particulier discours, sur lequel me remectant, ne vous
en feray la présente plus longue, pour vous dire que
je m'en voys en mon gouvernement de Guyenne, où,
s'il vous plaist que nous nous voyons, vous congnois-
trez le désir que j'en ay; et, cependant, je vous prye
de m'aymer tousjours et faire estât de moy comme du
meilleur parent et amy que vous ayez. Priant le Créa-
teur, mon cousin, qu'il vous ayt en sa saincte garde.
De Chasteau-Renault, ce jour de may 1 576.
Vostre bien bon cousin et entier amy,
Henry.
IV.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Août-septembre 1577^.]
Monsieur le grand pendart, vous vous êtes sou-
1. La paix fut signée au camp d'Etigny le 6 mai 1576.
2. Jean du Mats de Montmartin, un des porteurs ordinaires
de dépêches du roi de Navarre, qui fut plus tard gouverneur
de Vitré et maréchal de camp. (Voir Lettres missives, t. II,
p. 115, 185, et t. III, p. 457.)
3. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 52. La même
200 APPENDICE.
venu de la sœur de mon frère et non pas de la mienne.
J'eus au soir des nouvelles du comte de Guerson',
qui' me mande que Meslian^ est assiégé ou, pour le
moins, investi. Hâtés vos affaires, afin que nous nous
en allions vilement; car je me fâche ici. Je me remets
de tout sur votre suffisance.
A Dieu, cheval de poste. Je suis votre affectionné
cousin et parfait ami,
Henry.
V.
A MON CAPITAINE.
[Octobre ou novembre 1578^.]
Mon capitaine, je m'aime là où on me désire, qui
est cause, avec ce que vous pensés qu'il n'y a point
de danger, que je m'achemine où me mandés. Dites à
lettre a été publiée par M. Feuillet de Couches, ('oiume tou-
jours sans indication de provenance, dans les Causeries d'un
curieux, t. III, p. 03.
1. Louis de Foy, comte de Curson, vicomte de Meille, gen-
lilhomine catholique, fils de Gaston de Foy, marquis de Trans,
qui reçut les négociateurs de la paix dans son château de Fleix
en 1580. Cette même année Curson fut tué avec ses deux frères
au combat de Montraveau.
2. Meillan, petite ville du duché d'Albret, aujourd'hui ch.-l.
de cant. de l'arr. de Marmande (Tarn-et-Garonne), ou Meil-
land (Gers), dans l'ancien Armagnac.
3. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4433, fol. 50. —
Publiée dans les Lcltrcs de Cnthcrine de Médieis, t. VI, Appen-
dice, n" XV, p. 404, et aussi dans le t. III, p. Gl, des Causeries
d'un curieux, de M. Feuillet de Couches, qui la date, sans motif,
de Vincennes en mai 1574, la lettre faisant une allusion évi-
dente à la première ou à la seconde rencontre du roi de
Navarre avec la reine mère à Auch, en 1578. (Voir plus haut
les Mémoires de Turenne, p. 130 et suiv.)
APPENDICE. 201
Laverdin, à Miossans^ et à tous nos gens qui^ se
trouvent là, afin que je sois mieux accompagné. Si
vous disiés à la Reine que peut-être je me trouverai
là à son diner et que, si toute cette noblesse y etoit,
il y auroit danger qu'il y arrivât quelque scandale,
parce qu'il y en a qui m'ont fort offensé, et aussi des
miens, comme Gondrin '\ Barannau', Saintorens^,
Bastre*^, Faites de façon qu'il en vienne le moins que
pourrés. Mandés-moy ce qu'aurés fait par Mèréglise,
qui !îie trouvera à mon camp : entre autres choses,
quels hommes y viendront. Baisés les mains de ma
part à votre maitresse et à la mienne.
Votre petit serviteur,
Henry.
VI.
A MON COUSIN MONS"^ LE VICOMTE DE TURENNE.
[Nérac, 26 décembre 1578 ^]
Mon cousin, ayant à présent entendu ce qui est
arrivé à Langon, j'en ai eu un extrême déplaisir,
parce que, comme vous savés, j'ai une telle affection
1. Jean d'Albrel, baron de Miossans et de Coarase.
2. Qui, qu'ils.
3. Hector de Pardaillan, sgr de Gondrin.
4. Le sgr de Barannau, chevalier de l'ordre, sénéchal d'Ar-
magnac.
5. Cassagnet du Tilladet, sgr de Saint-Aurens.
6. Sans doute Manaud de Batz, gouverneur d'Eauze (Gers),
gentilhomme catholique, très dévoué au roi de Navarre.
7. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, fol. 45. —
Cette lettre a été publiée, d'après l'original de la collection de
M™^ Digby-Boycott, au t. VIII, p. 131, des Lettres missives
de Henri IV.
202 APPENDICE.
au bien de la paix et à arrester le cours des maux que
beaucoup nous préparent et avancent malgré nous,
que je voudrois, aujourd'hui plustôt que demain il y
fut pourvu par bons et convenables remèdes; ce qui
m'a fait dépescher présentement vers vous le sieur de
Bégoles', présent porteur, pour assurer la Reyne de
l'ennui que j'ai reçu de tel accident et du désir que
j'ai que la justice qui y est requise en soit prompte-
ment faite, lui offrant mes moyens et ma personne
pour cet eff'et, comme toujours a été mon intention,
qui se trouvera si droite et si pure, que j'espère que
le Roy Monseigneur, ladicte Dame et tous les gens de
bien reconnoîtront que, sans moy et la bonne affec-
tion que j'y ay apportée, les choses ne fussent long-
temps à un si bon état comme elles sont; comme tou-
jours je n'obmettray aucune chose de mon devoir pour
établir une bonne paix, et pour couper chemin aux
maux qui nous gagnent et surmontent peu à peu, si
nous ne nous aidons tous d'une commune main à
faire justice et à observer sincèrement les édits de
Sa Majesté. C'est ce que je vous peus faire entendre,
que vous savés mieux qu'autre être toute mon inten-
tion, et qui me gardera de vous en dire davantage,
si ce n'est pour prier Dieu vous tenir, mon cousin,
en sa sainte garde et protection.
De Nérac, le 26 décembre 1578.
Je vous envoyé un des habitans de Losserte^ qui
demande justice. Ceux de la cour d'Agen, députés
1. Antoine, seigneur de Bégoles, capitaine catholique au ser-
vice du roi de Navarre. (Voir Lettres de Catherine de Médicis,
t. VI, p. 189 et note.)
2. Lauzerte avait été prise par les Catholiques le 5 mai 1578.
APPENDICE. 203
pour aller sur les lieux, disent qu'on ne leur donne
aucun moien pour exécuter leur commission. Devant
hier on en fit sortir les femmes et les enfants.
Votre plus affectionné cousin et parfait ami,
Henry.
VII.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Avril 1580'.]
Cousin, tant plus je vais en avant et plus je connois
combien me ferés de faute, au cas que quelque chose se
meuve, à quoy il y a plus d'apparence qu'autrement.
Le maréchal de Biron ne vient point; toutefois, il ne
m'en résout par la réponse qu'il m'a faite, désirant,
ce semble, attendre le dernier de ce mois pour voir
ce que nous ferons des villes. Nous lui avons fait
aujourd'hui une recharge par Mons"^ Destrosse, pour
lui faire lever le masque. Mons' de Benac m'a mandé
qu'il ne viendroit point. Après la réponse de
Mons"" Destrosse, je ferai ce que vous sçavés que
j'avois résolu. Frontenac vous contera tout ce qui s'est
passé à Mouissac ~, et comme Mons"" de Duras ^ m'a
voulu faire un bon tour à Agen, oi^i d'apparence j'ai
été le très bien venu. Tous les Messieurs du Conseil
seront ici aujourd'hui ou demain. Je suis après à
1. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, fol. 43. — La
mission de Philippe Strozzi en Guyenne, pour essa3'er d'empê-
cher la guerre, est de la lin de mars 1580. Il devait calmer les
catholiques et tenter de réconcilier le roi de Navarre avec le
maréchal de Biron : tâche difficile, car ils avaient l'un contre
l'autre de nombreux griefs.
2. Moissac (Tarn-et-Garonne).
3. C'était le mari de la favorite de la reine de Navarre.
204 APPENDICE.
accorder les deux frères ; je ne pense pas en venir à
bout. Je n'ai point eu de nouvelles de la Reine ^ depuis
La, Roche^. Je ne parle plus à Rebours^; ce serment
ne se rompra plus. Frontenac^ y est, comme il vous
dira a une fièvre continue. Il y a ici des Espagnols
qui sont venus pour me proposer des choses belles,
que le porteur vous dira : vous en userés comme bon
vous semblera. Je vous envoyé ces blancs. Voilà tout ce
que je sçais; je vous prie me vouloir toujours aimer et
faire estât que n'aurés jamais ami qui vous aime plus que
moy. A Dieu, mon ami; mandés-moi de vos nouvelles
souvent; je vous recommande mes gens : tout le plaisir
que leur ferés, je le prends comme fait à moi-même.
Vostre plus parfait et affectionné cousin et ami
à jamais,
Henry.
VIII.
A MON COUSIN, MONSIEUR LE VICOMTE DE TURENNE.
[1584^]
Mon cousin, Boisrenard*^ m'est venu trouver, par
1. La reine lui avait écrit par Pierre de Masparaut le 31 mars
1580. (Voir Lettres de Catherine de Médicis, t. VII, p. 233.)
2. C'est sans doute celui qu'on appelait « le petit La Roche, »
un des iils de Philippe de la Roche, baron de Fontenille,
capitaine de cinquante hommes d'armes et chevalier de l'ordre
depuis 1568.
3. M"^ Rebours, fille de Guillaume Rebours, président au
Parlement, l'une des maîtresses les plus connues du Réarnais;
elle fut bientôt remplacée par M"*^ de Montmorency-Fosseux, et
se jeta dans les bras de ce Frontenac, dont il est parlé deux
fois dans la lettre.
4. Sur Frontenac, voir la note de la p. 132.
5. Cop. Ribl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 99.
6. Le capitaine Roisrenard fut, avec le s'' de Meslon, l'un des
APPENDICE. 205
lequel ayant entendu la division qui est entre luy et
Marsolau, laquelle ne se peut bien accorder, j'ai avisé
de le renvoyer vers vous, afin de la vous faire entendre.
Il me semble que le meilleur seroit que vous mettiés
ledict Boisrenard dedans Saincte-Bazeille, avec les trente
hommes qu'il a pour la garde et sûreté de ladicte
place, laquelle est menacée et pourroit être en danger,
attendu le peu d'affection que montrent avoir les habi-
tans, ainsi que Lausère^ me mande : il sera fort soi-
gneux de la faire fortifier, ainsi qu'il m'a assuré. Il
vous faudra mettre en sa place, à Monségur, telle autre
compagnie que vous aviserés, à quoy je vous prie bien
fort, mon cousin, de pourvoir et faire aussy que la
compagnie de cheval du sieur de Vivans soit entre-
tenue sur les contributions de delà la Garonne, parce
que ce qui est de deçà est si mangé et pillé et si
chargé d'autres compagnies de gens de cheval qui
s'en vont être toutes dressées, qu'il est impossible
qu'il puisse suffire pour leur entretenement et porter
les contributions qu'il faudroit lever, si la compagnie
dudict sieur de Vivans- y étoit de surcroit. Je vous
manderay de mes nouvelles par homme exprès que
je vous depêcheray; cela me gardera de vous faire
défenseurs de Montségur en 1584. Le roi de Navarre l'autori-
sait, le 3 mars 1584, à prendre des vivres où il pourrait, afin
de nourrir la garnison.
1. Lauzère ou Lauzères, capitaine gascon, qui fut plus tard
valet de chambre de Henri IV.
2. Geoffroy de Vivans, ou Vivant, seigneur de Doynac-en-
Sarladois, né en 1543, était capitaine de cinquante hommes
d'armes, gouverneur du Périgord et du Limousin. Il fut tué
d'un coup de mousquet, le 21 août 1592, en défendant le châ-
teau de Villandreau contre le maréchal de Matignon.
206 APPENDICE.
celle-ci plus longue, si ce n'est pour vous prier d'ai-
mer toujours votre plus affectionné cousin et parfait
ami à jamais, Henry.
Mon ami, croies que vous êtes l'homme du monde
que j'aime le mieux. Je vous enverray Gonstans^
demain. J'ai donné charge à ce porteur de vous dire
quelque chose.
Si vous voies la lettre que m'a écrit Mons"^ de Lusi-
gnan, de la façon que l'on traite les régiments du
maréchal, il vous fcroit pitié.
IX.
A MON COUSYN, MONSIEUR LE VYCONTE DE TURENNE.
[15852.]
Ayant sceu la mort du capyteyne Mesny, Sauvât^
m'est venu demander le gouvernemant de Gastyllon
et sa compagnye, dysant que, pansant qu'elle seroyt
alacquée la premyère"^, il me voulloyt fayre paroytre
son courage et sa dylygence; ce que ne luy ay voullu
refuser à plat : aussy, de vray, me surprynt-yl; mes je
luy dys que je le luy acordoys, sy vous n'y avyez poynt
pourveu, et que je vous an escryroys par luy. J'y ay
myeus pançay depuys : il est papyste, assés volage,
1. Augustin de Constans, sgr de Rebecque, gentilhomme de
la chambre du roi de Navarre.
2. Nous nous permettons, pour que la série soit complète, de
reproduire ce billet sans date, publié déjà par M. Guadet dans
le Supplément aux Lettres missives, t. IX, p. 332. — Bibl.
nat., f. fr., Nouv. acq. 4553, p. 5G.
3. Il serait intéressant de savoir quel était ce « papyste »
Sauvât, que le roi de Navarre traite si bien en Gascon.
4. Voir plus haul, j). 187 et l'JO.
APPENDICE. 207
peu prévoyant; de brave, il le l'est tout outre. Il
n'est nullement propre pour ceste charge : pourvoyés-
y donc ; et, lorsqu'il vous portera ma lettre, dytes-luy
que, suyvant le pouvoyr que avés de moy, vous y
avyés pourveu; que, sy il eut esté sur les lyeus, vous
ussyés esté très ayse de luy mettre, voyant sa bonne
volunté. Je vous anvoye mon advys sur ce que avés à
fayre. Il ce présante quelque chose de beau, sy vous
vous advancés. Fautryère* est fort partyculyèrement
ynstruyt de tout, quy me fera fynyr, à vous jurant
que vous estes l'homme du monde que j'ayme autant.
Je porte 8 cens pyques, mays ils n'ont poynt de fers;
fêtes an fayre aus vylles. An prenant le chemyn que je
vous mande, vous pourvoyrrés à Monflanquyn ~. A Dieu.
Je suys vostre plus afectyoné cousyn et parfayt amy,
Henry.
X.
A MON COUSYN MONSIEUR DE TURENNE.
[Août 15853.]
J'ay guagné le tamps, avec ces députés, que nous
désyryons. Je vous anvoye ce porteur en dylygence
pour fayre sursoyr toutes entreprynses : croyés ce
qu'yl vous dira. Je vous prye, venés avec dys ou
douse, me treuver ycy dy manche sans faute, car
lundy je partyray pour ramener ce que vous sçavés.
Je lesse ma seur où elle est. Duras '^ va voir le roy
1. Ailleurs, ce personnage est appelé « La Fautrière. »
2. Voir plus haut, p. 188.
3. Cette lettre, provenant de la collection Feuillet de Couches,
est aussi imprimée dans les Lettres >?iissives, t. IX, p. 333.
4. Duras, toujours ennemi de Turenne, du roi de Navarre et
208 APPENDICE.
d'Espagne, qiiy (depuys troys semaynes) est anfermé
dans son logys à cause de la eontagyon. La coqueluche
s'est mellée avec la peste, sy byen qu'on an réchape
peu. Ledyt Duras va cepandant par les enemys,
demandant qu'yls aydent de moyens à la Reyne de
chasser les érétyques, quy sont avec celuy que l'on
nomoyt son mary. Venés pour Dyeu! Il y aura plus
à fayre que nous ayons eu, ny que nous n'aurons
peut-estre d'un an. J'ay byen ocasyon de me passer
de vous : je ne vous guarderé guières ; mais que je vous
voye. Groyés que je vous ayme plus que vous ne
faytes moy'. Sur ceste véryté, je vous prye ancore un
coup venyr.
C'est vostre plus parfayct cousyn et antyèremant
-"'^y ^'"^ Henry.
XI.
A MON COUSYN MONSIEUR DE TURENNE.
[15852.]
Mon cousyn, depuys yl m'est souvenu que je n'avoy
poynt pourveu au fayt du sieur Bartélemy, que
j'ayme ynfynyemant, comme je luy feray paroystre.
Je mande à Pedesclau^ de luy bayller deux cens escus :
des huguenots, servait en outre les passions de Marguerite de
Valois.
1. Le roi de Navarre avait raison : le ton même des Mémoires
prouve que Turenne n'était attaché au Béarnais qu'avec bien
des réserves.
2. Autogr. Collection Morrisson, n° 38. — Catalogue, etc.,
p. 266.
3. Vincent de Pedesclaux, trésorier et receveur général des
ilnances du roi de i\avarre.
APPENDICE. 209
fêtes les luy bayller, et l'assurés, je vous prye, de ma
bonne volonté. Ce qu'avoyt Vyssouse^ quy est fort
peu, a esté tout amployé et n'a duré que deus ou troys
jours, et en mauvèses pièses~. C'est
Vostre très afectyonné mestre et parfet amy à jamès,
Henry.
XII.
A MON COUSYN MONS"^ LE VYCONTE DE TURENNE.
[Septembre 15853.]
Mon cousyn, je n'ay poynt eu novelles de vous que
despuys hyer par Moreau^, par lequel vous me mandés
qu'yl vous sera mal aysé de vous rendre (au tems) au
lyeu arresté, ce quy sera byen dyfysylle aussy à nos
troupes de Guyenne; mays yl faut se delygenter le
plus qu'on pourra : surtout, avansés le canon le plus
près que pourrés. Et, pour le regart de Mons"^ de La
Force, yl me fyt byen conoytre, à son despart, son
1. Raimond de Viçose, ou Bissouse, qualifié « un de mes
secrétaires des finances » dans une lettre du 3 juin 1588.
(T. II, p. 380.)
2. Dans l'état de la maison du roi de Navarre, dressé le
l^"" janvier 1585, le vicomte de Turenne est indiqué comme
« chef du Conseil, » MM. de Ségur, de Clervant et Duplessis
comme « surintendans de la maison, affaires et finances. »
3. Collection Morrison, n° 27. Autogr. letters, etc., t. II,
p. 264. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 89.
4. « Maistre » Moreau, lieutenant de la baronnie de Château-
neuf, était un des plus fidèles serviteurs du roi de Navarre.
(Voir le billet en date du 7 août 1586, dans les Lettres mis-
sù'es, t. II, p. 232.)
14
210 APPENDICE.
mescontantement, quy ne peut estre que pour le fayt
de la maison deMons"" de Beauregart^; car, pour l'autre
que vous savés, je le rendys contant. Sy vous conoyssés
que se soyt pour cella, je vous prye de le contanter
et luy dyre que vous en avés commandement de moy ;
je ne voudroys pour ryen perdre un sy bon servyteur.
Quant à mon cousyn, MonsMe comte de Soyssons'^ yl
a esté fort marry d'avoyr veu par vos letres le bruyt
quy a couru; yl est résolu de vous aymer fort, say-
chant combyen l'amytyé de telles personnes que vous
luy est utylle. Pour moy, je vous ayme plus que vous
ne faytes, et faysons à l'envy. Mandés-moy souvant
de vos novelles; et à Dyeu, mon cousyn. Je suys
Vostre très afectyonné cousyn et assuré amy,
Henry.
J'ay mandé à Mons"^ du Plessys de pourveoyr à la
delyvrance de Vobereau^. Quant à mon syrurgen et à
Moreau, se ne sont pas gens quy doyvent estre mys
à ranson. Mandés à Mons"^ le mareschal que quant j'en
auroys des syens de ceste qualyté, que je les luy ren-
voyerès; que, s'yl le fayt, yl me donrra ocasyon de
trayter aynsy les syens : cepandant, en prenant les fors
que vous ataquerés, je vous prye garder quelques-
uns, pour les pouvoyr retyrer. Je suys marry contre
vous de ce que ne m'avés envoyé Bonyères et Dujon ;
je m'en prendray à vous et non à eus.
1. Sans doute Jean de Montberon, seigneur de Beauregard.
2. Charles de Bourbon, comte de Soissons, fils de Louis P"",
prince de Condé.
3. Nous ne trouvons rien dans la volumineuse Correspon-
dance de Duplessis-Mornay qui se rapporte à cette affaire.
APPENDICE. 211
xm.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Janvier 1586'.]
Cousin, ces forts se rendent demain matin, de sorte
que je m'en irai assiéger Gausac-, que mon logis
pourra être à la Bastide, qui sera votre chemin. Je
vous prie d'y faire trouver tous les maîtres; et me
ferés amener mes chiens, mes écuyers et mon oiseau.
A Dieu. De Casais^, ce jeudy, à huit heures du soir,
2i8 janvier. C'est
Vostre affectionné cousin et parfait ami,
Henry.
XIV.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Février 1586 -s.]
Cousin, j'oubliay hier à vous dire que je treuve bon
ce que Bysouse a conclu pour... Le Pin^ m'a parlé
pour vous de quelque chose : vous estes une beste;
1. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 42.
2. Cauzac (Lot-et-Garonne), arr. d'Agen.
3. Gazais (Tarn-et-Garonne) , près Verdun. Une lettre du
2 février 1586 est datée « de la Gazais. » [Lettres missives,
t. II, p. 189.)
4. Publiée dans le t. II, p. 194, des Lettres missives, d'après
l'autographe des archives de M. le vicomte de Gourgues, à
Lanquais.
5. Le Pin, ou plutôt Jacques Lallier, sgr du Pin, secrétaire
du roi de Navarre.
212 APPENDICE.
ne savés-vous pas que nous n'avons rien à départir?
Ayés Toeil ouvert sur les troupes de Mons"" du Mayne*.
Je vays dormir à Castel Jaloux-. Nous ne tenterons
rien follement. C'est de vous de qui j'attends des nou-
velles. A Dieu.
Celui qui vous aime plus que valés,
Henry.
L'on prend les messagers; si c'est chose qui
importe, mandés-le moy par deux.
XV.
A MON COUSYN MONS' DE TURENxNE.
[Février 15863.]
Mon cousyn, je vyens de resevoyr des lettres du
sieur de Fa vas, quy a sa mayson pourveue de ce
qu'yl luy faut. Les compagnyes de Lestelle* ne sont
ancores à Sainte-Bazeylle, dont je suys an peyne. Je
panse que Mons"" le maréchal de Matygnon l'ataquera
plustost que place quelconque. La noblesse de se pays
1. Le duc de Mayenne, depuis le commencement de 1585,
commandait en Guyenne conjointement avec Matignon; mais il
s'entendait assez mal avec le maréchal.
2. Le roi de Navarre, quittant Nérac, alla coucher à Castel-
jaloux les 6 et 13 février 1586; il y séjourna jusqu'au 16.
3. Autogr. Collection Morrisson, n° 35. Catal., t. II, p. 265.
4. Voir t. II, p. 200, des Lettres missives, une lettre du
15 mars 1586 à M. de Lestelle. Le roi de Navarre lui dit qu'il a
été à cheval à Casteljaloux. — Tous les petits faits de guerre de
cette année 1586 sont racontés avec beaucoup de verve dans
l'écrit de Duplessis-Mornay intitulé : Response à ung petit dis-
cours sur le voyage de M. de Mayenne en Guyenne. [Mémoires
et correspondance, t. III, p. 380.)
APPENDICE. 213
ne bouge, aiicores qu'elle soyt mandée au huytyème
de se moys à Marmande et à Coutures', et n'y a pas
aparanse qu'elle monte à cheval. Vostre commère parle
byen autre langage, an ses lettres qu'elle ecryt par desà,
que celuy qu'yl a tenu à 98, 35, 64, 46, 52. Il est be-
soyn de secouryr Sainte-Bazeylle-. Dedans dymanche,
j'espère avoyr ansamble troys cens cynquante chevaus,
ce que je n'eusse pas creu, etbyentost deus mylle har-
quebousiers ansamble. J'espère que Dyeu nous assy-
stera, auquel je me fye du tout, et que nos anemys ne
feront pas se qu'yis panset. Seryllac^ vous dira des
nouvelles de Languedoc, sur lequel je me remettray,
et vous pryeray de me mander à toutes heures de
vos nouvelles. A Dieu, mon cousyn, aymés toujours
parfètement,
Vostre très afectyonné cousyn et très parfet et
ymmuable amy,
Henry.
Mon cousyn, j'ay depuys esté à Gastelgelous, où
j'ay veu les sieurs de Fabas, Vyvans : Seryllac vous
en dira des nouvelles : il s'en va byen ynstruyt.
1. Goutures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), arr. de Mar-
mande.
2. Le 18 mars, Henri écrit de Sainte-Foy à M. de Vivans qu'il
faut envoyer le lendemain deux compagnies à Sainte-Bazeille :
la ville capitulera néanmoins au mois d'avril. Il avait dit aussi à
Turenne de « bailler des gens pour Saincte-Baseille et Gau-
mont. » — Plusieurs autres lettres à M. de Vivans se trouvent
dans le t. II des Lettres missives.
3. François de Faudoas, seigneur de Serillac.
214 APPENDICE.
XVI.
A MON COUSYN MONS"" DE TUREIWE.
[Février 1586'.]
Mon cousyn, depuys ma dernyère, j'ay eu avys que
Mons'' le maréchal de Matygnon estoyt allé à Case-
nove^, et l'avoyt anvyronné avec sa cavalerye, et avoyt
fayt tyrer deus canons pour l'assyéger et le batre,
ayant douze cens harquebouziers et sys cens Souysses
et quatre compagnyes de jandarmes; mays, ayant
antandu que j'estoy an ceste vylle, yi s'est retyré à
Langon et s'est fort resserré. Je vous manderay à
toutes heures de mes nouvelles ; je vous prye fère le
samblable et m'avertyr de ce quy se passe an l'armée
du duc de Mayenne. C'est un des plus grans contan-
temans que je puys avoyr que d'estre souvant averty
de vos nouvelles^. Je depesche les sieurs de Mondon*
et Lambert^ avec une bonne depesche, laquelle je leur
ay comandé de fère voyr à la dame de La Roche et
prendre sur tout son advys. A Dieu, cousyn ; c'est
Vostre très afectyonné cousyn et très parfet amy,
Henry.
1. Autogr. CoUect. Morrisson, n° 36. Autograph Letters, etc.,
t. II, p. 256. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 97.
2. Le château de Cazenove en Bazadais était situé près de
Villandraut (Gironde), arr. de Bazas, à 3 kil. de Langon. La
tour en était célèbre dans tout le pays, et les ruines qui en
subsistent encore indiquent une véritable forteresse.
3. Une phrase presque semblable se trouve dans une lettre
à M. de Saint-Geniés, du 21 février 1586 : « Nos ennemis en
ont été tellement alarmez que Mons"" le maréchal de Matignon
resserra toute sa cavalerie dedans Langon... « [Lct. mis., II, 191.)
4. Le s' de Mondon était un porteur de dépêches du Béarnais.
5. Pierre de Lambert, sgr de Rouziers et de la Mazardie.
APPENDICE. 215
XVII.
A MON COUSYN MONS' DE TURENNE.
[Mars 1586 <.]
Mon cousyn, quelque mauvays tems qu'yl ayt fet,
quelque débordement d'eaus qu'yl y ayt eu, j'ay sur-
monté toutes dyfycultés et suys venu an cette vylle,
sans que nous ayons perdu sys homes; le povre de
Ryeu^, maréchal des logis de ma compagnye de mes
chevaus-legers, quy s'est noyé, dont j'ay eu beaucoup
de regret. Mon cousyn Mons"^ de Monmorensy est à
Castres, quy est sur le poynt de se retyrer; de quoy
j'ay byen voulu vous en avertyr et vous pryer byen fort
de vous avanser le plus que vous pourés, parce qu'yl
nous le faut voyr, et prendre tous ensemble une bonne
résolusyon. Je desyre que vous amenés deus canons
avec vous, et, sy cela vous retardoyt trop, Mons" de
Glermont^ les amènera, auquel j'en ecry aussy; et
vous vous avanserés en toute dylygense. Vous avés
entendu toutes nouvelles par Gonstans ; cela me gardera
vous en dyre davantage, sy ce n'est pour vous pryer
de rechef, mon cousyn, de venyr yncontynent et de
m'aymer et tenyr toujours pour
Vostre très afectyonné cousyn et parfet amy,
Henry.
1. Autogr. Collection Morrisson, n° 39. Catalogue, etc.,
t. II, p. 266. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 94.
2. Sans doute, le fils de François de la Jugie, baron de
Rieux, gouverneur de Narbonne, qui avait été chambellan du
roi de Navarre l'année précédente.
3. Georges de Clermont-d'Amboise.
216 APPENDICE.
XVIII.
A MON COUSYN MONS' DE TURENNE.
[Mai 1586'.]
Mon cousyn, depuys la lettre que je vous escryvys
hyer, il a esté encores atrapé des ennemys, assavoyr
vynt-quatre soldats quy estoyent dans un moulyn, une
lyeue près de Monségur, dont il y avoyt troys capy-
tènes, armés à preuve, et quatre mousquetères, et
encores depuys douse autres soldats, dont y avoyt
deus sergens et deus mousquetères; tout cela tué,
outre troys beaus chevaus reystres, quy ont esté prys.
Ceus de Sainte-Foy^ et de Genssac sont tousjours à la
guerre, d'un costé ou d'autre, et atrapent tousjours
quelqun. Ils sont allés cette nuyt dernyère à la
guerre; je ne sçay ce qu'yls auront t'et. Je vous
asseure que nous suyvôns fort les erres de ceus de
Monflanquyn^ et de Gleyrac. Je vous prye, mandés-
moy tout ce que vous aprcndrés et fettes fort travayl-
ler. A Dyeu, mon cousyn, je suys
Vostre très afectyonné cousyn et parfet amy,
Henry.
A Bregeyrac, ce premyer de may.
1. Autogr. Collection Alfred Morrisson, n° 40. Catalogue,
etc., t. II, p. 266. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533,
p. 104.
2. Henri de Bourbon avait convoqué une assemblée à Sainte-
Foy en mars 1586. Mais il s'agit ici de Sainte-Foy-la-Grande
(Gironde) et de Gensac, également dans l'arrondissement de
Libourne, tout près de la petite ville de Castillon.
3. Le sieur de Béthune était gouverneur de Montflanquin;
APPENDICE. 217
XIX.
A MON COUSIN MONS' LE VICOMTE DE TURENNE.
VerteuiH, 17 mai 1586^
Mon cousin, je suis venu jusques en ce lieu sans ren-
contre. Ce jourd'huy, Mons"^ le Prince se vient joindre
avec moy, lequel a quatre cens bons chevaulx et des
harquebuziers à cheval. Mons*" le maréchal de Biron
est venu à Poictiers sans forces. On dict que le rendez-
vous gênerai de ses troupes est à Tours et qu'il est
passé devant audit Poictiers, pour encourager la
noblesse catholicque et intimider celle de la Religion .
Nous prandrons resolution de ce que nous aurons à
faire, estant ledit sieur Prince joinct avec moy. Le
sieur de Diesbach, gentilhomme bernois, qui a esté
nourry avecq vous, est venu me trouver en ce lieu,
depesché de la part des Quatre Gantons protestans,
pour me prier d'envoyer mes députez à la Court, pour
entendre le faict de la légation des ambassadeurs qu'ilz
envoyent vers le Roy monseigneur, et pour estre pre-
sens à leur négociation et sur icelle entendre mon
intention. Hz ont requis, à ceste fin, saufconduict du
Roy mondit seigneur, pour mesdits députez, lequel
il m'a apporté. A cest effet, je les feray partir dans
deux ou trois jours, pour arriver au mesme temps
sur ses exploits, bientôt suivis de sa mort, on peut lire la
Response au discours de M. de Mayenne, p. 393 et 398.
1. Verteuil-d'Agenais (Lot-et-Garonne), arr. de Marmande.
2. Orig. Collection Alfred Morrisson, n° 42. Autograph
Letters, t. II, p. 266. — Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533,
p. 106.
218 APPENDICE.
que les ambassadeurs desdits cantons à Paris. Je leur
fais faire une instruction, qui ne nuira poinct à noz
affaires. Le lieu de la place monstre est donné pour
s'y trouver et rendre à la fin de juillet^ ; on l'eust
plus tost peu faire, mais on a crainct la difficulté qu'on
a preveue du recouvrement des vivres pour ledit
secours estranger. 11 y a bon nombre de princes qui
viennent en ladite armée; elle sera composée de
quatorze mil chevaulx, de dix mil Suisses et aultant
de lansquenets, dix-huict pièces d'artillerie et trois mil
pionniers. Les princes d'Allemagne fournissent plus
de deux cens mil escuz pour leur taxe, sans y com-
prandre ce que le roy de Dannemarch baillera. J'espère
qu'après Montsegur- l'armée des ennemis ne pourra
faire grand effect. Suivant ce qu'elle fera, il fauldra
nous gouverner et conduire, et mesmes adviser aux
moyens de joyndre nos reystres^. Je vous prie me man-
der le plus souvent que vous pourrez de voz nouvelles
et je feray le semblable. J'atends Lambert, pour avoir
nouvelles de Mons'' de Monpensier^. Je vous en man-
deray aussitost que j'en auray certaines nouvelles.
Cependant, je vous prieray vous asseurer de plus en
plus de mon inviolable et perpétuelle amitié, comme
aussi je prieray le Créateur vous tenir, mon cousin,
en sa très sainte garde. A Verteuil, cexvii® may 1586.
1. Le mot juillet a été interligné après coup.
2. Monségur avait obtenu une capitulation honorable le
15 mai 1586.
3. Les mots soulignés sont en chiffres, avec une traduction
contemporaine entre la ligne.
4. Henri de Bourbon, prince de Dombes, puis duc de Mont-
pensier, gouverneur de Bretagne et de Normandie.
APPENDICE. 219
Mon cousyn, on me vyent de dyre que vous ary-
vastes vendredy à Bergerac, qui estoyt le lendemayn
de mon partemant; ce que je ne puys croyre, parce
que je m'assure que vous m'en eussyés averty, ou yl
faut dyre qu'yl y a de vos messagers prys ; car je n'ay eu
une seule nouvelle de vous, depuys que j'en suys party.
Vostre très afectyonnê cousyn et parfet amy,
Henry.
XX.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Juin 1586'.]
Cousin, je pars aujourd'hui pour aller coucher à
Marans; demain, j'arriverai de bonne heure à la
Rochelle^. Je n'ai fait cette journée d'une traite, que
parce qu'il me faut pourvoir à avancer des trouppes,
pour jetter dans Fontenay^ et autres lieux qui en ont
1. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 96.
2. Le roi de Navarre, abandonnant la Guyenne, où Turenne
restait en face du duc de Mayenne, était venu dans l'Aunis,
ralliant à la Rochelle le gros du parti protestant. Henri III
envoya contre lui le maréchal de Biron, avec l'armée qu'il
avait en Poitou. Leur première rencontre eut lieu devant
Marans, qui fut secouru par le marquis de la Force, propre
gendre de Biron, si bien que le maréchal dut se retirer, lais-
sant la ville aux huguenots, ainsi que Tonnay-Charente. Les
hostilités furent à peu près suspendues jusqu'au mois de
décembre, où la reine mère, avec les ducs de Nevers et de
Montpensier, organisa la conférence de Saint-Bris, à laquelle
elle appela le roi de Navarre; mais toute sa diplomatie échoua
devant l'obstination des protestants.
3. Fontenay-le-Corate (Vendée).
220 APPENDICE.
fort besoin, l'armée s'avançant comme elle fait.
La Brctache vient d'arriver de ChampignyS qui rap-
porte avec assurance que Mons' de Nevers- est à Sau-
mur, ses trouppes du long de la rivière du Doué,
l'artillerie de Tours descendue audict Saumur; ils
disent qu'ils attaqueront Mauléon cette semaine; je
crains plus le fauxbourg des Loges. Bonjour, cousin,
je suis
Vostre très affectionné cousin et parfait ami,
Henry.
XXI.
A MON COUSYN MONS' DE TURENNE.
[Juin 15863.]
Gousyn, je vous ay escryt depuys quatre jours par
deus voyes. Nous sommes icy après la garde et
défense de Marans^. Le maréchal de Byron est devant
depuys quynse jours et fet tous les preparatys qu'yl
peut pour l'emporter^. C'est une isle, quy a toujours
esté quytée ou abandonnée; mes nous avons entreprys
1. Champigny-le-Sec (Vienne), cant. de Mirebeau-en-Poitou.
2. Louis de Gonzague, duc de Nevers.
3. Autogr. Collection Alfred Morrisson, n" 5. Le catalogue
imprimé, t. II, p. 260, place, ce nous semble, à tort cette
lettre en 1576. — Cop. Bibl. nat., f. fr., IVouv. acq. 4533,
fol. 84.
4. Le roi de Navarre arriva à Marans, dans les marais
salants de l'Aunis, près la Sèvre-Niortaise, pour en organiser
la défense, le 16 juin 1586. Le siège de Marans fut levé à la fin
de juillet.
5. Le 24 août 1586, le roi de Navarre écrit de la Rochelle
que « les reistres arrivent. »
APPENDICE. 221
de la garder. Les sieurs de la Boulaye^, de la Forsse^,
de Beaupré, de Fouquerolles^, de Banques* et autres
honnestes hommes sont dedans, Neuvye y est avec
son regyment, quy sont byen résolus de la garder. Je
vous ay ecryt que Saynte-Dame^ est arryvé, quy
a aporté la certytude de rachemynement de nos
reystres, quy ne faudront d'estre à la f'rontyère
dedans le moys prochayn, et d'un second secours. On
parle du voyage du Boy à Pouques^ et à Lyon. Yl a
osté l'edyt des procureurs et l'a révoqué. L'alarme
y est à présent de nos reystres, qu'yls n'avoyet
encores eue à la court, et dysoyet qu'yl n'en vyen-
droyt poynt pour nous. Le Boy s'en est prys à Ghom-
berg''', quy le luy avoyt aynsy assuré. Mes tantes de
1. Philippe Eschalard, baron de La Boulaye, ami de d'Au-
bigné.
2. Jacques Nompar de Caumont, le second fils d'une nom-
breuse et ancienne famille de Gascogne, échappé par miracle
à la Saint-Barthélémy, plus tard duc de la Force et maréchal
de France.
3. Le sieur de Fouquerolles, d'une vieille famille de Picardie,
était très aimé du roi de Navarre. Il fut chargé par lui en 1597
d'une mission en Angleterre et mourut au siège d'Amiens.
4. Il est question du s"" de Ranque en 1586 et des services
qu'il rendit au roi de Navarre, ainsi que du sieur de Sainte-
Dame, dans les Lettres missives, t. II, p. 188.
5. Le roi de Navarre remercie, à la fin de janvier 1586,
François de Ségur d'une lettre qu'il lui a envoyée par ce
même Sainte-Dame. [Lettres missives, t. II, p. 188.) Mais nous
n'avons aucun renseignement sur le personnage.
6. Pougues (arr. de Nevers) , où Henri III allait prendre
les eaux.
7. Gaspard de Schomberg, baron de Nanteuil, le négocia-
teur de Henri III et de Henri IV en Allemagne.
222 APPENDICE.
Soyssons* et de Frontevaus^ me veulent venyrvoyr :
on dyt que c'est pour me parler de payx. Nos afères
se portent byen en Franse ; pour le regart de nos amys
et servyteurs, je vous en manderay des nouvelles.
Je vous prye, mon cousyn, m'aymer et me teynir per-
pétuellement et ymmuablement pour
Vostre très afectyonné cousyn et parfet amy,
Henry.
Cousyn, nous avons parlé et byen rys, Roquelaure,
Frontenac, Gonstans et moy, de quelque chose de
vous; de coy, à nostre première veue, je vous feray
mouryr de ryre.
XXII.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
Taillebourg, 21 juin [15863.]
Mon cousin, attendant que je vous renvoyé celui
qui est venu de votre part le dernier, duquel on fait
la dépesche, je vous feray ce mot seulement par ce
laquais qui s'en retourne en Béarn, pour vous dire
que nous avons eu nouvelles de la Cour que le grand
prieur* a été tué par Altoviti en sa chambre, qui a
1. Catherine de Bourbon, sœur aînée d'Eléonore, abbesse de
Notre-Dame de Boissons.
2. Eléonore de Bourbon, sœur d'Antoine, roi de Navarre,
abbesse de Fontevrault depuis 1550.
3. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 101.
4. Henri d'Angoulême, fils naturel de Henri II, était grand
prieur de France, gouverneur de Provence et amiral des
mers du Levant. Il eut à Aix une querelle avec Philippe Alto-
APPENDICE. 223
aussi été tué. Mons*" d'Épernon a le gouvernement de
Provence, le grand prieur de Toloze a le grand prieuré
de France, et le bastard du feu roy Charles a celui de
Toloze ; Mons"" de Joyeuse s'en va commander à l'armée
qui étoit dressée pour Givaudan, à laquelle le maré-
chal d'Aumont commendoit, qui a eu son congé et se
retire. Ladicte armée est de 3 mille hommes et d'en-
viron 500 chevaux. Il est vray que depuis que le duc
de Joyeuse a pris la charge, on le renforce de quelques
compagnies de gens de pied. // en faut avertir M. de
M..., ils veulent prendre MaransK Je vais demain à
Pons, je vous dépescheray de ci Lartigues^; on a dé-
troussé trois hommes depuis dix jours, que je vous
envoyé, et, entre autres, il en vient de revenir un de
Laverdin, qui alloit àNégreplisse^, qui a perdu toutes
vos lettres auprès Pons, ayant rencontré quelques
coureurs. Je vous prie, cousin, me mander de vos
nouvelles le plus souvent que vous pourrés. Fouque-
rolles est arrivé : il nous dit plusieurs nouvelles de
Cour : je vous manderay tout. A Dieu, mon cousin,
c'est
Votre très affectionné cousin et parfait ami,
De Taillebourg*, le xxi^ juin.
viti, baron de Castellane, capitaine des galères, et lui porta
un coup d'épée dans la poitrine; mais Altoviti, en se défen-
dant, l'atteignit au bas-ventre, et ils moururent tous les deux
quelques heures après, le 2 juin 1586.
1. Ces mots étaient en chiffres.
2. Le sieur de Lartigue est plusieurs fois cité dans les Lettres
missives.
3. Négrepelisse (Tarn-et-Garonne), arr. de Montauban.
4. Taillebourg (Char.-lnf.), arr. de Saint-Jean-d'Angély.
224 APPENDICE.
Le laquais qui m'apporloit de vos lettres fui hier
dévalisé à Brassault, près Pons, et vos lettres lui
furent ostées.
XXIII.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
25 juin [1586 <].
Mon cousin, je vous veus bien advertir comme
j'estois venu en ce lieu de Montguyon-, en intention
d'exécuter quelque chose que je vous manderay dans
trois jours; mais le maulvais temps et les pluies ont
tellement faict croistre la rivière de Dronne, que nous
n'avons pas pu passer ce lieu. Nous faillismes hier
la compagnie de Bois-Dauphin^, qui estoit venu courre;
nous la suivismes jusqu'auprès de Guistre, où elle se
retira; ils estoient quelque cinquante chevaulx et
presque autant d'arquebusiers à cheval. Je m'en
retourne à Pons^, d'où j'estois party. Je ne vous ay
poinct encore dépesché Lartigue, pour ce qu'il estoit
malade; ce sera aussitost que je seray de retour à
Pons, et vous manderay toutes nouvelles. En atten-
dant, mandés-moy des vostres, et me tenés adverty
de tout ce qui se passera. A Dieu, cousin, aimez-moy
tousjours; je ne seray jamais autre que
Vostre très affectionné cousin et parfaict amy,
„ ... Henry.
Ce xxv^ ju'ig-
1. Lettres missives, t. Il, p. 226.
2. Montguillon (Maine-et-Loire), arr. de Segré.
3. Urbain de Laval, sgr de Bois-Dauphin, maréchal de
France en 1595.
4. Le roi de Navarre était à Pons le 13 juin 1586.
APPENDICE. 225
Comme je voulois fermer celle-cy, il est venu
quelques gens qui m'ont adverty que vous estes aux
champs pour mesme entreprise que nous; c'est pour
ce que conduict Mons"" d'Aubeterre^ J'eusse esté bien
aise que nous nous fussions rencontrez, afin de parler
ensemble.
XXIV.
A MON COUSIN LE VIGONTE DE TURENNE.
[Juillet 15862.]
Mon cousin, j'avois délibéré de vous faire entendre
de mes nouvelles, il y a quatre ou cinq jours, mais il
s'est présenté une occasion qui m'a fait différer,
laquelle s'est trouvée utile, tant pour vous que pour
moy ; c'est que, voyant que Mons'^ le maréchal de Biron
prenoit son chemin vers Cognac et Saintes, et que cela
nous emportoit de l'empeschement à nos desseins,
d'autant qu'il se mettoit entre nous deux, j'avisai un
moyen pour faire retourner en çà ses forces, qui a
bien succédé; et heureusement il y avoit un chasteau,
nommé La Constaudière^, au delà de la rivière duLay^,
en Bas-Poitou, où j'avois avis qu'il y avoit cinq à six
mille écus de deniers royaux, destinés pour le payement
des trouppes dudict sieur maréchal : j'envoyay pour
l'investir; le lendemain, je m'acheminay à Lusson^ et fis
1. David Bouchard, vicomte d'Aubeterre, sénéchal de
Périgord.
2. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 74.
3. Dans le canton des Moutiers-les-Maufaits (Vendée).
4. Le Lay est une rivière importante qui passe à Mareuil
(Vendée) et se jette dans l'Atlantique, en face de l'île de Ré.
5. Le roi de Navarre était à Luçon les 16-18 août, les 11 et
13 septembre 1586.
\b
226 APPENDICE.
mener une pièce pour le battre, laquelle eut cette
vertu qu'aussitost que ceux dedans la virent, ils ren-
dirent la place, lorsque ledict s' maréchal, qui tourna
incontinent la tête de son armée vers moy, n'en étoit
éloigné que de quatre ou cinq lieues. J'ai ramené
toutes mes trouppes et l'artillerie en cette ville, sans
qu'il demeurast sinon deux soldats et un bruslé, qui
étoient demeurés dans ledict Lusson pour y coucher,
contre le commandement que j'avois fait. Le lende-
main, une heure après soleil levé, trente ou quarante
chevaux arrivèrent, qui y trouvèrent aussi Loumeau,
lequel, contre ma défense, y etoit demeuré, qui néan-
moins se sauva sans perte, sinon de douze ou quinze
petits chevaux, qu'ils avoient déjà tirés en rue pour
partir. Ledict s"^ maréchal est à Ghisay ^ et reprend son
chemin; mais j'ai traité avec l'abbé de Gadagni^ qu'il
faut qu'il s'en aille vers la rivière de Loire et qu'il ne
faut point parler d'entrevue ny de paix. Je garde
encore un autre moyen de faire retourner ledict
s"^ maréchal ou l'empescher de passer, si le moyen de
Gadagni ne succède. L'armée du maréchal de Biron,
qui est entre nous deux, empesche fort ceux de ce
pays sont étrangers; ils sont longs et malaisés
à mener. J'y ay quelque Mons"^ le Prince
et ceux qui sont auprès de lui, au lieu d'y encourager
un chacun, font tout ce qu'ils peuvent pour les refroi-
dir et arrester. C'est pourquoy je ne partiray tout
1. Chizé (Deux-Sèvres), arr. de Melle.
2. La négociation de l'abbé de Gadaigne est de juillet 1586;
mais la cour ne voulut pas accepter le retrait de Biron der-
rière la Loire. (Voir Lettres du roi de Navarre, t. II, p. 237,
« à Mons"" de Saint-Geniès ».)
APPENDICE. 227
comme je désirerois; ce sera le plustot que je pour-
ray. Je ne vous sçaurois dire, mon cousin, combien
j'ay été aise de ce que vous avés si bien fait et con-
duit à Gastillon^ ; vous avés fait un bien incomparable
et y avés acquis grande réputation, tant pour le géné-
ral que pour votre particulier; car ce sont des coups
faits à propos et d'importance, si grands qu'ils doivent
être estimés d'un chacun. L'abbé de Gadagni est venu
sans apporter ce que j'avois demandé, qui est le recul-
lement de l'armée du maréchal de Biron de la Loire;
il a bien apporté l'assurance de l'entrevue, le tems
et le lieu. Il ne veut pas rompre et a demandé un
passeport pour retourner par deçà. Mons"^ de Montpen-
sier a envoyé le comte de Garavas, qui est mieux que
jamais. Le cardinal de Soissons ne demande qu'à exé-
cuter ses entreprises. Ne différés de prendre argent où
vous en trouvères pour la nécessité. Si je fais des
deffenses, elles ne sont pas pour vous, mais pour ceux
qui se licencieront à entreprendre et prendre sans
pouvoir et sans nécessité. Je vous prie croire que je
vous suis ami fort assuré et intime, et duquel vous
pouvés toujours disposer, et de ce qui sera en mon
pouvoir. Faites-en donc état perpétuel et aimés toujours
Votre très affectionné cousin et plus parfait amy
à jamais,
Henry.
Cousin, j'avois déjà donné la compagnie de feu
Grepiny au capitaine Roux-, quand vos lettres sont
arrivées et sa dépesche faite.
1. Où il résista brillamment à Mayenne en juillet 1586. —
Voir plus haut les Mémoires de Turenne, p. 196, et la note 2.
2. Le capitaine Roux, employé tantôt par Henri de Navarre,
228 APPENDICE.
XXV.
A MON GOUSYN MOXS"" DE TURENNE.
[31 mars 1587 < ?]
Mon cousyn, ce porteur m'est venu trouver de la
part du s"" de Savayllant ^ tant pour le gouvernement de
deçà et pour les taylles que prend Mons"^ de Terrydes^
en contrybusyons, que pour le droyt de quelques pry-
sonniers et pour le regard du péage sur la ryvyère.
Je luy mande que je remets le tout à vous, ayant tout
pouvoyr d'ordonner, tout ainsy que je pourroys fère, sy
j'estoys presant ; mays, s'yl y a quelque fayot entr'eus
trop aygre et dyfycylle, nous avyserons s'yl sera plus
expedyent à le remetre à mon arryvée par delà, et
neanmoyns, s'yl est possyble, vous y racommoderés
toutes choses, ce quy ne se peut faire sans autoryté et
presense entr'eus. Yl est certeyn que les lettres et
depesches empyreroyent plustost le tout qu'elles n'y
profyteroyent^. Je vous escryvy hyer assés partycu-
tantôt par le maréchal de Matignon, se rallia définitivement au
Béarnais.
1. Autogr. Collection Alfred Morrisson, n° 53. Catalogue,
etc., t. Il, p. 268. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533,
p. 87.
2. Denis de Mauléon, sgr de Savailhan, gouverneur de Cas-
teljaloux et plus tard de Mas-Grenier.
3. Géraud de Lomagne, sgr de Terride, après son frère.
4. Le 15 mars, le roi de Navarre écrit de la Rochelle que
la reine mère est repartie sans qu'aucun arrangement bien
fructueux ne soit sorti de la négociation. Elle avait envoyé
chercher le vicomte de Turenne pour le prier de décider le roi
de Navarre à se joindre à Henri III contre la Ligue. Au reste,
APPENDICE. 229
lyeremant. Je n'ay ryen entendu de nouveau, sy ce
n'est, pour tout certeyn, Mons" de Mayene est loyn de
la cour et a pryns le chemyn de Bourgongne^. A
Dyeu, mon cousyn, aymés tousjours
Vostre très afectionné cousyn et parfet amy à jamès,
Henry.
A la Rochelle, ce dernyer de mars.
XXVI.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[Juillet 15872.]
Mon cousyn, je vous envoyé Lambert^, qui est venu
me trouver avec l'homme du s"^ de la Tour d'Yviers'*,
pour ce que, sur la délivrance de la foy de Desborges,
pour laquelle il étoit venu, il y a quelques difficultés.
Turenne venait d'être nommé par le duc de Montmorency
lieutenant général en Haut-Languedoc, et le roi de Navarre
le regardait toujours comme son véritable représentant; il
écrivait, le 31 mars 1589, à Geoffroy de Vivans qu'il avait
envoyé « son cousin, Mons'' de Turenne, afin d'arrester un peu
ceux qui s'avancent si avant dans nostre terroir, » tandis que
lui-même allait à Cognac. [Lettres missives, t. II, p. 279. —
Voir Bibl. nat., fonds Leydet.)
1. L'hiver s'était passé en négociations, les hostilités ne
recommencèrent en Poitou qu'au commencement d'avril. Le
roi de Navarre s'empara de quelques villes.
2. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 58.
3. Le s'' de Lambert fut souvent chargé de missions impor-
tantes par le roi de Navarre. — Voir plus haut, p. 214.
4. Nous savons, par une lettre du 13 juillet 1587, que M. de
Meslon, l'un des meilleurs lieutenants du Béarnais, avait reçu
l'ordre de la mise en liberté du sieur de la Tour et que le roi
de Navarre avait chargé Turenne de cette affaire.
230 APPENDICE.
Ledict Lambert les vuidera avec vous; et, pour ce, je
vous le renvoyé.
Au reste, faites toujours estât de moy comme de
Vostre très affectionné cousin et parfaict amy,
Henry.
XXVII.
A MON COUSIN DE TURENNE.
[1587*.]
Cousin, j'ay reçu vostre lettre. Je vous envoyé ce
porteur, il vous dira ce que je ne puis écrire ; si les
affaires ne vous empeschent, que je vous voye à Saint
Je vais loger demain à une lieue de mes en-
nemis; si nous les voyons, ce sera avec avantage. Je
serai fort sage; croies que nos affaires ne sont pas
encore sans cure.
A Dieu, je suis l'homme du monde qui vous aime
le mieux, ,,
Henry.
Ce porteur vous dira les avantages que Dieu nous
a déjà donnés^.
XXVHI.
[a mon GOUSYN MONS"" de TURENNE.]
[Août-septembre 1587*.]
Instruysés myeus vos ambassadeurs et ne vous
fâchés pas sy aysemant. J'ay une telle jalousye de
1. Cop. Bibl. nat., f. IV., Nouv. acq. 4533, p. 51.
2. Sans doute les petits succès en Poitou qui précédèrent la
campagne de Coutras.
3. Autogr. Collection Morrisson, n° 37. Catalogue, etc.,
t. II, p. 266. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 54.
APPENDICE. 231
ceste armée que je vous guarde, que je lesse toute
ostantasyon, pour ne la lesser eschaper. J'ay envoyé
Balyros' et Parabère^ au Port de Pylles^, pour par
leur arryvée ampescher le partemant de ces Fylystyns
efrayés; ancore è-je peur qu'yls ne partent ceste nuyt,
quy nie fera partyr devant jour. S'yis sont ancore à
La Haye*, je vous atandré au randés-vous; s'yls sont
partys, je me mettre à leur eu et vous an advertyré^.
Vous êtes tousjours vous-mesme. Bon soyr.
Vostre très afectyoné cousyn et parfayt amy,
Henry.
1. Gaspard, s"" de Baliros, en Béarn, gentilhomme ordinaire
de la Chambre.
2. Le fils de ce Baudéan de Parabère, massacré en 1578 dans
une émeute des protestants de la ville de Beaucaire, dont il
était gouverneur. Il s'appelait Jean et était lieutenant-général
en Poitou. Est-ce le même qui commandait l'année précédente
à Damazan et au Mas-d'Agenois?
3. Port-de-Piles (Vienne), arr. de Châtellerault.
4. La Haye-Descartes (Indre-et-Loire). La ville était alors
fortifiée, et le roi de Navarre ne put l'enlever.
5. Le manifeste du roi de Navarre, annonçant sa prise
d'armes conjointement avec ses cousins et Montmorency, est
daté de Fontenay-le-Comte, le 14 juillet 1587; la bataille de
Coutras est du 20 octobre. — Voir, dans les Mémoires et corres-
pondance de Duplessis-Mornay , t. III, p. 536 : « Bataille de
Coutras et ce qui la précéda. » Au reste, dès que le Béarnais
apprit l'entrée des Allemands en France, il leva quelques
troupes et s'avança vers la Loire au-devant du prince de
Condé et du comte de Soissons, qui lui apportaient leur con-
cours; puis il écrivit à Turenne, à peine remis d'une grave
blessure reçue près d'Aiguillon, pour lui demander d'amener
de Guyenne le plus de soldats qu'il pourrait. Le vicomte, en
peu de temps, rassembla 600 fantassins et 2,000 arquebusiers
à cheval, et les conduisit lui-même devant la Haye sur la
Creuse et jusqu'à Montsoreau sur la Loire. A la date de cette
lettre, il n'avait pas encore rejoint le roi de Navarre.
232 APPENDICE.
XXIX.
A MON COUSIN MONSIEUR DE TURENNE.
[23 septembre 1587 <.]
Les ennemis sont à Bourgueil^; je fais passer
quatre cent cuirasses et douze cent arquebusiers pour,
s'ils tournent à vous, me mettre au cul; s'ils viennent
à moy, faites en de même. Les Bretons ne sont plus
que six vingt, pour s'en estre allé une trouppe ; le reste
parle de les suivre^.
Bonjour; ce xxiii® à cinq heures'^.
Votre très affectionné cousin et parfait ami,
Henry.
Que je sache à toutes heures de vos nouvelles.
XXX.
A MON COUSYN MONS' DE TURENNE.
[Nérac^, octobre ou novembre 1587®.]
Mon cousyn, je vous anvoye les nouvelles que j'ay
1. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 55.
2. Bourgueil (Indre-et-Loire), arr. de Chinon.
3. Joyeuse venait de s'arrêter là, en effet, avec le duc de
Mercœur, attendant Turenne au passage de la rivière d'Au-
thion. Lavardin, l'ancien ami du roi de Navarre, servait comme
lieutenant général dans l'armée royale.
4. Le roi de Navarre était, du 13 au 26 septembre 1587, à
Montsoreau.
5. Le roi de Navarre séjourna à Nérac du 30 octobre au
30 novembre 1587, en se rendant à Pau, après la victoire de
Coutras.
6. Autogr. Collection Alfred Morrisson, n° 55. — Catalogue,
etc., t. II, p. 269.
APPENDICE. 233
resu de Xayntes, par où vous verres ce quy s'y est
passé. Le tout est assés heureus pour nous; mays je
playns extresmemant la mort de ceus quy sont com-
prys au dyscours que vous en verres''. Nous avons eu
nouvelles que nos reystres marchent. Lambert doyt
demayn arryver d'où yl avoyt esté depesché, et en
raporte bonnes nouvelles ; je les vous manderay d'icy
à un jour ou deus. Cependant, je vous prye, mon
cousyn, vous souvenyr, quoy que je vous ay mandé
de venyr à Nerac, n'a poynt esté en yntentyon de
vous y fère demurer, et mesmes dans un syège,
mays pour y pourvoyr, m'en venant par delà, et le
secouryr, quand besoyn seroyt, et pour y ordonner
ce que vous verryés estre à fère, suyvant les oca-
syons. Vous savés Testât que je fay de vous, l'amytyé
que je porte, et le soyn que j'ay de ce quy vous touche ;
je vous prye fère ce que je vous ay mandé et aymer
toujours
Vostre très afectyonné cousyn et parfet amy à jamès,
Henry.
Mon cousyn, je vous prye anvoyer à Mons"^ de Fon-
traylles^ une copye des nouvelles; je luy mande que
vous les luy ferés tenyr.
1. Ce sont les morts de Coutras (20 octobre 1587) : Joyeuse
et son frère Saint-Sauveur tués; de Batz et Vivans y avaient
été blessés. (Voir de Thou, liv. LXXXVII; Lettres missives,
t. II, p. 309.)
2. Le baron de Fontrailles, sénéchal d'Armagnac, avait été
blessé à Jarnac.
234 APPENDICE.
XXXI.
A MON COUSYN MONS"^ DE TURENNE.
[Mars 1588*.]
Mon cousyn, j'ay esté extresmemant ayse d'avoyr
antandu l'assuranse de vostre gueryson, ayant esté la
balle détachée de l'os, ce quy me fet espérer que
vous serés byentost du tout guery-. Je suys sur le
poynt de partyr d'ycy^, et desjà une grande partye de
mes troupes ont passé l'eau. Vous savés combyen en
mon absence vostre presanse est requyse par desà.
Je vous ay mandé le regret et deplesyr que j'avoy
eu de la mort de feu mon cousyn Mons' de Bouyllon^,
et ce que j'avoy là-dessus delyberé et ordonné pour le
byen, protectyon et conservasyon de ma cousyne
mademoyselle de Bouyllon^; j'y ay depesché le s' de
1. Autogr. Collection Alfred Morrisson, n° 56. Catalogue,
t. II, p. 269. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 79.
2. MarsoUier, dans son Histoire du duc de Bouillon, ne
parle pas de cette blessure de Turenne, qui doit avoir été peu
grave. II venait de faire sans succès le siège de Sarlat et avait
ensuite rejoint le prince de Condé en Angoumois.
3. Il était sans doute à Nérac.
4. Il laissait trois fils, qui tous périrent jeunes; l'aîné,
Guillaume-Robert de la Marck, né à Sedan le l*"" janvier 1562,
mourut à Genève le 11 janvier 1588, après avoir institué sa
sœur Charlotte comme héritière universelle. C'est celle que
Henri IV devait faire épouser au vicomte de Turenne le
15 octobre 1591.
5. Charlotte de la Marck naquit, le 5 novembre 1574, de
Françoise de Bourbon, fille de Louis, duc de Montpensier, et
APPENDICE. 235
Beauvoys, quy a esté nourry page an la mayson, et
mesmes pour voyr Mons"^ de La Noue et luy parler de
ma part, afyn de contenyr les choses en tranquylyté
audyt estât, sy possyble est, et neanmoyns préparer
toutes choses pour la guerre ; car il est malaysé que
ou parens, ou voysyns, ou lygueurs ne troublent cest
estat-là. La foy de Mons"" de La Noue est obligée, mays il
est pleyn d'yntegryté et de fydelyté, et en telles choses
et personnes favorables, à sçavoyr d'une pupylle quy
a esté commise à sa foy, il n'est pas lié^. Mouy^ et
Monlouet, qui sont ses parens ou allyés, seront depes-
chez pour y aller: l'un est en sa mayson, auquel on
parlera pour cest efet ; l'autre passera par Languedoc
et vous verra exprès, pour communiquer tout et
prandre avys et ynstructyon de vous et se conduyre
antyeremant par son avys. Il faudra que, pour ce com-
mansement, afyn de suvenyr aus nesessytés quy se
pourront presanter, il porte dix mille escus par papier
de change ou autrement ; tenés-y la meyn et préparés
les choses avec Mons"" de Mont[morency] et ceux de
Languedoc ; c'est chose que je desyre extrememant pour
de Jacqueline de Longwy. Son père, Henri-Robert de la
Marck, duc de Bouillon, prince de Sedan, devait mourir un
mois après, le 5 décembre 1574.
1. La Noue avait accepté la tutelle de M"^ de Bouillon, qui
n'avait que treize ans, et, allant d'Heidelberg à Genève et de
là à Sedan, il put, non sans dangers, prendre possession de
l'administration des grands biens de sa pupille. (Voir la lettre
du roi de Navarre à La Noue de la fin de mars 1588, t. II,
p. 361.)
2. François de Quincampoix, sgr de Muy, ou Mouy, que
le roi de Navarre avait envoyé en 1585 à Sedan près le duc de
Bouillon.
236 APPENDICE.
VOUS et qui est utylle et de grande ymportanse pour le
publyc. L'armée de W le maréchal de Matygnon et du
grant pryeur de Tolose^ se sont séparées. Ils se sont
contentés de venyr avec toute leur armée ataquer
une escarmouche dedans les vygnes qui sont du costé
d'Agen^, quy a duré assés longuemant, et y a eu sept
ou huyt mylle harquebusades tyrées sans qu'yl y en
ayt eu aucun des nostres mort, synon deux blessés et
un esgratygné. Des leurs, ils en ont layssé deus sur
la plase, ils en ont emporté d'autres, et y en a eu
aussy beaucoup de blessés. M*" de Gastelnau^ a esté
contraynt par le s"^ de Poyanne* de se retyrer avec
sa troupe dedans Glermont^, quy est à Berdoy^. Il a
fet de belles sayllyes, où yl a esté blessé d'une harque-
busade à la gorge, et n'y a eu qu'un des syens mort
à ladyte escarmouche, quy a duré synq heures. Il a
esté secouru par les Bearnoys, et est de retour au
Mont-de-Marsan avec ses troupes. Les anemys ont
emporté playne charrette de morts et de blessés. Mon
1. Le grand prieur de Toulouse était le troisième frère du
duc de Joyeuse, qui venait d'être tué à Coutras : Antoine-Sci-
pion de Joyeuse, chevalier de Malte, fils du vicomte et de
Marie de Batarnay.
2. Dans une lettre du l*"" mars, à Corisande, écrite de Cler-
mont, le roi de iVavarre parle en détail de cette affaire
d'Agen, qui avait eu lieu la veille. (Voir Lettres missives, t. II,
p. 341.)
3. Le baron de Castelnau, chambellan du roi de Navarre.
4. Bertrand de Baylens, sgr de Poyanne, d'une ancienne
famille de Béarn. Il était sénéchal des Landes, gouverneur de
Dax, et catholique.
5. Clenuont-Dessous (Lot-et-Garonne), arr. d'Agen.
6. Berdoy, commune de Castelnau-d'Anglès (Gers).
APPENDICE. 237
cousyn Mons'" le conte de Soyssons^ estoyt sur les
lyeus; je croy qu'yl s'y sera fort employé. Les anemys
se sont retyrés jusques à Pouyllon^ et y ont esté pour-
suyvys. Sarzac a esté demy surprys et demy trahy.
J'envoye les compagnyes quy ont passé la Garonne
pour le reprandre ; le vyconte de Mervylle s'en fet
fort; pour le moyns, il assure qu'yl se peult fère et
qu'yl s'y employera. A Dyeu, mon cousyn, je desyre
avoyr sou vaut nouvelles de vous et de vostre santé.
Fêtes tousjours, je vous prye, très certeyn estât de
l'amytyé de
Vostre très afectyonné cousyn et parfet amy,
Henry.
Mon cousyn, vous ne sauryés croyre combyen yl y a
de malades ycy. Je ne me trouve pas trop byen de ma
part. Je vous prye, quant vous vous pourrés passer
de Mons"" d'Ortoman^, le me ranvoyer. J'escry à
Messieurs des dyocèses du Bas-Languedoc de ne fayl-
lyr de se trouver à l'assamblée que j'ay convoquée à
Sainte-Foy^, pour le byen des Eglyses, et leur mande
de se retyrer à vous, pour la sûreté de leur passage.
1. Le comte de Soissons s'était rapproché du roi de
Navarre, même avant la mort du prince de Condé, désirant
alors vivement épouser Catherine de Bourbon , qui lui avait
été presque promise. Les intrigues de Sully firent, dit-on,
rompre ce projet d'union.
2. Pouillon, ch.-l. de cant., arr. de Dax (Landes).
3. Jean Hortoraan, médecin ordinaire du roi de Navarre,
qui resta à son service après son avènement et jusqu'en 1593.
4. A la fin de mars 1588, le roi de Navarre se plaignait au
ministre La Roche-Chandieu de « la négligence des églises ou
des depputez, qui ne sont encores arrivez à Saincte-Foy. »
[Lettres missives, t. II, p. 357.)
238 APPENDICE.
XXXII.
A MON COUSIN MONS'" DE TURENNE.
6 novembre [1588 <].
Cousin, j'ai reçu lettre des gens tenans la chambre
de mon amirauté, par laquelle ils me donnent avis de
certaines poursuittes contre eux faites en mon Conseil
privé, pour raison de certain jugement par eux faits
pour résoudre certaine prise faite par le capitaine
Masson ; et, pour ce que je sais que la plupart de ce
qu'ils me mandent est vray, je vous prie de comman-
der à Mons"^ Desmarets' et autres de mon Conseil de
n'en faire aucune poursuitte, jusqu'à ce que je sois par
delà, qui sera demain au soir. Dieu aydant. C'est
Votre très affectionné cousin, et plus parfait ami,
Henry.
De Saint-Jean^, ce dimanche matin 6Mc novembre.
XXXIII.
A MON COUSIN MONS' LE VICONTE DE TURENNE.
[Marigny, 1" juillet 1589*.]
Mon cousin, désirant vous tenir adverty de ce qui se
passe et vous faire part de noz bonnes nouvelles,
j'avois delliberé vous envoyer ung gentilhomme exprez,
1. Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv. acq. 4533, p. 92.
2. Le chevalier des Maretz.
3. Saint-Jean-d'Angély. — Le 25 octobre, le roi de Navarre
était à la Rochelle, et il s'y trouvait encore le 17 novembre 1588.
4. Orig. Collection Alfred Morrisson, n" 57. — Autograph
Letters, etc., t. IT, p. 270. — Cop. Bibl. nat., f. fr., Nouv.
acq. 4533, p. 111.
APPENDICE. 239
sans les occasions qui se sont présentées et se pré-
sentent encore tous les jours de combactre, qui faict
que j'ay seullement depesché ce porteur, qui vous en
sçaura rapporter les particullaritez, oultre lesquelles
je vous diray qu'ayant sceu comme Mons"" de Mont-
pensier, commandé de s'en revenir avec ses forces,
marchoit assez lentement et s'arrestoit à certains vil-
laiges tenuzpar les communes, estant nécessaire, pour
prévenir les desseings de Mons'" de Mayenne, de se
joindre tous ensemble avec Mons"^ de Longueville', les
s"^* de La Noue, d'Inteville'^, de Givry^ et plusieurs
aultres, je vins dernièrement trouver le Roy à Bau-
gency^, pour prendre une bonne resolution avec Sa
Majesté et haster tout le monde ; où estant et me pro-
menant le soir sur le pont avec le maréchal d'Aumont ^,
je rencontray celuy que le s"^ de Sansy^ avoit depesché
pour advertir Sa Majesté de l'acheminement de l'armée
des Suisses, qu'il avoit laissée prez de Langres, comme
aussi le s' de Guitry, maréchal de camp en icelle,
1. Henri d'Orléans, duc de Longueville, gouverneur de
Picardie, mort en 1595.
2. Joachim de Dinteville, gouverneur de Champagne.
3. Anne d'Anglure, de Givry, tué au siège de Laon, en 1594.
4. Le 21 mai, Henri écrivait de Beaugency à la comtesse de
Gramont : « Vous entendrés par ce porteur l'heureux succès
que Dieu nous a donné au plus furieux combat qui fut en cette
guerre, celui livré à Tours, dans le faubourg Saint-Sympho-
rien, contre les ducs de Mayenne et d'Aumale, les 8 et 9 mai.
Il vous dira aussi comme Mons"" de Longueville, de la Noue et
autres ont triomphé près de Paris. » [Lettres missives, t. H,
p. 488.)
5. Jean d'Aumont, comte de Châteauroux, maréchal de
France, adversaire acharné de la Ligue.
6. Nicolas de Harlay de Sancy, conseiller au Parlement,
envoyé en Suisse en 1589 par Henri HI pour lever des troupes.
240 APPENDICE.
m'en donnoit advis par lettres, (|ue le mesme courrier
me rendit. Soudain, je portay ceste bonne nouvelle au
Rov, qui la receut avecq beaucoup d'allaigresse, laquelle
il tesmoingna par plusieurs embrassemens, me disant
quej'estois son bon ange et qu'il n'estoit jour que je
ne luy donnasse quelque bonne nouvelle. A la vérité,
Dieu a tellement beny noz armes qu'en quelque ren-
contre ou combat que ce soit noz ennemis ont esté
battuz, et, depuis quelzques jours encore, sept en ont
chargé quatorze, qu'ilz ont deffaict sans perte, sauf
deux fort blessez, l'un desquelz est le s'' de Boissy,
gouverneur de Dourdan. Trente ou quarante chevaulx,
entre lesquelz estoient plus de vingt gentilzhommes
du Perche, qui s'estoient approchez d'Illiers^ ont esté
la pluspart prins ou tuez, peu reschappez. Ledit
s*^ de Quitry me mande que le retardement de ladite
armée a proceddé de ce que les Suisses estoient entrez
dans les terres du duc de Savoye, avoient prins Sey-
bel^, Tonnon^ et leurs bailliaiges, le pais de Fossigny ^
bailliage de Terny^ et le chasteau de Ripaille^, qu'ilz
1. Uliers (Eure-et-Loir), arr. de Chartres.
2. Peut-être Leyssel. Gex, ch.-l. d'arr. de l'Ain, cédé à la
France par le duc de Savoie en 1601, comme bailliage irait mieux.
3. ïhonon, ch.-l. d'arr. de la Haute-Savoie, ne conserve
plus de ce temps que la belle terrasse du château.
4. Le Faucigny était l'ancienne province de cette partie de
la Savoie, entre le Chablais, le Valais, Aoste et la province de
Genevois; la capitale en était Bonneville (Haute-Savoie).
5. ïerny, aujourd'hui Ternier; mais les paysans prononcent
toujours Terny. 11 reste encore quelques ruines du château,
qui était tout près de Saint-Julien-en-Genevois, ch.-l. d'arr.
de la Haute-Savoie.
6. Du château de Ripaille subsistent toujours les sept tours ;
il est situé à 2 kil. de Thonon. On y garde le souvenir d'Amé-
dée Vni, qui fut le pape Félix V.
APPENDICE. 241
ont demoly; le magazin des munitions pour assiéger
Genève y estoit gardé par six cens hommes de guerre.
Ledit duc y envoya son armée, conduicte par le
conte de Martinenges^ pour le deffendre, mais en
vain; ledit conte y a été blessé, et y a perdu
quelque noblesse. Toutesfois, lesdits six cens hommes
sont sortiz par composition, et les gallères qui estoient
sur le lac ont esté bruslées. Ladite armée s'achemine
maintenant, composée de treize mil Suisses, avecq
deux mil lansquenetz, environ trois mil François et
quinze cens reystres, qui viennent du conté de Mont-
belliard. Ce sera pour nous joindre bientost. Avec ce
secours, nostre armée pourra estre de trente mil
hommes, qui sera bien pour estonner Paris et tous
les Ligueurs. Celle de Mons'" de Mayenne se diminue
fort et ne peult estre telle que la nostre, encor qu'elle
soit renforcée de ce que Saint-Pol^ avoit en Cham-
paigne, Haultefort^ et Rottigoty, qui sont environ
quinze cens lansquenetz ou deux mil au plus, fort
piètres, mil harquebuziers françois, trois cens chevaulx
et deux cens harquebuziers à cheval. Aussi, ledit
s"" de LonguevilleS avec Mons"" de Luxembourg^, les-
1. Un Martinengo, piémontais, commandait les troupes du
duc de Savoie.
2. Charles d'Orléans, comte de Saint-Paul, frère du duc de
Longueville.
3. Edme de Hautefort, que nous avons vu plus haut (p. 185)
l'adversaire acharné de Turenne, chevalier de l'ordre depuis
1579, devint lieutenant général en Auvergne, puis en Cham-
pagne et en Brie pour la Ligue.
4. Henri d'Orléans, duc de Longueville, gouverneur de
Picardie, mort en 1595.
5. Le duc de Luxembourg-Piney.
16
242 APPENDICE.
dits s""* de La Noue, de Glermont, de Saultour, Saint-
Phalle', Praslin^, La Vieuville^, conte de Maulevrier,
vicomte d'Auchy^, La Chappelle, Esternay^, Villema-
reul, Beauvais-Nangy, Victry ^, Givry, Montglaf^ et
aultres, qui se rassemblent vers Chasteau-Thierry et
Fère-en-Tardenoys, feront plus de mil bons chevaulx et
aultant d'harquebuziers achevai^. MonsM'Espernonen
peult avoir environ deux cens; ledit s"^ de Montpen-
sier a six cens bons chevaulx ; les quatre de la Relligion ;
j'en ay à présent plus de douze cens, plus ceulx qui
marchent avec le Roy : j'estime que ce sera assez pour
affronter ledit s"^ de Mayenne, lequel, ayant reprins
Montereau-Fault- Yonne et sçaichant comme nous mar-
chons droict à Paris, redescent le long de la rivière de
Seyne et y est de présent. Cependant, le Roy a prins
1. Sans doute ce Georges de Vaudray, marquis de Saint-
Phal, qui eut plus tard avec Duplessis-Mornay une affaire peu
à son honneur.
2. Charles de Choiseul-Praslin, capitaine des gardes.
3. Robert de la Vieuville, baron de Rugle.
4. Le vicomte d'Auchie, qui fut blessé en 1586, dans le duel
où fut tué le jeune La Vauguyon.
5. Esternay, de Compiègne, du parti des politiques.
6. Louis de l'Hospital, marquis de Vitry, neveu du maréchal
de la Châtre, était gentilhomme du duc d'Anjou, et suivit le
parti royal jusqu'à la mort de Henri III; il se déclara ensuite
pour la Ligue et défendit Paris contre Henri IV avec Mayenne ;
mais il se rallia au roi après son abjuration et lui remit la
ville de Meaux, dont il était gouverneur, le l^"" janvier 1594.
7. Robert de Harlay, s' de Montglas, plus tard premier
maître d'hôtel de Henri IV.
8. Le 14 juillet 1589, le roi de Navarre écrit à la comtesse
de Gramont : « Nous joindrons aux Souisses dans six jours.
Mons' de Longueville et de la Noue les meinent. » [Lettres
missives, t. II, p. 502.)
APPENDICE. 243
Jargeau, dont j'ay faict la composition à discrétion, et
depuis impetré de Sa Majesté que ceulx de dedans
eussent la vye saulve. Pendant que nous y estions,
Mons"" de la Ghastre^ voulut enlever quelque logis,
partist la nuict avecq cent cinquante chevaulx et deux
cens harquebuziers à cheval, qu'il mit en embuscade,
mais il trouva M"' les contes de Montbason^ et de
Sanxerre^, de Créance et le baron de La Frette avec
leurs compaignies, qui le receurent si à propos, qu'il
n'y gaigna rien et fut ramené battant jusques aux
portes d'Orléans, luy quelque peu blessé, et beau-
coup des siens, comme aussi y en a des nostres ; et,
sans l'obscurité, je pense qu'il en fut bien tumbé
par terre; car la charge recommencea jusques à
trois fois et à peine se pouvoit-on recongnoistre.
Mons"" de Ghastillon^ a prins Pluviers, que j'ay aussi-
tost faict remectre ez mains du Roy, lequel nous accom-
mode encore de Jargeau, où j'ay mis le s'^ de Cour-
selles du Faur^, que Sa Majesté y entretient avecq
six compaignies de cinquante harquebuziers chacune.
Gyen a envoyé rendre obéissance, Sully, Bois-Com-
mun^ et les petites villes qui sont en ce quartier. On
dit aussy que la citadelle de Cambray s'est révoltée
1. Claude de la Châtre, gouverneur d'Orléans pour la Ligue.
2. Hercule de Rohan, comte de Rochefort, plus tard duc de
Montbazon, lieutenant général de Paris et de l'Ile-de-France.
3. Jean de Bueil, comte de Sancerre.
4. François de Châtillon, s"" de Coligny, qui s'était distingué
à Saint-Symphorien, défit entièrement les troupes de Saveuse
et de Perceville à Bonneval, le 18 mai 1589.
5. Jean du Faur, sgr de Gourcelles, près Châtillon-sur-Loire.
6. Boiscommun (Loiret), arr. de Pithiviers.
244 APPENDICE.
contre Balagny^. Nous nous acheminons vers Paris, et,
si tout le monde estoit aussi prest que moy, il y a
longtemps qu'eussions passé Estampes, laquelle ville
nous avons prise dez le premier de ce mois, et nous
a ce voyage très heureusement succeddé, contre l'oppi-
nion de plusieurs du Conseil de Sa Majesté que j'ay
combactuz pour l'entreprendre^. Dieu vueille conty-
nuer ses bénédictions et vous avoir, mon cousin, en
sa très sainte et digne garde. De Marigny^, ce pre-
mier jour de juillet 1589^.
Voslre très afectyonné cousyn et plus parfayt amy,
Henry.
1. Jean de Montluc, sgr de Balagny, gouverneur de Cambrai
en 1581, mort en 1603 maréchal de France.
2. L'entrevue du roi de Navarre avec Henri III au Plessis-
lès-Tours est du 30 avril 1589. Les mois de mai et de juin se
passèrent en marches et contre-marches dans la Touraine, le
Blaisois, leDunois; le 18 juin, il était à Artenay, le 20, à Châ-
teauneuf, le 22, à Beaune en Gâtinais, le 26, à Pithiviers, le
30, à Marigny, le 2 juillet, à Longjumeau, le 3, à Etarapes, qui
venait de se rendre aux troupes royales et où il fit son entrée
avec Henri III.
3. Marigny, près Etampes (Seine-et-Oise).
4. Aucune lettre ne se trouve dans le t. II des Lettres mis-
sives du 24 juin au 14 juillet 1589.
LETTRES ET PIECES INEDITES
LE ROI CHARLES IX AU VICOMTE DE TURENNE^.
14 juin 1568.
Mons'^ le viconte, voyant les grandes despences que,
pour raison des troubles et divisions qui ont naguières
esté en ce royaulme, j'ay esté contrainct de supporter,
tant pour l'entretenement de ma gendarmerye, des
estrangiers, tant de cheval que de pied, que j'ay
entretenuz jusquesàceque, ayant pieu à Dieu me faire
ceste grâce que d'establyr la paix entre mesdicts sub-
jectz, j'ay licentié la pluspart des compaignyes de gens
de pied^, ensemble les reystres, et me restant ung si
grand nombre de gendarmerye que, oultre les vieilles
et anciennes, mes bons et affectionnez subjectz ont
faict lever, suivant ce que je leur en ay escript ou
commandé, il est impossible de les pouvoir entretenir
et faire payer de leurs estatz, sans une grande foulle,
oppression et dommaige de mesdicts subjectz; qui a
esté cause que j'ay advisé de les réduyre, sçavoir est :
toutes celles qui sont de cent lances à soixante, et
1. Orig. Arch. nat., R^Bl.
2. Après la bataille de Saint-Denis et la mort du conné-
table, sa compagnie fut partagée, et Turenne en obtint un
tiers, avec des archers; c'est la signification de cette mesure
qui est l'objet de la lettre de Charles IX et de son frère le duc
d'Anjou, ami d'enfance du vicomte. (Cf. les Mémoires, p. 16.)
246 APPENDICE.
celles de cinquante à trante^ : dont je vous ay bien
voullu advertyr, affin que vous les faictes tenir prestz
au .nombre de ladicte réduction, lorsque je le vous
manderay, et qu'ilz soient montez et en l'équipaige
qu'ilz doibvent estre, pour me faire service, aussy tost
qu'il en sera de besoing. Et pour ce que, dès à pré-
sent, j'ay faict estât de me servir de la vostre en l'Isle
de France pour, avec les aultres forces que je y ay
envoiées et celles que je y faictz aller présentement,
tenir ceste province en seureté et enpescher que ceulx,
qui se vouldroient eslever ou entreprendre aucune
chose contre mon auctorité et l'obéyssance qu'ilz me
doibvent, n'ayent moyen d'exécuter leurs desseings
et mauvaise volunté, je vous prye d'envoyer inconti-
nent vostredicte compaignye audict pays, la part que
sera mon cousin le duc de Montmorency, mareschal de
France, gouverneur en icelluy, pour s'en servir selon
qu'il verra et congnoistra estre bon pour l'exécution
de ce que je luy ay donné charge et commandé de
faire. Et m'asseurant que vous satisferez incontinant
à ma volunté et à ce que je vous mande cy-dessus, je
ne vous feray plus longue lettre que de prier le Créa-
teur, Mons"" le viconte, qu'il vous ayt en sa saincte et
digne garde. Escript à Paris, le xiiii® jour de juing
1568.
Charles.
FiZES.
Suscription : « A Aîons"" le viconte de Turaine, cappitaine de
cinquante hommes d'armes de mes ordonnances. »
1. Le même Charles IX nomme plus tard Turenne capitaine
d'une compagnie de trente lances. (Lettres patentes du
APPENDICE. 247
LE DUC d' ANJOU AU VICOMTE DE TURENNE.
14 juin 1568 <.
Mons"^ le viconte, vous entendrés, par la lettre que
le Roy, monseigneur et frère, vous escript présente-
ment, la réduction qu'il a faict des compaignies de sa
gendarmerie et la cause pourquoy, et pareillement
comme il a ordonné et faict estât de la vostre, pour
s'en servir en l'Isle de France, soubz la charge et
commandement de mon cousin le duc de Montmo-
rency, mareschal de France; ce qui me gardera de
vous en faire aultre discours en la présente ne icelle
plus longue, que pour vous prier de ma part satisfaire
de la vostre incontinant, ou le plus tost que vous
pourrés, au vouloir et intention dudict sieur Roy, mon
frère, contenu par sadicte lectre; à quoy je ne doubte
que vous faciès faulte, pour la bonne volunté et affec-
tion que vous avés tousjours monstre avoir à son ser-
vice et au bien de ses affaires. Sur ce, je fîniray la
présente, priant le Créateur, Mons' le viconte, qu'il
vous ayt en sa saincte garde. Escript à Paris, le
xiiii^jour de juing 1568.
Vostre bon amy,
Henry.
Suscription : « A Mons"" le viconte de Turaine, cappitaine de
cinquante lances des ordonnances du Roy, mon seigneur et
frère. »
22 octobre 1572. [Histoire généalogique de la maison d! Au~
vergne, par Christophe Fustel. Paris, 1845, in-8°. Preuves^
p. 260.)
1. Orig. Arch. nat., R2 51.
248 APPENDICE.
LE MARÉCHAL DE DAM VILLE AU VICOMTE DE TURENNE.
13 janvier 1574*.
Mon nepveu, envoyant le s' de Belloy^, présent
porteur, devers Leurs Majestez, pour accompaigner le
depputé que ceulx de l'assemblée de Millau, estans de
la nouvelle Religion, ont depputé devers Elles, pour
leur fère entendre les conditions soubz lesquelles ilz
veullent condescendre à la paciffication, j'ay bien
voullu accuser par luy la réception de la vostre, que
m'a rendue le s*^ Janyn, du xiii® de novembre dernier,
et vous mercie de l'affection et obéyssance que m'avez
offert par icelle, vous priant de croire que ne la
sçauriez vouer à personne de ce monde qui, avec plus
de volunté, vous face paroistre de combien je l'auray
aggréable et acceptable en toutes les occasions qui
jamais se présenteront, faisant estât pour mon réci-
proque que vous n'avez parent ny amy en ce monde
qui plus vous ayme, ny que désire s'employer pour
vous que moy, qui m'estant remis audict de Belloy à
vous conter mes nouvelles et tout ce qui se passe de
deçà, en attendant des vostres, je prieray le Créateur,
après mes recommandations, qu'il vous doint.
Mon nepveu, en santé bonne et longue vye. De
Montpellier, ce xiii® jour de janvier 1574.
Depuis la présente escripte, s'estant résolu ledict
s"" d'Yolet de ne point faire le voiage, j'ay tout aussi-
tost dépesché ledict s"^ de Beloy pour les occasions
susdictes.
1. Orig. Arch. nat., R2 51.
2. Antoine de Belloy, gentilhomme de la chambre du roi.
APPENDICE. 249
Vostre meilleur oncle, parfaict et asseuré amy,
H. DE MONTMORANCY'.
LE VICOMTE DE TURENNE A MM. LES SYNDICS
DU CONSEIL DE GENÈVE.
16 octobre 15763.
Messieurs, encore qu'il y ayt desjà quelque temps
qu'il a pieu à Dieu m'appeler à sa cognoissance et reti-
rer des superstitions où j'avoyt eslé nourry^, j'ay
estimé qu'avec ceste occasion du sieur de Rezay, pré-
sent porteur, qui va par delà, il estoit encore assez à
temps de m'en conjouir avec vous, comme avec ceux
que je veux aymer et estimer et ausquelz je ne me
sens pas moins obligé que ceux qui ont trouvé près
de vous une tant honeste hospitalité et retraitte
asseurée. Et vous diray sur cela. Messieurs, qu'ayant
entendu dudict sieur de Rezay un affaire qui vous tou-
choit, et nous tous aussi, et qui dépend de l'exécution
1. François de la Tour, vicomte de Turenne, né en 1526,
fait chevalier par le comte d'Enghien à la bataille de CérisoUes
en 1544, gouverneur et lieutenant général de Bresse et de Bugey
en 1557, fut blessé mortellement le 10 avril de cette année à
Estigny, près Saint-Quentin. Il avait épousé, en 1545, Éléonore
de Montmorency, fille du connétable Anne, grand maître de
France, et de Madeleine de Savoye, qui mourut avant son mari
et fut enterrée en l'église des Cordeliers de Senlis. Leurs deux
enfants, Henri et Madeleine, restèrent donc orphelins de bonne
heure et furent élevés par leur grand-père et leurs oncles,
dont l'un était le second des Montmorency, Henri, maréchal,
de Damville, gouverneur du Languedoc.
2. Arch. de Genève. Portefeuilles des Pièces hist., n° 1983.
3. Voir dans les Mémoires ce que dit Turenne de son adhé-
sion au protestantisme.
250 APPENDICE.
du traitté de paix, j'en ay pris les mémoires, pour les
présenter en la compagnye où je vays, affin que, s'il
plaist à Dieu tant favoriser ce royaume que de voir
exécuter l'édit de pacification, cela n'y soit oublié. En
quoy je m'employeray de telle façon, que vous jugerez
que je prendray grand plaisir qu'en toutes aultres
affaires qui vous concernent et où j'auray quelque
moyen, vous vous en adressiez doresnavant à moy,
s'il vous plaist, qui les prendray en main comme les
miens propres. Mais aussi vous priray-je de me faire
ce plaisir de vous vouloir employer en l'effect des
prières que je fay à Mons"^ des Isles, et interposer en
cela et vostre crédit et les moyens que Dieu vous a
donnez. Ayant esté fort ayse que le voyage du sieur
de Rezay par delà se soit trouvé si à propos, qui vous
dira plus particulièrement sur cela ce qui seroit trop
long à descrire; auquel je vous prie adjouster foy
comme vous voudriez faire à moy, Messieurs, qui, en
cest endroit, me recommande affectionnément à voz
bonnes grâces. Priant Dieu vous tenir, Messieurs, avec
toute prospérité et santé, en sa sainte garde et protec-
tion.
Escript à Turenne, ce xvf octobre 1576.
Vostre antièrement et bien afectionné ami à vous
faire service, Turenne.
CHAUMONT-QUIÏRY AU VICOMTE DE TURENNE.
19 avril 1578 <.
Monsieur, encore que je n'aye rien aprins de nou-
1. Orig. Arch. nat. Papiei\s des Bouillon, R^53. La suscrip-
tion est : « A Monsieur, Monsieur de Thureyne. »
APPENDICE. 251
veau qui mérite vous estre escript, néantmoingz, pour
le désir que j'ay d'avoir cest honeur que de me con-
tinuer en.voz bonnes grâces, je n'ay vouleu perdre
ceste occasion sans me y ramentevoir et vous supplier
de croire que je suys vostre serviteur le plus fidelle
que vous aurés jamais; et, avec ceste assurance, je
vous présanteré mes très humbles recommandations
à voz bonnes grâces. Priant Dieu,
Monsieur, vous donner en sancté longue et heu-
reuse vye. De Saint-Jehan-d'Angély, ce xix^ d'apvril
1578.
Vostre bien humble et obéyssant serviteur,
QUITRY^
LA COMTESSE DE TENDE AU VICOMTE DE TURENNE.
3 juin 15782.
Monsieur mon frère, Hugonis passant par icy, je ne
l'ay voulu laisser partir, sans vous faire ce mot, qui
1. Si nous publions cette lettre assez insignifiante, c'est
qu'elle est à peu près le seul autographe connu de ce Jean
de Chaumont, célèbre comme ami de Henri IV et enragé hugue-
not, qui était surintendant de sa maison avec Lavardin (Arch.
des Basses-Pyrénées, B. 155). C'est ainsi qu'on peut établir la
date où Guitry quitta le Languedoc, après avoir joué un rôle
important aux conférences de Nérac. Il s'était sans doute
arrêté à Saint-Jean-d'Angély, pour voir le prince de Condé, se
rendant dans le Vexin, d'où sa famille était de longue date ori-
ginaire. Les Mémoires de Turenne parlent souvent de lui, ainsi
que les Mémoires de la Huguerie.
2. Orig. Arch. nat., R^ôS. La suscription porte : « A Mon-
sieur mon frère, Monsieur de Turenne. »
252 APPENDICE.
me servira, s'il vous plaist, pour me ramanlevoir à
vostre bonne grâce et pour vous suplier m'i vouloir
continuer. Je suis tousjours en attandant de voz
bonnes nouvelles, n'an ayant point eu despuis celle qu'il
vous plust m'escrire par Pillon, de coy je suis en grand
peine, n'en sçachant que pancer. Au reste, vous sçavés
la puissance que vous avés sur moy estre telle, qu'ele
ne peult estre altérée par coy que ce soit, ainsi que
j'espère vous faire paroitre, en tous les endroitz où il
vous plaira d'an faire preuve. En atandant que je soie
si heureuse que d'avoir moyen de vous randre autant de
taimoignage de mon affection et bonne volonté comme
j'an ay de désir, je vous supliré de recevoir mes
humbles recommandations à voz bonnes grâces, avec
prière que je fais à Dieu de vous donner,
Mons"" mon frère, en toute perffection de santé,
très heureuse et longue vie. De Joze', ce 3® de juin
1578.
Vostre bien humble et obéissante sœur,
Madelene de Turenne^.
1. Joze (Puy-de-Dôme), arr. de Thiers, où était né Henry de
la Tour, vicomte de Turenne.
2. Madeleine de la Tour, sœur de Turenne, était depuis
quelques années veuve du comte de Tende, gouverneur et séné-
chal de Provence, qui mourut à Montéliraart, empoisonné,
dit-on. Elle ne semble pas avoir vécu au delà de 1580. Par
testament en date du 21 juin de cette année, elle instituait le
vicomte son seul héritier. — Voir plus haut, p. 3, note 1.
APPENDICE. 253
MONSIEUR DE TORSAY AU VICOMTE DE TURENNE.
11 août 1578'.
Monseigneur, je vous diray avec ceste ocasion que
j'ay lettres de Mons"" de La Noue, du depuis qu'il est
arrivé en Flandre, par lesquelles il me mande que
Monseigneur avoit envoie Mons' de Bussy^ vers les
Estas, et qu'il le leurs vouloit aussy envoier, si tost
qu'il y a esté arrivé; ce que désiroient lesdis Estas et
sur tous Monseigneur le prince d'Orange. Groiez que
mondit s*^ de La Noue estoit nécessaire où il est, pour
beaucoup de raisons qui seroient longues à déduire,
mais entre autres, comme il m'a mandé, pour empes-
cher la pratique du conte de Lalain^ et autres Catho-
liques, par laquelle ilz vouloient faire déclarer mon-
dit seigneur protecteur de la Religion Catholique
contre la Reformée ; et ne faut douter que le nonce du
l^ape et autres ambassadeurs, qui luy ont esté envoies
pour le ramener, s'il estoit possible, ne le povant
obtenir, eussent approuvé ce dessin; car le diable
ne se soucie pas beaucoup du lieu, pourveu qu'il
face tousjours la guerre à Jésus-Christ. Jusques
icy, on ne peut concevoir que bonne espérance
1. Orig. Arch. nat., R^53. « A Monseigneur, Monseigneur
le viconîe de Turenne. »
2. De Mons, le duc d'Anjou avait envoyé Bussy aux Etats; il
lui adjoignit bientôt Sorbier des Pruneaux, et le traité d'al-
liance en vingt-trois articles fut signé à Anvers le 13 août.
3. Son frère, Montigny, le comte de Lalaing, son beau-frère,
le sieur de Monceaulx, comme beaucoup d'autres seigneurs du
Hainaut, étaient catholiques; mais le duc d'Anjou ne pouvait
se passer de leur concours dans sa lutte contre l'Espagne.
254 APPENDICE.
de l'entreprise de mondit seigneur, et y a appa-
rence de mieux encore, quand une fois il se sera
obligé en la protection d'une cause commune aux
Estas de Flandre, la reine d'Angleterre, le duc Casi-
mir et Mons'' le prince d'Orange. Aussi, voians noz
ennemis quel bien il en peut revenir au bon party
l'ont traversé et traverseront encore, en tout ce qu'ilz
pouront, et je pense, quant à moy, que toutes ces
menaces et approches de guerre, que nous voions en
Guienne et ailleurs, ne tendent principalement que à
rappeler mondit seigneur; car, tous autres artifices
estans réussis vains, il semble, estant le feu embrasé
en France, mondit seigneur sera plus obligé d'y courir
et la secourir que une province estrangère. Mais il y a
moien de prévenir ceste nécessité et de éluder ce stra-
tagème par un autre, sans domage ou ruine d'hommes
et de pais et avec l'establissement du repos de ce povre
roiaume, comme j'ay mandé à Mons"" de La Noue^, et
croy qu'il sera de mon advis. On asseure icy, depuis
un jour, que les Espagnols, voulant s'esprouver avec
1. La Noue était encore à Angers, près de Monsieur, au
mois de juin 1578. A cette époque, des Pruneaulx, l'agent du
duc d'Anjou aux Pays-Bas, lui écrivait : « Vous estes autant
désiré de tous, je dis de chacune des religions, qu'homme qui
y puisse venir. » Après la victoire de Don Juan à Gemblous,
François de Valois se décide à. intervenir et entre à Mons le
9 juillet. La ■Noue le suit de près, et, après le départ du prince,
il reste au service des Etats de Flandre au commencement de
l'année 1579, et est nommé, sur la proposition du prince
d'Orange, maréchal général, avec le commandement des troupes
françaises et écossaises. C'est seulement au mois de mai 1580
qu'il fut pris dans une escarmouche par le vicomte de Gand,
marquis de Roubaix.
APPENDICE, 255
l'armée des Estas, ont esté malmenés par une embus-
cade de François et Escossois des vielles bendes qui
estoient cy-devant en Rolande.
Monseigneur, je vous baise bien humblement les
mains, priant Dieu vous donner en parfaitte santé
longue et heureuse vie. De Paris, ce xi® d'aoust 1578.
Vostre très humble et très obéissant serviteur.
De Torsay^
monsieur de torsay au vicomte de turenne.
19 août 15782.
Monseigneur, Monsieur de La Noue m'avoit envoie
un discours de l'escarmouche de Don Juan contre le
camp des Estas de Flandre, pour l'envoier au roy de
Navarre, que Mons"" de Strosse a enfermé en son
paquet. Je vous prie, après l'avoir leu, le présenter
de la part de mondit s"" de La Noue à Sa Majesté, afin
qu'il ne m'accuse de négligence. Il n'est riens succédé
depuis audit pais, que nous ayons entendu. Par lettres
du 1 0, que Mons"" de La Noue m'a escrittes d'Anvers^,
on n'avoit encore résolu avec Monsieur; si tost que
ce sera fait, il m'en doit envoier le traitté, dont je ne
1. Le sieur de Torsay, en 1608, écrivit la Vie, mort et
tombeau... de Philippe de Strozzi, celui que, dans la lettre sui-
vante, il appelle, comme les contemporains, « Monsieur de
Strosse. »
2. Orig. Arch. nat., R^BS.
3. Le 18 août, La Noue écrit d'Anvers au duc d'Anjou pour
lui annoncer la prompte arrivée des troupes de Casimir. [Docu-
ments concernant les relations du duc d'Anjou avec les Pays-
Bas, t. I, p. 420.)
256 APPENDICE.
faudray de vous en envoicr aussy tostla copie. Il y a
cuidé avoir du commencement quelques dificultés à
cause de la religion, voulans aucuns persuader mon-
dit seigneur de se faire protecteur de la Religion
Catholique ; mais je croy que Mons"" de La Noue est venu
bien à point, pour oster cest empeschement d'une
bonne union et intelligence comune à repousser l'op-
pression^ Cependant, la Religion y augmente d'une
estrange façon. J'espère que nous nous en sentirons
par deçà et que Mons"^ de La Noue y sera allé fort à
propos et qu'il servira plus à noz affaires là qu'icy,
combien qu'il y soit aussy bien nécessaire.
Monseigneur, après vous avoir baisé bien hunible-
ment les mains, je priray Dieu vous donner en par-
faitte santé longue et heureuse vie. De Paris, ce
19^d'aoust 1578.
Vostre plus humble et plus obéissant serviteur,
De Torsay.
le roi henri iii au vicomte de turenne.
Paris, 6 décembre 1578^.
Mon cousin, le pouvoir et crédit que je me suis
toujours promis qu'a vies parmis ceux de la Relligion,
et le témoignage que m'avés rendu de vostre dévo-
tion au bien et repos de ce royaume m'ont tant fait
espérer de fruicts de l'établissement de la paix, meme-
1. Le 18 août 1578, à Mons, le duc d'Anjou signait une
« promesse » au prince d'Orange de ne rien entreprendre
contre la religion réformée. (Documents, etc., t. I, p. 424.)
2. Arch. nat., R^53. Suscription : « A mon cousin le viconle
de Turene. »
APPENDICE. 257
ment en la négotiation de la Royne, Madame et mère,
que je cuidois à présent y veoir plus d'avancement et
qu'il ne s'y offriroit tant de difficultés et remises, comme
il fait chacun jour; et, pour ce que je désire estre
cclarcy de ce que j'ay pu espérer surmonter, s'il m'est
possible, toutes difficultés, et rendre plus capable le roy
de Navarre, mon frère, et vous autres de ma bonne
grâce et de mon intention à l'entretenement de la paix,
j'envoye par delà le s"^ Maintenons chevalier de mon
Ordre, conseiller en mon Conseil privé et grand mares-
chal de mes logis, auquel, ayant donné charge de
vous faire entendre l'occasion de son voyage, je vous
prie, mon cousin, autant que vous désirés me faire
jamais recevoir les effets de votre fidelle dévotion à
mon service, employer le crédit et la fiance que je sçay
estre en vous à ce que ma sincère intention soit au
plus tost exécuté ; et croyés sur ce le s"^ de Maintenon
de ce qu'il vous dira de ma part comme moy-mesme,
qui prie Dieu, mon cousin, vous avoir en sa saincte
garde. Écrit à Paris, ce 6^ de décembre 1578.
Henry.
De Neufville.
le roi henri iii au vicomte de turenne.
Paris, 16 mars 15792.
Mon cousin, j'ay bien voulu vous témoigner, par la
présente, le contentement que j'ay receu de la résolu-
tion qui a esté prise à la conférence, ayant esté arresté
1. Louis d'Angennes, marquis de Maintenon.
2. Arch. nat., R^ÔS.
17
•258 APPENDICE.
que l'on procéderoit par effet à l'exécution de mon
édit de pacification, qui est la chose de ce monde que
je désire le plus, affin de veoir mes sujects unis en
repos par le bénéfice d'icelluy. Mon cousin, je sçay
que vous me pouvés beaucoup servir en cette occa-
sion; partant, je vous prie me faire connoistre par
effet l'afïection que vous portés à mon contentement et
à la tranquillité de mon royaume, et croire que je reco-
gnoistray le devoir que vous y ferés, comme vous
fera entendre de ma part le s"" d'Arqués \ en vous déli-
vrant ou envoyant la présente. Priant Dieu qu'il vous
ayt, mon cousin, en sa saincte garde.
Écrit à Paris, ce 16 mars 1579.
Henry.
catherine de médigis au maréchal de damville^.
Agen, 17 mars 1579.
Mon cousin, il y a quelque temps que, pour quelque
leiger propos que le s' viconte de Turenne et le s' de
Rozan eurent ensemble, il s'estoit meu aussy quelque
débat entre lesdicts viconte de Turenne et de Duras,
dont je les avois depuis deux jours mis d'accord, par
l'advis des princes et s"^* du Conseil privé du Roy, Mon-
sieur nion filz, et aultres s'* et cappitaines qui sont icy :
toutesfois, contre les défenses que leur avois faictes,
de la part du Roy, mondict S' et filz, et de moy, de ne
se demander rien l'un à l'aultre, pour ce qui restoit à
accorder entre ledict s"^ viconte de Turenne et le frère
dudict s"^ de Duras, qui n'estoit lors icy, ilz se sont
1. Nom que porta d'abord Joyeuse.
2. Bibl. nat., f. fr. 3203, fol. 44.
APPENDICE. 259
appeliez, sans que personne en ayt rien sceu, et com-
batuz ce jourd'huy de grand matin, sur la grève de
ceste ville, s'estans blessez les ungs les aultres, dont
je fais informer par la Chambre de Parlement establie en
ceste dicte ville, pour en faire faire la justice exemplaire
à rencontre de ceulx qui se trouverront avoir failly,
estant ce que l'on doibt désirer ; mais, afFm que chacun
entende comme le tout est passé et ne soit cela cause
cependant d'interrompre ou retarder l'exécution de
la résolution de nostre conférence tenue à Nérac au
bien de la paix, je vous en ay bien voulu escripre ce
mot de lectre, affin que vous sçaichiez comme ce que
dessus est advenu et le faciez entendre à ceulx que
verrez que besoing sera, tenant la main que, pour
cela (qui est ung faict particulier et dont la justice se
fera sur ceulx qui l'auront mérité), le bon œuvre de
la paix et l'exécution d'icelle ne soit aulcunement
différé ny retardé. Priant Dieu, mon cousin, vous
avoir en sa saincte et digne garde. Escript à Agen, le
xvif jour de mars 1579.
Vostre bonne cousine, Gaterine.
DISCOURS DE LA QUERELLE DU VISCOMTE DE TUREYNE
AVEC LE SIEUR DE ROZAN, 1579^
L'an mil cinq cens soixante et quinze, estant à
Montauban, commandant en Guyenne à ceulx de la
Religion et Gatholicques, uniz soubz l'auctorité de Mon-
1. Bibl. nat., Cinq cents de Colbert, t. XXIX, fol. 231 v°.
Ms. f. fr. 20153, fol. 177 r°. — Ce récit semble écrit par le
vicomte de Turenne lui-même; il est, d'ailleurs, le dévelop-
pement de deux pages des Mémoires. — (Voir plus haut,
p. 141 et suiv.)
260 APPENDICE.
seigneur le prince de Gondé et depuis de Monsei-
gneur, il advint que ceulx de Gaslelzaloux jectèrent le
s' de Savillan' hors de leur ville, lequel y commandoit,
et lors, craignant que la ville ne se perdist, j'ay mis
le sieur de Rozan pour y commander. Depuis, ayant
receu commandement de Monseigneur de l'aller trou-
ver avec des forces et veoir toutes les villes en pas-
sant, les laisser en bon estât et seureté, et luy en
apporter au vray Testât, tant desdictes villes que des
hommes et deniers, pour commencer madicte charge,
je m'acheminay à Glérac-, où estant je sceuz que
quelques ungs avoient assiégé un chasteau qui tenoit
pour mondict seigneur, duquel désirant faire lever
le siège, je feuz contrainct d'assembler quelques forces,
où vint ledict s' de Rozan avec une trouppe. Je luy
parlay alors, pour adviser de faire faire raison au
s"" de Savillan de quelque argent que luy retenoient
ceulx dudictGhasteaujaloux, à quoy il m'assura de tenir
la main; je luy dis aussi que je yrois audict Ghastelja-
loux : à quoy il me respondit qu'il m'y feroit tout l'hon-
neur qu'il pourroit et que je y serois le très bien
venu. De là, je m'en allay à Gaumont, et, depuis, à
Damazan, d'où j'escrivi au s"^ de Rozan que je m'en
allois à Gasteijaloux : ce que je fiz; mais quelques ungs
de mes gens s'estant mis devant et s'estans présentés
aux portes pour y entrer, elles leur furent refusées;
ce que ayant entendu, je priay Mons"" de Reniez d'y
1. Sur Savailhan, voir la note de la p. 118, et la Monogra-
phie de Gasteijaloux, par Samazeuilh, publiée à Nérac en 1860,
in-8°, p. 103.
2. Gasteijaloux, Clairac, Damazan (Lot-et-Garonne), arr.
de iVérac.
APPENDICE. 261
aller, lequel ayant parlé à ceulx qu'il trouva à ladicte
porte, les habitans, tous d'une commune voix, luy
crièrent que ce n'estoient poinct eulx, mais que c'es-
toient ceulx de Mons"" de Rozan, qui avoient la force
en main, qui l'empeschoient. Sur quoy, ledict s"" de
Reniez ayant parlé à ung nommé La Garenne, qui fai-
soil Testât de scrgent-majour dans ladicte ville, il luy
fut respondu par ledict La Garenne qu'il avoit com-
mandement de Mons' de Rozan de n'y laisser entrer
personne et qu'il n'ouvriroit poinct, que ledict s'" de
Rozan debvoit retourner le lendemain et qu'il s'assu-
roit qu'il seroit bien aise de m'y veoir. Ayant sceu
ceste responce, je m'en allay à Malevirade, où je
demeuré tout le reste de ce jour-là et le lendemain
encores, affin de l'attendre ; mais, voiant qu'il ne
revenoit poinct, je m'en allay à Gaumont\ continuant
tousjours mon voiage pour aller trouver Monseigneur.
Depuis ce temps-là, je n'avois sceu trouver ledict
s" de Rozan, à cause des troubles, jusques ung peu
auparavant des troubles de l'année VLXXVI, que,
revenant d'Agen, où j'estois allé veoir le roy de
Navarre, accompagné de quarente gentilzhommes et
environ de trente ou trente cinq arquebuziers, je le
trouvay auprès d'Éguillon avec huict ou dix chevaulx
en tout ; et, passant près l'un de l'autre dans ung che-
min estroict, je le recongneuz. Voiant ceste occasion,
je priay le capitaine Valirois, l'aisné, qui estoit avec
moy, de luy aller dire de ma part que j'estois dans
ung pré là auprès, où je le priois de venir, affin de
tirer raison de luy de quelque chose que j'avois à luy
1. Caumont est dans l'arr. de Marmande (Lot-et-Garonne).
262 APPENDICE.
demander, avec asseurance que pas un des miens ne
luy demanderoient rien, ayant tiré la promesse de
ceulx qui estoienl avec moy d'ainsi le faire et protes-
tant, si quelc'un y failloit, que je me rangerois de son
costé pour luy courre sus. Ledict Valirois s'en revint
à moy avec promesse dudict s'^ de Rozan qu'il s'y en
venoit; mais, incontinant après, il m'envoia un gen-
tilhomme des siens me dire qu'il n'y pouvoit venir,
d'aultant que la partie estoit mal faicte : ce que voiant,
je lui renvoiay les s"^* de Milliac et de Dussac pour luy
dire, affin d'oster tout soupson, il y avoit là un bateau
dans lequel nous passerions de delà l'eau, avec chacun
un cheval pour servir à qui auroit le dessus, et que
cest offre là estoit hors de double et soupson. Il ne la
pouvoit honnestement refuzer; nonobstant cela, il
s'excusa, et, pour luy monstrer que je ne voulois, non
seullement le prendre à mon advantage, mais luy
oster toute occasion de soubçonner que je le voulusse
faire, je tiray promesse de luy, entre les mains des-
dicts s"^" de Millac et de Dussac et de Valiros, que
toutes fois et quantes que je l'envoyerois appeller par
un gentilhomme, que ledict gentilhomme y pourroit
aller à seureté et qu'il s'en viendroict me faire raison
où je l'appellerois. Nous nous départismes ainsi; et,
depuis lesdicts troubles, je ne peuz le treuver à com-
modité, tellement que cela demeura ainsi jus(jues der-
nièrement, Mons' de Laverdin estant à Agen, au logis
de Mons*^ de Duras, il entendit que ledict s"^ de Duras
tenoit propos de moy, qui esloient telz, que le roy de
Navarre luy avoit escript deux ou trois fois de le venir
treuver, pour l'accorder avec Mons"^ de Turenne ; qu'il
estoit bien serviteur du roy de Navarre et que son
APPENDICE. 263
frère exécuteroit volontiers ses comniandemens, mais
que, pour ce subject, s'il pensoit son frère luy céder
en rien, qu'il le desgajeroitet que, si Mons"" de Turenne
estoit plus riche, qu'il estoit d'aussi bonne maison, et,
s'il se plaignoit de luy* qu'il l'ameneroit tousjours en
crouppe pour luy faire raison. Mons"" de Laverdin, à
la première fois qu'il me vit, ne fit faulte à me racomp-
ter bien au long lesdicts propos, par lesquelz me sen-
tons intéressé, tant pour la comparaison des maisons
que ledict s"" de Duras avoit faicte, que pour l'offre
qu'il faisoit de m'amener son frère, je me résolus de
le faire appelîer; mais, pour m'en esclaircir davan-
tage, sachant qu'il passoit par Nérac, pour aller trou-
ver la Royne à Auch, je lui envoiay le s' de Sallignac,
pour sçavoir quelles parolles il avoit tenues de moy,
en un lieu où estoit Mons"" de Laverdin, lesquelles luy
rapporta encores ledict s"" de Sallignac. Ledict s"^ de
Duras les ayant ouyes, en pallia une partie, disant
qu'il avoit bien dict que si Mons"^ de Turenne faisoit
appelîer son frère de Rozan, qu'il s'asseuroit qu'il yroit
et que, s'il le prioit de luy mener, qu'il en estoit tout
prest. Ayant entendu la responce par ledict s"^ de Sal-
lignac, j'envoie incontinent un gentilhomme des miens
à Mons"^ de Laverdin, le priant de m'escrire les propres
motz qu'il avoit entenduz de Mons"^ de Duras; ce qu'il
fit tous conformes aux premiers, par une lettre qu'il
m'escrivit, où lesdicts motz sont conlenuz, me man-
dant au reste que si ledict de Duras s'en dédisoit, qu'il
estoit prest de luy soustenir.
Quelque espace de temps après, la Royne estant
à Agen, y estant aussi ledict s"^ de Duras, je m'y
en allay. Ung jour, entre aultres, que j'estois sorty
264 APPENDICE.
tout seul de bon matin hors de la ville, et y ayant
demeuré long temps, on eut opinion que je Pavois
faict appeller, qui fut cause que la Royne m'envoia
quérir, et, après m'avoir dict qu'elle nous voulloit
accorder, me commandant de sa plaine auctorité
de demeurer amy audict s'^ de Duras, je ne voullu
prendre garde à quelque espèce de satisfaction qu'il
me vouloit faire, disant que je ne prenois le comman-
dement absolut à la volonté de Sa Majesté pour assez
de satisfaction de ce que je me sentois offensé dudict
s"" de Duras, par les propos qu'il avoit tenus à Mons'" de
Laverdin. Sur quoy ladicte dame Royne nous feit
embrasser. Après quoy je m'en allai à Puymirol^ par
le commandement de ladicte dame Royne et du roy
de Navarre, pour y exécuter l'eedict. Ce que ayant
faict, et en estant revenu le lundi xvf mars, je feuz
adverty que ledict s"" de Rozan y estoit arrivé aussi ;
ce que la Royne ayant sceu, me feit deffence très
expresse de ne faire poinct appeller ledict de Rozan et
de ne lui demander rien : ce que je promis à Sa Majesté.
Mais ledict jour au soir, m'étant retiré à mon logis,
Mons' de Lesignan y vint, qui me dist que Mons"" de
Duras montoit. Je m'en allay au devant de luy; et,
estant en ma chambre, il me commença à parler tout
hault que madame de Grandmont^ me prioit de faire
mectre Mussidan^ entre ses mains. Après, il me dist
si je voulois me tirer à part : ce que je feiz ; et, m'ayant
1. Puymirol (Lot-et-Garonne), arr. d'Agen.
2. M"*^ de Gramont était la belle-mère de Duras. On sait
que sa fille fut la dame d'honneur et longtemps l'amie très
malfaisante de la reine de Navarre.
3. Mussidan (Dordogne), arr. de Ribérac.
APPENDICE. 265
un peu continué le propos de Mussidan, il me dist
qu'il y avoit quelque temps qu'il avoit dict à Mons"" de
Laverdin, qu'il me meneroit son frère de Rozan là où
je vouldrois; qu'il estoit à Agen, et que le lendemain
il le feroit treuver au gravier *, qu'il seroit avec luy;
et je le remerciay, l'asseurant que ce seroit le plus
grand plaisir qu'il me pourroit faire, mais que je dési-
rois que personne ne s'en mellast que luy et moy, et
que j'avois fort bonne querelle, qui me faisoit espé-
rer que, après avoir faict à son frère, il me resteroit
prou de force pour luy foire raison, s'il se plaignoit
de quelque chose de moy. Il me dist qu'il vouloit que
je y menasse quelc'un; à quoy je luy feiz responce que
puisqu'il le vouloit ainsi, que je y menerois ung de
mes amys ; qu'au reste il estoit fort tard et que, si
quelc'un le savoit, je luy en ferois reproche, l'assu-
rant que pas un de mes amys n'en sçauroit chose du
monde de moy, qui peust estre occasion de nous en
empescher. Là-dessus, il me promist et me jura que
s'il venoit quelc'un qui feussent de ses amys qui me
voulust faire tort, que son frère et luy se rangeroient
avec moy pour les en empescher, me le promectant
sur son honneur. Je kiy feiz pareille promesse, en
l'embrassant. Il commence à me donner le bonsoir :
je le conduisy jusques hors de mon logis, où, estant
rentré et Mons'" de Lesignan y estant demeuré, je le
tiray à part et tiray promesse de luy de ne parler à
homme ny à femme du monde de ce que je luy dirois,
l'assurant que, s'il le faisoit, je luy demanderois rai-
1. Le « gravier » d'Agen était situé entre la muraille de la
ville et la Garonne : il est encore aujourd'hui un élégant lieu
de promenade et de fêtes publiques.
266 APPENDICE.
son de ce qu'il me promist. Je luy dis adonc ce que
Mons"^ de Duras m'a voit dict, le priant de regarder le
lendemain à la porte du gravier que personne ne sor-
tist pour me faire supercherie.
Le lendemain, le jour estant venu, je m'en allay
à la porte du Pin, par où j'avois dict audict s' de
Duras que je sortirois, avec Mons"^ le baron de Sal-
lignac, un petit page et un lacquais qui menoient
deux courtaulx, suivant ce que j'avois dict audict
s' de Duras de nous trouver sur un courtault cha-
cun. Ladicte porte ne fut ouverte d'une grande demye
heure après que nous feusmes arrivez. Cependant,
je me promenois du long de la muraille, atten-
dant qu'elle feust ouverte, ce que soudain qu'elle fut
ouverte nous sortismes; et, estant arrivez sur le lieu,
nous attendismes environ une heure et demye, de
sorte que je envoiay à Mons*" de Duras un page,
pour luy dire qu'il y avoit fort long temps que je l'at-
tendois et qu'il estoit fort tard. Mon page y allant les
trouva comme ilz venoient; je commençay à les veoir
venir sur deux chevaulx d'Espagne, l'un bay et l'autre
gris. Cependant, Mons"" de Lesignan, qui avoit veu
venir mon page, pensant que je luy envoiasse pour le
prier de se retirer, se retira loing, qui empescha
qu'il ne peult veoir sortir lesdicts de Duras et Rozan
et ceulx qui sortirent. Nous nous arrestames inconti-
nant et vismes qu'ilz mectoient pied à terre : à quoy
je priay Mons' le baron de Sallignac de s'avancer vers
[eulx] et leur dire que c'estoit trop près de la porte.
Hz faisoient quelque difficulté de remonter à cheval ;
ce que voiant, je m'avançay vers eulx, d'aultant que
je voiois venir quelques hommes qui couroient tant
APPENDICE. 267
qu'ilz pouvoient, n'estans pas deux cens pas de nous,
et leur dis que résolument c'estoit trop près. Et leur
dis : voilà des gens qui viennent, qui nous empesche-
roient de nous battre, et qu'il failloit aller plus loing;
Guidant à la vérité que ce feussent gens de la Royne
qui vinssent pour nous en empescher. Enfin, ilz
montent à cheval, et commenceasmes à galopper
comme qui yroit à la Gassagne^. En galoppant, je
demande au s"" de Rozan s'il avoit de dague, qui
me dist que ouy : à quoy je*respondis que j'en avois
aussi, mais que je le priois que nous les gections là;
ce qu'il ne voulut faire. Le s' de Duras commença à
dire qu'il n'en avoit poinct, et le s"" de Sallignac luy
dist qu'il en avoit une, mais qu'il la jecteroit là, ainsi
qu'il feit tout aussitost. Gomme nous eusmes galoppé
environ trois cens pas, estans presque vis-à-vis d'une
chappelle qui est à costé du gravier, nous mismes
pied à terre; mais, voiant le s"" de Rozan botté et espe-
ronné, je le priay d'oster ses espérons, et que cela
l'empescheroit; ce qu'il feist. Là-dessus, ledict s" de
Duras s'aproche et me dist : « Monsieur, vous plaist-il
pas que je vous visite? » A quoy je respondy que ouy;
ce qu'il feit. Et là-dessus je luy dis que je ne le vou-
lois poinct visiter; et, parlant audict s' de Rozan, qui
estoit à dix ou douze pas près de moy, s'il estoit
poinct armé : il leva son pourpoinct, qui n'estoit pas
attaché à ses chosses, et me dist : « Je ne le suis pas. »
Je luy respondz que je me reposois sur cela. Alors, le
s"^ de Duras se retira quatre ou cinq pas en arrière,
1. La Cassagne est un château situé sur la commune de Pont-
du-Casse, à 7 kil. d'Agen.
268 APPENDICE.
et lors je mis la main à l'espée, d'aultant que le s"" de
Rozan l'y avoit long temps auparavant.
Le s"" de Duras me demande ce que j'avois à de-
mander à son frère; je luy dis que, aux troubles
de l'an V LXXVI, ceulx de Chasteljaloux jeetèrent
Mons"" de Savillhan dehors et que, ayant mis Mons"^ de
Rozan, son frère, pour y commander, qu'il m'avoit
faict reffuser les portes, et que, estant à Cleirac
quatre jours auparavant, il m'avoit promis de m'y
faire tout l'honneur qu'il debvroit et de m'y lais-
ser entrer quand je vouldrois, et que, pour me
satisfaire, il failloit qu'il désadvouast ceulx qui
i'avoient faict. A quoy ledict s'^ de Duras me dist que,
s'en estant allé à Duras, il avoit commandé à ceulx
qui commandoient audict Chasteljaloux soubz luy de n'y
laisser entrer personne. « Ho ! ce diz-je, cela ne me con-
tente pas, et, s'il falloit me contenter, falloit que ce
feust la ville. » Là-dessus, ledict s"" de Duras print la
parolle et dist : « C'est que vous aviez dict que vous y
vouliez mectre Savaillan. » Je respondiz que cela estoit
faulx et que je n'en a vois jamais parlé, ny pensé
mesme de le faire. Je partz alors et m'envois droict
audict s' de Rozan et, du premier coup, je luy donne
une estocade dans l'estomach ; il commença à reculler
le plus qu'il est possible. Je luy tiray cinq ou six esto-
cades, qui tous portoient sur luy : toutesfois, pas
une ne persa le pourpoinct. Le poursuivant et le pied
m'ayant glissé, je tonibay, et, estant à terre, il me
donna un coup dans la chausse, qui ne me blesse
poinct. Je me rellève soudain et commence à le rechar-
ger; il me tourne le doz et commence à fuyr tant
qu'il pouvoit courre. Cependant, je entcndois le baron
APPENDICE. 269
de Sallignac qui disoit au s"" de Duras : « Prenez une
espée » ; lequel n'en voullut poinct prendre. Ledict
Duras commence à crier à son frère : « Vous fuiez,
vous faictes le poltron. » Il tourna, et, en tournant,
ledict de Rozan tumba. Je luy diz adonc : « Lève
toy. » Là-dessus, je me sentiz chargé de six ou sept,
qui me baillèrent troys coups d'espée par derrière,
et deux par le devant, tout en ung mesme temps
sans que ledict de Rozan s'aprochast de moy. Incon-
tinant, ledict de Duras commence à crier à ses gens :
« Tuez, tuez le baron de Sallignac » ; qui dict que cinq ou
six s'avancèrent pour le charger, et ung, entre aultres,
qui est fort blond et avoit un manteau rouge doublé
de vert, quiestoit cinq ou six pas devant eulx, lequel,
voyant le s"" de Sallignac aller à luy, se retira jusques
à ces compagnons; et tous eulx ensemble se retirèrent
plus de huict pas : ce qui empcscha de veoir ce que
ledict s"^ de Duras feit. Depuis, lesdicts me laissèrent,
après m'a voir blessé de seize ou dix-sept coups d'es-
pée, et estant tout en sang, je chargé encores ledict s'" de
Rozan, lequel je feis encores fuyr et reculler devant
moy. A ceste heure- là, ledict s"" de Duras luy cria
encores les mesmes motz qu'il avoit faict auparavant,
et, prenant une espée, s'en vint à moy et me tire une
estocade qui ne fit que perser le pourpoinct. « Ha, ce
diz-je, c'est une grande meschanseté ! Ce n'est pas la
courtoisie que le baron de Sallignac t'a faicte et celle
que j'ay faicte à ton frère à ceste heure, oultre celle
que je luy feiz auprès d'Eguillon. » Là-dessus, je m'ar-
restay; et vint un garson de la fruicterie de Madame
la princesse de Navarre, qui me dist : « Mons"^ de Thu-
reyne retirez-vous ; il vous tueront. Las, ce dis-je,
270 APPENDICE.
c'est trop estre armé et encores estre dix ou douze
sur ung homme! » Je me mis adoncà main gauche et
eulx à main droicte; et commençasmes à nous en aller
vers la ville. Comme j'euz faict environ deux cens pas,
je trouvay Mons"^ de Lesignan, avec deux de ses gens,
auquel je dis : « Vrayement, voilà de mesclians hommes :
estre armés et encores estre dix ou douze sur ung
homme. » Il me demanda si j'en avois dans le corps : je
luy diz que non ; mais que je ne sçavois si une estocade
que Duras m'avoit donnée, luy monstrant l'endroict
où il m'avoit blessé. Là-dessus, je trouvay encores
Mens'" le mareschal de Biron, auquel je tins mesme
langaige, et me retiray en mon logis.
Rapport en forme de lettre sur le duel survenu
ENTRE Jean de Durfort, vicomte de Duras, et
SON FRÈRE Jacques, d'une part, et Henri de la
Tour, vicomte de Turenne, et le baron de Sali-
GNAG, d'autre PART. NÉRAC, 18 MARS 15791.
Messieurs, d'aultant que le xvii^ de ce moys est
advenu que Mons' de Turene a esté blessé hors les
portes de la ville d'Agen et que plusieurs, ne sachans
comme le faict est passé, pourroient en prendre et
donner l'alarme en divers endroictz et en tirer des
conséquences préjudiciables au bien de la paix, laquelle
doibt estre stable et maintenue par tous les gens de
bien, comme estant nécessaire en ce royaulme à la
1. Bibl. nat., f. Dupuy 744, fol. 82 r*". — C'est une sorte de
circulaire faite sans doute par un des ministres protestants qui
étaient venus à Nérac pour traiter de la paix.
APPENDICE. 271
conservation des Églises; j'ay bien voulu vous tenir
particulièrenrient advertiz par la présente de tout ce
qui est faict, qui est tel que, d'aultant que, en
l'année 1576, ledict s^ de Turene estant nommé et
esleu général des églises de Gienne, se resentoict de
ce que le s"^ de Rausan, frère du s"^ de Duras, avoict
tenu quelque propos qui sembloict estre au désavan-
taige du s"^ de Turene, le 13 de ce mois, estant le
s"" de Turene allé à Agen de nostre part, pour faire
dresser, avecques le conseil de la Roy ne mère du Roy,
les commissions et instructions qui estoient requises
pour l'exécution de l'eedict et de ce qui a esté arresté
à la conférance, et, trouvant ledict s' de Duras en
ladicte ville, l'auroict faict appeller ledict jour pour
se trouver delà la rivière, luy seul, et y seroict allé
l'attendre de bon matin; mais, aiant esté cela descou-
vert et entendu de ladicte dame Royne, non seulle-
ment ledict s"" de Duras ne seroict sorty, mais aussy
ledict s' de Turene auroict esté mandé de s'en retour-
ner en ladicte ville par Sa Majesté, laquelle n'auroict
cessé JQsques ad ce qu'elle les eust accordez et faict
embrasser par après. Le 1 6 de ce moys, le s"" de Rau-
san estant arrivé à Agen, ledict s"" de Duras seroict
venu trouver ledict s'' de Turene en son logis, luy
parlant tout hauit, le priant bien fort d'estre moien
que le chasteau de Mucidan, qui auroict esté naguères
surpris, fust rendu à Madame de Granmont, sa belle-
mère, à qui il apartient; mais, après ce propos, il
tira ledict s*^ de Turene près de la fenestre de sa
chambre, luy disant que son frère estoict venu et
qu'il estoict prest de le mener par la main pour vui-
der le différent, ainsy qu'il l'auroict promis au s"" de
272 APPENDICE.
Lavardin : de quoy ledict s"" de Turene démonstra
estre fort aise, le louant et luy faisant entendre qu'il
le tenoict pour gentilhomme d'honneur et de valleur
d'en user de ceste façon; sur l'heure, acordèrent d'un
lieu hors la ville, sur le gravier, et, aflfin que leur
entreprinse fust mieulx couverte, fut arresté entre
eulx que ledict s"" de Turenne sortiroict avecq le baron
de Salignac par la porte du Pin ^ et le dict s"^ de
Rausan, secondé de sondict frère par la porte du
gravier. Le lendemain matin, ledict s"" de Turene,
secondé dudict s*" baron de Salinac, se trouva à la
porte du Pin, avant qu'elle fut ouverte, de peur
de n'estre d'assés bonne heure à l'assignation,
et, à l'ouverture, ilz sortirent et attendirent les-
dicts deux frères environ une heure et demie sur la
place, tellement que, s'ennuyans, mandèrent ung
page pour les haster, lequel les rencontra montés
sur chevaux d'Espaigne et galopans pour se rendre
audict lieu; où, estans arrivez, ilz eurent ensemble
quelque propos, et enfin, ledict s"" de Turene décla-
rant qu'il ne pouvoict estre satisfaict, si ledict s"^ de
Rausan ne confessoict qu'il n'avoict sceu que ledict
s' de Turenne feust général, lorsque les portes de
ladicte ville luy furent fermées, ou qu'il ne sçavoict
pas qu'il y debvoict venir, feut entre eulx prompte-
ment arresté de venir aux mains; et, par ce que ledict
s' de Turene advisa une troupe qui venoict après
ledict s"^ de Duras, fut d'avis de galopper encores
jusques à quatre ou cinq cens pas davantage, pour
1. La porte du Pin existait encore il y a quelques années;
elle était située à Test d'Agen.
APPENDICE. 273
s'en reculer, ce qu'ilz tirent; et, ayans mis pied à
terre, comença ledict s"" de Turenne à charger si vive-
ment ledict s"^ de Rausan, qu'il le feict reculer environ
quatre-vingtz ou cent pas, jusques à tourner le dos,
ayant ung coup à la souris du bras, encores que
ledict s"^ de Duras luy criât de tenir bon; et, enfin,
fut jecté par terre, sans que ledict s"^ de Turenne le vou-
lut charger lors; ce que voyans, dix ou douze cappi-
taine et soldatz, qui avoient suivy ledict s"^ de Duras,
meirent tous à l'instant l'espée à la main, pour char-
ger ledict s'^ de Turenne, auquel ilz donnèrent jusques
à quinze ou seize coups sur la teste, au visaige, à l'es-
paule et aux reims, et presque tousjours par derrière,
tellement qu'ilz l'abbatirent, luy ruant tousjours des
coups qui portoict avecq la dacgue. D'autre costé, le
baron de Salignac chargea ledict s'" de Duras, auquel
ayant donné ung coup d'espée en la main, qui luy
persa le bras, et, incontinent luy ayant saisy sadicte
espée, luy donna une estocade soubz le bras, qui ne le
blessa, et ung autre coup fort grand à la cuisse, et
luy rompt son espée; et lors, ledict s*" de Duras, se
voiant sans espée, le pria de le traicter en homme qui
n'avoict poinct d'armes : à quoy le baron de Salignac
respondict qu'il n'avoict jamais acoustumé de frapper
gentilhomme qui n'eust de quoy se deffendre, le pres-
sant de prendre une espée de ses gens qu'il voioict
là près, ou qu'il le tueroict; ce que ledict s"" de Duras
ne voulut faire, parce qu'il ne cognoissoict, comme il
est à présumer, la bonté de l'espée de ses gens. Lors
ledict s"^ de Duras cria à son frère, qu'il voyoict reculer,
de tenyr bon et de ne faire le poltron : mais ledict
baron de Salignac le menaça de tuer, s'il ne se taisoict.
18
'274 APPENDICE.
Aussitost, ledict s*" baron veid ledict s"^ de Turenne
abatu par terre et environ dix ou douze espées à l'en-
tour de luy qui le chargeoient; ce qui le fit partir, pour
l'aller secourir contre ceulx qui le traictoient si mal,
lesquelz, estimans qu'il fut mort, le laissèrent; et
ledict s*" de Duras, voiant ledict baron empesché après
ceulx qui chargeoient ledict s*" de Turenne, print une
espée et s'aproche dudict s' de Turenne, estant encores
par terre, luy rua ung coup. On tient que ledict s"^ de
Rausan avoict une maille soubz son pourpoinct, pour
ce que, de deux ou trois grandes estocades que ledict
s"" de Turenne luy donna, il n'y eust une seulle qui
peut passer, comme il semble aussy qu'il soict à juger
par la poincte de l'espée dudict s' de Turenne, lequel
fut alors remené à la ville par le s"^ de Lusignen, qui
s'y trouva sur la fin.
La Royne, mère du Roy, monstre en avoir grand
desplaisir et mescontentement, pour la conséquence
de telz faictz sur le commencement d'ung establisse-
ment de paix et après ung accord que avoict esté par
elle faict entre ledict s"^ de Turenne et de Duras. Une
chose contente beaucoup de gens que ledict s*" de Tu-
renne est hors de danger; de quoy il a semblé estre
besoing de faire ce brief et véritable discours, affin
que personne ne se serve de ce faict à quelque impos-
tures et faulx bruictz et calomnies, et que, pour ce
regard, le bien de la paix, auquel ledict s' de Turene
a tant travaillé, ne soict retardé ou empesché, laquelle
tous les gens de bien doibvent maintenir ung chacun
en unyon et bonne concorde.
Faict à Nérac, ce 18^ mars 1579.
APPENDICE. 275
CLERVANT^ AU VICOMTE DE TURENNE.
Sommières, 26 mars [1579^].
Monsieur, ceste n'est à aultre fin que vous dire
combien les gens de bien sont en paine de sçavoir de
vostre portement, par avoir veu lettres de la Royne,
mère du Roy, mandant qu'elle feroit faire justice
exemplaire de ce qui estoit advenu entre le sieur de
Duras et vous, à quoy on a adjousté qu'estiés blessé
en troys lieux ; aussy, pour vous assurer que, n'estoit le
commandement et haste que j'ay pour le voyage où je
suys, je retorneroys très volluntier pour vous faire ser-
vice en tout ce que j'auroys de moyen et vous offrir
moy-mesme ce que fera la présente : c'est que je vous
supplie de disposer de moy et de mes amys en tout
ce qu'il vous plaira, pour vous accompagner à prendre
la raison de ce fait et aultre qui vous pourra jamays
importer, autant gaimant^ et volluntier qu'amy et ser-
viteur que puissyés choisir : deux cent lieux de chemin,
ne troys, que j'ay à faire, ne peuvent tant me retenir
qu'il fault de temps à vous guérir. Faittes-moy cest
honneur de croire que, si m'enployés et commendés
de vous venir trouver, que, laissant mes affaires par-
ticullières en la main de Dieu, je ne vous abandonneré,
que celles où vous vous vouldrés servir de moy ne
soyent faictes ; je le dis an pattoy et rondeur, que j'ay
appris des gens de bien de nostre pays, qui ne sçavent
1. Jean de Vienne, sgr de Clervant.
2. Orig. Arch. nat., R^53. Suscription : « A Monsieur, Mon-
sieur le viconte de Turene. »
3. Gaimant pour gaiement.
276 APPENDICE.
myeulx. Pour fin, je vous baise humblement les mains,
suppliant l'Éternel,
Monsieur, vous renvoyer vostre santé, et donner
bonne et longue vie. De Sommières, ce xxvi® mars.
Vostre humble, obéissant et tout à vostre service,
qui désire vous en faire preuve,
Glervant.
advis sur la querelle de monsieur de turenne.
23 mai 1579<.
Monseigneur le duc de Montmorancy, pair et pre-
mier mareschal de France, gouverneur et lieutenant
général pour le Roy en Languedoc, ayant veu, en pré-
sence des s"^^ de Rieux, de Lombez, de Vetizon, de
Saint-Maximin, commandeur de Grillon et autres
seigneurs et gentilzhommes, le discours à luy envoyé
par Mons"^ le viconte de Turenne de la querelle et
conbat advenu à Agen entre luy et les s^^ de Duras
et de Rozan, a considéré bien particulièrement ce qui
y est représenté, et y ayant remarqué en premier
lieu le tort qui a esté fait audict s' viconte par le
s"^ de Rozan, ou ceulx qui estoient commis par luy à la
garde de Gasteljaloux, pour y avoir reffuzé l'entrée
audict s"^ viconte, lequel l'y avoit introduict et chargé
d'icelle place par le commandement qu'il avoit lors en
Guyenne, d'ailleurs et voyant en icelluy discours
l'avantage avec lequel ledict s"^ visconte avoit trouvé
ledict s'^de Rozan près de Guillon^, pour luy en deman-
der raison, et la promesse par luy faite de se treuver
1. Bibl. nat., f. fr. 20153, fol. 183.
2. Ou plutôt « d'Esguillon. »
APPENDICE. 277
au lieu où il seroit appelle par un gentilhomme; et,
depuis, les propoz tenuz par le s"" de Duras au s"" de
Laverdin, l'offre par luy faite de se treuver seul avec
ledict de Rozan sur le grevier d'Agen^, chacun sur un
1. On vient de lire les divers récits de l'affaire du 18 mars
1579; mais il n'est rien dit de la suite, qui se trouve relatée
tout au long dans un manuscrit provenant des Jacobins-Saint-
Honoré et portant aujourd'hui le n" 25176 du f. fr. de la
Bibliothèque nationale, sous ce titre : Histoire de Henry de la
Tour d^ Auvergne, premier duc de Bouillon.
« Dès que le vicomte se vit hors de danger et qu'il se sentit
en état d'agir, il fit deux choses : il écrivit à la reine mère pour
la prier de faire cesser les poursuites qu'on avoit commencées
contre les deux Duras, et il écrivit encore à Damville (devenu
récemment duc de Montmorency) pour le consulter sur la
manière dont les lois de l'honneur lui permettoient d'en user
à l'avenir avec les deux Duras. Il traite d'assassinat ce qui se
passa entre lui et eux, il soutient qu'ils étoient maillés, comme
on pai'loit en ce temps-là, et n'oublie pas les gens apostés dont
on a paillé. Lorsque Damville eut reçu cette lettre, il ne voulut
pas décider seul d'un point qui lui paroissoit d'une si grande
conséquence; il assemble à Agde la noblesse de Languedoc, et,
après lavoir consultée, il répondit au vicomte, conformément
au sentiment de cette noblesse, que, puisqu'il avoit été traité si
indignement par les deux frères et conti'e toutes les loix de
l'honneur, il n'étoit plus obligé d'en venir au duel et d'exposer
sa vie contre eux, mais qu'il pouvoit s'en vanger, par quelque
autre voie qu'il jugeroit à propos, puisqu'il estoit en droit de
ne les plus regarder comme des gentilshommes, mais comme
des traîtres et des assassins. »
« On ne dira rien de cette décision par raport aux règles
de la religion, selon lesquelles on ne peut l'approuver; mais
par raport aux loix de l'honneur et du monde, il y a bien des
gens qui ne voudroient pas la suivre et qui se croiroient
déshonorés s'ils avoient vengé une trahison par un assas-
sinat. Aussi, le vicomte, qui se piquoit de la plus haute
générosité, ne se régla pas sur ce conseil. Non seulement il
écrivit à la reine mère pour arrêter les poursuites qu'on faisoil
278 APPENDICE.
courtault, contrevenant à laquelle ilz seroyent venuz
sur deux chevaulx d'Espagne; les courtoisies faites
par icelluy viconte de Turenne audict s"^ de Rozan,
tant pour ne l'avoir voulu faire visiter que pour luy
avoir fait oster ses espérons et relever après estre
tombé; celle faite par le s"" baron de Sallignac au
s"" de Duras, pour luy avoir fait reprendre une espée,
la sienne estant rompue ; au contraire desquelles ledict
s'^ viconte prétend, par les estocades qu'il a tirées
audict s' de Rozan, l'avoir treuvé armé et estre chargé
avec ledict s"" de Duras, avec lequel il n'avoit querelle,
et par six ou sept qui se trouvèrent prez ledict s"^ de
Rozan, lorsqu'il recula et fuya, demeurant assasiné
devant et derrière, contre la foy et promesse donnée
entre eulx, avec supercherye et advantage, ainsy que
plus particulièrement est contenu par icelluy discours,
soustenu véritable par icelluy s*^ viconte : mondict sei-
gneur de Montmorancy, assisté des seigneurs que des-
sus, est d'advis que ledict s"^ viconte a esté si indi-
gnement traitté, qu'il ne doit demander ny faire appeller
lesdicts de Duras ny de Rozan, pour les combattre
par la voye accoustumée et licite, mais, se resentant
des actes, assazinatz et manquementz cy-dessus, se
doibt délibérer d'en avoir raison avec tel advantage,
recherchant à cest effect tout ce qu'il pensera luy pou-
contre les Duras, il ne laissa point de l'en solliciter qu'il ne
l'eût obtenu. Une conduite si généreuse le réconcilia appa-
remment avec les deux frères; car, dans toute la suite de sa
vie, on n'entend plus parler de ce différend. » — Ce manuscrit
est simplement la reproduction, ou peut-être la minute, de V His-
toire de Henry de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, par
M. Marsollier, 3 vol. in-12. Paris, 1719, t. I, p. 279 à 780.
Voir aussi, sur ce fameux duel, Brantôme, t. VI, p. 324 et 509.
APPENDICE. 279
voir servir pour s'en vanger, estant le tort à luy fait
tel et si grand, qu'on ne pourra trouver mauvais avec
raison les voyes desquelles il usera à l'encontre des
personnes qui se sont monstrées indignes d'estre
appel lées avec les armes. Et pour faire foy de cest
adviz, icelluy seigneur duc de Montmorancy l'a signé
et pryé lesdicts s""^ y assistans de le signer avec luy.
En Agde, le xxiif may mil V° soixante-dix-neuf.
LE ROI HENRI lU AU VICOMTE DE TURENNE.
[13 juin 1579'.]
Mon cousin, je vous ay cy-devant escript que j'estois
très content du bon et grand debvoir que la Royne,
Madame et mère, m'a tesmoigné que vous avez faict,
en tout ce qui s'est offert par delà pour mon service,
cependant qu'elle y a esté, et mesmement pour faire
exécuter ce qui a esté accordé en la conférence tenue
à Nérac. Et par ce que j'ay esté adverty qu'il s'est
despuis commis et commect encores journellement,
d'une part et d'autre, plusieurs insolences et contra-
ventions, j'ay bien voulu vous faire la présente, pour
vous advertir que j'en recoiptz ung extrême regret et
desplaisir; que mon intention est qu'il en soict faict
justice exemplaire, comme je l'escris tous les jours à
mon cousin le mareschal de Biron, et que mes servi-
teurs ne sçauroit faire chose qui me soit plus agréable
que d'entreprendre le chastiment de telles désobéis-
1. Cop. Bibl. nat., f. fr. 3319, fol. 177 v°. Suscription : « A
Monsieur le visconte de Thurenne. »
280 APPENDICE.
sances, qui sont cause de nourrir le trouble et la def-
fience entre mes subgectz et retarder l'effect de mes
intentions à l'advancement de la transquilité publicque
de mon royaulme : vous priant, mon cousin, d'y voul-
loir, de vostre costé, employer les moyens que Dieu
vous a donnez, selon la fiance que j'ay en vous, et
vous asseurer que je recongnoistray à jamais le service
que vous me ferez, etc.
LE VICOMTE DE TURENNE A MONSIEUR D USSÂG ^
Monsieur, ayant sceu que vous estiés de delà, je
n'ai voulu faillir de vous faire la présente, pour vous
dire combien j'en ay esté bien aise et vous prier me
faire tant de bien que de vous en vouloir venir, pour
l'occasion que je mande à Messieurs de Florac et de
Beaupré, laquelle finye, nous nous en retournerons
de delà incontinent, pour y faire tout ce qui sera de
besoin. Je me recommande bien humblement à vostre
bonne grâce, priant Dieu vous donner.
Monsieur, heureuse et longue vye. A Damasan-, ce
XX* juin.
Vostre humble amy à vous obéir.
TURENNE.
1. Autogr. Coll. Baguenault de Puchesse. Suscription :
« A Monsieur, Monsieur de Dussac. » (Sans date.) Nous don-
nons ce billet de peu d'importance, pour indiquer la relation
que Turenne entretenait avec ce vieux gouverneur de la Réole,
dont il est plusieurs fois question dans les Mémoires et [^. 262)
dans le récit du duel, ainsi que plus loin, p. 282 et suiv.
2. Damazan (Lot-et-Garonne), arr. de Nérac.
APPENDICE. 281
LE ROI HENRI lU AU VICOMTE DE TURENNE.
[24 juin 1579'.]
Mon cousin, je m'asseure tant du zelle et affection
que vous portez au bien de mon service et à la trans-
quilité publicque de mon royaulme, que je suis certain
que vous seriez bien marry qu'il s'entreprist rien
pour vostre particullier, qui peust apporter retarde-
ment à l'establissement de la paix et troubler mes
affaires. C'est pourquoy, ayant esté adverty des
assemblées qui se commancent à faire, soubz pré-
texte du différent que vous avez avecques le s"" de
Duras, desquelles il ne peult advenir que beaucoup de
préjudice et recullement à mondict service, mesme-
ment sur l'exécution de mon eedict de pacifification,
je me suis advisé vous faire la présente, par laquelle
je vous prie, mon cousin, sur tant que vous désirés
faire chose qui me soit agréable, ne permettre que
telles assemblées se facent; et, d'aultant que j'ay desli-
béré prandre moy-mesmes la congnoissance de vostre
différent, auquel toutesfois je ne désire toucher, que
la Royne, Madame et mère, ne soit de retour, afïin de
m'y conduire par son advis, estre content, pour l'amour
de moy, prolonger jusques à' ce temps-là la promesse
que vous avez faicte à la Royne, madicte Dame et
mère, de ne vous poursuivre et demander rien un à
l'aultre; et je vous feray lors congnoistre par effect
que je ne suis moings jaloux et soigneux de la conser-
1. Cop. Bibl. nat., f. fr. 3319, fol. 176 r°.
282 APPENDICE.
vation de vostre honneur et réputation que vous-
mesmes. Et encores que ce soit chose que je vous
prie de faire pour mon contentement, toutesfois,
d'aultant qu'il y va de mon service, j'useray de la puis-
sance que Dieu m'a donnée sur vous, en vous com-
mandant très expressément de faire cesser lesdictes
assemblées et de ne rien demander audict s' de Duras,
jusques à ce que j'en aye aultrement ordonné, et vous
ferez chose qui me sera très agréable, etc.
DEFFENSE AUX SIEURS VICONTE DE TURENNE ET DE DURAS
DE SE FAIRE AGOMPAIGNER POUR LEUR QUERELLE^.
De par le Roy.
Estant Sa Majesté advertye qu'en son pays et duché
de Guyenne et es environs, soubz coulleur et prétexte
du différent et querelle d'entre les s""^ viconte de
Thurenne et de Duras, plusieurs gentilzhommes et autres
sont montez à cheval avec armes, dont ne peult pro-
venir aucun bien, et affin que de cela n'advienne
quelque grand désordre, avec trouble et altération au
repoz de ses subjectz et establissement de la paix, que
Sa Majesté veult conserver sur toutes choses et pour
laquelle la Royne sa mère a freischement prins tant de
peine, Sadicte Majesté faict par ces présentes très exprès
commandement ausdictz gentilzhommes et aultres de
se séparer et au plus tost retourner chacun en leurs
maisons, sur peine d'encourir son indignation et d'estre
désobéissans à ses intentions et commandemens : leur
1. Bibl. nat., f. fr. 3319, fol. 163.
APPENDICE. 283
sont aussi faict deffenses très expresses, sur les peines
susdictes, que, soubz iedict prétexte de querelle d'entre
lesdicts s""^ viconte de Turenne et de Duras, ny autre
quelconque couUeur que ce puisse estre, ilz n'ayent à
eulx assembler ny accompagner les ungs et les autres
des parties, ains se contiennent, comme doibvent faire,
bons et loiaux subjectz, désireux du service de leur
prince et repoz de leur patrie, sans estre cause direc-
tement ou indirectement qu'il y advienne quelque alté-
ration ou changement; voulant Sadicte Majesté que
ceste sienne intention et ordonnance soit leue et
publiée par tous les lieux et endroictz qu'il appartien-
dra, à ce que aucun n'en prétende cause d'ignorance.
Donné à Paris, le xxiii*^ jour de juing 1579.
NOMINATION DU VICOMTE DE TURENNE COMME
GOUVERNEUR DE LA RÉOLE.
Commission du Roy de Navarre.
14 janvier [1580'].
Henry, par la grâce de Dieu roy de Navarre, sei-
gneur souverain de Beart, gouverneur et lieutenant
général pour le Roy, Monseigneur, en ses pais et
duché de Guienne, à nostre très cher et très amé cou-
sin le viconte de Turenne, salut. Estant très requis
et nécessaire de commectre personnage d'auctorité et
duquel la tidellité et bonne affection au service du Roy,
mon seigneur et vostre, nous soit congnue, pour com-
mander en la ville et chasteau de la RéoUe, s'estant
1. Cop. Bibl. nat., f. fr. 15562, fol. 30.
284 APPENDICE.
le s'" de Dussac voluntairement [démis] de cesle charge,
nous avons advisé que nous ne sauryons faire choix
ne ellection de personnage qui plus dignement et avec
plus de contantement d'un chascun s'en puisse acqui-
ter que vous. A ses causes et à plain confians de vostre
grande fidellité, bonne conduicte et expériance au faict
des armes, vous avons commis et depputé, commec-
tons et depputons, par ces présentes, cappitaine et gou-
verneur d'icelle ville et chasteau de la RéoUe, pour la
garder et conserver sous l'obéissance du Roy et y
faire observer ses édictz, avec pouvoir de résister à
tous ceux qui y voudront atenter aucune chose au
préjudice d'iceux; et, pour ce faire, la munyr de gens
de guerres, vivres et autres munitions que vous juge-
rez sagement y deffaillir. Si prions, et néanmoings en
vertu de nostre pouvoyr, enjoignons très expressé-
ment aux manans et habitans de ladicte ville, qu'ilz
ayent à vous obéir et respecter en tout ce que leurs
commanderez, et pour cest efFect, et en vostre absance,
à celuy que vous y commecterez et députerez, lequel
nous voulions et entandons vous représenter, avec tel
pouvoir et octorité que si vous y estiez en personne,
faisant chastier et punir exemplairement ceux que
vous trouvères sédicyeux et rebelles, afin que les
aultres y prennent example, et générallement faire
en ceste charge tout ce que ung bon et sage capitaine
doit et est tenu faire en une place, de sorte qu'il n'en
puisse advenyr aucune faulte ny inconvénient : de ce
faire, vous avons donné et donnons plain pouvoir,
puissance et octorité, commission et mandement spé-
cial; mandons et commandons à tous justiciers et offi-
ciers de la ville qu'à vous ilz obéissent et entendent
APPENDICE. 285
diligemment. Donné à Mazères\ le xiv® jour de jan-
vier 1580.
Henry.
Par le roy de Navarre, gouverneur et lieutenent
général,
Berziau.
Commission de Monsieur de Turenne .
15 janvier [15802].
Henry de la Tour, viconte de Turenne, conte de
Montfort, baron de Montgascon, Oliergues, Bouzoles^,
Croc, Fahy et Servissac^, cappitaine de cinquante
hommes d'armes des ordonnances du Roy, au s' de
Beauchamp^, salut. Comme il a pieu au roy de Navarre,
gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en
Guyenne, nous commectre et donner la charge de
cappitaine et gouverneur de la ville et chasteau de la
Réolle, remise entre ses mains par la dimision volun-
taire que luy en a foicte le s"" de Dussac, dernier gou-
verneur et cappitaine de ladicte place, et que, pour les
grandz affaires où sommes occuppez maintenant prez
de la personne dudict s"^ Roy, il ne nous soit possible
d'y résider, ledict s"" roy nous a promis et accordé de
comectre en nostre place ung gentilhomme duquel la
1. Mazères, un des fiefs du roi de Navarre dans le pays de
Foix (Ariège), cant. de Saverdun, arr. de Pamiers.
2. Cop. Bibl. nat., f. fr. 15562, fol. 32.
3. Le château de Bouzolz était situé cant. de Coubou (Haute-
Loire).
4. Voir une énumération un peu différente des fiefs de
Turenne plus haut, p. 4, n. 2.
5. Thomas Vasselin, écuyer, sgr de Beauchamp.
286 APPENDICE.
fidélité et bonne affection au service du Roy, et si en
nous, soit congnue ; savoir faisons que nous, à plain
confians de vostre fidélité, prudhomye, conduicte,
expérience au faict des armes et bonne diligance, à
ces causes, vous avons comis et député, comectons et
députons par ces présentes, pour, en nostre absance,
tant qu'il nous plaira et que nostre pouvoir s'estan-
dra, commander en ladicte ville et chasteau de la
Réolle, la garder et conserver sous l'obéissance du Roy
et autorité du roy de Navarre, y jouissant des mesmes
honneurs, privilèges, prérogatives, droictz, proufictz,
gaiges et esmoluemans qu'avoyent acoustumé de jouyr
et user les aultres cappitaines et gouverneurs, voz
antécesseurs, et vous opposant à tous ceux qui vien-
dront atanter au contraire. Mandons au cappitaine
ordonné pour la garnison de ladicte ville, consulz et
habitans d'icelle, et tous autres qu'il appartiendra, de
vous y obéir et porter tout respec et ayde, confort et
faveur, comme ilz feroient à nous-mesmes, si nous y
estions en personne; de ce faire vous avons donné
pouvoir, commission et mandement spécial. Donné à
Mazers, le quinziesme jour de janvier.
Par mondict seigneur, Turenne.
Gerton.
CATHERINE DE BOURBON AU VICOMTE DE TURENNE
[Sans date 2.]
Mon cousin, avec plus de sûreté pou vés- vous lire
1. Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV.
2. Cop. Arch. nat., R^ 53. Suscription : « A mon cousin,
Monsieur le viconte de ïurene. »
APPENDICE. 287
mes lettres que je n'ay fait les vostres ; car vous estes
tous pestiférés et nous sommes tous fort sains : croyés
que voslre lettre fut bien purifié par le feu, devant
que j'osasse la toucher. Je ne sçay qui vous a donné
l'alarme si chaude que le chevreuil saute trop avant ;
car il n'y a pas d'aparance : nous avons fort souvent
des nouvelles qui nous témoignent le contraire, et n'y
avoit qu'un jour que nous en avions sceus, lorsque
mon homme m'aportat vostre lettre. Je vous prie,
lorsque vos soupçons vous feront penser quelque
chose comme ce que vous m'écrives du chevreuil,
mandé-le à vostre amis en chifre; car il y a icy des
personnes de qui les soubçons brouilloint si bien les
fantaisies, que le moindre mot que vous en mandiés,
au lieu de vous servir à ce que vous vous sériés pro-
posés, n'y feroit que nuire; prenés-y garde et ne
montrés plus, par [vos'] lettres, que vous croies ce que
vous me mandés, mais plustost le contraire, car cela
servira plus. Je crois que vous m'entendes bien.
Montrés, lorsque vous écrives à cette personne-là, que
vous estiés trompé en cette opinion, mais que cela
venoit de la crainte que vous aviés que cela fut. Je ne
vous dis tout cecy sans raison ; je suis bien aise de ce
que vous me promettes d'estre amis de Madame de
la Barre, luy fesant de bons offices, lorsqu'elle en aura
besoin; je les tiendray comme à moy-mesme. Quanta
Mons"" de Panjas^, vous m'avés fait un signalé plaisir de
vous en souvenir, devant que je vous en usse écris.
1. Le ras. porte : mes.
2. Ogier de Pardaillan, sgr de Panjas, gouverneur de
l'Agenais.
288 APPENDICE.
C'est nouveauté; car vous avés quelquefois la mémoire
un peu courte pour vos amis. A Dieu, je suis
Vostre plus affectionnée cousine et assurée amie,
Catherine de N avare.
LE VICOMTE DE TURENNE A MONSIEUR DE BELLIÈVRE.
[21 janvier 1581 ^]
Monsieur, par ce gentilhomme qui est à Monsieur
et qui le va trouver, pour luy continuer son service,
je vous ay bien voulu faire ce mot, pour vous donner
tesmoignage de l'entière affection que j'ay de vous
faire service et du désir que j'ay que vous faciez i'es-
preuve de moy, combien il y a peu de gentilzhommes
en France sur qui vous ayez plus de puissance que
vous en avez acquis sur moy, par tant d'obligations
que je vous ay, pour l'amitié et bonne affection qu'il
vous plaist de me porler. Et, pour cela, vous en par-
leray-je plus libremant sur ce qui me semble, Mon-
sieur, que 1 on deust se haster d'envoyer les exécu-
teurs de l'édit, d'aultant que j'ay veu en ce pais qu'en
bien peu des villes catholiques la paix n'a point esté
encores publiée, qui est mauvais commancemant pour
l'observer et exécuter; tellemant qu'il y aura, j'ay
peur, de la contrariété pour les deux mois de la red-
dition des villes, s'il fault qu'on se désaisisse, quant les
aultres n'auront quasi rien commancé; tellemant. Mon-
sieur, qu'il seroit meilleur de procéder à tout d'un
1. Autogr. Bibl. nat., f. fr. 15906, fol. 53. Suscription :
« A Monsieur, Monsieur de Belièvre, conseiller au conseil privé
du Roy et superintendant des finances de France. »
APPENDICE. 289
beau train, pour donner courage à tout le monde de
vivre selon la volunté de Sa Majesté. Je m'asseure que
votre sagesse y pourvoira, s'il luy plaist, en continuant
la bonne réputation que vous avez acquise des un
des principaux de qui nous tenons un tel bienfaict
qu'est la paix. Je vous supliray pour la fin. Monsieur,
me commander quelque chose pour vostre service, et
je vous y obéiray de telle affection que je vous baise
bien humblemant les mains ; priant Dieu,
Monsieur, vous tenir en sa sainte garde.
A Turenne, ce 2r janvier.
Vostre bien humble et affectionné à vous faire
service,
Turenne.
LE VICOMTE DE TURENNE A MONSIEUR DE BELLIEVRE.
28 mars 1581 ^.
Monsieur, vous verrez, s'il vous plaist prendre la
peyne, la responce que m'ont faicte ceux de ce pais à
ce que je leur ay proposé, suivant la charge que j'en
avois de Monseigneur et du roy de Navarre, et sembla-
blemant ce que je leur ay respondu. Hz ne tendent en
somme qu'à faire leurs remonstrance à mondict sei-
gneur et obtenir de luy quelque chose davantage pour
leur seureté et conservation : à quoy Son Altesse aura
égard, s'il luy plaist. De moy, je fus tout prest de
m'en retourner rendre conte de ma charge; mais,
craignant d'empirer les choses davantage et les déses-
pérer, j'ay mieux aymé envoyer en diligence ce por-
1. Autogr. Bibl. nat., f. fr. 15906, fol. 275.
19
290 APPENDICE.
leur devers Son Altesse, pour recevoir ses comman-
demans et les advis de vous aultres messieurs, et
ppincipallemant de vous, Monsieur, vous supliant me
mander comme je m'y doy gouverner; car, de fidélité
et d'afifection, je vous jure devant Dieu que je n'en
manqueray en chose du monde, et aymerois mieux
perdre la vye, que je n'y marchasse avec toute la sin-
cérité qu'un homme de bien y peult et doibt apporter.
Je vous suplie me le renvoyer, le plus tost qu'il vous
sera possible ; car j'attendray son retour avec beaucoup
de peyne. J'ay esté icy avec Monsieur de Montmorancy,
à qui j'ay communiqué de mesmes tout ce que des-
sus, et eussions desjà beaucoup advancé. Quant à la
despesche que vous m'avez envoyée pour le Dauphyné,
je ne sçay bonnemant comme je m'y doys gouver-
ner, d'aultant que je l'ay receue sans aulcunes lettres
adressantes à Monsieur de Mayne, et ne sçay si je luy
dois envoyer ladicte commission, ou si on luy en a
faict tenir aultant par aultre voye, joint qu'il ne ser-
viroit rien d'y aller, que nous n'eussions faict icy,
d'où les aultres prendront l'exemple et le chemin
pour se gouverner. Je vous remercye au reste bien
humblemant de la peyne qu'il vous a pieu prendre de
m'envoyer la rescription de mille esculz ; mais je n'en
ay rien peu toucher du tout, tellemant que, s'il ne vous
plaist m'en donner une aultre, mieux assignée et pour
plus grande somme que cela, je suis contraint de
demeurer, d'aultant que tout l'argent que j'avois
apporté de chez moy s'en est allé, et si n'ay en rien
agrandy ma despence ordinaire, ainsi que ce porteur
vous pourra faire entendre. Je vous suplie donc, Mon-
sieur, y vouloir adviser et me faire ce bien de me
APPENDICE. 291
tenir tousjours en la bonne amitié et affection qu'il
vous plaist me porter, et je vous serviray de réci-
proque amitié, accompagnée de véritables effectz, en
tout ce qu'il vous plaira de m'empioyer, d'aussi bon
ceur que je vous baise bien humblemant les mains.
Priant Dieu,
Monsieur, vous tenir en sa sainte et digne garde.
A Montpellier, ce xviii® mars 1581 .
Vostre humble et affectionné amy pour vous faire
^®'^^*^®' TURENNE.
Monsieur, j'avois oublié de vous dire comme
Mons"^ de Montmorancy et moy, pour ne frustrer le
hault Languedoc du bénéfice de la paix, puisqu'il la
veuU. recevoir, nous avons député, chacun de sa part,
des gentilzhommes pour l'exécuter, et mandons à Mon-
sieur chacun trois villes pour la séance de la Chambre,
affin qu'il plaise à Son Altesse nous faire entendre sa
volonté. Aussi, Monsieur, j'ay une requeste à vous
faire pour un de mes amiz, c'est qu'estant mort un
conseiller de ladicte Chambre de la Religion, je suplie
Monsieur vouloir accorder que M^ Honoré Lerson,
conseiller au présidial de Puylaurens, homme de bien,
pacifique et capable, y puisse estre reçeu, et pour ce
faire, en escrire au Roy. S'il vous plaist. Monsieur,
accompagner ses lettres d'une des vostres, vous
m'obligerez tousjours à vous faire bien humble service.
Sur une petite feuille séparée : Monsieur, je vous
supliray de faire payer à ce porteur son voyage, d'aul-
tant qu'il est fort raisonnable, et puis. Monsieur, que
je ne puis fournir à tout.
Vostre humble serviteur, Turenne.
•292 APPENDICE.
LE VICOMTE DE TURENNE A MESSIEURS DE GENEVE.
30 avril 1581 <.
Très honorez Seigneurs, y ayant longtemps que,
pour la malice du temps et le peu de moyen que je
ay eu, je ne vous ay visitez d'aulcunes de mes letres,
ny adverty de Testât de noz affaires de deçà, j'ay bien
voulu en recercher l'occasion par le voyage que j'ay
prié Mons"" de Loque de faire en voz cartiers, pour
vous advertir par luy de toutes occurrences et parti-
cularitez qui se sont passées et qui sont encores à pré-
sent sur Testât des affaires des Églyses, dont j'aurois à
vous faire un grand discours, si la suffisance dudict s"^ de
Loque ne me jetteroit de ceste peyne. Lequel je vous
supliray de croire en tout ce qu'il vous fera entendre, et
me faire cest honneur que de vous asseurer qu'il n'y a
gentilhomme en France de l'amitié et service duquel
vous puissiez faire plus d'estat; estans acertenez que je
n'espargneray ny moyens ne vye, quant l'occasion s'en
offrira, que je ne vous face paroistre que les eflfectz en
seront aussi certains comme les promesses en sont
véritables, comme plus amplement led. s"^ de Loque
le vous fera entendre, sur lequel me reposant, après
avoir salué voz bonnes grâces de mes très humbles
recommandations, je priray Dieu, très honorez Sei-
gneurs, vous avoir en sa très saincte garde et pro-
tection.
A Montpellier, ce dernier avril 1581.
Vostre afectionné serviteur, Turexne
1. Autogr. Arch. de Genève. Pièces historiques, n" 2039. —
Suscription : « A très honorez Seigneurs Messieurs les Syn-
APPENDICE. 293
LE VICOMTE DE TURENNE A MONSIEUR DE BOURNAZEL
30 mai [1581 2.]
Monsieur, envoyant ce lacquay vers Mons"^ de Clias-
tillon, pour apprendre de ses nouvelles, je n'ay voulu
obmettre de vous fère ce mot, pour asseurance du sou-
venir que je garde de vous et tesmognage de mon
affection, et aussy pour vous convyer à me mander
de voz nouvelles par le retour de ce pourteur, que
j'auray très-agréable, se trouvant conformes à mon
désir, qui n'est tourné que à vostre bien et prospé-
rité de voz affaires. J'estime que si ledict sieur
de Chastillon vous donne quelque temps . avec ses
trouppes, que vous pourrez entyèrement remectre
ceste province en l'obéissance du Roy ; ce que je désire
infiniment, tant pour mon affection extrême au ser-
vice de Sa Majesté que pour vostre contantement par-
ticulier et repos de ladicte province ; et sur ce, attan-
dant ce bien d'avoir de voz nouvelles, je demeurerai
pour jamays,
Monsieur,
Vostre humble ami à vous fère service,
A Gaumont, le xxx« may^. Turenne.
Suscription : « A Monsieur, Monsieur de Bournazel. »
diques de Genève. » — Lettre de Mons"" le viconte de Turenne,
aporté par Mons"" de Loques, ce 13* may 1581.
1. Autogr. BibL nat., f. fr., Nouv. acq. 3532, foL 84.
2. Antoine du Buisson, baron de Bournazel, gentilhomme
ordinaire de la Chambre, fils de Jean du Buisson, sgr de Mira-
bel, et de Charlotte de Massip, dame de Bournazel en Rouergue ;
il était capitaine de cinquante hommes d'armes, chevalier de
l'ordre, sénéchal et gouverneur de Rouergue.
3. Cette lettre a dû être écrite après le traité de Fleix et
294 APPENDICE.
LE VICOMTE DE TURENNE A CATHERINE DE MEDICIS.
[Hesdin, 2 mai 1583^.]
Madame, si le pouvoir estoit cellon ma vollonté,
g'irois estre moi-mesrae cellui qui assureroit Sa Majesté,
combien j'é ressantu l'honneur qu'il lui a pieu de me
faire, et espère qu'elle connoitroit que mon plus grand
désir seroit de lui randre le très humble service que
je lui doibts naturellemant et par une très grande
obligassion; mes, puisque le soing qu'il lui a plu avoir
de moy, par les lettres que Sadicte Majesté a escrite
en ma faveur par mon cousin de Limeul, n'a réussy^,
il faut que j'atande ce pouvoir, pour aller satisfaire à
mon debvoir, la suppliant très humblemant de demeu-
rer certaine que les commandemants dont il lui plaira
m'onorer lors seroient suivis d'une fort prompte exé-
cussion. Priant Dieu,
Madame,
Donner à Sa Majesté très heureuse et longue vie.
A Hesdin, ce 2® may.
Vostre très humble subject et très fidelle serviteur,
TURENNE.
avant le départ de Turenne pour les Pays-Bas, à une époque
où, comme tous les Huguenots du Midi, il désirait sincèrement
la paix. Il pensait d'ailleurs, depuis quelque temps, à prendre
sa part de l'expédition des Flandres, témoin la lettre que
François de la Noue lui écrivait de Malines et qui est publiée
dans le Catalogue, etc., de la collection Morrison, t. III, p. 75.
1. Autogr. Arch. nat., R^54.
2. Une première tentative pour obtenir la mise en liberté de
Turenne échoua. Il ne sortit de captivité que l'année suivante.
(Voir la note de la p. 174.)
APPENDICE. 295
LE ROI HENRI III A MONSIEUR DE LANSAG*.
16 octobre 15842.
Mons' de Lanssac, j'ay entendu que, pour vouUoir
assister le s"^ de Duras en la querelle qu'il a de long
temps contre le s' viconte de Thurenne, vous vous
préparez pour faire assennibler des gentilhommes en
armes et autres gens de guerre, dont je ne puis, si cella
est, que je ne sois très mal content, pour ce que c'est
contrevenir directement à mes ordonnances et aux
defïences expresses que j'ay faictes sur telz pors
d'armes, le violement desquelles deffences aporte mes-
pris de mon auctorité. Et encores que je ne veille
croire ny penser que telz amas de gens de guerres
soient dressez contre mon service, si esse que, pour
la conséquence et licence que ceulx qui ayment le
trouble et la division pourroient prendre de faire le
semblable, je ne veulx plus aulcunement permectre ny
endurer telles assemblées et amas de gens de guerre,
soubz quelque coulleur que se soit, sy n'est avec mon
congé et permission ou commandement exprès, ou bien
de mon cousin le mareschal de Matignon, qui est par
delà pour mon service; occazion pourquoy je vous
faiz ceste lettre, vous commandant de vous déporter
de telles choses et faire retirer et séparer lesdictz gen-
tilzhommes et gens de guerre, sy les avez assemblez
ou faict tenir prestz pour vous accompaigner soubz
quelque coulleur que se puisse estre ; et, pour ce que
1. Guy de Saint-Gelais, sgr de Lanssac.
2. Bibl. nat., f. fr. 3306, fol. 33 v".
296 APPENDICE.
j'ay pareillement entendu qu'il y en a qui font des
praticques par forme d'associations du costé de delà, je
vous ay bien aussy vouUu exhorter, par la présente, de
n'y entendre en quelque façon que se soit, car telles
choses sont directement contre mon service, mais vous
contenir tousjours, ainsy que je m'asseure que ferez,
comme ung bon et fidèle subject, avec asseurance que,
oultre que c'est chose qui deppend de vostre honneur
et debvoir, vous me donnerez occazion de vous aimer
davantage et d'ung singulier contentement, ainsy que
j'escriptz à mondict cousin le s"" de Matignon vous
déclarer et faire entendre plus amplement de ma
part. Priant Dieu, Mons'' de Lanssac, vous avoir en
sa sainte et digne garde. Escript à Blois, le xvi^ jour
d'octobre 1584.
Henry.
le vicomte de turenne a catherine de médicis.
[Octobre ou novembre 1584*.]
Madame, suivant l'asseurance qu'il pleut à Vostre
Majesté me donner à Fontaynebleau^ qu'elle m'hono-
reroit de ses commandemans, si tost que je fus venu
baiser les mains au roy de Navarre et que j'eus
demeuré quelque temps près de luy, je m'en revins
à Turenne, en intention d'exécuter de tout mon pou-
1. Autogr. Bibl. nat., V^ Colbert, vol. IX, fol. 98. Suscrip-
tion : « A la Reyne mère du Roy. »
2. Sans doute au mois de juillet 1584, quand, revenant des
Flandres, Turenne passa quelque temps chez sa grand'mère
la connétable, à Chantilly, et eut occasion de voir à Paris
le roi et la reine mère.
APPENDICE. 297
voir les commandemans de Vostre Majesté, si elle
m'en eust honoré; n'ayant affection au monde si
enracinée en mon ame que de luy faire paroistre
combien je luy suis très humble et très fidelle servi-
teur ^ Geste qualité-là, Madame, et l'asseurance qu'il
vous a pieu me faire cest honneur d'en prendre, m'en-
hardissent à représenter à Vostre Majesté le danger
qu'il y a, que ce commancemant de brouillemant, qui
est advenu en Languedoc, ne s'estende plus loing, au
grand préjudice du repos de ce royaulme, s'il n'y est
de bonne heure pourveu; et sçachant de combien
grande affection Vostre Majesté a tousjours embrassé
ce qui concernoit ce repos-là, et quels remèdes elle a
apportez plusieurs fois en choses aultant ou plus dan-
gereuses, espérant aussi de vostre bon naturel l'effect
de l'affection et bonne volonté qu'il vous a pieu por-
ter de tousjours à Monsieur de Montmorancy, j'ay bien
osé suplier très humblemant Vostre Majesté de luy
vouloir estre aydante et favorable, et par quelque
bon moyen, dont sa prudence s'ad visera, vouloir
assoupir ce brouillemant, qui, estant estendu plus
loing, ne pourra qu'altérer beaucoup ce qui est du ser-
vice de Sa Majesté et du repos de son royaulme ;
osant vous en parler ainsi, pour l'extrême affection
que j'y ay, et pour l'ennuy et déplaisir que c'est à
1. Nous n'avons pas reproduit plus haut une lettre de
Catherine de Médicis au vicomte de Turenne du 7 janvier 1578,
qui avait pour objet de faire appel à son dévouement, en lui
demandant « d'empescher que rien ne s'esmeuve pour ce qui
est advenu à Périgueux, » où il s'était rendu plusieurs fois
l'année précédente [Mémoires, p. 113 et 122). Cette lettre est
imprimée dans V Histoire généalogique de la maison d'Au-
vergne, par Christ. Justel, Paris, 1645, in-fol., p. 262.
298 APPENDICE.
tous les gens de bien et fidelles serviteurs de
Sa Majesté de le voir en trouble et en commodité de
donner matière aux ennemis d'icelluy de s'en réjouir.
J'ose encores à remonstrer un affaire à Vostre Majesté,
lequel me concerne, et auquel j'implore sa faveur et
assistance. Vous sçavez, Madame, que j'ay eu cest
honneur d'avoir en ce royaulme une compagnye de
gendarmes des plus anciennes, tant pour sa pre-
mière institution qu'elle a eue de long temps en ceux
desquels je l'ay eue, qu'aussi depuis le temps que
j'en cest honneur qu'elle me fut donnée. J'ay toujours
esté cy- devant oublié aux reiglemans qui ont esté
faitz par Sa Majesté, et dernièremant que j'eus cest
honneur de la voir, et vous aussy. Madame, je n'osay
en parler à Vos Majestez, de peur de paroistre impor-
tun en ce commancemant-là. Mais, maintenant, j'ose y
employer la faveur et authorité de Vostre Majesté,
laquelle je suplie très humblemant, suivant la bonne
affection qu'il luy a pieu me faire cest honneur de me
prometre de m'y vouloir estre aydante et secourable,
à ce qu'au nouveau reglemant et estât qui se pourra
faire pour l'année suivante, j'y puisse estre compris,
pour l'entretenemant de madicte compagnye ; asseu-
rant Vostre Majesté et la supliant très humblemant
de me faire tant d'honneur d'en asseurer le Roy
aussy, qu'elle ne sera employée en chose du monde
que pour son service et luy sera entièremant dédiée,
pour n'exécuter rien contre ses commandemans et
volonté ; ayant commandé à ce porteur de présenter
la présente à Vostre Majesté et recevoir là-dessus vos
commandemans, pour solliciter et poursuivre ce qu'il
luy plaira de faire commander; supliant très humble-
APPENDICE. 299
mant Vostre Majesté croire et s'asseurer de moy, de
tout ce qu'elle sçauroit jamais désirer de
Son très humble et très obéissant et très fidelle
sujet et serviteur,
TURENNE.
LE VICOMTE DE TURENNE A MONSIEUR DES PRUNEAUX.
1«^ avril 1585 <.
Monsieur, j'ay receu vostre lettre, par laquelle je
remarque comme vous me continuez la bonne amityé
que vous me portez de longue main^, me la tesmoi-
gnant ordinairement par tous les effectz et offices
qu'on peult rechercher d'un vray et fidel amy, de
quoy je vous ay d'aultant plus d'obligation que, pour
ceste heure, le moyen et l'ocasion ne me sont offertz
1. Orig. Bibl. nat., f. fr. 3290, fol. 123. Suscription : « A
Monsieur, Monsieur des Pruneaulx. »
2. Roch Sorbier des Pruneaux, que Turenne avait rencon-
tré lors de son expédition en Flandre, était toujours repré-
sentant du roi aux Pays-Bas. C'est en cette qualité qu'à la fin
de 1584, après l'assassinat du prince d'Orange, il conduisit
une longue négociation avec les Etats et les décida à offrir au
roi de France la souveraineté sans condition des Provinces-
Unies. Une grande ambassade partit même au commence-
ment de janvier 1585, conduite par Antoine de Lalaing, sieur
de la Mouillerie, pour venir trouver Henri III à Paris. Elle fut
reçue solennellement au Louvre le 13 février; mais on ne lui
fit que des réponses évasives, et la crainte de la Ligue empê-
cha la cour de s'engager, d'autant qu'elle savait que le roi de
Navarre était disposé à prendre le commandement de l'armée
des Pays-Bas, renforcée par les troupes françaises. Le vicomte
de Turenne avait une revanche à prendre sur les Espagnols, et
il poussait vivement à ce projet, dont on ne trouve cependant
point trace dans ses Mémoires.
300 APPENDICE.
pour VOUS rendre certin par l'expériance quelle est
la mienne en vostre endroict et combien est grand le
désir que j'ay de ne me laisser vaincre et surmonter
à voz courtoisies. Toutesfois, en attendant l'ocasion,
je vous puis asseurer que vous n'aymerez jamais gen-
tilhomme qui vous soict plus inthime et affectionné
que moy, ainsi que vous l'expérimenterez tousjours,
où vous vouldrez m'en tirer en preuve.
Or, Monsieur, espérant que vous me ferez ceste
faveur de le croire et de vous contenter pour mainte-
nant de ma bonne volonté, je laisseray ce discours,
pour vous dire que le roy de Navarre envoyé
Mons"^ le baron de Salignac vers le Roy, pour le per-
suadder de prendre les Flamans en sa protection et
de leur envoyer des forces, affin de donner tousjours
d'avantage d'affaires et d'empeschemens au roy d'Es-
pagne, pour, par ce moyen, tirer et repousser contre
luy l'orage callamiteux qu'il s'efforce de faire tomber
sur ce pauvre royaulme. Et, pour ce que ledict s"" roy
de Navarre sçaict quel fruict vous pouvez apporter en
cela à l'advancement de leur service et à l'utillité
publique, il supplye Sa Majesté de vous y employer,
comme très digne de ceste charge, qui me faict vous
supplier humblement, par nostre sincère amityé, de
la recepvoir, et, selon la sagesse et vertu qui est en
vous, leur faire congnoistre, en ce temps principalle-
ment qu'il en est plus de besoing que jamais, qu'ilz
ne se trompent poinct de vous estimer et retenir du
nombre de leurs meilleurs et plus affectionnez servi-
teurs. Je pren telle confiance en vostre valleur et
piété, que vous ne vous espargnerez en cest affaire,
qui est de si grande conséquence et importance à
APPENDICE. 301
cest Estât et à nous tous en particullier, je vous prie
derechef de vous asseurer que je vous aymeray et
serviray toute ma vye, d'aussi grande affection que je
vous baize humblement les mains, et prie Dieu vous
donner,
Monsieur, en parfaicte santé, heureuse et longue vye.
De Montaulbans, ce premier jour d'apvril 1585.
Vostre humble ami à vous servir,
TURENNE.
TABLE ALPHABÉTIQUE
N. B. Les noms de lieux sont en italiques.
La lettre m, après un chiffre, indique une note au bas de la page.
Aiguillon, 194 et n., 276.
Agen, H3, H5, 128, 139, 140,
172, 177, 202, 246, 276, 277.
Albe (le duc d'), le grand mi-
nistre de Philippe II, 7, 30,
34.
Alençon (le duc d'), François de
Valois, plus tard duc 'd'An-
jou, 5, 6, 18 et n., 25, 26, 30,
32, 33, 36, 37, 43 et n., 45,
47, 49, 52, 55, 58, 63, 65, 73,
93, 97,99, 102,107,111,112,
113, 129, 159, 160, 164, 165,
171, 173, 198 etu., 289, 291.
Aluie (le sieur d') , capitaine
sous les ordres de Turenne,
181.
Andelot (d'), frère de l'amiral
de Goligny, 9 et n., 15.
Altoviti (Philippe, baron de
Gastellane), 117 et n., 222
et n.
Angers, 183.
Angoulême, 39.
Angoulême (Henri d'), grand
prieur de France, 17 et n.,
222 et n.
Angoulême (Diane de France,
duchesse d'), 185 et n.
Anjou (le duc d'), Henri de
Valois, roi de Pologne, et
plus tard le roi de France
Henri HI, 5, 6, 16, 19, 20,
25, 26, 30, 31, 32, 33, 36, 37,
41, 44, 47, 48 et n., 65.
Annal (le sieur d'), page de Tu-
renne, 125, 126.
Arbouville (le sieur d'), écuyer
du roi de Navarre, 59, 61.
Argentat, 73 et n.
Arleux, 169.
Armagnac (le sieur d'), premier
valet de chambre du roi de
Navarre, 136 et n.
Arpentis (le château des), 26
et n.
Arras, 173.
Aubeterre (David -Bouchard,
vicomte d'), sénéchal de Pé-
rigord, 225 et n.
Auch, 135, 137.
Auchie (le vicomte d'), 282 et n.
Audou (Jean-Claude de Lévis,
baron d') , gouverneur du
comté de Foix, 157 et n.
Audou (la bastide d'), près
Toulouse, 157 et n.
Aumale (Charles de Lorraine,
duc d'), 14 et n.
Aumont (le maréchal d'), 223,
239 et n.
Auneau (la bataille d'), 55 et n.
304
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Auvilar, 115 et n.
Avalon (Philippe de Ghasteius,
vicomte d'), 94 et n.
Avignon, 11.
B
Bade fol, 127 et n.
Balagny (Jean de Montluc, sgr
de), gouverneur de Cambrai,
244 et n.
Balbaugie (le fort de la), près
Sorrèze, 154 et n.
Balyros (le sieur de), 231 et n.
Baranneau (le sieur de), séné-
chal d'Armagnac, 201 et n.
Barge (le sieur de la), 76 et n.
Batz (Manaud, sieur de), gou-
verneur d'Eauze, 201 et n.,
233 et n.
Bavière (Frédéric UI, duc d'),
50 et n., 95 et n.
Beauce {la)., contrée du centre de
la France, 99, 104.
Beauchamp (Thomas Vasselin,
sgr de), 285 et n.
Beaugency, 239 et n.
Beaulieu, 73 et n., 192 et n.
Beaune (Charlotte de), baronne
de Sauves, 58 et n.
Beaupré (Chrétien de Choiseul,
baron de), 91, 97 et n., 221,
280.
Beau regard (Jean de Montbe-
ron, sgr de), 210 et n.
Beauvais-Nangis (Antoine de
Brichanteau, marquis de),
amiral de France, 242 et n.
Beauville (la maison de), 157
et n.
Bégoles (Antoine de), 192 et n.
Bellegarcie (le maréchal de), 77.
Belle-hle, 40 et n.
Bellenave (le sieur de), 70.
Bellenaves, 70 et n.
Bellièvre (le sieur de), surinten-
dant des finances, chancelier
de France, 129, 164 et n.,
288 et n.
Bénac (Bernard de Montant,
baron de), sénéchal de Bi-
gorre, 97 et n., 125, 126, 203.
Benaiiges (le comté de), 119
et n.
Bergerac, 96, 92 et n., 122, 124,
167, 188, 219.
Bessens, 82 et n.
Béthune (le sieur de), gouver-
neur de Montflanquin, 216
et n.
Beutterich (Pierre), lieutenant
de Casimir de Bavière, 102
et n., 164 et n.
Biron (le maréchal de), lieute-
nant général en Guvenne,
124, 131 et n., 134, 137, 140
et n., 203, 217,220,226,279.
Bissousse. Voir Viçose.
Blamont, 50 et n., 51 et n.
Blois, 26.
Bois (Louis du), sgr des Arpen-
tis, 26 et n.
Boiscommun, 243.
Bois-Dauphin (Urbain de La-
val, sgr de), 224 et n.
Boisrenard (le capitaine), défen-
seur de Montségur, 204 et n.,
205.
Boisrond(le sgr de). 7o/r Saint-
Léger.
Boisselin (Jean de), sgr de la
Cour-d'Arcy, 152 et n.
Boissière (le sieur de la), écuyer
de Turenne, 6 et n., 21, 55,
69.
Boissy (le sieur de), gouver-
neur de Dourdan, 240 et n.
Bonneval (François de), sgr de
Blanchefort, 97 et n., 111.
Bonnivet (le jeune), 22.
Bordeaux, 119, 196.
Borie-Blanque (le fort de la),
156 et n.
Bouchain, 170 et n., 172.
Bouillon (le duc de), 55, 57 et
n., 234 et n.
Bouillon (M"e de). Voir La
Marck.
Boulaye (Philippe Eschalard,
baron de la), 221 et n.
Bourbon (Catherine de), du-
chesse de Bar, sœur du roi de
Navarre, 117 et n., 119 et n.,
286 et n.
TABLE ALPHABÉTIQUE.
305
Bourbon (Catherine de), ab-
besse de N.-D. de Soissons,
222 et n.,
Bourbon (Éléonore de), abbesse
de Fontevrault, 222 et n.
Bourgueil, 232 et n.
Bouscbantd'Auvergne(le sieur),
125, 126.
Boulay (/e), château dans le
Gâtinais, 107 et n.
Bourget {le), 14.
Bourges, 113.
Bûurnazel (Antoine du Buis-
son, sgr de), gouverneur de
Rouergue, 293 et n.
Bouzols, 73 et n.
Bouzols (le château de), 285 et n.
Bressieux (le marquisat de), 21
et n,
Briarres, 104 et n.
Brissac (Timoléon de Gossé,
comte de), fils du maréchal,
12 et n., 21 et n.
Brive, 76 et n.
Brouage, 122 et n., 123, 182,
184.
Brugière [la), 151 et n.
Bucquoy (Gharles-Bonaventure
de Longueval, comte de),
chef des finances espagnoles
aux Pays-Bas, 170 et n.
Buhi (le sieur de), 56 et n., 59.
Bussy-d'Amboise (Louis de
Glermont, sgr de), 68 et n.,
93, 95 et n., 97, 107 et n.
Bussy-d'Amboise (Georges de),
frère puiné de Louis, 183 et
n., 214 et n.
But (le sieur de), capitaine de la
troupe de Turenne, 83.
Buzet, 82 et n., 86.
Cabrerès (Jean de Gontaut,
sgr de).
Cae7i, 63.
Cahors, 90 et n., 119.
Cambrai/, 164, 166, 168 et n.,
170, 243.
Garavas (le comte de), 227.
Carcassonne, 153.
Garentan, 65 et n., 67 et n.
Carrère (le capitaine), 120, 121.
Gasimir. Voir Jean-Casimir.
Casteljaloux, 92 et n., 132, 194,
212,274.
Gastelnau (le baron de), cham-
bellan du roi de Navarre,
236 et n.
Castehiaudary , 146.
Gastets, 191 et n., 195, 196.
Castille (le commandeur de),
52 et n.
Castillon, 187 et n., 188, 196,
206, 216, 227.
Gastres, 149 et n., 151, 153,215.
Gatelet {le), 165 et n.
Caumont, 92 et n., 182 et n.,
194.
Gaumont. Voir La Force.
Gauzac, 211 et n.
Gazenove, château fort dans le
Bazadais, 214 et n.
Gazais, 211 et n.
Gazillac, 74 et n.
Gliâlons-sur-Marne, 178.
Ghampetières (Marcellin de),
curateur de Turenne, 6 et n.
GhampignoUes. Voir Tenance.
Ghampigny, 33 et n.
Ghampigng-le-Sec, 220 et n.
Chantilly, 4, 5, 32, 52, 71, 130
et n., 174, 296 et n.
Chapelle-la-Reine {la), 107 et n.
Charité (to), 119.
Charles IX, roi de France, 5, 6,
13, 24, 27, 30, 32, 36, 44, 45,
47, 48, 50, 51,53,58, 61, 65,
67, 73.
Gharlottière (le sieur de la), 22.
Chastenay, 108 et n.
Châteaugay, 72.
Châteauneuf (Renée de Rieux,
demoiselle de), femme de Phi-
lippe Altoviti, 17 et n.
Château-Thierry, 174.
Château-Re)iault, 198, 199.
Ghâtellerault (la duchesse de).
Voir Angoulême.
Ghàtillon (la maison de), 5.
Ghâtillon (l'amiral de), Gaspard
de Goligny, 8.
Ghàtillon (le cardinal de), 9 et n.
20
306
TABLE ALPHABETIQUE.
Ghâtillon (François de Goligny,
sgr de), 114 "et n., 146, 175
et n., 243 et n., 293.
Châtre (Claude de la), gouver-
neur d'Orléans, 243 et n.
Ghaumont-Quitry (Jean de), sgr
de Bertichères, 55 et n., 57,
59, 60, 61, 63-65, 239.
Chavigny (Fr. Le Roy de), ca-
pitaine des gardes, lieutenant
général de l'Anjou et du
Maine, 6 et n.
Chef-de-Baye, 40 et n., 41 et n.
Ghizc, 226 et n.
Ghoiseul. Voir Beaupré.
Chouppes (Pierre de), 76, 83
et n., 86, 166 et n., 168, 188.
Christophe, fils de l'électeur de
Bavière, 50 et n.
Clairac, 11 et n., 90 et n., 91,
188, 195, 216.
Claye-Souilly , 12, 14.
Clermont, 71.
Ciermont-d'Amboise. Voir Bus-
sy-
Clermont-de-V Hérault, 78 et n.
Clermont-Dexsoics, 236 et n.
Glervant (Jean de Vienne, sgr
de), 275 et n.
Goesmes (la maison de). Voir
Lucé et Moulins.
Cognac, 225.
Colombières (François de), ba-
ron de la Haye-du-Puy, 62
et n., 64, 66 et n.
Condé (la princesse de), Marie
de Glèves, 51 et n.
Condé (le prince de), Henri I'^'"
de Bourbon, 9, 48 et n., 51,
94, 100, 105, 108 et n., 121,
147, 160, 161 et n., 162, 217.
Confolens, 182 et n.
Gonstans (Augustin de), sgr de
Rebecque, gentilhomme de
la chambre du roi de Navarre,
206, 215, 222.
Corisande , Diane d'Andoin,
comtesse de Graraont, 183
et n.
Cornusson (François de la Va-
lette, sgr de)^ sénéchal de
Toulouse, 77, 87, 153.
Cosne, 70 et n.
Cossé (le maréchal de), 40 et n.
69.
Gourcelles (Jean du Faur, sgr
de), 243 et n.
Gouronneau (le capitaine), 181.
Coutras, 160, 230 et n.
Coutures - sur - Garonne , 213
et n.
Gramailles (Hubert Le Vergeur,
comte de), 159.
Grèvecœur (Bonnivet, sgr de),
21 et n.
Crocq, 96 et n.
Groisette (la). Voir Nodal.
Gurson (Louis de Foy, comte
de), fils du marquis de Trans,
200 et n.
D
Damazan, 280 et n.
Damville ( Henri de Montmo-
rencv, duc de), maréchal de
France, 17, 69, 74, 78, 113,
128, 146. Voir Montmorency.
Dauphiné (la province de), 181.
Diesbach (le sieur de), gentil-
homme bernois, 217.
Dinte ville (Joachim de), gou-
verneur de Champagne, 239
et n.
Dordogne (la rivière de), 186,
188, 193, 196.
Dormans (la bataille de), 95
et n.
Dourdan, 240.
Dreux, 59, 60.
Drot (la rivière du), 79 et n.
Duel (le) de Duras et de Tu-
renne à i\gen, en 1579, 140
et n., 143, 273,278,282,295.
Duranti (Jean-Étienne), magis-
trat toulousain, 86 et n.
Durfort (Jacques de), sgr de
Rauzan, frère aîné de Jean,
sgr de Duras, et son témoin
dans le duel d'Agen, 141
et n., 273,276, 278.
Duras (Jean de Durfort, vi-
comte de), capitaine do Cas-
teljaloux, l'adversaire du vi-
TABLE ALPHABETIQUE.
307
comte de Turenne, 132, 172
et n., 203 et n., 207 et n.,
273, 276, 278, 281, 282, 295.
E
Eauze. 201 n.
Écouen, 66 et n.
Emmanuel-Philibert. Voir Sa-
voie.
Épernon (le duc d'), favori de
Henri III, 134, 174, 175, 223.
Esguillon. Voir Aiguillon.
Estampes, 15, 106, 244.
Esternay (Jean-Raguier, sgr d'),
capitaine de « gens de che-
val, » au service du roi de
Navarre, 242 et n.
Esticjny (la paix dite d'), 108
. et n., 112.
États-généraux de 1576, 114
et n.
F
Fairas (le sieur de), 121.
Favas (Jean de), baron d'Auros,
gouverneur de la Réole, 131
et n., 212.
Faucigny (/e), 240 et n.
Faur (Jean du). Voir Gour-
celles.
Fautrière ( le capitaine ), 207
et n.
FayoUes (Bertrand de Mallet
de), frère du sieur de Neufvy,
169 et n.
Fère (la), 147.
Ferrand, valet de chambre du
duc d'Alençon, 49.
Ferrières (l'abbaye de), 107
et n.
Feuillade (François d'Aubus-
son, sgr de la), chambellan
du duc d'Anjou, 169 et n.
Fleix (le traité de), 159 et n.,
164 et n.
Fleix (le château de), où fut né-
gociée la paix de 1580, 200
et n.
Fleurance, 137 et n.
Fleurance (la surprise de), 137
et suiv.
Fleurât (le sieur de), gouver-
neur de Châteaugay, 72.
Florac (le sieur de), peut-être
le même que le précédent,
72; ami de Turenne, 280.
Foix (le comté de), 114, 120
et n., 157 et n.
Fontainebleau, 296.
Fontenay-le-Oomte, 76, 216 et n.
Fontrailles (Michel d'Astarac,
baron de), 85 et n., 233 et n.
Force ( Jacques Nompar de
Caumont, duc de la), 209,
219, 221 et n.
FouqueroUes (le sgr de), 221
et n.
Fize (Simon), sgr de Sauves, se-
crétaire d'Etat, 58 et n.
Frédéric III. Voir Bavière.
Frette (le baron de la), 243.
Frontenac (François de Buade,
sgr de), écuver du roi de Na-
varre, 132 et n., 203, 204.
G
Gadaigne (l'abbé de), négocia-
teur de Catherine de Médicis,
226 et n.
Gagnac, 192 et n.
Gaiffier. Voir Gourdon.
Garenne (le sieur de la), capi-
taine de la troupe de Tu-
renne, 85 et n.
Garonne (la rivière de la), 180,
193, 205, 237.
Gascogne (la province de), 180,
194.
Genève, 241.
Genève (les consuls de), lettres
que Turenne leur adresse,
292.
Génissac (le sieur), secrétaire
dévoué du roi de Navarre,
123 et n.
Genlis (Jean de Hangcst, sgr
de). Voir Yvry.
Gensac, 216 et n.
Gien, 243.
Givry (Anne d'Anglure, sgr de),
239 et n.
308
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Gondrin (H. de Pardaillaa, sgr
de), 201 et n.
Gondy (Albert de), maréchal de
Retz, 62 et n.
Gontaut (la maison de). Voir
Biron, Gabrerès, Saint-Ge-
niez, Salignac.
Gourdon (Antoine, sgr de Gaif-
fier, vicomte de), comman-
dant en Limousin, Haute-
Auvergne et Quercy, 74 et n. ,
97 et n.
Grange (la), capitaine poitevin
de la troupe de Turenne, 83,
85.
Grillon (le commandeur de),
276.
Guiche (Philibert de la), grand-
maître de l'artillerie, 185
et n.
Guise (Henri de Lorraine, duc
de), 5, 7, 30, 47, 53 et n., 95
et n., 149, 176.
Guitres, 123 et n., 224.
Guitry (le sgr de). Voir Chau-
mont-Quitry.
H
Hangest (Jean de). Voir Yvoy.
Hautefort (Bellièvre de), prési-
dent au parlement de Dau-
phiné, 162 et n.
Hautefort (Edme de), sgr de
Thenon, sénéchal du Limou-
sin, 185 et n., 241 et n.
Haye {la), 231 et n.
Haye-du-Puy (le baron de la).
Voir Golombières.
Henri HI, roi de France, 74
et n., 76, 99, 108, 113, 128,
129, 165, 175, 196, 279, 281,
282.
Hesdin, 173 et u.
Hôpital (le chancelier de 1'),
8 et n.
Hôpital (Louis de 1'). Voir Vi-
try.
Hortoman (Jean), médecin du
roi de Navarre, 237 et n.
Huguerie (Michel de la), secré-
taire du prince de Gondé,
162 et n.
Hurault (Marguerite), petite-
fille de l'Hospital, femme du
baron de Salignac, 142 et n.
Illiers, 240 et n.
Isle-Adam (T), 31.
Issoire, 119.
Jargeau, 243.
Jarnac (bataille de), 20, 21 et n.
Jean-Gasimir, prince palatin,
fils du duc de Bavière, 50
et n., 95 et n., 98, 101, 103,
111.
Jeune (le), guidon de la com-
pagnie de Turenne, 72.
Joyeuse (Guillaume, vicomte
de), lieutenant -général du
Languedoc, maréchal de
France, 77 et n., 82, 83, 153.
Joyeuse (Anne dei, sgr d'Ar-
qués, puis duc de Joveuse,
83 et n., 134, 174, 223.-
Joyeuse (Antoine-Scipion de),
grand -prieur de Toulouse,
236 et n.
Joze, 71, 102, 252 et n.
Jugie (le sieur de la). Voir
Rieux.
Juvisy, 69 et n.
K
Koiré (le sieur de), capitainerie
la troupe de Turenne, 84.
Laigle, 62 et n.
Lalaing (Antoine de), chef de
l'ambassade des Pays-Bas à
Paris en 1585, 299 et n.
Lambert (Pierre de), sgr de
Rouziers, 214 et n., 218, 229,
233.
Langoiran. Voir Montferrant.
TABLE ALPHABETIQUE.
309
Langon, ?01, 214.
Langres. 239.
Languedoc (la province de), 297.
Lartigue (le sieur de), 223 et n.,
224.
Lanquais (le château de), 120
et n.
Lans.sac (Guy de Saint-Gelais,
sgr de), 295 et n.
Laubardemont (le château de),
près Coutras, 123 et n.
Lauraguais (le pays de), 149.
Lauzères, capitaine gascon,
205 et n.
Lauzerte, 78 et b., 90 et n., 91,
202 et n.
Laval (Guy de Coligny, comte
de), fils aine de d'Andelot,
175 et n., 184 et n.
Lavardin ou Laverdin (Jean de
Beaumanoir, marquis de), 68
et n., 115 et n., 123, 132,
198, 201, 223 et n., 277.
Lavedan ( Anne de Bourbon,
vicomte de), 96, 98 et n.
La Vergne. Voir Vergne.
Lay (/e), rivière, 225 et n.
Léaumont. Voir Puygaillard.
Ledoure, 132 et n., 138, 180
et n.
Lerson (Honoré), conseiller au
présidial de Puylaurens, 291.
Lestelle (Louis de Brunet, sgr
de), baron de Pujols, 121 et n.,
212.
Lettes (Jacques de), sgr des
Prez de Montpezat, évêque
de Montauban, 79 et n.
Libourne, 123.
Lignerac (François- Robert de),
bailli de la Haute-Auvergne,
gouverneur de Nérac sous
Marguerite de Valois, 177
et n.
Limeuil (la maison de), 97,
120 et n.
Limeuil (le sieur de), cousin de
Turenne, 294.
Limeuil (Isabelle de), épouse
de Sardini, 187 et n.
Limousin (la province de), 186.
Lissac (le sieur de la Porte de).
commandant à Montignac,
capitaine au service du roi
de Navarre, 190.
Livron, 77 et n.
Loire (la rivière de), 55, 65, 99,
179, 184.
Longueville (Henri d'Orléans,
duc de), 241 et n.
Loques (le sieur de), 292.
Losses (Jean de), sgr de Beau-
lieu, 92 et n.
Lucé (Jean de Goesmes, baron
de), 68 et n.
Litsignan, 76 et n.
Lusignan (Henri de), capitaine
huguenot, gouverneurde Pui-
mirol, 144 et n., 206, 274.
Luxembourg (le duc de), 241
et n.
Lyon, 76, 221.
M
Macstricht, 52 et n.
Maignanne (le sieur de), 71, 72.
Maine (Monsieur du), le duc de
Mayenne, 119, 123, 186, 187,
189-191, 193, 196, 212, 214,
229, 239, 290.
Malras (Pierre de), baron d'Yo-
let, capitaine de Mur-de-Bar-
rès, 158 et n.
Malverade (le sieur de), 92.
Mantes, 56 et n., 57 et n.
Marans, 219 et n., 220, 223.
Marck (Henri-Robert de la).
Voir Bouillon.
Marck (Charlotte de la), pre-
mière femme de Turenne, 4
et n., 234 et n.
Marets (le chevalier des), 238
et n.
Marigny, 244 et n.
Marsolau (le capitaine), 205.
Martel, 191 et n.
Martinengo (le comte de), 241
et n.
Mas-de- Verdun. Voir le Mas-
Grenier.
Maselière (le capitaine), de Né-
rac, 176.
Mas-Grenier, 78 et n., 193.
310
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Masparaut (Pierre de), porteur
de dépêches de la reine mère,
204 et n.
Masson (le capitaine), 238.
Matignon (le maréchal de), lieu-
tenant général en Guyenne,
après le maréchal de Biron,
63, 67, 188, 190, 191 et n.,
210, 212, 214 et n., 236, 295.
Maurevel (François Louviers,
dit), l'assassin de Goligny, 30,
36 et n., 54.
Maurevert. Voir Maurevel.
Maurie (la), capitaine huguenot,
commandant à Tulle, 186
etn., 192 et n., 193.
Mauzac, 85 et n.
Mayenne. Voir Monsieur du
Maine.
Mayenne (la duchesse de), Hen-
riette de Savoie, 189 et n.
Mazères, 285 et n.
Meaux (la ville de), 9.
Meaux (l'entreprise de), 7, 9.
Médicis (Catherine de), 5, 7,
19, 47-49, 53, 58, 63, 77, 100,
108, 129, 130, 133, 135, 137,
139, 144, 165, 200 et n., 202,
294, 296.
Meillan, 201 et n.
Mercœur (le duc de), 432 et n.
Merle (le capitaine), 161 et n.
Mère-Eglise (Simon, sgr de),
gentilhomme du duc d'Alen-
çon, 198 et n., 201.
Meru (Charles de Montmorency,
sgr de), 15 et n., 94.
Mervillc (le vicomte de), 237.
Meslon (André de), gouverneur
de Monségur, 195 et n., 229
et n.
Mesny (le capitaine), 206.
Meijssac, 192 et n.
Mczières, 24.
Millau (le sieur de), 119.
MiUy, 69 et n.
Miossans (Jean d'Albret, baron
de), 201 et n.
Mirambeau (François de Pons,
baron de), seigneur souverain
de Brouage, 122 et n.
Miremont, 74 et n.
Miremont (le château de), 75.
Mitry-Mory, 13.
Moissac, 203 et n.
Molle ou Mole (Joseph de Boni-
face, seigneur de la), 38 et n.,
51, 53, 58, 65, 68.
Monceau (Lancelot de). Voir
Tignouville.
Monceaux, 8.
Mondon (le sieur de), secrétaire
du roi de Navarre, 214 et n.
Mons, 30 et n., 34.
Monségur, 188 et n., 194, 195,
196, 205 et n., 218 et n.
Monsieur. Voir le duc d'Anjou
et, plus tard, le duc d'Alençon.
Montai (le comte de), 73, 74, 75.
Montauban, 77, 78, 80, 122, 129,
147, 163, 164, 188, 193.
Montbazon (Hercule de Rohan,
duc de), gouverneur de Paris,
243 et n.
Montbéliard, 241.
Montcontour (bataille de), 20.
Monl-de-Marsan, 236.
Montereau-Fault-Yonne, 243.
Montferrant (Langoiran, baron
de), 78, 93 et n., 96 et n.
Montjlanquin, 188 et n., 207, 216.
Montfort (le château de), 191
et n.
Montgascon (M"« de), sœur de
ïurenne, 3 et n., 112.
Montglas (Robert de Harlay,
sgr de), premier maitre d'hô-
tel de Henri IV, 242 et n.
Montgomery (Gabriel de Lor-
ges, comte de), 39 et n., 41,
42, 63, 65, 67 et n.
Montcjuillon, 224 et n.
Montguyon, 122 et u., 123.
Montguyon (La Rochcioucault,
sgr de), 76.
Montignac, 190 et n.
Montluc (Charles de), sgr de
Gampène, petit-fils du maré-
chal, sénéchal d'Agenais, 92.
Montluc (Jean de). Voir Balagny.
Montmarlin (Jean du Mats,
sgr de), gouverneur de Vitré,
199 et n.
TABLE ALPHABETIQUE
3H
Montmorency (le connétable
Anne), 4, B, 13, 15.
Montmorency (maison de), —
les enfants du connétable, 15
et n., 16, 47.
Montmorency (le marécbal de),
tils aîné du connétable, 19, 25,
26 et n., 31, 52, 66, 69, 99,
161, 170, 178.
Montmorency (la maréchale de).
Voir Angoulème.
Montmorency (le duc de), aupa-
ravant maréchal de Damville,
gouverneur du Languedoc,
215, 235, 276, 279, 290.
Montmorency (Louise de), mère
de Châtillon, 9 et n.
Montpellier, 163, 164.
Montpensier (le duc de), 67, 76
et n., 124, 218 et n., 229, 239.
Montpezat (la maison de), 79
et n.
Montvaleni, 192 et n.
Moreau, lieutenant de la ba-
ronnie de Ghâteauneuf, 209
et n., 210.
Moue (le capitaine La), 181.
Moulins, 96, 99, 100.
Moulins (le sieur de), de la mai-
son de Goesme, 82 et n., 83.
Mouy (François de Quincam-
poix, sgr de), 235 et n.
Mouy (le sieur de). Voir Saint-
Phalle.
Mur-de-Barrès, 177.
N
Nassau (le comte Ludovic de),
50 et n., 51, 52.
Nassau (Elisabeth de), seconde
femme de Turenue, 4 et n.
Navarre (la reine de), Jeanne
d'Aibret, 26, 116 et n.
Navarre (le roi de), plus tard
Henri IV, 33,41, 47, 52etn.,
58, 59, 61, 65, 69, 73, 113,
117, 122, 127, 128, 129, 131,
136, 144, 147, 159, 161, 163,
175, 186, 193, 195, 283, 289,
296, 300.
Navarre (la reine de), Margue-
rite de Valois. Voir Valois.
Négreplisse, 223 et n.
Nemours (le traité de), signé le
7 juillet 1585, 178 et n.
Nérac, 132, 133, 137, 144, 146,
176, 177, 131, 194, 202,233.
Nérac (les conférences de), 132,
139.
Neufvy (le sieur de), 169 et n.,
221.
Neuvie. Voir Neufvy.
Nevers (Louis de Gonzague, duc
de), 220.
Nimes, 101.
Nodal (Jean de), sgr de la Groi-
sette, 152 et n.
Noue (François de la), 34 et n.,
38, 42, 45 et n., 49, 50, 53,
76, 93, 115, 116, 123, 235 et n.
Noyelles (Ponce de), sgr de
Bours, 170 et n.
O
Orange (le prince d'), 170.
Oudart (le sieur), 76.
Panjas (Ogier de Pardaillan,
sieur de), 118, 287 et n.
Pardaillan. Voir Gondrin.
Parabère (Jean de Baudéan,
sgr de), 231 et n.
Paris, 10, 16, 27, 31, 47, 100,
185, 244.
Parme (Alexandre Farnèse, duc
de), général de Philippe II,
169, 170, 172.
Pau, 176.
Paijs-Bas {les), 7, 160, 169, 171.
Pedesclaus (Vincent de), rece-
veur des finances du roi de
Navarre, 208 et n.
Périgueux, 96, 113, 134.
Pin (Le), Jacques Lallier, sgr du
Pin, secrétaire du roi de Na-
varre, 211 et n.
Piqueros, 79 et n.
Pithiviers, 102 et n., 243.
Plassac (Jean de Pons, sgr de).
312
TABLE ALPHABÉTIQUE.
gouverneur de Saintes, 122
et n.
Plessis-Mornay (le sieur du),
57 et n., 210 et n., 212 et n.
Pluviers. Voir Pithiviers.
Poitiers, 32, 124, 217.
Poitiers (la paix et l'édit de), en
septembre 1577, 127 et n.
Poitou (la province de), 182.
Pons, 122 et n., 123, 223, 224.
Pont-de- Douves (le château de),
67 et n.
Port-de-Piles, 231 et n.
Port-Sainte-Marie, 132, 194.
Porte (La) (le capitaine). Voir
Lissac.
Pot de Rodes (Louise), femme
du sieur de la Feuillade, 169
et n.
Pougues (les eaux de), 221 et n.
Pouillon, 237 et n.
Poyanne (Bertrand de Baylens,
sgr de), gouverneur de Dax,
236 et n.
Praslin (Charles de Choiseul-),
capitaine des gardes, 242 et n.
Prince (Monsieur le) . Voir Gondé.
Pruneaux (Roch Sorbier, sgr
des), 299 et n.
Puimirol, 144 et n.
Puygaillard (Jean de liéaumont,
sgr de), gouverneur d'Angers,
165 et n.
Puylaurens, 149 et n., 164.
Q
Quercy (la province de), 74 et n. ,
79, 90, 186, 191, 194.
Quincampoix, Voir Mouy.
R
Ranque (le sieur de), 221 et n.
Rauzan, 121 et n.
Rauzan ou Rosan (le sieur de).
Voir Duras.
Ravel, 153 et n., 155, 156.
Ré (l'île de), 41 et n.
Réalville, 85 et n.
Rebours (M"«), maîtresse du roi
de Navarre, 204 et n.
Reims, 51, 56.
Reine (la), ou la Reine mère.
Voir Catherine de Médicis.
Renyès (le sieur de), 91 et n.
Réole (la), 137 et n., 139, 283,
286.
Réole (l'entrevue de la), en 1578,
131 et n.
Retz (le maréchal de). Voir
Gondy.
Ribérac, 93.
Richebourg (le marquis de). Voir
Roubaix.
Rieux (le sieur de), chambellan
du roi de Navarre, 215 et n.,
276.
Rieux. Voir Châteauneuf.
Ripaille (le château de), 240 et n.
Robertet (Claude), dame des
Arpentis, 26 et n.
Roche (La), porteur de dépêches
de la reine mère, 204 et n.
Roche-Chandieu (La), ministre
calviniste, 237 et n.
iîoc/ie//e(;«), 31, 34, 39, 122,219.
Rochelle (le siège de la), 31, 33,
35, 39,43, 44,61.
Roclielle (les pêcheurs de la),
37 et n.
Rofignac, gouverneur de Tu-
renne, 6 et n., 22.
Roque (le sieur de la), gentil-
homme de la chambre du roi
de Navarre, 198 et n.
Roquebée, maison du comte de
Montai, 72.
Roquelaure (Antoine de), baron
de Laverdenx, gouverneur du
comté de Foix, maréchal de
France, 116 et n., 136.
Roubaix (Robert de Melun, vi-
comte de Gand), commandant
la cavalerie espagnole aux
Pays-Bas, 171 et n.
Roux (le capitaine), 227 et n.
S
Sacremore (le capitaine), bâtard
du chancelier de Birague, 192
et n., 193, 196 et n.
TABLE ALPHABETIQUE.
313
Saint-Aurens (Cassagnet du Til-
ladet, sieur de), 201 et n.
Saint-Barthélémy (la journée de
la), 30, 32, 34, 45, 47, 91 et
n., 112.
Saint-Céré, 73 et n., 186 et n.
Saint-Cliamarans (le sieur de),
maréchal de camp, 182 et n.
Saint-Denis, 14.
Saint-Denis (la bataille de), 15
et n., 21 et n.
Saint-Geniez (Jean de Gontaut,
sgr de), 96, 191, 197 et n.
Saint-Germain, 39 et n., 53 et n.,
54, 60.
Saint-Germain (l'affaire de), en
mars 1574, 64 et n., 85.
Saint-Germain (la paix de), 24
et n.
Saint-Helmes (le sieur de), 127.
Saint-Héran(Montmorin,sgrde),
gouverneur d'Auvergne, 71 et
n., 75.
Saint-Jean-d'Angély, 39, 147 et
n., 162, 238.
Saint-Léger (René de), sgr de
Boisrond, 60 et n.
Saint-Lô, 65, 67.
Saint-Martin, capitaine des gar-
des du roi de Navarre, 138.
Saint-Martin (Laurent du Bois,
sgr de), 51 et n.
Saint- Martin -Golombières (le
sieur de), lieutenant de Joveu-
se, 83.
Saint-Mathurin, 107.
Saint- Maximin (le sieur de), 276.
Saint-Mégrin (Estuer de Gaus-
sade, sgr de), 119 et n., 121.
Saint-Mesme (Jean de Roche-
beaucourt, sgr de), gouver-
neur de Saint-Jean-d'Angély,
185 et n.
Saint-Paul (Charles d'Orléans,
comte de), 241 et n.
Saint-Phal (Georges de Vau-
dray, marquis de), 242 et n.
Saint-Phalle(le sieur de Mouy-),
30, 36.
Saint-Quentin (la bataille de).
70, 71 et n.
Saint-Sauveur (le sieur de),
frère de Joyeuse, 233 et n.
Saint-Sulpice (Jean-Evrard, ba-
ron de), ambassadeur en Es-
pagne, 19 et n., 20, 23.
Saint-Sulpice (Armand de), 21
et n., 110.
Saint-Sulpice (Bertrand de), 21
et n., 22.
Saint-Vrain, 102 et n.
Sainte-Aldegonde (Marnix de),
délégué des États généraux
des Pavs-Bas, 160 et n.
Sainte- Bazeille, 188 et n., 189,
194 et n., 196, 205, 212, 213
et n.
Sainte-Dame (le sieur de), 221
et n.
Sainte-Foy, 187 et n., 188, 195,
216 et n., 237.
Sainte- Foy-la- Grande, 216 et n.
Saintes, 225, 233.
Salignac (Jean de Gontaut, ba-
ron de), chambellan du roi de
Navarre, gouverneur de Péri-
gord, 97 et n., 141 et n.,273,
300.
Salvetat {la), 125 et n.
Sancerre (Jean de Bueil, comte
de), 243 et n.
Sancerre, 70.
Sancy (Nicolas de Harlay, sgr
de), 239 et n.
Sardini (Scipion), baron de
Ghaumont, 187 et n.
Sarrazin (Théophile), sgr de Sal-
neuve, secrétaire du prince de
Gondé, 102 et n.
Saumur, 112 et n., 115, 220.
Sauves. Voir Beaune et Fize.
Savailhan (Denis de Mauléon,
sgr de), 228 et n.
Savignac (Alain, baron de), gou-
verneur de Gastillon, 189 et n.
Savoie (Emmanuel- Philibert,
duc de), 74 et n.
Savoie (Madeleine de), femme
du connétable de Montmo-
rency, 4, 5, 15 et n., 16.
Schomberg (Gaspard de), 50 et
n., 105 et n., 221 et n.
Ségur (le sieur de), surintendant
314
TABLE ALPHABETIQUE.
de la maison du roi de Na-
varre, 209 et n.
Ségur-Pardaillan (Jeanne), fem-
me de Pierre de Chouppes,
166 et n.
Senneterre(Madeleine de), veuve
de Guy de Miremont, 75 etn.
Sérillac (François de Faudoas,
sgr de), 213 et n,
Soispons (Charles de Bourbon,
comte de), 210 et n., 237.
Sorc (Valzergues, sgr de), 123
et u.
Sorrèze, 149 et n., 154.
Souillac, 193.
Strozzi (Philippe), 159 et n.,
203 et n.
Suisses levés pour le roi, 7, 12.
Sulbj, 243.
Taillebourg, 224 et n.
Targon, 119 et n.
Tarn (la rivière du), 82 et n., 84.
Tenance (Christophe de), baron
de GhampignoUes, 106 et n.
Ter nier, 2i0 et n.
Terride (Antoine de Lomagne,
vicomte de), 80 et n.
Terride (Géraud de Lomagne,
sgr de), 228 et n.
Thonon, 240 et n.
Thoré (Guillaume de Montmo-
rency, sgr de), 51, 58, 95.
Tignonville (Jeanne de), dame
d'honneur de Catherine de
Bourbon, 118 et n.
Tignonville (M™« de), Margue-
rite de Selves, femme de Lan-
celot de Monceau, 118 et n.
Tonnay-Cliarente, 219 et n.
Tonneins, 120.
Torcy (Jean Blosset, baron de),
59 et n., 61, 63.
Toulouse, 78, 86, 133, 135, 146,
157.
Toulouse (l'entrevue de), en
1578, 133 et n., 135.
Toulouse (le grand prieur de).
Voir Joyeuse.
Tour d'Auvergne (la maison de
la), 3 et n.
Tour (Madeleine de la), sœur de
Turenne, 3 et n.
Tour (Antoinette de la), femme
de Le Roy de Chavigny, 6
et n.
Tour d'Yviers (le sieur de la),
229 et n.
Trémoïlle (Claude de la), 184
et n.
Trémoïlle (Charlotte de la), se-
conde femme du prince de
Condé, 130 et n., 184 et n.
Turenne, 71, 73, 78 et n., 93,
112, 124, 289.
Turenne (la vicomte de), fiefs
qui en dépendaient, 4 et n.
Turenne (les premiers vicomtes
de), 3 et n.
Turenne (M"e de). Voir Mont-
gascon.
Turin, 74 et n.
U
Ussac (le sieur d'), gouverneur
de la Réole, 137 et n., 139,
280 et n., 284, 285.
Uza (Louis du Luc, vicomte d'),
lieutenant de l'amiral de Vil-
lars, 41 et n.
Uzès, 163.
V
Valade (le capitaine), gouver-
neur de Réalville, 85 et n.
Valenciennes, 172.
VuUette (le sieur de la), père du
duc d'Epernon, 78.
Valogne, 65.
Valois (Marguerite de), reine de
Navarre, 25 et n., 27 et n.,
52 et n., 128, 129, 136, 175,
177, 208.
Vaudray (Louis de), sgr de
Mouy, 9 et n.
Vcntabran (Jacques de Vinti-
mille, sgr de), 53 et n.
Vcntadour (le duc de), gouver-
neur du Limousin, 73 et u.
TABLE ALPHABETIQUE.
315
Verdun-sur- Garonne, 180 et n.
Verger (le sieur du), 103.
Vergue (le sieur de la), capitaine
protestant, 100.
Verteuil-d'Agenais, 217 et n.
Vétigon (le sieur de), 276.
Vézère (la rivière de la), 190.
Vézins(JeandeLevezou,sgrde),
sénéchal du Quercy, 90 et n.,
119.
Vie-sur- Cére, 72 et n.
Viçose (Raimond de), secrétaire
des finances du roi de Na-
varre, 209 et n., 211.
Vieuville (Robert de la), baron
de Rugle, 242 et n.
Villars (le marquis de), amiral
de France, lieutenant général
de Guyenne avant le maré-
chal de Biron, 119 et n., 131.
Villatte (le sieur de la), page de
Turenne, 125, 126, 167.
ViUemontée, gouverneur de Tu-
renne, 4.
Villemur, 82 et n., 152.
Villeroy (le sieur de Neuville
de), ministre de Henri III,
124.
Villers-Cotterets, 14 et n.
Vincennes (le bois de), 64, 65, 67,
69, 99.
Vitry (Louis do l'Hospital, mar-
quis de), gentilhomme du duc
d'Anjou, 242 et n.
Vitry -le- François, 47 et n., 48.
Vivant ou Vivans (Geoffroy de),
gouverneur de Gaumont et
Sainte -Bazeille, 182 et n.;
gouverneur du Périgord et de
Limousin, 205 et n., 213 et
n., 229 et n., 233 et n.
Voûte (Gilbert de Lévis, comte
de la), cousin-germain de Tu-
renne, 168 et n.
X
Xaintonge (la province de), 182.
Yolet. Voir Mal ras.
Yvoy (le sieur d'), 30 et n.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Avertissement i
Le vicomte de Turenne v
Mémoires de Henry de la Tour d'Auvergne, vicomte de
Turenne, depuis duc de Bouillon 1
Appendice 197
Lettres du roi de Navarre au vicomte de Turenne, n°' I à
XXXIII 197
Lettres et pièces inédites 245
Le roi Charles IX au vicomte de Turenne 245
Le duc d'Anjou au vicomte de Turenne 247
Le maréchal de Damville au vicomte de Turenne . . . 248
Le vicomte de Turenne à MM. les syndics du Conseil de
Genève 249
Monsieur de Chaumont-Quitry au vicomte de Turenne . . 250
La comtesse de Tende au vicomte de Turenne 251
Monsieur de Torsay au vicomte de Turenne 253
Le même au même 255
Le roi Henri III au vicomte de Turenne 256
Le roi Henri III au vicomte de Turenne 257
Catherine de Médicis au maréchal de Damville .... 258
Discours de la querelle du viscomte de Tureyne avec le
sieur de Rozan, 1579 259
Rapport en forme de lettre sur le duel survenu entre Jean
de Durfort, vicomte de Duras, et son frère Jacques, d'une
part, et Henri de la Tour, vicomte de Turenne, et le
baron de Salignac, d'autre part. Nérac, 18 mars 1579 . 270
Monsieur de Clervant au vicomte de Turenne 275
Advis sur la querelle de Monsieur de Turenne 276
Le roi Henri III au vicomte de Turenne 279
318 TABLE DES MATIÈRES.
Pages
Le vicomte de Turenne à Monsieur d'Ussac 280
Le roi Henri III au vicomte de Turenne 281
Deffense aux sieurs viconte de Turenne et de Duras de se
faire acompaigner pour leur querelle 282
Nomination du vicomte de Turenne comme gouverneur de
la Réole 283
Catherine de Bourbon au vicomte de Turenne 286
Le vicomte de Turenne à Monsieur de Bellièvre .... 288
Le vicomte de Turenne à Monsieur de Bellièvre .... 289
Le vicomte de Turenne à Messieurs de Genève .... 292
Le vicomte de Turenne à Monsieur de Bouruazel. . . . 293
Le vicomte de Turenne à Catherine de Médicis .... 294
Le roi Henri III à Monsieur de Lansac 295
Le vicomte de Turenne à Catherine de Médicis .... 296
Le vicomte de Turenne à Monsieur des Pruneaux . . . 299
Table alphabétique 303
Nogeiil-It'-Ri^lrou, iin|>rirnerie Daupeley-Gouverneur.
=^:t
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